Author

Adrien Comar

Browsing

Créée au Festival d’Avignon 2024, Qui som ? du Baro d’evel avait bousculé la cité des papes. Elle continue aujourd’hui de bouleverser tout sur son passage. C’est au Théâtre-Sénart (Scène Nationale) que nous sommes retournés voir ce chef d’œuvre de cirque, danse et théâtre qui interroge sur la nécessité de faire de l’art, de créer de la beauté dans un monde catastrophé et atrophié par l’humanité.

FAÇONNER L’ART

Le spectacle débute par un retour à nos profondes origines : la terre. La céramique est la première matière de cette création. Des vases ornent le hall du théâtre ainsi que le plateau, un premier comédien tente tant bien que mal de façonner une poterie, sans autre conclusion qu’un pâté flasque et informe. Puis les vases se façonnent sur les visages des performeur.euse.s en forme de masque. Depuis la céramique, c’est jusqu’à l’ère du plastique que nous emmène le Baro d’Evel. La matière est au centre de ce panorama historico-poétique de l’humanité : l’homme façonne, il crée de l’art, puis l’art devient de la marchandise.

EFFONDREMENT DES CORPS

Mais tombant de la terre, les humains essayent de se rattraper au mieux. Ils chutent, se relèvent, essayent et ratent. Sur le plateau, les circassien.ne.s glissent et s’envolent avec difficulté. S’ajoute à cela la formation d’une société et sa destruction, de la création d’une communauté à sa partition en différents groupes – jusqu’à la désillusion de la rupture. Mais discrètement, en avant-scène, ce premier vase raté est augmenté des autres ratés de l’humanité, dont le capitalisme et son industrie du divertissement.

ESCHATOLOGIE OPTIMISTE

Car Qui som ? fait le constat d’une violente désillusion. Comment continuer à faire de l’art, des acrobaties, à danser quand l’humanité n’admire même plus ce qui l’a créé ? Pourquoi s’accrocher et essayer alors que tout semble fini et que l’humanité semble condamnée ? « La suite est déjà là » alors il faut avancer, il faut continuer, et c’est en la jeunesse et en ce retour à la nature que le Baro d’Evel fait confiance. La troupe maintient la joie, la résistance et la création pour croire en une appréhension collective et optimiste de la suite de nos univers politiques.

@ Jerome Quadri
@ Jerome Quadri

PARTAGE ET DÉVOTION

Sur scène, les chorégraphies font vivre une énergie communicative et rayonnante de dévotion. Chaque interprète se dépense pour faire vivre au plus loin chacun de ses gestes. L’humour est aussi de mise et met en valeur des séquences poétiques portées par une scénographie prodigieuse et une superbe musique souvent en live. L’abnégation de chacun.e des circassien.ne.s à leur pratique est admirable et inspirante, le sens du collectif inonde la salle.

@Christophe Raynaud de Lage
@Christophe Raynaud de Lage

GÉNÉROSITÉ DE L’ART

« La beauté s’abime parce que nous ne la regardons plus », c’est tout le sens de ce spectacle brillant. Il s’agit dans Qui som ? de prendre le temps d’apprécier une beauté parfois abstraite, et de la partager collectivement. Montrer la beauté pour mieux la voir, et avancer ensemble – voilà le pari plus que réussi d’un spectacle généreux et bouleversant. Le constat de la troupe n’est aucunement fataliste, et leur déambulation finale le montre, puisque la suite est déjà là, autant s’en saisir dans la joie de la musique, de l’art, du partage, de la fête, de la suite, de…


Chœur des Amants (de T. Rodrigues) souffle aux Bouffes du Nord

Première pièce de Tiago Rodrigues, l’actuel directeur du Festival d’Avignon, Choeur des amants a su donné…

Le Conte d’Hiver (m.e.s A.Mazouin et G. Morel), création de mi-saison.

Pièce onirique et imparfaite, Le Conte d’Hiver comporte en son sein  une tragédie de trois…

festival d'avignon 2025

Festival d’Avignon 2025 : notre sélection

Festival d’avignon : Prologue La 79e édition du Festival d’Avignon (In) et la 59e du…

Else est le premier long-métrage de Thibault Emin. Film de genre français, l’exercice est assez rare chez nous pour avoir envie de le soutenir.  Le projet d’art et essai met en scène Anx (Matthieu Samper) et Cass (Edith Proust) enfermés dans un appartement alors qu’une épidémie sévit : « les gens fusionnent avec les choses ». Ce presque huis clos a de quoi faire rêver, mais ne précipitons pas les choses puisque le rêve a vite fait de tourner au cauchemar.

Else

ART ET ESSAIE ENCORE

Si la photographie et la chromatographie sont superbes et que l’exercice de style est assumé de bout en bout comme une expérimentation, il n’est pas certain que ce laboratoire emporte l’audience. Très vite, la technique et la forme prennent le dessus sur tout : flous à outrance, caméra-épaule consciencieusement mal cadrée… Chaque tentative ressemble un peu plus à une propre parodie de son procédé. La dernière partie va jusqu’à s’évanouir dans de longs plans abstraits de l’épidémie, rappelant les salles de projection du Centre Pompidou dans lesquelles les visiteurices passent une tête puis s’éclipsent après n’avoir rien compris à ce plan séquence de trente-huit minute en slowmotion sur la mort du Christ et l’avènement du capitalisme. Else veut se donner un style unique qui finit par ressembler à tout ce qui existe déjà en cinéma indé.

WHAT ELSE ?

L’idée de départ est intéressante, mais son exploitation est décourageante. Que ce soit l’écriture masculine et ultra-clichée du personnage de Cass, jeune femme insouciante, spontanée et libre comme l’air (pour changer) ou le jeu des comédien.ne.s qui transpire l’artifice, rien dans la forme finale ne parvient à convaincre vraiment. Le propos lui-même est particulièrement confus. Certaines scènes démarrent avec une belle intensité et s’échouent dans une mièvrerie esthétique regrettable.  Thibault Emin ne sait pas vraiment où il va avec son film, et le public non plus. Sauf si…

VIRÉE INTESTINALE

Une scène restera marquée à jamais dans les quelques esprits qui ont vu ce film. Alors que l’appartement d’Anx est infesté par l’épidémie, il doit fuir. Et le seul moyen de fuir est le vide-ordure. La descente en rappel s’apparente très vite à un POV d’étron (pardonnez cette poésie). Le vide-ordure ressemble à un intestin dont Anx serait la crotte. À l’appui de cette analyse scato : l’anus géant par lequel Anx sort de l’immeuble. Pet foireux ou métaphore raté, il n’est pas évident de savoir si la chasse a ou non été tirée.

bien essayé

Peu de choses resteront donc de ce premier métrage digestif : un visuel chiadé qui peine à se modérer ainsi qu’une bonne idée bizarrement exploitée. La tentative est louable mais le résultat n’est pas encore là. Else aurait gagné à ne pas se vouloir ésotérique et à tout pris artistique, le propos et la narration en pâtissent bien trop et cela est dommage. Alors même s’il reste quelques traces dans la cuvette, la curiosité et le soutien aux jeunes projets originaux peuvent justifier un visionnage, pour l’expérience.


The-Substance-Margaret-Qualley

The Substance : Quand le body horror vient percuter Hollywood et ses travers

Faisant particulièrement parler de lui outre Atlantique, après un Prix du Scénario lors du dernier…

Terrifier-3-Lauren-LaVera

Terrifier 3 : Interview avec Lauren LaVera et Olga Turka entre Art et clowneries

(Interview vidéo)  – Terrifier 3 de Damien Leone n’a rien d’un film grand public. Il…

L'année du requin

L’Année du Requin, une bouteille à la mer ?

Pour cette dernière projection de l’année au chouette « Club 300 », c’était L’Année du Requin qui…

Créée en 2024 et chorégraphiée par Julien Lestel, cette nouvelle version de Carmen, l’opéra de tous les opéras, était présentée au Théâtre Libre à Paris avant de partir en tournée dans toute la France.  L’ambition de cette énième mise en scène est d’entrer « en résonance avec la prise actuelle de la place de la femme dans notre société, son émancipation » et de soulever « la question du féminicide ». Respectant la trame d’origine, la création d’1h10 se lance le défi de faire résonner Carmen dans la modernité, notamment par l’intégration de danse urbaine et de musiques actuelles composées par Iván Julliard. Verdict !

PANTOMIME CHORÉGRAPHIÉE

À mon humble avis de prosélyte de la danse, le défi n’est que partiellement relevé pour le Ballet Julien Lestel. L’arc narratif est compréhensible dans ses grandes lignes et Mara Whittington fait une Carmen surpuissante donnant une couleur brute, consistante et féministe au personnage. Toutefois, la mise en scène s’efforce de signifier le récit dans un ensemble séquencé qui manque de fluidité. La pantomime chorégraphiée peine à trouver l’équilibre entre danse et récit, alternant des scènes fractionnées dans un découpage qui ne parvient pas à trouver une cohérence globale. L’ensemble se tient mais résiste à la simplicité inégale de la forme.

Teaser de Carmen - Ballet Julien Lestel

CARMEN EST MORtE, VIVE CARMEN

Le sans faute du spectacle réside en Mara Whittington, interprète rayonnante qui monopolise les regards. Sa Carmen pleine d’assurance et de détermination jouit d’un jeu qui n’a d’égal que ses talents de danseuse. Car là est le principal défaut de la création, la partition théâtrale est relativement mal interprétée par la branche masculine du ballet. Un jeu caricatural et viriliste émane de ces messieurs qui en font des caisses : torse bombé et moue jalouse accaparent une interprétation trop faible. En dépit de chorégraphies très réussies et mélangeant danse urbaine, contemporaine et parfois classique, le jeu des danseurs gagnerait à plus de sobriété et de simplicité – surtout face à leur collègue toujours juste et poignante dans son rôle.

Carmen – Ballet Julien Lestel

ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ

Dans l’ensemble, la création de Julien Lestel n’est pas mauvaise mais aurait gagné en radicalité. La musique oscillant entre Bizet et Iván Julliard est manifeste de cette hésitation qui marque l’ensemble de la proposition (sauf du traitement de Carmen donc). Les costumes très classiques n’évoquent en rien la modernité du propos (sauf – encore et toujours – Carmen dans ce tailleur rouge marqueur d’empowerment). En somme, même la dimension féministe reste assez convenue, buttant sur des considérations que d’autres lectures récentes de l’opéra n’avaient pas manqué de faire valoir avec brio (pensons à la mise en scène très réussie de Jeanne Desoubeaux). Le tout n’est pas désagréable mais fait de Carmen  une oeuvre en demi-teinte peinant à répondre à ses ambitions de modernité.


Sans tambour (m.e.s Samuel Achache), prendre la note au mot. (théâtre)

Sans tambour (m.e.s Samuel Achache) est une pièce fractionnaire s’installant dans un décor décomposé lui-même…

REQUIN VELOURS

Requin Velours (Sorry Mom, Gaëlle Axelbrun) : Réparer les vivantes

TW : Cet article aborde une pièce de théâtre parlant explicitement de VSS. Au Théâtre…

Les Chatouilles, Andréa Bescond

« Les Chatouilles » et « Les Possédés d’Illfurth », quand le théâtre se fait porte-voix des victimes de pédophilie et de VSS

Il y a de ces pièces qui marquent au fer rouge de l’amour, qui sont…

TW : Cet article aborde une pièce de théâtre parlant explicitement de VSS.

Au Théâtre Ouvert jusqu’au 21 février (Paris 20e) et en tournée en France, la compagnie Sorry Mom présente Requin Velours (texte et m.e.s de Gaëlle Axelbrun). Récit à trois voix né de « la nécessité intime de l’autrice de parler du viol et de l’après », c’est « l’histoire d’une fille qui se transforme en requin pour ne plus être la proie ». Il s’agit de voir ce que le théâtre, la fiction peut prendre comme part dans le récit d’un viol et sa réparation – si réparation il y a. Alors, dans les pas de Despentes et du renversement des stigmates : « Ce sera impudique, car la honte a sauté. »

BOXER LE RÉEL

REQUIN VELOURS
REQUIN VELOURS @Christophe Raynaud

À partit d’un dispositif trifrontal sous forme de ring, le public est installé au plus proche du combat avec soi-même mené par Roxane et les Loubardes, Joy et Kenza, des amies rencontrées le soir de son viol. Les regards font face aux comédien.ne.s pour mieux amortir un jeu brut et sincère, à l’image du décor et de la violence dans lesquels iels déambulent. Comme un poing dans la tronche, les mots de départ font mal  « C’est l’histoire d’un mec qui rentre dans un bar et en fait c’était pas lui et le bar c’était moi ».  Et cette violence, toujours à fleur de peau, érafle le coeur, mais caresse avec humour et poésie les sensibilités irritées. Le ring dramatique officie comme prise en charge collective et authentique d’un récit intime où la douleur se fraye un chemin par les corps et par les voix. Ici, il s’agit notamment de prendre la justice par le poing et de mettre K.O  un traumatisme qui perdure inlassablement.

L’HISTOIRE SANS fin ET SANS début

Avec Requin Velours, l’autrice veut raconter l’histoire d’un viol, de son début, et de sa fin. Mais par où commencer quand l’aliénation du corps féminin débute dès la plus ferme enfance ? Et par où finir quand les stigmates ont abîmé l’être profond, jusque dans l’intimité sexuelle ? Pour Roxane, ce sera la prostitution et les rires au nez de la justice qui hanteront sa chair pour toujours. Ce qui se joue ici, c’est l’impossibilité de mettre un terme à cette possession incarnée et indésirable de son corps par l’agresseur. Influencée par Pauline Peyrade qu’elle cite, la création de Gaëlle Alexbrun m’évoque un passage d’À la carabine (2020) « Est-ce que j’ai pas le droit, moi, qu’on me caresse sans que je pense (…) aux marques de tes doigts sur ma peau ? » Comment vivre après une dépossession de son intimité ?

JUSTICE FICTIVE

Et quand la police se fout de la gueule de Roxane et que son cas n’est pas jugé assez grave, donc sans suite, il faut pourtant vivre avec les suites de l’histoire – se faire justice. Et le théâtre est là pour donner vie à ces excuses ou cette sentence jamais prononcées. « Je voudrais être bercée et enlacée par tous les bras ». Témoin et jury du combat, le public est garant et acteur de cette justice : Requin Velours déploie le théâtre comme consolation collective. Dans une scène d’une poésie rare évoquant la puissance des Chatouilles d’Andréa Bescond, Roxane et les Loubardes imaginent le procès et les condamnations qu’elles souhaitent, celles qui réparent et qui, peut-être, ferment le rideau. Le rêve, le fantasme et la réalité s’entrelacent dans cette espace de combat pour permettre d’affirmer le geste illocutoire de la parole théâtrale et donner vie à la fin du trauma.

RAPE AND REVENGE (VRAIMENT) FÉMINISTE

REQUIN VELOURS
REQUIN VELOURS @Christophe Raynaud

Sorry Mom propose, à l’instar de Pauline Peyrade ou de Promising Young Woman, un « rape and revenge » réaliste et enfin issu d’un regard féminin. Ici il n’y a pas de cruauté gore, seulement un récit authentique, profondément enchaîné au réel et à l’expérience qui refuse l’imaginaire masculin se projetant dans un corps féminin. Avec sa pièce, Gaëlle Axelbrun conjugue réalité et fiction pour proposer une alternative au récit dominant et souvent esthétisant du viol dans les représentations picturales. Entre douceur et violence, le requin velours boxe la romantisation du viol et trouve une issue féministe et authentique de vivre « l’après viol » dans une prise en charge collective. Une création percutante à ne pas manquer.


Les Chatouilles, Andréa Bescond

« Les Chatouilles » et « Les Possédés d’Illfurth », quand le théâtre se fait porte-voix des victimes de pédophilie et de VSS

Il y a de ces pièces qui marquent au fer rouge de l’amour, qui sont…

Dégueuli féodal et dialectique hégélienne pour Sans Filtre (Triangle of Sadness)

Palme d’or de Cannes 2022, Triangle of Sadness ou Sans filtre en français comme nos traducteurs…

Les cinq diables - Affiche

« Les Cinq Diables »: Rien ne sert de mourir, il faut aimer à point

Second long-métrage de Léa Mysius (réalisatrice de l’acclamé  Ava) présenté hors compétition à la Quinzaine des…