Circuit des Yeux, le projet musicale d’Haley Fohr sera de retour le 14 mars avec un album envoûtant et hors cases « Halo on the Inside ». Originaire de Chicago, la multi-intrusmentiste brillante y livre des mélodies synth-waves, un vent de nouveauté qui souffle sur l’indie folk hantée à laquelle elle nous avait habitués. Sa précédente galette « -io », était portée, il faut le dire par les douleurs et le deuil. Celle-ci malgré son apparente noirceur raconte une toute autre histoire. Celle du retour à la vie, de la découverte de soi et d’une nouvelle forme d’amour propre, celle surtout de toutes les formes d’amour.
Nous avons rencontré Haley Fohr dans les locaux de son label, Beggars à Paris. Avec elle nous parlons de musique, de boucles, de mythologie grecque, de cinéma, de science-fiction, de quête philosophique de la vérité et d’enfant intérieur. Interview.

Interview Circuit des Yeux
Pop&Shot : Bonjour, comment vas tu ? Tu enchaînes les concerts et la promo, tu reviens d’ailleurs tout juste d’Australie. Cette vie , elle n’est pas trop fatigante ?
Circuit des Yeux : Tu vas aussi loin que tu peux et quand tu rentres, tu ne fais que dormir. Ca fait partie du travail.
P&S: Parlons de ton nouvel album. Il sort le 14 mars. Commençons simplement. Comment le décrirais-tu à quelqu’un qui ne l’a jamais écouté ?
Circuit des yeux : C’est un album de danse façon opéra. C’est très actuel et dramatique.
P&S : Son titre « Halo on the Inside » est très lumineux, il semble annoncer que quelque chose de beau est en train d’arriver.
Circuit des Yeux : Ca vient d’une session d’écriture que j’ai fait au tout début. Les paroles semblaient couler de moi et j’ai pensé que c’était une bonne réplique. Et après y avoir réfléchi en profondeur, j’ai réalisé que je m’étais embarquée dans un voyage d’amour propre et d’auto acceptation. Je pense que tout le monde passe par là. Mais ce voyage je l’ai entamé depuis un bon moment. Je vis une dichotomie et je pense que ça arrive aussi à d’autres personnes. La société et la vie paraissent lourdes et sombres. Et je voulais donner corps à tout ça que ce soit comment c’est perçu de l’intérieur comme de l’extérieur. Je voulais donner à ce sentiment les traits de l’enfant intérieur doux et espiègle qu’on a tous en nous. C’est de là d’où vient ce titre. Parce que je pense qu’on a tous ça. Le plus on passe de temps sur Terre, le plus on l’éveille.
En tant qu’Américaine, j’ai honte actuellement.En tant qu’Américaine, j’ai honte actuellement.
P&S : la société actuelle comme les informations qu’on peut suivre sont très sombres en ce moment. Est-ce quelque chose dont tu avais besoin de parler avec ta musique ?
Circuit des Yeux : En tant qu’Américaine, j’ai honte actuellement. La manière dont la réthorique politique existe ne colle pas avec mes valeurs morales. Il y a aussi un nouveau gap de passé avec la technologie. Je me sens empoisonnée et je ne peux pas mettre le doigt sur ce qu’est ce poison. Je me sens hors de contrôle et je voulais personnifier cette confusion. Mettre des notes sur ce que je ressens. C’est ce que je traduis avec les instruments. Alors que la voix est pure. Je chante des idées simples et douces. C’est mon combat actuel : lutter contre le chaos et rester pure.
P&S : La bio de l’album parle beaucoup de métamorphose, d’un nouveau départ. Pourquoi as-tu ce besoin de nouveau départ ?
Circuit des Yeux : En toute honnêteté, je n’ai pas choisi ce nouveau départ. La vie a changé, beaucoup de choses ont changé ces deux dernières années pour moi et j’ai du faire corps avec ce changement. il arrive un moment dans la vie où quelque chose d’énorme t’arrive et tu dois y faire face et avancer. La musique m’a aidée à le faire d’une certaine manière. Elle m’a permis de me connecter au monde et pas de seulement rester chez moi à regarder la télé.
Quand je chante ma musique, je me sens soulagée, calme et en contrôle.
P&S : La musique, tu le dis souvent, t’aide à tout affronter dans la vie. Est-ce que l’écriture de cet album à eu ce même effet pour toi ?
Circuit des Yeux : Oui, toujours. Plus je fais ce travail, plus je n’aime pas l’écriture des albums. Je n’aime pas m’asseoir et faire face aux ténèbres parce que c’est ce que je fais. Mais d’un autre côté, j’aime chanter. C’est physique, comme un athlète et il y a de l’endorphine qui se libère. Quand je chante ma musique, je me sens soulagée, calme et en contrôle. Ca me fait le plus grand bien physique et psychologique.
P&S : J’ai lu que tu parlais de trouver ton son intérieur. J’avais eu une discussion similaire avec Julia Holter quand elle sortait son dernier album. Elle parlait de sa grossesse et donc son « son intérieur » était très aquatique, puisque très proche du son du corps. Et pour toi, ça sonne comment ?
Circuit des Yeux : Le mien est composé de deux choses : la sexualité et c’est une chose à laquelle je n’ai jamais vraiment fait face de façon à me donner du pouvoir. Et le second sonnerait comme une comédie. Comme une enfant. Quand j’écrivais ça, je m’autorisais à simplement réagir et ce qui sortait de moi était si surprenant. C’était mon humeur d’enfant. Et c’est ce son intérieur qui caractérise mon travail.

P&S : La pochette de l’album fait aussi penser à l’enfance. Ta coiffe dessus n’est pas sans rappeler celle de Maléfique de « La belle aux bois dormants ». C’est une idée à laquelle tu as pensé ?
Circuit des Yeux : L’imagerie est très important à mes yeux. Ca représente le diable et l’histoire de Pan dans la mythologie grecque. Il est mi chèvre / mi humain. Il y a une sorte de retour karmique. Je suis un peu obsédée par les figures animales, ils n’ont pas de pouces ! C’est fou tu ne peux t’accrocher à rien. Tu ne peux pas t’exprimer. Je voulais donc représenter l’anti-héros et j’aime aussi à quel point j’ai l’air relaxé dessus. Je ne veux pas avoir l’air parfaite, être humaine suffit amplement. Le fait de faire la fête est associé avec cette image d’anti-héros et ça fait partie de la vie.
Malgré la musique, la fête, le sexe, c’est l’humanité qui finit par gagner.
P&S : Tu es devenu obsédée par l’histoire de Pan suite à un voyage en Grèce. Pourquoi cette histoire au milieu de toutes les histoires qui peuplent leur mythologie ?
Circuit des Yeux : J’aime le fait que Pan meurt dans cette histoire. Ils sont à demi Dieu, à demi humains. Et souvent ils libèrent leur moitié Dieu. Ils veulent atteindre quelque chose de plus grand qu’eux même. Et j’aime le fait que Pan termine son histoire sur la mortalité. Malgré la musique, la fête, le sexe, c’est l’humanité qui finit par gagner.
P&S : Le fait que les choses finiront quoi qu’on fasse ?
Circuit des Yeux : Tout finira et il y a une forme d’acceptation à tout ça. Tout ce qui se passe maintenant est assez bien, suffit. L’acceptation de soi, aussi naïf que ça puisse sonner, c’est très important.
P&S : L’album est aussi cinématographique. Dans les inspirations, tu parles de John Carpenter et de Donnie Darko. Tu avais ces films en tête en créant l’album ?
Circuit des Yeux : J’aime l’approche cinématographique. Ma musique a toujours été plus épisodique que celle des pop stars classiques. Et dans les films noirs, ou ceux de SF on découvre toujours une vérité psychologique. Une vérité émotionnelle que les mots ne peuvent décrire. Et ma musique parle de ça.
P&S : Donnie Darko, c’est une référence importante pour toi ?
Circuit des Yeux : Ce n’est pas mon film culte mais je l’ai vu adolescente. Il était étrange et sombre et marquant. Je me souviens y avoir découvert une forme de fatalité que je ne connaissais pas.
La fatalité m’effraie, ce serait une perte de contrôle.
P&S : C’est quelque chose que tu as expérimenté par la suite, la fatalité ?
Circuit des Yeux : J’étais trop naïve. La fatalité m’effraie, ce serait une perte de contrôle. Quand tu es jeune, tout semble être possible. Donc je pense que cette partie de l’histoire m’a frappée plus tard.
La musique ce n’est pas si sérieux. Ce qui compte c’est que tout le monde soit en bonne santé et en vie.
P&S : J’ai remarqué que quand on regarde la couverture de ton précédent album -io, sa couverture est lumineuse, les couleurs sont solaires. Pourtant le thème y est bien plus sombre et grave. Alors que le nouveau a cette pochette sombre mais des thématiques plus lumineuses. C’est aussi vrai pour les compositions. C’est quelque chose que tu avais en tête ?
Circuit des Yeux : C’est vrai mais je n’y avais jamais pensé ! C’est très cool ! Je suis dans un moment plus lumineux de ma vie clairement. Je ne sais pas si on peut voir l’arc narratif des différents albums. Visuellement sur le dernier j’étais en chute libre. Je devais faire face à beaucoup de chagrin et de deuil. J’ai l’impression d’être tombée. Spirituellement d’être tombée à un niveau plus bas. J’ai le sentiment depuis, d’avoir transcendé quelque chose. Quand quelque chose de très difficile t’arrive ça t’apporte de l’élévation plus tard dans la vie. Et c’est encore plus vrai avec la musique. La musique ce n’est pas si sérieux. Ce qui compte c’est que tout le monde soit en bonne santé et en vie. Et finalement avec tout ça j’ai pu plus librement utiliser la comédie et d’autres parties de ma personnalité. J’étais peut-être trop sérieuse avant.
P&S : Sur cet album, comme sur le précédent tu as dû composer en solo. Tu as même composé celui-ci de nuit. Comment s’est passé ce processus ?
Circuit des Yeux : J’ai toujours été plus ou moins entourée. Mais pour l’écriture, j’aime faire ça de façon isolée. Sur ce nouvel album en revanche j’ai eu un producteur pour la premier fois. C’était très collaboratif. Et puis il a aussi transcendé des idées que j’avais qui pouvaient ne pas être si bonnes ou pas entièrement terminées. Tout ça m’a rendue très vulnérable. Mais pour l’écriture j’étais seule et je travaillais tard dans la nuit. C’était moins stressant. J’avais l’impression que je pouvais me laisser aller et travailler sans arrière-pensées parce que tous ceux que j’aime étaient en train de dormir et relaxés. Je pouvais mieux m’entendre que durant la journée. Et puis quand les choses étaient plus compliquées, que je n’aimais ce que j’écrivais, avant j’aurai forcé et continué et là je laissais tomber mes propre règles et habitudes. Je prenais un snack, j’allais danser, j’appelais un ami… Et je pense que la musique a été améliorée par ça.

P&S : Tu es toujours très honnête sur tes sentiments et ta santé mentale. Que se soit sur scène, sur les réseaux sociaux ou en interview. Est-ce que ça fait partie du travail d’artiste de se livrer comme ça ?
Circuit des Yeux : Je ne dis pas forcément tout. J’ai des secrets que personne ne saura jamais. Mais quand il s’agit de santé mentale c’est autre chose. Ca a été un gros travail sur moi, j’avais l’impression de ne pas entrer dans les cases et c’est important de faire savoir à des gens qu’ils ne sont pas seuls sur ce sujet. Etre neuro-divergeant, déprimé, c’est quelque chose qui existe, qui est naturel et il y a des gens que tu peux trouver pour te comprendre. C’est spécifiquement vrai dans l’art. Je veux être un exemple sur ce sujet.
On pense, et c’est encore plus vrai en tant que femme, que si on ne fait pas telle ou telle chose les choses ne se passeront pas comme on le souhaite.
P&S : La santé mentale dans l’industrie de la musique est devenue un gros sujet de nos jours. On en parlait également avec Bill Ryder Jones, qui se disait très concerné. Est-ce aussi un sujet sur lequel tu souhaites t’exprimer ? Notamment sur les besoins des musicien.nes ?
Circuit des Yeux : Je veux dire que c’est vraiment difficile. Si vous vous sentez mal vous avez une réaction normale à quelque chose qui n’est pas naturel. Je pense qu’il est important d’avoir des limites et de les respecter. Je l’ai appris plus tard dans ma vie. Suis ton intuition, si tu ne veux pas être photographié par exemple, n’hésite pas à le dire. On pense, et c’est encore plus vrai en tant que femme, que si on ne fait pas telle ou telle chose les choses ne se passeront pas comme on le souhaite. Il faut rester soi-même pour que les choses se passent comme elle doivent se passer.
P&S : Je voulais aussi te parler de tes paroles. Il y en a peu par morceau mais chaque mot semble être pesé comme pour lui donner encore plus de sens …
Circuit des Yeux : La plupart des paroles sur cet album me sont venues d’elles-même sur le moment. Et je les ai laissé couler. C’est comme le morceau qui donne son titre à l’album « Halo on the Inside ». Il y a cette coquille et ce son très lourd mais le message et la voix sont doux et pures. Ces concepts d’amour et vulnérabilité j’essaie de les garder au plus simple.
Parfois on a besoin d’entre quelque chose encore et encore pour y croire…
P&S : Et côté mélodies tu utilises beaucoup de boucles et de répétitions. C’est quelque chose que je trouve toujours très intéressant dans la musique, pourquoi utilises-tu ce procédé ?
Circuit des Yeux : Les mantras m’aident beaucoup. J’en ai toujours utilisé dans ma musique. Les répétitions fonctionnent. C’est comme dans le yoga et la méditation, il y a beaucoup de répétitions. Dans la religion, la prière est un mantra, pleine de répétition. Parfois on a besoin d’entre quelque chose encore et encore pour y croire…
P&S : Sur le titre Truth, tu répètes « Truth is just imagination of the mind ». Tu crois que la vérité n’existe pas ?
Circuit des Yeux : C’est un genre d’énigme avec des mots que j’adore. Parce qu’il n’y pas de réponse. Je pense que les histoires qu’on se raconte sur nous même et ce que le monde extérieur dit de nous peut être très loin de la réalité. Ca dépend comment on voit ça, de façon positive ou négative.
P&S : C’est un débat philosophique. La vérité est-elle unique ou est-elle celle dite par le plus grand nombre ?
Circuit des Yeux : C’est une question qui concerne aussi les journalistes. C’est aussi ton travail de savoir ce qu’est la vérité. Ca dépend aussi de si on parle d’une chose subjective. Pour moi, même si c’est naïf, la seule chose véritable est l’amour. Je ne veux pas dire forcément l’amour romantique. Ca peut simplement être le fait d’aider quelqu’un à traverser la rue. La gentillesse est l’antidote à tout.
Circuit des Yeux sera en concert à Paris le 12 mai 2025, au Point Ephémère.
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