TW : Cet article aborde une pièce de théâtre parlant explicitement de VSS.

Au Théâtre Ouvert jusqu’au 21 février (Paris 20e) et en tournée en France, la compagnie Sorry Mom présente Requin Velours (texte et m.e.s de Gaëlle Axelbrun). Récit à trois voix né de « la nécessité intime de l’autrice de parler du viol et de l’après », c’est « l’histoire d’une fille qui se transforme en requin pour ne plus être la proie ». Il s’agit de voir ce que le théâtre, la fiction peut prendre comme part dans le récit d’un viol et sa réparation – si réparation il y a. Alors, dans les pas de Despentes et du renversement des stigmates : « Ce sera impudique, car la honte a sauté. »

BOXER LE RÉEL

REQUIN VELOURS
REQUIN VELOURS @Christophe Raynaud

À partit d’un dispositif trifrontal sous forme de ring, le public est installé au plus proche du combat avec soi-même mené par Roxane et les Loubardes, Joy et Kenza, des amies rencontrées le soir de son viol. Les regards font face aux comédien.ne.s pour mieux amortir un jeu brut et sincère, à l’image du décor et de la violence dans lesquels iels déambulent. Comme un poing dans la tronche, les mots de départ font mal  « C’est l’histoire d’un mec qui rentre dans un bar et en fait c’était pas lui et le bar c’était moi ».  Et cette violence, toujours à fleur de peau, érafle le coeur, mais caresse avec humour et poésie les sensibilités irritées. Le ring dramatique officie comme prise en charge collective et authentique d’un récit intime où la douleur se fraye un chemin par les corps et par les voix. Ici, il s’agit notamment de prendre la justice par le poing et de mettre K.O  un traumatisme qui perdure inlassablement.

L’HISTOIRE SANS fin ET SANS début

Avec Requin Velours, l’autrice veut raconter l’histoire d’un viol, de son début, et de sa fin. Mais par où commencer quand l’aliénation du corps féminin débute dès la plus ferme enfance ? Et par où finir quand les stigmates ont abîmé l’être profond, jusque dans l’intimité sexuelle ? Pour Roxane, ce sera la prostitution et les rires au nez de la justice qui hanteront sa chair pour toujours. Ce qui se joue ici, c’est l’impossibilité de mettre un terme à cette possession incarnée et indésirable de son corps par l’agresseur. Influencée par Pauline Peyrade qu’elle cite, la création de Gaëlle Alexbrun m’évoque un passage d’À la carabine (2020) « Est-ce que j’ai pas le droit, moi, qu’on me caresse sans que je pense (…) aux marques de tes doigts sur ma peau ? » Comment vivre après une dépossession de son intimité ?

JUSTICE FICTIVE

Et quand la police se fout de la gueule de Roxane et que son cas n’est pas jugé assez grave, donc sans suite, il faut pourtant vivre avec les suites de l’histoire – se faire justice. Et le théâtre est là pour donner vie à ces excuses ou cette sentence jamais prononcées. « Je voudrais être bercée et enlacée par tous les bras ». Témoin et jury du combat, le public est garant et acteur de cette justice : Requin Velours déploie le théâtre comme consolation collective. Dans une scène d’une poésie rare évoquant la puissance des Chatouilles d’Andréa Bescond, Roxane et les Loubardes imaginent le procès et les condamnations qu’elles souhaitent, celles qui réparent et qui, peut-être, ferment le rideau. Le rêve, le fantasme et la réalité s’entrelacent dans cette espace de combat pour permettre d’affirmer le geste illocutoire de la parole théâtrale et donner vie à la fin du trauma.

RAPE AND REVENGE (VRAIMENT) FÉMINISTE

REQUIN VELOURS
REQUIN VELOURS @Christophe Raynaud

Sorry Mom propose, à l’instar de Pauline Peyrade ou de Promising Young Woman, un « rape and revenge » réaliste et enfin issu d’un regard féminin. Ici il n’y a pas de cruauté gore, seulement un récit authentique, profondément enchaîné au réel et à l’expérience qui refuse l’imaginaire masculin se projetant dans un corps féminin. Avec sa pièce, Gaëlle Axelbrun conjugue réalité et fiction pour proposer une alternative au récit dominant et souvent esthétisant du viol dans les représentations picturales. Entre douceur et violence, le requin velours boxe la romantisation du viol et trouve une issue féministe et authentique de vivre « l’après viol » dans une prise en charge collective. Une création percutante à ne pas manquer.


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