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Adrien Comar

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En février dernier, Catarina et La beauté de tuer des fascistes de Tiago Rodrigues était de passage à l’Espace 1789 de Saint-Ouen. La pièce du portugais n’a eu de cesse de créer de l’émoi dans l’entre-soi théâtral international depuis sa création en 2020, décrochant prix et louanges à tous ses passages sur les planches. Et pour cause, le texte sur la montée du fascisme est encore et toujours plus d’actualité et résonne avec une force inouïe dans les rangées de fauteuils. Le directeur du Festival d’Avignon pose avec sa pièce une question qui fait mouche : un fasciste a-t-il le droit au débat ? À découvrir un peu partout tout le temps ou en livre (aux Solitaires Intempestifs).

TUER DES FASCISTES = SAUVER LA DÉMOCRATIE ?

Dans un futur très proche marqué par la montée drastique et dramatique du fascisme (tiens tiens…), une famille se réunit chaque année pour tuer un fasciste en mémoire du combat de leur ancêtre. Mais la jeune Catarina, à qui le devoir revient cette année, refuse la mise à mort du député d’extrême-droite sélectionné pour le sacrifice. « Qu’est-ce qu’un fasciste ? Y a-t-il une place pour la violence dans la lutte pour un monde meilleur ? Pouvons-nous violer les règles de la démocratie pour mieux la défendre ? ». Sacré programme promis par Tiago Rodrigues dans une pièce déstabilisante et percutante.

ET LE THÉÂTRE MIS FIN AU FASCISME

Catarina ne s’illustre pas particulièrement par le travail plastique et scénographique mais trouve toute sa force dans un texte au cordeau, ciselé et interrogateur. La pièce ouvre un réel espace de questionnement autour du problème cherchant à savoir si un fasciste a ou non sa place dans le débat public. Comme les gouvernements du monde entier ont l’air de croire que oui en laissant la part-belle à l’extrême droite dans les médias, extrême-droite qui n’avait pas droit de citer il n’y a pas si longtemps que cela rappelons-le, cette question plus qu’urgente brûle les doigts.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes
Photo : Joseph Banderet

PRÊCHER DES CONVERTIS ?

Le public des théâtres publics est généralement assez unanime sur la question posée par Catarina : non, pas de quartier pour les faschos. Le défaut de la pièce est alors peut-être de prendre son auditoire pour acquis et de ne pas réellement parvenir à susciter l’intérêt des principaux concernés. Enfin, est-ce réellement un défaut ? Ou bien est-ce l’échiquier politique qui s’est tellement décalé à droite que le refus du fascisme n’est plus une valeur unanime, partagée par la droite et la gauche, ou simplement par toute personne de bon sens ? Tout porte à croire qu’à une époque où le fascisme est tragiquement devenu un « parti politique » comme un autre, c’est la deuxième hypothèse qui semble plus probable. Car oui, le rassemblement national est un parti fondé sur un socle nazi, ne rougissant pas de son héritage, et pensant autant aux travailleur.euse.s et aux précaires que le NSDAP. Bref, au moins le débat est ouvert.

RADICALEMENT BRECHTIEN

Alors, que répondre ? La défense de la démocratie semble impliquer un droit de parole à chacun.e pour représenter toutes les opinions. Et quid des opinions meurtrières ?  Peut-on les tuer ? Le public tranche lors de l’épilogue mémorable de la pièce. SPOILER : Toute la famille de Catarina subitement morte, c’est finalement le député fasciste qui prend la parole après 2h15 en silence sur scène. Un monologue d’une vingtaine de minute, discours archétypal et vide sur la « dictature des minorités » et toute la rhétorique d’extrême-droite est alors déclamé par le comédien, lumières allumées dans la salle. Cette prouesse dramaturgique est couronnée par le verdict du public qui finit inévitablement par réagir à ce discours en vue de l’interrompre. Sans appeler explicitement le spectateur à réagir, Tiago Rodrigues le force à répondre à la question que Catarina pose. Mais alors, est-ce qu’un tel comportement a sa place au théâtre, le lieu où l’on regarde, où l’on écoute ? Ce dénouement déstabilisant et résolument brechtien prouve que la lutte contre le fascisme est un impératif  imminent et que la culture en est son front de défense.

Catarina et la beauté de tuer des fascistes
Photo : Joseph Banderet

INTOLÉRANCE À L’INTOLÉRANCE

Deux points semblent nécessaires à la clôture de cet article. Le premier étant que le terme de « fascisme » est historiquement connoté et défini et que pour certain.e.s, l’usage qui en est fait aujourd’hui est abusif. Cela, l’auteur en est conscient, tout comme il est conscient que ‘de tout temps’ les mots ont vu leur sens évoluer et qu’il est plus éloquent de parler d’un « fasciste » que d’un simple député d’extrême-droite. Second point, Catarina questionne avec brio le « paradoxe de l’intolérance » théorisé par Karl Popper dans La société ouverte et ses ennemis. Très simplement, Popper pose l’aporie  selon laquelle la tolérance doit être intolérante à l’intolérance pour subsister. En bref, voilà une citation qui explicitera plus clairement le propos : « Tant qu’il est possible de les contrer par des arguments logiques et de les contenir avec l’aide de l’opinion publique [les philosophie intolérantes], on aurait tort de les interdire. Mais il faut toujours revendiquer le droit de le faire, même par la force si cela devient nécessaire, car il se peut fort bien que les tenants de ces théories se refusent à toute discussion logique et ne répondent aux arguments que par la violence. Il faudrait alors considérer que, ce faisant, ils se placent hors la loi et que l’incitation à l’intolérance est criminelle au même titre que l’incitation au meurtre, par exemple. »  (Karl Popper, La Société ouverte et ses ennemis, tome 1 : L’Ascendant de Platon, Seuil, 1979).


Sans tambour (m.e.s Samuel Achache), prendre la note au mot. (théâtre)

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Sans tambour (m.e.s Samuel Achache) est une pièce fractionnaire s’installant dans un décor décomposé lui-même en décomposition. Dans cette création protéiforme et virtuose créée à Avignon en 2022, musique, clown et cirque parfois flirtent habilement. Samuel Achache et ses compères étaient de retour aux Bouffes du Nord (jusqu’au 9 mars) pour s’amuser et amuser le public parisien avant de clôturer leur tournée à Bordeaux en Mars au TNBA.

Sans Tambour (photo : Christophe Raynaud Delage)

POÈME EN MUSIQUE

Portée par des lieder de Schumann, la forme se veut éminemment musicale. Les premiers dialogues jouent ainsi d’une diction rythmée exactement par les phrases de l’ensemble instrumental au plateau. Les deux comédien.ne.s font alors preuve d’une précision épatante pour déclamer un texte sommes toutes banal sur une rupture amoureuse, (archer dans la) main dans la main avec les musicien.ne.s. Forme et sens musicaux se conjuguent et associent tons et tonalités avec intelligence. C’est un sans fausse note pour ce qui est de la musique.

DÉ-COMPOSITION

Et très vite, comme la relation amoureuse, le décor se décompose, les murs tombent et les langues se délient pour laisser entrer un Léo-Antonin Lutinier excellent en clown/poète. Les personnages intègrent alors un lieu étrange, thérapeutique, atemporelle et atopique, où ils viennent guérir de leur amour perdu. On pense alors aux univers fantasques de l’écrivain et musicologue italien Alessandro Barrico où une parole débridée rencontre toujours des espaces atypiques portés par la musique (Novecento pianiste, Océan mer…). Ainsi, l’un s’adresse à son cœur/éponge tandis qu’un autre subit une ablation de la partie de son cerveau destinée à l’amour.

PRENDRE AU MOT

À l’image des murs qui s’effondrent, le récit est fragmenté et oscille entre scènes de ménage, de Tristant et Iseult, et de clown. Et de même que chez Noëlle Renaude par exemple (Ma Solange, comment t’écrire mon désastre, Alex Roux – 2004), le texte décousu joue avec la matière langagière. Ici, comme chez Renaude, les catachrèses (des « métaphores dont l’usage est si courant qu’elles ne sont plus senties comme telles ») sont remotivées : à « haut les cœurs », le comédien brandit son propre cœur, et lorsqu’il s’apprête à craquer émotionnellement, il est accroché à une poutre à bout de souffle – « je vais lâcher ». Pour jouer avec les notes, le décor, la littéralité et le théâtre lui-même, Achache prend la parole au mot et donne corps à une surface pragmatico-métaphysique.

SANS TAMBOUR MAIS AVEC FIORITURES

À la croisée de toutes ces formes, Achache produit une création bien menée, parfois trop prolifique. La pluralité de situations sans lien apparent aurait peut-être gagné à une réduction stratégique tant le tout est parfaitement exécuté. En effet, c’est un sans faute dans la réalisation pour Sans tambour, on rit, on est ému, on réfléchit – bref, la panoplie complète de la création réussie. Si ce n’est donc que, comme ce décor réduit à sa structure, l’écriture aurait gagné à être condensée jusqu’à sa substantifique moelle.


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The Strumbellas – Café de la Danse 2024 – Crédit photo : Louis Comar

The Strumbellas revenait hier à Paris pour la première fois en cinq ans, soit l’occasion d’entendre leur dernier effort Part time believer, paru cette année. Le groupe canadien, depuis peu rejoint par leur nouveau chanteur Jimmy Chauveau, a su communiquer son énergie solaire en ce gris lundi d’octobre. Retour sur un concert emprunt de joie et de titres accrocheurs.

PARAPLUIES DE LA CAMARADERIE

Sur scène, il fait grandement plaisir d’observer une franche amitié des membres et un plaisir sincère à partager la scène. C’est devenu assez rare pour le mentionner. Chacun.e des musicien.ne.s est à sa place, rit avec ses comparses et profite de l’instant. Cela fait réellement plaisir à voir puisque le tout est authentique. Le claviériste fait par exemple lire des phrases écrites à l’avance en français au chanteur, de quoi amuser l’audience, attentive à l’accent approximatif du frontman. La spontanéité est de mise ce soir, et cela est réjouissant.

 

Communion chantée

Il serait exagéré de décerner la palme de l’originalité aux Strumbellas en terme de composition. Néanmoins, celle de l’efficacité leur revient haut la main. En effet, même si les titres semblent un peu tous formatés aux »wohoho » et « wahaha », il faut concéder la force entrainante des compositions. Cela s’observe rapidement dans l’audience, le public scande les paroles parfois plus fort que les baffles. Dès qu’une formation fait réellement groupe, l’harmonie se répand jusque dans le public. La joie communicative et la franche camaraderie se sont étendues de tout leur long à Paris.

FLORILÈGE DE TUBES

En plus des réussis nouveaux titre de leur cinquième album, les Strumbellas n’oublient pas d’interpréter les morceaux qui ont fait leur renommée. Ainsi, les tubes du brillant « Hope » résonnent haut et fort ce soir. « Young and Wild », « We Don’t Know » et le culte « Spirits » sont les moments très forts de la soirée. Mais des rejetons plus récents comme « Running scared » en ouverture, ou le très réussi « I’ll wait » rencontrent aussi un grand succès. C’est enfin, la dernière touche d’authenticité qui parfait le concert des canadiens. La violoniste explique que le groupe a arrêté les rappels pour ne plus avoir à faire semblant de se cacher deux minutes à côté de la scène (enfin un groupe qui assume !). Toutefois, après leur dernier morceau, le groupe est tellement acclamé qu’il revient sur scène interpréter un réel dernier morceau. Beau moment de spontanéité qui conclut en beauté la soirée.

The Strumbellas – Café de la Danse 2024 – Crédit photo : Louis Comar

FAIRE CORPS DANS LA MUSIQUE

Ce que les Strumbellas ont rappelé ce soir, c’est l’importance de faire groupe et de faire corps dans l’art et la culture. Le Café de la Danse était probablement l’endroit le plus adéquat pour rappeler cela. Et même si nous ne sommes pas toujours friands des « wohoho » et « wahaha », ce sont d’efficaces ponts tendus entre toutes les voix. The Strumbellas ont su, par leur musique emprunte d’espoir, incarner avec simplicité et authenticité l’importance d’unir les corps vers quelque chose de plus important que soi. Au plaisir de les revoir en festival cet été.


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Cinq ans après le brillant Social Cues, Cage the Elephant revient enfin avec un nouvel opus, le non moins réussi Neon Pill. Peut-être moins original que n’ont pu l’être les précédents albums de la formation américaine, l’ensemble n’en est pas moins brillant. Comment cela se fait-il ? Si la pilule est un remède (pharmakon en grec) pour certain, elle est un poison (aussi pharmakon) pour d’autre. Décorticage d’une potion dont le paradoxe une fois résolu permettra d’accorder à ce nouveau disque tout le mérite qui lui revient.cage_the_elephan_neon_pillUNE ORIGINE MOINS ORIGINALE

La superbe réussite de Cage the Elephant depuis près de vingt ans de carrière est d’avoir proposé au fil de chacun de ses albums, une direction artistique résolument variée et singulière. Du garage rock bien américain de leur premier album aux tendances plus noisy de Thank you, Happy Birthday jusqu’à l’indie pop de Tell me I’m pretty, Cage the Elephant a toujours avancé à mille à l’heure, n’hésitant jamais à conjuguer les genres dans leurs compositions. Seulement voilà que Neon Pill fait exception et s’inscrit clairement dans la continuité de Social Cues. 

À LA SAUCE CAGE THE ELEPHANT

Observons donc: discrète déception provoquée par l’identité moins singulière de ce nouvel effort mais réussite absolue quand même, mais comment ? Il s’avère seulement que Cage the Elephant a beau ne pas avoir exploré des contrées particulièrement étrangères à ses précédentes compositions, les titres de l’album sont singulièrement aussi réussis que toute autre chanson du groupe. De la construction étonnante de Shy eyes à cet outro détonnant de Float into the sky, chaque titre réserve son lot de surprise. Mais surtout, la recette commune à chacun des albums de la formation se retrouve : de superbes ballades (Out loud), des titres aux refrains accrocheurs qui ne sauraient subir aucun oubli tant ils sont bons (Silent Picture, Metaverse). Voilà pourquoi cet album est vraiment très TRÈS bon.

UNE BRILLANTE ANTINOMIE

Si certain.e.s ont pu être déçu.es, c’est qu’en réalité Cage the Elephant n’a cessé de mettre la barre toujours plus haute au fil de ses albums. Ce qui est légèrement moins original dans l’économie de leur discographie est en réalité d’une qualité toujours épatante aux vues de toutes les productions de rock indé actuelles. C’est certain, ce n’est pas le meilleur album de Cage the Elephant (Melophobia sera-t-il un jour détrôné ?), mais c’est déjà un des meilleurs albums de cette année. Pourquoi ? Parce que Cage the Elephant est un des groupes les plus ingénieux, sensibles et irradiant de beauté qu’ait connu le XXIe siècle. Ainsi, si leur talent habituel n’a peut-être pas été autant au rendez-vous que certains l’auraient souhaité, il n’a que peu d’égal dans le décor musical actuel, et ce même avec tout ce que j’ai souligné précédemment. Parvenir à faire d’un de ses moins bons albums un des meilleurs albums de l’année, c’est prodigieux quand même non ?


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