Il est sur le devant de la scène folk américaine depuis plus de vingt ans, compte une dizaine d’albums à son actif et publie aujourd’hui son nouvel opus Salt River. Pour vous donner une idée de son influence, il a récemment coaché Paul Mescal et Josh O’Connor pour un rôle. Sam Amidon, génial artiste en plus d’être une adorable personne, ouverte, passionnée et enthousiaste, a accepté de répondre à nos questions. Avec lui, nous avons parlé de musique folk traditionnelle, son dada – sur laquelle il nous a appris plein de choses – mais aussi de Lou Reed, de Yoko Ono et d’Ornette Coleman, trois artistes qu’il met à l’honneur sur son nouvel album.

Sam Amidon - ©Allyn Quigley
Sam Amidon – ©Allyn Quigley

Pop & Shot : Tu viens de publier Salt River, ton dixième… ou onzième album ?

Sam Amidon : Cela dépend de comment tu comptes. C’est mon huitième album de chansons, mon neuvième si tu inclues mon tout premier album qui était un opus de violon (2001), et mon dixième si tu prends aussi en compte l’album King Speechy, qui est un album fictionnel mais composé de vraie musique, paru uniquement en 100 exemplaires vinyles sans sortie digitale, en 2016.

Pop & Shot : Comment tu te sens par rapport à la sortie de ce nouvel opus ?

Sam Amidon : C’est vraiment très excitant. J’étais d’abord nerveux parce qu’il est assez différent, en terme d’éléments électroniques qui apportent un sentiment nouveau par rapport à mes précédents albums. Mais c’est aussi ça qui me réjouit et je dois dire que je suis très content depuis sa sortie. Les retours du public sont super encourageants.

Pop & Shot : Tu fais de la folk depuis tes débuts. Tes parents étaient Eux-aussi des musiciens folk. C’est un genre musical qui véhicule beaucoup d’idées reçues j’ai l’impression. Selon toi, trimballe t-il son lot de conceptions erronées issues de l’imaginaire commun ?

Sam Amidon : Oui, tout le monde a sa petite idée de ce qu’est la musique folk. Et bien évidemment, elle peut vouloir dire tellement choses. Mes parents jouaient et chantaient des chansons. Je viens du Vermont, qui est situé au nord-est des Etats-Unis, mais les chansons que je chante viennent davantage du sud, issues des différentes traditions des musiciens blancs et noirs du sud. Mais comme je viens de la Nouvelle Angleterre, je suis tout aussi intéressé par les musiques venues d’Irlande, d’Angleterre… C’est un mélange de styles avec lesquels j’ai grandi. Donc personnellement, j’adore la créativité, et l’expérimentation, et l’étrangeté. Sauf que les gens n’imaginent pas la folk musique comme un terreau propice à ce genre de choses.

Pop & Shot : Et tu essaies de donner une nouvelle image de cette musique, de contrer ces préjugés ?

Sam Amidon : Ce n’est pas mon intention première, parce que mon seul soucis est d’être créatif, de travailler avec des musiciens que je trouve inspirants, et de faire de la musique qui m’excite. Mais ce que le public entend, et ce qu’il met donc en exergue, ce sont les connexions qui entourent la folk et la tradition. C’est génial que les gens le soulignent. Or, je ne fais que suivre mon instinct, mes envies et mes inspirations. En ce sens, l’idée d’une nouvelle image de la folk que je véhiculerais provient plus du résultat que de l’intention. Je suis ok avec ça, c’est positif.

Pop & Shot : Ton album est intégralement composé de reprises. Est-ce une spécificité de la folk music, que de s’approprier des morceaux existants ?

Sam Amidon : Pour moi, il y a seulement trois reprises sur cet album : les chansons de Lou Reed, Yoko Ono et Ornette Coleman. Je ne considère pas le reste, à savoir des pures chansons folks, comme des reprises. Parce qu’il n’existe pas de version originale. Et on en vient là au sens majeur de la musique folk justement, qui est l’idée des chansons traditionnelles, provenant de passés mystérieux, et qui se transmettent sans auteur principal. Beaucoup de gens pensent à Bob Dylan quand on leur parle de musique folk, ou Nick Drake par exemple. Et j’adore personnellement ces artistes. Mais je ne considère pas à proprement parler Nick Drake comme de la musique folk, parce que celle-ci ne se résume pas à la guitare acoustique. Elle va de pair avec une tradition, d’anciens mots et d’anciennes mélodies, qui voyagent au fil des générations. Peu importe de comment cela sonne.

Sur mon nouvel album album, des chansons comme « Golden Willow Tree » ou « Three five » ou « Cusseta » ne sont pas des reprises. Parce qu’une reprise, c’est quand tu chantes une chanson qui appartient à quelqu’un d’autre.

Pop & Shot : Les chansons folk n’appartiennent donc à personne ?

Sam Amidon : Correct. Elles font partie du domaine public. Elles appartiennent à la tradition et proviennent parfois d’une culture. Personne ne possède une chanson folk et c’est ce qui en fait toute la beauté.

Mais dans tous les cas, que ce soit pour les reprises ou pour les traditionnels, je compose de la musique autour, car je suis aussi un compositeur.

Avec les chansons folks, tu peux venir puiser ce que tu veux dedans, et autant que tu veux. Dans le cas de « Three Five », c’est une mélodie et des lyrics empruntés à une chanson folk intitulée « Old Churchyard » mais j’ai changé son titre parce que c’est la toile de fond musicale qui est venue en premier. C’est une composition.

Pop & Shot : Bob Dylan a joué peu de chansons folks à proprement parler donc ?

Sam Amidon : Sur son premier album majoritairement. Puis il a pris une pause avant de publier dans les années 90, soit 30 ans plus tard, deux sublimes albums de chansons folk traditionnelles, qu’il a enregistré à la maison il me semble : Good As I’ve Been to You (1992) et World Gone Wrong (1993). Ce dernier est pour moi son meilleur de folk pure. Il est revenu à la racine de la chanson traditionnelle avant de sortir l’année d’après son classique Time Out of Mind.

Pop & Shot : Et toi, tu trouves toujours la motivation à l’idée de t’emparer de ces chansons traditionnelles ? C’est toujours un défi ?

Sam Amidon : Je trouve de l’inspiration et de la motivation à plein d’endroits différents, qui diffèrent selon chaque album. Pour celui-ci, j’en ai trouvé au travers des sons de synthétiseurs qu’utilise Sam Gendel. Le fait d’être constamment dans la pièce avec Sam [Gendel] & Phil [Melanson] m’a inspiré certaines mélodies à chanter. J’ai aussi beaucoup écouté la musique des années 70/80 comme Weather Report, ou encore de disques du label ACM. Et je suis sans cesse inspiré par les anciennes histoires qui proviennent des chansons de musique folk. Qu’est ce qui se passe quand on mélange tout ça ?

Sam Amidon_Steve Gullick
Sam Amidon – ©Steve Gullick

Pop & Shot : Peux-tu nous parler de Sam Gendel et Philippe Melanson justement, qui sont les deux musiciens qui t’accompagnent sur ce projet ?

Sam Amidon : Bien sûr ! Philippe est un super batteur canadien. Il a un groupe qui s’appelle « Bernice », qui sont des amis à moi. J’ai travaillé avec lui sur plusieurs années mais habituellement, quand je travaille avec lui, il joue avec une batterie acoustique. Sam Gendel est un très bon ami depuis 10 ans, depuis qu’il a débuté sa carrière artistique. Je l’ai vu évoluer jusqu’à devenir cet incroyable musicien. Il a joué du saxophone sur mes deux précédents albums comme invité. Mais sur ce nouvel album, il était question de pénétrer son monde à lui. Lui et Phil ont un duo. Sur cet album, Phil joue majoritairement sur des pads électroniques avec ses doigts, et sur quelques percussions acoustiques aussi. Et Sam joue majoritairement du synthétiseur et du saxophone. On s’est d’abord retrouvés sans plan particulier en tête. On s’est assis dans un salon – pas de studio – avec un ordinateur, et une entrée directe sur les synthétiseurs, sur les guitares et sur les percussions. Et on a fait de la musique pendant quatre jours.

Pop & Shot : Et pour les trois reprises – les chansons de Lou Reed, Yoko Ono et Ornette Coleman -, comment tu les a sélectionnés ?

Sam Amidon : J’ai été énormément inspiré par tous ces artistes. Et quand je les écoute – parce que l’acte d’écouter est pour un geste créatif en soit – je fais attention aux connexions. Et une des connexions que j’ai repéré depuis un longtemps, c’est celle entre le free-jazz, le jazz d’avant-garde et la vieille musique de montagne Appalaches en Amérique du Nord, là d’où je viens. Ce qui les unit est le caractère hyper brut de ces musiques : le son brut de la voix, le son brut du violon, le son brut d’artistes comme Albert Ayler, Pharoah Sanders, Ornette Coleman… Et j’ai remarqué qu’Ornette Coleman chantait une chanson sur un de ces albums intitulé « Friends and Neighbours ». Une chanson avec des paroles qui avaient des airs de chanson folk. Je me suis dit : il faut que je la chante !

Pop & Shot : Ca ne t’a pas fait peur de reprendre une chanson aussi bruyante et dynamique ?

Sam Amidon : C’est vrai que la version originale est complètement dingue. Ornette Coleman est au violon en plus ! Les paroles et la mélodie m’ont vraiment parlé. Avec Sam et Phil, on voulait célébrer cette idée de « friends and neighbours » [amis et voisins], ce côté social. Sur notre version, on s’est enregistrés deux fois en train de diner, et on a mis ces deux pistes en arrière-plan sonore. C’est l’idée d’une taverne, d’où le nom du morceau suivant d’ailleurs. C’est un hommage au rassemblement, à l’échange.

Pop & Shot : Et pour Lou Reed & Yoko Ono ? Pourquoi ce choix ?

Sam Amidon : J’ai trouvé dans leur lyrics une véritable essence de folk song, quand bien même on imagine généralement ces artistes comme expérimentaux. J’ai adoré cette connexion. Et dans la musique folk, il y a un respect immense pour les anciens. Quand tu apprends une chanson folk traditionnelle, tu vas voir des musiciens plus âgés. Ces trois artistes que j’ai repris, ils sont en quelques sorte les parrains de la musique expérimentale. Ils sont comme le vieil homme sur la montagne.

Pop & Shot : Dès que tu écoutes quelque chose, tu essaies de voir si tu lui trouves une qualité de chanson folk ?

Sam Amidon : J’entends les connexions et j’ai un petit radar dans ma tête qui me dit ce que je pourrais chanter. Le plus important pour moi, c’est de voir ce à quoi je pourrais donner une dimension nouvelle, une émotion différente, un son différent. Je ne joue pas une chanson pour en faire une copie identique, et cela vaut autant pour les reprises que pour les traditionnels.

Par exemple, dans le cas de « Big Sky » de Lou Reed, il la chante de manière très puissante, brutale, punk rock. De sa manière quoi ! Ce qui est génial, j’adore ! Mais derrière, les mots sont si doux. C’est là que je me dis : et si j’en faisais quelque chose de plus triste et mystérieux ?

Pop & Shot : Ce qui est surprenant effectivement avec ta reprise, c’est qu’on ne réalise pas que c’en est une, même quand on connait super bien le morceau. Car « Big Sky » est sur mon album préféré de Lou Reed, et il m’a fallu pourtant cinq écoutes au moins avant de faire le lien ! C’est amusant. Selon toi, est-ce qu’une reprise doit se détacher au maximum de l’original pour devenir quelque chose de presque complètement neuf ?

Sam Amidon : Dans le cas d’une chanson traditionnelle, tu peux faire ce que tu veux, car tu as tous les droits. Mais pour les reprises, c’est une autre histoire. Je change autant que je peux, pour les transformer en ce qui me plait, mais je suis tenu de garder la ligne mélodique etc. Je change les harmonies par exemple mais la mélodie reste la même.

Pop & Shot : Est-ce un des pouvoirs de la musique folk, que de faire redescendre la pression, que de nous inviter à respirer ?

Sam Amidon : Il y a deux aspects de la musique folk traditionnelle. Le premier, c’est le côté social, avec folk dance, les réunions à chanter autour d’un feu par exemple. Ca, c’est l’aspect communautaire. De l’autre côté, il y a aussi la musique folk intérieure, qui pourrait être représentée par l’image de quelqu’un en train de marcher dans les bois tout seul, avec le poids de sa solitude, chantant pour lui-même. Ou encore une personne avec son violon en haut d’une montagne, qui n’a vu personne depuis six mois, et qui joue pour se tenir compagnie à lui-même. Ce que tu disais à propos de faire redescendre la pression convient donc bien à cet aspect intérieur de la musique folk.

Pop & Shot : Tu parles souvent de ton attachement aux violons traditionnels irlandais, que l’on sent énormément sur la chanson « tavern » . tu peux nous en dire quelques mots ?

Sam Amidon : Oui ! En Nouvelle-Angleterre d’où je viens, il y a un mélange d’influences françaises, canadiennes, irlandaises, écossaises. J’ai commencé à jouer à partir de l’âge de trois ans mais quand j’en ai eu dix, j’ai réalisé qu’un tiers des morceaux que je préférais étaient d’origines irlandaises. Mais en réalité, la chanson « Tavern » est américaine, influencée par l’Irlande. Elle a cet enracinement américain. C’est une chanson traditionnelle qui est arrivée à nous en quelque sorte par accident. Philippe jouait de la batterie, Sam du clavier, et ça sonnait vachement comme un truc du type Miami Vice. Ca m’a fait rire, je me suis rajouté au violon. C’était presque une blague, ces deux minutes de violon avec ce beat disco. Sam a ensuite ajouté la deuxième partie où il ralentit la cadence et où il joue ce fabuleux solo. Puis à partir de là, la pièce dans son ensemble a commencé à raconter une histoire. Un de mes objectifs pour cet album était de raconter quelque chose. Ca n’est pas simplement une chanson, puis une chanson et encore une autre chanson.

Pop & Shot : Le monde est de plus en plus effrayant. Les informations vont de mal en pis, et ta musique apparait comme une pause bienvenue au milieu de tout ça. Est-ce que tu suis les infos ou tu t’en protèges ?

Sam Amidon : Malheureusement, je les suis. C’est très difficile mais il le faut. Je prête beaucoup d’attention au pouvoir de l’art, à ses différentes périodes et à l’implication politique des artistes. C’est compliqué. Je n’ai jamais vraiment fait de musique politique à proprement parler mais par exemple, une chanson comme « Golden Willow Tree » est engagée. C’est l’histoire d’un capitaine de bateau qui fait un pacte avec un jeune marin en lui promettant une récompense si celui-ci fait en sorte de faire couler un navire ennemi. Le marin respecte le deal mais une fois la première partie du contrat remplie, le capitaine ne le laisse finalement pas remonter sur son bateau. Il y est question de trahison, de lutte des classes. Les chansons folk ont beaucoup de connexions avec ce qu’il se passe dans le monde. On y trouve à l’intérieur de la sagesse.

Pop & Shot : Merci beaucoup

Sam Amidon : Merci à toi !


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