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Adrien Comar

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Nicko Guilal

Le 25 mars prochain Skip the Use sera de retour avec leur cinquième album studio : Human Disorder. Véritable concentré de genres, les français offrent une musique libre et variée. Mat Bastard, le chanteur était avec nous pour parler rock, politique et jeunesse. A l’abordage de ce nouvel album si personnel.

J’essaye de ne pas être guide mais plutôt de susciter le débat et la prise de position 

Pop & Shot : comment décrirais-tu Human Disorder, nouvel album à paraître le 25 mars prochain ?

Mat : On a essayé de mettre en musique toutes les émotions qu’on a ressenti pendant deux ans. La claque, le refus de ce qui se passe, l’énervement, la colère, le pétage de plomb, être enfermé ; le besoin de faire n’importe quoi, les questions sur l’avenir. C’est un vrai travail d’introspection sur soi, sur sa vie, sur sa famille, sur sa manière de voir les choses, de te construire. Ça méritait vraiment un disque. Et pour une fois on était tous logés à la même enseigne. Pour une fois qu’il y avait un truc vraiment démocratique. Après, on a utilisé pleins de styles musicaux pour essayer de mettre en musique ces émotions-là.

Pop & Shot : Tu as dit en évoquant Orelsan qu’on arrivait à un moment où il y a pleins de carrefours et qu’il faut choisir la bonne direction. Comment en tant qu’artiste peut-on guider vers cette bonne direction ?

Mat : J’essaye de ne pas être guide mais plutôt de susciter le débat et la prise de position à travers des chansons. On met le projecteur sur quelque chose, après, libre aux gens d’avoir leur avis. On met le projecteur sur quelque chose parce qu’on juge ça intéressant. Mais guider sur l’interprétation, ça on ne veut pas. Ce qu’on veut c’est juste qu’il se passe quelque chose ; en parler plutôt que de s’en foutre.

Pop & Shot : Alors sur quoi est mis le projecteur dans Human Disorder ?

Mat : Quand tu fais un disque t’es parti pour deux ans entre le moment où tu le sors, où t’en parles dans les médias et le moment où tu vas le défendre sur scène. Nous on a été coupé en plein milieu d’un truc – d’un coup, t’as deux ans de travail dans ton cul. Ensuite tu vois tous les morts partout. Tu te resserres au niveau de ta famille, tu te remets un peu en question. Donc on met le projecteur sur quelle importance va avoir la famille ou les proches que t’as autour de toi dans les projets que tu peux mener. Moi mes filles elles ont dix ans, ça fait dix ans qu’elles me voient plusieurs fois par mois passer des soirées avec des chorales d’enfant, mais pas elles. Faut l’assumer ça. Le projecteur ; c’est le choix. Qui je suis vraiment ? Est-ce que ce que je mets sur les réseaux sociaux c’est ce que je suis ? Est-ce que c’est mon choix ? Comment je me fais enculer par le système tout le temps ? J’ai acheté cette veste (ndlr : avec des petits ours dessus), est-ce que je la voulais vraiment ? Et des fois les réponses sont super cools.

Pop & Shot : Tu voulais vraiment cette veste.

Mat : Voilà. Ce n’est pas forcément négatif. Mais la situation pousse à réfléchir. Down, ça parle de la claque qu’on se prend dans la gueule. Slaughter ça parle de tous les morts qu’il y a partout. On a des chansons sur l’autre : The One Two.On a fait une chanson sur ceux qui sont tous seuls. Make it Bad c’est un mec qui fantasme, parce qu’il est tout seul. On met le projecteur sur pleins de petits moments de la vie qu’on a tous traversé.

S’il n’y a pas la cohésion des hommes, Dieu c’est une catastrophe. 

Pop & Shot : Tu parlais de tes enfants tout à l’heure. Aujourd’hui toute la fiction, les médias sont orientés sur un futur catastrophe. Comment en tant que père, en tant que voix qui s’adresse à la jeunesse, tu vois le futur pour eux ? Comment les accompagner ?

Mat : Je pense que les jeunes ont un vrai pouvoir. Ils le montrent avec « les jeunes pour le climat », Black Lives Matter, avec les mouvements féministes. Et c’est cool de voir cette énergie, cette fraîcheur, de gens qui se sont rendus compte qu’on avait les hommes politiques, les médias, et les artistes qu’on mérite. C’est nous qui choisissons de regarder un truc. Tout le monde se fout de la gueule de Nabilla mais elle a deux millions de followers. Si personne ne la regarde, elle n’existe pas. Ce monde on le choisit. Tout le monde est là « je suis contre le système ». Le système des fois c’est toi. C’est toi qui décides. Nous, les plus vieux, on a vraiment fucked up. Ça fait 25 ans qu’on essaye de dire « regardez-ça, ça, ça » et il n’y a pas grand-chose qui change. Mais au final on a la possibilité de faire les choix.

Pop & Shot : En parlant de choix et de changements, les élections présidentielles approchent. Dans votre album précédent, Past and Future, il y a une chanson qui s’appelle Marine où tu dénonces l’extrême droite. Une chanson appelée Éric en prévision ?

Mat : (rires) Je ne sais même pas quoi dire. Quand je vois les jeunes avec Éric Zemmour, c’est tellement incompatible, impensable. Alors que s’il y a bien des gens qui ont compris que la base c’était la remise en question, ce sont les jeunes. Pour moi c’est incompatible de voir un mec de 20 ans qui va expliquer que « tous les musulmans sont des terroristes, ils vont remplacer les gens ». Ok. Alors que c’est eux qui sont en trains de remplacer le bon sens chez les jeunes. Les extrêmes me font peur. La religion me fait peur. C’est tellement minimiser les choses de dire « les musulmans me font peur ». Toutes les religions me font peur. S’il n’y a pas la cohésion des hommes, Dieu c’est une catastrophe.

Je ne pense pas qu’une chanson va changer quelque chose mais une chanson va permettre de lancer une émulsion. 

Pop & Shot : Comment abordes-tu ce contexte politique ?

Mat : Je suis moins frontal dans mon discours qu’avant. Parce que j’ai remarqué qu’Éric Zemmour a vu le reportage sur Roubaix et maintenant c’est sa nouvelle litanie d’aller partout en France et de dire « si vous ne votez pas pour moi la France va devenir Roubaix. » Nous, on vient de Roubaix. Évidemment il y a des trous du culs à Roubaix. Comme il y en a à Lille, à Paris, partout. Il y a aussi des trucs très bien. Éric Zemmour doit avoir 1% des religieux extrémistes, toute religion confondue – sans ces gens-là, est ce qu’il existe ? Il a besoin de gens fucked up, pour avoir un discours fucked up, pour que les gens soient fucked up et c’est un cercle vicieux. Alors que pendant ce temps-là on pourrait faire un cercle vertueux. On ne parle plus d’avenir pour les jeunes. Les jeunes d’aujourd’hui c’est maintenant. Un avenir est possible si on change ça, ça, ça – ensemble. C’est à ça que sert l’art.

Pop & Shot : En tant qu’artiste, tu penses que ce changement peut venir de ton art ?

Mat : Je ne pense pas qu’une chanson va changer quelque chose mais une chanson va permettre de lancer une émulsion. Une chanson ça peut poser une question. L’Odeur de l’Essence d’Orelsan, quand t’as fini de l’écouter, tu te dis que tu ne peux pas rester indifférent. Et cet art-là il a le pouvoir de lancer des vocations.

 Le dernier album d’Orelsan c’est un super bon album de rock. 

Pop & Shot : C’est important d’être engagé dans son art aujourd’hui ?

Mat : Je ne sais pas si c’est de l’engagement. C’est susciter la prise de position. Après tu peux faire des choses futiles, des chansons toutes légères parce que la musique ça peut aussi servir à s’évader. C’est symptomatique d’une société. Quand tu te réfugies dans le superficiel c’est que tu ne veux surtout pas voir le fond. Parce que ça te fait flipper.

Pop & Shot : Tu parlais d’engagement, le rock est un mouvement qui a souvent été vecteur de révélations. Tu disais aujourd’hui qu’Orelsan est un mec qui a sorti un album très rock alors qu’il fait du hip-hop. Comment le définis-tu aujourd’hui ce rock dont tu viens ?

Mat : C’est quelque chose qui évolue avec le temps. Je pense que le rock c’est plutôt une façon de voir les choses, c’est être en dehors de la ligne jaune. Le dernier album d’Orelsan c’est un super bon album de rock. C’est un album qui bouscule. Ça ne m’étonne pas qu’il ait un si grand succès. Beaucoup de gens se sont dit « enfin, il y en a un qui dit – ‘attendez, on va continuer avec les œillères comme ça ?’ ». C’est ce qu’on essaye de faire avec ce disque.

Pop & Shot : Avant Skip The Use, il y avait Carving, un groupe de punk. Est-ce que ça a encore du sens être punk à une époque actuelle où toute cette scène rock, punk, métal n’est pas la plus prisée ?

Mat : C’est très ambivalent en France. D’un côté tu vas avoir des rappeurs qui remplissent des Bercy en quatre minutes. De l’autre côté t’as le Hellfest qui est un des plus grands festivals d’Europe. D’un côté tu vas avoir des groupes de rock comme nous. Et d’un autre côté t’as un Gojira qui va faire le tour de la planète avec Metallica. En France, c’est un vrai terreau du rock mais encore une fois, on a les médias qu’on mérite.

Ne faire que du rock parce qu’on est estampillé ce n’est pas rock’n’roll. C’est convenu. 

Pop & Shot : À ce propos dans ce dernier album il y a Till the End, une chanson assez métal au sein de musiques accessibles pour un grand public. Est-ce que démocratiser le rock/le métal ce doit être le rendre plus accessible en mélangeant les genres ?

Mat : Nous, en l’occurrence, on ne l’a pas vu comme ça parce qu’on a vraiment fait un travail émotionnel et quand on a voulu parler de cette émotion là c’est ce cette manière qu’on a voulu l’exprimer. Après, aujourd’hui, avec le streaming cette chanson pourrait se retrouver dans une compil métal et les gens ne saurait jamais qu’elle fait partie de cet album. L’année dernière on a joué au Mainsquare avec Bring me the Horizon et ils jouaient entre des groupes comme Angèle, Roméo Elvis, Lomepal – et les gens ont kiffé, ont passé un bon moment. Je pense que c’est plutôt une idée reçue. Mais encore une fois dans le besoin aujourd’hui de la société de mettre tout le monde dans des cases, ça ne veut rien dire.

Pop & Shot : Tu parles de ce mélange de genres, des médias qui cherchent à cataloguer toute la musique. Skip the Use ce n’est pas qu’un style de musique, c’est un ensemble. C’est dur à assumer ou à exprimer quand on vend un album avec cette variété ?

Mat : Il faut que le média soit ouvert. Quand on a fait le clip (ndlr : du single Human Disorder), j’ai parlé à notre responsable promo de ça. Finalement, on a fait pas mal de presse spécialisée avec ce disque parce que je pense que pour eux, le concept est rock’n’roll. Ne faire que du rock parce qu’on est estampillé ce n’est pas rock’n’roll. C’est convenu. Pour nous. Pour Skip the Use. Quand on a sorti Can Be Late (ndlr : premier album de Skip The Use) on avait Bastard Song, Bullet in my Head, People in the Shadow, les gens ont dit « notre chanson ça va être Ghost ». Pour tous les gens on était un groupe de pop alors que c’était la seule chanson pop dans un album avec pleins de morceaux de rock.

Pop & Shot : Alors, pour conclure, quand j’avais douze ans, j’écoutais les albums de Skip the Use en boucle. On a beaucoup parlé de la jeunesse. Quels messages voudrais-tu transmettre à cette jeunesse qui t’écoute ?

Mat : Je suis très heureux qu’elle soit encore là aujourd’hui. C’est plutôt à nous de les écouter que l’inverse. La fraîcheur vient de la jeunesse d’aujourd’hui. Elle peut nous apprendre beaucoup de choses. On a tous des idées bien pensantes, préconçues pour les jeunes. Je préfèrerai les écouter que de leur dire quelque chose. Je pense que j’en apprendrais beaucoup.


De quoi parle La Troisième Guerre ?

Premier long métrage de l’italien Giovanni Aloi, La Troisième Guerre (qui sortira en salle le 22 septembre) est un drame français suivant le parcours de Léo Corvard, un jeune militaire. Sa première affectation: la mission Sentinelle. Une opération de l’armée de terre  déployée suite aux attentats de Charlie Hebdo en janvier 2015. L’œil grave et mature d’Aloi suit le quotidien de certains de ces soldats, contraints de patrouiller dans les villes à l’affut de la moindre menace, du moindre objet suspect ou éventuel terroriste. Seulement, le danger est-il aussi réel que prétendu ?

« Nous sommes en guerre »

Voilà ce que Manuel Valls annonçait en évoquant la lutte contre le terrorisme en 2015. Cette formule était reprise plus récemment par Emmanuel Macron lorsque le Coronavirus commençait à faire des ravages. Elle était à la limite de prendre sens au début de l’année dernière des suites d’une gestion déplorable de la plus grande puissance mondiale par un certain milliardaire jaunâtre. Et voilà ce qu’annonce un des policier de La Troisième Guerre aux sentinelles qui était au bord de faire rater une arrestation importante. Il n’y a pas à dire, nous sommes bien en guerre. Mais contre qui ? contre quoi ? Voilà ce qu’Aloi a voulu dépeindre dans son film ; une guerre réelle mais abstraite qui entoure constamment les hommes sans que nous n’y prêtions beaucoup d’intérêt.

La Troisieme GuerreEn suivant les patrouilles d’une troupe de sentinelles menée par Yasmine (que Leïla Behkti interprète avec un naturel à fleur de peau), le spectateur est amené à prendre part à cette guerre. La première image du film est elle même accompagnée d’une musique lourde et grave aux allures belliqueuses, entrainant immédiatement l’audience dans l’ambiance pesante de ce conflit perpétuel. Dans les rues de Paris et sa banlieue, les soldats doivent avoir le regard sur tout, douter de tout et ne jamais laisser de place au doute. Une poubelle remplie après le passage des éboueurs, un passant à la démarche particulière, un carton de livraison: tout est suspect. Petit à petit, nous nous rendons compte que nous sommes nous mêmes des dangers potentiels et que nous sommes des acteurs involontaires de cette prétendue guerre. Pour autant, si les militaires sont présents et à l’affut, ils ne peuvent intervenir que selon des directives bien (trop) précises, voire absurdes, et sur accord d’une autorité supérieur ; ce qui soustrait une efficacité considérable à la lutte contre le terrorisme. Dès la première scène de patrouille dans le métro parisien, l’opération Sentinelle apparaît comme totalement obsolète et son utilité est remise en cause. La volonté d’Aloi de pointer le paradoxe de cette mission et l’inactivité révoltante des militaires est admirablement illustrée dans l’ensemble du long métrage et pousse le spectateur à s’interroger sur la place qu’occupe réellement ces patrouilles qu’un citadin est amené à croiser au quotidien. Car le jeune Léo Corvard le dit lui même, le citoyen n’est plus surpris par ces présences, « comme si c’était normal ». Et voila précisément ce sur quoi le réalisateur souhaite faire glisser la réflexion, y-a-t-il lieu d’avoir peur ?

Une position assumée et déroutante

La Troisième Guerre est en effet un cri de consternation contre l’absurdité de cette mission Sentinelle. Giovanni Aloi en a été frappé en 2015, au moment des attentats, alors qu’il était à Paris à ce moment. Dès le lendemain, les soldats étaient déployés dans toute la capitale mais déjà leur inactivité frappait le jeune réalisateur italien. Et si vous ne l’aviez pas remarqué auparavant, La Troisième Guerre vous promet de le faire. Car Aloi et Baumard (scénariste) se sont renseignés et ont échangé avec des militaires ayant participé à l’opération Sentinelle, et les résultats de leurs échanges sont déroutant. Impression d’être inutile et inactif menant parfois à des dépressions, là où ce qui animait en majorité ces soldats était le besoin de protéger leur patrie. Et voici d’ailleurs ce qu’Aloi souhaite faire ressortir : le paradoxe qui hante ces militaires qui souhaitent être utiles à leur pays mais qui sont impuissants en mission. Et La Troisième Guerre le montre très bien. Il faut se plier à un protocole bien précis auquel il serait insensé de déroger. Avant toute intervention il faut consulter ses supérieurs, quitte à laisser passer une arrestation. Les scènes de patrouille se succèdent sans qu’il ne soit possible de percevoir une utilité quelconque aux sentinelles. L’une des seules interventions semblant présenter un réel danger et poussant la pression à son paroxysme s’avère être une erreur de la part des sentinelles. Les jeux vidéos de guerre auxquels jouent les soldats à la caserne sont bien plus vivants et violents que ne l’est la plus active des patrouille. Il y a même en ces différents moment de divertissement, outre une pause bien méritée, comme la recherche d’un substitut à l’inactivité, une quête d’actions concrètes. Une question se pose alors, quelle est le moins absurde: pouvoir se battre à l’infini et avec violence grâce à des ordinateurs ou être un militaire passif et inactif ? Il en est toujours que les sentinelles se doivent d’exécuter leur mission avec sérieux et d’épier tout ce qui les entoure. La caméra se fixe en gros plan sur les visages à l’affut des militaires. Le doute et la peur sont bien présents dans leurs regards et ceux-ci sont contagieux. Aloi installe un climat oppressant poussant à la réflexion ; est-il normal de voir patrouiller des soldats armés au quotidien ? y a-t-il un réel danger à vivre en ville ? ces soldats sont ils réellement utiles ou bien la source d’angoisses excessives quant au terrorisme ? L’italien a choisi son camp et l’illustre avec force et mesure dans La Troisième Guerre.

Des personnages sobres et complexes

La Troisième Guerre est axée sur la trajectoire de Léo Corvard (Anthony Bajon) mais la caméra suit entre autre l’évolution de Yasmine (Leïla Bekhti) et Hicham (interprété par Karim Leklou). Celui-ci livre une performance forte et subtile qui oscille entre violence et parenthèses plus légères. A l’origine de plusieurs notes d’humour bienvenues dans le film, son rôle est tout aussi grave et sérieux que devrait l’être un militaire. Ses plaisanteries correspondent à un échappatoire succin au quotidien pesant dans lequel évolue tous les sentinelles. Au fond tous sont des enfants à leur manière. Corvard est presque encore un adolescent comme en témoigne la décoration de sa chambre. Hicham enchaine les notes d’humour entre deux gourdes de compote. Un de leur camarade à la caserne est autant complotiste qu’un enfant de 8 ans qui croit tout ce qu’il lit sur internet. Dans les discours ubuesques que tient ce personnage peut aussi s’esquisser une recherche perpétuelle de trouver du sens au monde absurde dans lequel il évolue. Et, bien que Corvard affirme au cours d’un long débat dans une boite de nuit que les sentinelles permettent d’éviter environ cent huit attentats par an et qu’ « il faut pas le dire aux enfants ça les ferait flipper »; les seuls qui ont réellement peur sont les soldats. Ils sont les enfants à qui il ne faut pas parler des attentats. Mais ce comportement se laisse entendre. L’armée ne laisse pas de place aux problèmes de la vie privée. Corvard apparaît bien plus fragile qu’il ne le prétend mais ne peut sous aucune circonstance se laisser aller. Il en est de même pour Hicham et Yasmine. C’est cependant la jeune femme qui doit faire face à la plus grande difficulté. Elle doit laisser ses problèmes de côtés. Problèmes qui, pour la plupart, sont issus de l’environnement dans lequel elle évolue. L’armée est un endroit où la masculinité est toxique bien qu’il soit prétendu qu’il n’y ait pas de femmes et d’hommes mais « que des soldats ». Le personnage de Leïla Bekhti doit subir à différentes reprises sa condition de femme, et Yasmine ayant été développé autour du quotidien d’une réelle soldate, ce n’est que la triste vérité qu’Aloi dépeint. Même Corvard, afin de s’intégrer, se laissera aller au vice horripilant de se vanter de ses conquêtes d’une manière prêtant à vomir. Parce que même si ce jeune garçon de province en soif d’ordre et d’autorité est convaincu de sa place au sein de l’armée, il doit encore se créer sa place parmi les fourmillements incessant de la capitale. Il est d’ailleurs rare d’être aussi patriotique que l’est le soldat à cet âge. Un soir en boîte de nuit il tient un discours sur l’utilité de l’armée et du patriotisme, mais même lui semble essayer de se convaincre de ce qu’il affirme. Le patriotisme est-il obsolète ? Le métrage guide notre réflexion mais Corvard ne change pas de position. Il doit protéger son pays, et ce malgré la mission à laquelle il est assigné. De cette frustration naît une descente aux enfers mise en exergue par la fumée, élément essentiel du film. De plus en plus opaque dans ses différentes apparitions, celle-ci illustre avec sens la chute vertigineuse de Corvard. La tension est latente, le doute omniprésent et pourtant une seule question persiste ; y a-t-il une troisième guerre ?

Pour son premier long métrage, Giovanni Aloi déroute et percute. Le jeune réalisateur italien signe un film dur d’autant plus fin qu’il n’est que le miroir de la société. Le citadin est amené à s’interroger sur son environnement, son quotidien et sa propre vie. Par un récit simple mais développé avec un œil grave et mature, Aloi met en scène l’actualité et le paradoxe d’une protection qui s’avère obsolète. La Troisième Guerre est pessimiste mais réaliste, elle nourrit les craintes et détruit des images. Le danger est contingent ou ne l’est-il pas ? Notre société est-elle perdue dans des conflits inutiles et sans finalité ? Le réalisateur italien s’est prononcé, pour lui le monde est absurde et tragique ; « notre société ne mérite pas de happy-end ».

La Troisieme Guerre  : Bande Annonce

La Troisième guerre de Giovanni Aloi

mother mother inside albumGrâce à l’explosion de la plateforme TikTok l’année dernière durant le confinement, les musiques de Mother Mother sont devenues virales et le groupe de Vancouver a enfin acquis une certaine renommée européenne, jusqu’alors presque inexistante. Et pendant que des adolescents découvraient les classiques du groupe de pop-rock indé, le frontman Ryan Guldemond s’attelait d’ores et déjà à la composition d’un huitième et très attendu album. Contraint de rester chez lui, les conditions ne semblaient pas rassemblées pour écrire de nouveaux titres, mais c’est pourtant bien grâce à cette situation particulière qu’Inside a vu le jour et est disponible à l’écoute depuis le 25 juin.

Un album différent des précédents … 

Habitué à s’inspirer de ses voyages et des rencontres qui les accompagnent, le confinement n’apparaissait pas comme un milieu propice à la création pour le guitariste, chanteur et compositeur de Mother Mother : Ryan Guldemond. Mais comme beaucoup d’autres artistes l’ont expérimenté l’année passée, le musicien s’est vu confronté à son ennui et à son vide intérieur et a synthétisé ses tourments en quatorze nouveaux titres, plus sombres et introspectifs que les créations précédentes du groupe. Le ton est donné dès l’introduction, Seven, une partition hypnotisante et lugubre. De la même manière, la réussie Two et sa volonté de s’affranchir d’émotions très personnelles tout en laissant à l’auditoire la possibilité de s’y identifier s’inscrit au sein de la même ambition artistique. Seule l’interlude Breathe, aux allures de B.O de film d’horreur semble inopinée et force l’ambiance clair-obscur de l’album. 

… qui saura ravir les fans.

Car même si Inside se distingue des sept premiers albums du groupe, la même recette est conservée et l’identité si personnelle de Mother Mother est bel et bien présente. Des cris du cœur (I Got Love, qui n’est pas sans rappeler Dance and Cry, précédent album de la formation), d’altruisme et de compréhension, comme l’est Girl Alone, réjouissent les ouïes attentives. Une nouvelle fois, Mother Mother comprend les incompris et se dresse cette fois-ci face aux clichés de la femme célibataire nécessairement triste, dans une belle chanson acoustique. Le quintette de Vancouver a su se renouveler tout en conservant la dose d’espoir et d’amour qui leur est si caractéristique.

Un ensemble au rythme assez inégal

Inside est une belle réussite pour le groupe de rock canadien. Cependant, les différents titres possèdent des énergies plutôt différentes et le rythme installé au commencement tend rapidement vers l’essoufflement. Après un départ en trombe, jusqu’à Sick of The Silence, les morceaux qui suivent ralentissent nettement, à l’exception d’I Got Love qui revigore en partie l’ensemble pour finalement rechuter dans cette langueur parfois regrettable. Des titres comme Like a Child et son refrain rock accrocheur sont les bienvenus mais ne permettent néanmoins pas de dynamiser assez le tout. Il est pour autant nécessaire d’affirmer que les chansons plus calmes comme Stay Behind sont très belles mais peut-être sur-représentées ici.

Des titres très (très) réussis

Vous l’aurez compris, le rythme d’Inside n’est pas son point fort. Néanmoins, certains morceaux sont une grande réussite et témoignent d’une expérience affirmée et d’une belle maturité de la part du groupe et de ses quinze années d’expérience. Par exemple, Sick Of The Silence est un titre puissant qui reprend les exercices vocaux habituels de Ryan Guldemond et la merveilleuse symbiose avec la voix aiguë de sa sœur et camarade de scène – Molly Guldemond. Mais la meilleure chanson de l’album est celle qui le clôture : Inside. Cette pièce éponyme de plus de sept minutes est aussi complète que subtile et conclue le tout de la plus belle manière qui soit. Mother Mother peut être fier de cette épopée musicale tout à fait représentative de leur style musical. 

Inside est un album qui requiert plusieurs écoutes intégrales pour se laisser pleinement apprécier. Oui, il n’est pas parfait et ce n’est peut être pas le meilleur du groupe à ce jour, mais Mother Mother parvient à conserver l’identité qui leur est propre et qui fonctionne si bien. Toujours sincères et subtiles, les créations des icônes de la pop-rock indé sont empreintes d’amour et d’espoir comme il est bon d’avoir comme soutien au quotidien. Ce nouvel album et cette nouvelle année ont marqué un tournant pour le groupe de Vancouver qui a annoncé dernièrement une tournée à travers le globe. D’ailleurs, pour ceux qui souhaitaient voir le groupe en concert, il faudra attendre leur prochain passage en France : leur date parisienne aux Étoiles est déjà complète ! En attendant d’avoir la chance de les voir, Mother Mother offre des titres pour pleurer, rire, danser et chanter, et ce jusqu’en son for intérieur.