Du 5 au 16 septembre 2018, au Forum des Images, s’est tenue la vingt quatrième édition de L’Étrange Festival. Retour sur un festival de très bonne qualité qui a réservé quelques belles découvertes ou redécouvertes et qui aura permis au spectateur de voyager d’Haiti à la Pologne, des Philippines au Chili. Une incitation à l’ouverture et à la curiosité en découvrant une multitude de nuances du film de genre.
L’Étrange Festival 2018 : Un cinéma de genre à variations multiples
Avec le recul, il n’aurait pu y avoir meilleure soirée d’ouverture du festival. Si cette dernière a fait l’effet d’un focus , elle surtout permis de donner le ton du festival à venir. De la variation des genres ( comédie musicale et invasion zombie), du fun pour Anna & The Apocalypse, du nettement moins léger et plus dérangeant avec Perfect Skin. Les deux extrémités d’un spectre dans lequel allait nous plonger L’Étrange Festival… Le lendemain, jeudi 6,vint ensuite le tour de The Dark, premier coup de cœur du festival avec un conte noir imparfait mais vraiment touchant. Le vendredi 7 aura vraiment été la journée du « grand écart » pour L’Étrange Festival puisque les deux films visionnés par l’équipe de Pop&Shot nous auront marqués comme étant le pire et le meilleur de tout le festival.
« Meurs, Monstre, Meurs« , pour citer un festivalier, est vraiment de ces films ou l’on se sent bête en le voyant. Bien évidemment, on pressent une métaphore, une symbolique, bien évidemment, on sent une critique probablement sociétale dans cette co-production franco-argentino-chilienne. Mais trop de flou et de rupture de ton n’auront définitivement pas emporté l’adhésion de notre équipe. Mention spéciale néanmoins à la « créature de fin », lovecraftienne en diable et profondément malsaine. Pour un film de 109 minutes, c’est peu. Marquant mais peu. Trop peu. Dans la foulée, Mandy, dont nous avons déjà pu vous vous dire le plus grand bien, est apparu comme franchement euphorisant, tant dans le fond que dans la forme. Une véritable lettre d’amour au genre, au fond évidemment moins marqué que d’autres œuvres vues dans le festival, mais d’une générosité et d’une sincérité rare, comme on aimerait en voir plus souvent dans le cinéma de genre contemporain!
L’Étrange Festival : Horizons lointains du genre
Au cours du premier week-end de festival, la compétition du Grand Prix Nouveau Genre offrit Buybust, A Vigilante, The Spy Gone North, L’heure de la sortie et enfin Dachra. Commençons par le décor plus commun de A Vigilante qui se situe aux Etats Unis. Si le décor est connu, ainsi que le vigilante movie depuis Un justicier dans la ville avec Charles Bronson, le fond dans lequel il s’inscrit semblait plus original. Semblait. En ces temps de #meetoo, la remise à jour du vigilante movie avec un personnage féminin en tête d’affiche pouvait permettre de dire beaucoup de choses. Il y a quatre décennies déjà, dans le mythique « Day of the Woman« , une femme se vengeait des hommes l’ayant agressé. Il y a une dizaine d’années, l’oscarisé Neil Jordan mettait en scène l’oscarisée Jodie Foster dans A vif pour un résultat…convenu. L’idée en tant que telle n’est donc pas si neuve. Là ou le premier film de Sarah Daggar-Nickson pouvait tirer son épingle du jeu c’était en faisant de sa vigilante (incarnée par une Olivia Wilde méconnaissable), une vengeresse itinérante se faisant la porte parole des femmes abusées et violentées. Efficace dans sa réalisation, efficace dans son interprétation, Olivia Wilde se met en valeur dans plusieurs scènes lui permettant de mettre en valeur ses qualités d’interprétation, de façon un peu trop marquée et faisant parfois passer le film pour un « véhicule à performance » (Olivia Wilde est aussi productrice du film ceci expliquant -peut être- cela). Glaçant en début de métrage, l’intrigue prend malheureusement un tour plus convenu dans son dernier tiers, la « nemesis » étant trop caricaturale pour que les notes d’intention du début du film soient pleinement maintenues jusqu’au bout. Un honnête thriller.
« Buybust » était présenté comme un « The Raid horizontal » (là ou son modèle faisait de la verticalité le cœur de son concept). N’atteignant pas les cimes de son illustre prédécesseur, le film d’Erik Matti n’en est pas moins un solide film d’action où sont mis en valeur, tant le champion d’arts martiaux Brandon Vera que l’actrice Anna Curtis qui sort pour l’occasion de sa zone de confort habituelle des romcs coms locales. Gros bémol néanmoins : le son. Particulièrement saturé, il dessert le film et impacte son appréciation globale, surtout que le basculement de l’intrigue survient dans une scène ou le son est prépondérant. Le gros message politique passé dans les dernières minutes du film, courageux mais désabusé, est néanmoins à relever et permet à « Buybust » d’être une des bonnes révélations de ce festival.
« The Spy Gone North » est un film de genre…d’un genre inattendu dans L’Étrange Festival : un film d’espionnage. C’est cette originalité ainsi que les réelles qualités graphiques de la mise en scène de Yoon Jong-Bin qui ont du plaire au public et au jury, le film s’octroyant le Grand Prix Nouveau Genre ainsi que le prix du public! Un beau film aux thématiques d’actualité ( espionnage entre la Corée du Sud et la Corée du Nord). En découvrant le sujet de « L’heure de la sortie » ( pour qui n’a pas lu le livre de Christophe Dufossé), on se projette dans ce qui pourrait être une excellente variation de « La nuit des enfants rois« . Et l’un des avantages du film de Sébastien Marnier est justement…de jouer avec nos attentes. Insufflant de l’humour dans une excellente proportion, le film glisse habilement vers le thriller pour se conclure sur une fin sombre qui fait écho avec l’actualité… Une bonne réussite française (cocorico) servie par le toujours impeccable Laurent Lafitte (qui nous avait déjà marqué l’an dernier dans KO). Enfin « Dachra« , film horrifique tunisien présenté à la Semaine de la Critique de Venise, bénéficiant d’indéniables qualités visuelles, aura réussi à surprendre le spectateur, la critique du mysticisme du film se concluant dans un cadre réellement horrifique ou malaise et suspense sont présents.
Tout au long de la dernière semaine de compétition, ce sont « Luz« , « Killing » et « Perfect » dans des genres radicalement différents qui auront été visionnés par l’équipe de Pop&Shot. En découvrant Luz, on a l’impression de se trouver devant une des premières bobines de ceux qui font le genre actuellement : Del Toro, Balaguero,etc… Avec un grain si particulier et une ambiance sentant bon la fin du siècle dernier, Tilman Singer, avec son film de fin d’études (!!), annonce la couleur : il faudra compter sur le cinéaste allemand dans les années à venir à coup sur! Tant dans le fond que dans la forme, Luz est pleine de promesses et s’il peut avoir certains défauts, ils sont ceux de la jeunesse et l’on peut clairement rêver à ce que sera l’oeuvre de Tilman Singer dans les années à venir. Une belle pellicule de festival qui aura permis de découvrir un cinéaste prometteur. Un autre premier long formellement irréprochable est bien » Perfect » d’Eddie Alcazar. Malheureusement, si la plastique du film fait de Perfect un bel objet, il sonne désespérément creux, les monologues pontifiants du dernier tiers du film finissant d’achever le spectateur. » Killing » de Shin’Ya Tsukamoto dynamite totalement le film de sabre en s’attaquant au fondement même de celui ci : la notion d’honneur. Car c’est bien cette notion qui est à la base de tout les malheurs des personnages principaux, ces derniers souffrant, mentant et au final mourant pour cette notion énoncée par tout le monde mais respectée par personne.
L’Étrange Festival : Genre et polémique
Ironiquement, c’est avec deux films parmi les plus polémiques de ces derniers mois que la compétition s’est terminée. The House That Jack Built, dernier film en date de Lars Von Trier, présenté de façon hilarante par Gaspar Noé. Reprenant la forme qu’il avait adopté pour Nymphomaniac, l’autoportrait d’une nymphomane, Lars Von Trier fait de même avec … son autoportrait. Véritablement glaçant, l’humour à froid du Danois fait mouche tout au long du film. Les cinq vignettes, cinq tranches de vie, choisies au hasard dans le parcours sanguinolent du serial killer « Mr Sophistication » (Matt Dillon véritablement épatant de sobriété et de justesse), permettent une véritable progression dans l’horreur, le comique des situations finissant par s’atténuer progressivement devant la noirceur des situations. Un tour de force, rappelant, dans un tout autre genre (encore que…), « C’est arrivé près de chez vous ». Interrogeant le spectateur, de façon pertinente et non pompeuse, sur des notions telle que l’Art, Lars Von Trier livre une oeuvre fleuve, intelligente, précieuse et nécessaire. La descente aux Enfers, littérale, du tueur marque les esprits et divise. Mais comme l’aura fait remarquer Gaspar Noé dans sa présentation en rappelant l’exemple de « 2001, l’odyssée de l’espace » qui avait eu de très mauvaises critiques au moment de sa sortie, » quand vous avez des critiques unanimes avec vous, ça sent pas bon »… Choquer pour forcer à réfléchir, Lars Von Trier réussit pleinement son objectif avec The House That Jack Built. Et le tout en faisant rire son spectateur!
Utoya, 22 juillet , le film d’Erik Poppe proposait un sujet encore plus polémique en illustrant la tuerie d’Utoya perpétrée en 2011 par le terroriste d’extrême droite Anders Behring Breivik. C’est probablement l’un des films ayant fait le plus parler après ses projections. Utoya a divisé. Clairement. La volonté de mise en scène atypique de la part de Poppe ( raconter les événements en temps réel à travers un seul point de vue et en un seul plan séquence de 90 minutes) est en grande partie responsable des critiques. Se concentrer ainsi sur la survie d’une jeune fille présente sur les lieux à la recherche désespérée de sa sœur a été interprétée parfois comme une recherche de pathos gratuite. Le fait de ne jamais voir Breivik, et juste de le deviner au loin, ni même de le nommer dans les encarts présentées au début et à la fin du film ont été vus comme des moyens de l’iconiser. Si la question de la représentation du terrorisme, dans nos sociétés contemporaines, a toujours été source de débat, l’actualité rend le sujet d’Utoya encore plus brûlant. La toute fin du film, choquante, lève toute ambiguïté qu’on voudrait bien prêter au réalisateur, glaçant le sang et invitant, si ce n’est à une prise de conscience, au moins à la réflexion.
L’Étrange Festival 2018 : Des découvertes ou redécouvertes de tout les genres ou pour tout les goûts
Si la compétition a doublement couronné « The Spy Gone North« , l’Étrange Festival ce n’est pas que de la compétition et ce dernier aura permis aussi d’aller à la découverte de petites pépites.
Ainsi, l’année 1971 aura été à l’honneur (de façon fortuite a priori) avec la diffusion de deux films dynamitant, à leur façon, la petite bourgeoisie. La Saignée, tout d’abord, film franco-italien de Claude Mulot, thriller à cheval entre New York et la Normandie. Racontant la cavale du témoin d’un double meurtre commis par un ponte de la mafia new-yorkaise, un jeune serveur part se réfugier dans sa Normandie natale ou il va être confronté à son passé. Il y a quelque chose de savoureux en (re)voyant La Saignée. L’ambiance unique, qui ne pourra jamais être parfaitement reproduite de la petite ville de province de l’époque de Georges Pompidou, la critique « chabrolienne » en diable de la petite bourgeoisie. De même, le ressort comique incarné par les deux personnages américains, l’un flic, l’autre tueur à gage chargé de récupérer le personnage principal et qui assiste, goguenard, en spectateurs bien loin de chez eux, aux différentes péripéties animant la petite bourgade normande est assez savoureux. Un bon film de genre, dont la découverte (ou redécouverte pour certains) 47 ans après sa sortie fait grandement plaisir.
De même, L’Hôpital d’Arthur Hiller s’est avéré une excellente comédie satirique. La journée du suicidaire docteur Bock (brillant George C. Scott), en pleine crise de la cinquantaine, permet de dresser un portrait sans concessions malgré sa drôlerie du système hospitalier américain. Sa conclusion (« autant pisser dans un violon ») résonne particulièrement avec les commentaires quasi unanimes des spectateurs en quittant la séance : 40 ans après, rien n’a changé.
Plus récent, le film Lifechanger de Justin McConnel est annoncé comme une excellente série B. Pari tenu? Haut la main puisque le métrage nous place dans la tête d’une entité qui pour survivre doit passer de corps en corps tuant par la même occasion son hôte. Comprenant rapidement les motivations d’un tel personnage nous voilà plongés au cœur d’une histoire d’amour obsessionnelle et à sens unique. Comment aimer quelqu’un qui de toute évidence n’a pas d’existence à proprement parler? Les scène d’épouvantes particulièrement soignées méritent à elles seules le détour. Glaçant, effrayant et dérangeant ce « Lifechanger » réussit haut la main son pari. De l’horreur simplement orchestré et sans fond? Point du tout puisque le métrage s’amuse à interroger le spectateur, qui sommes nous au fond? qu’est-ce qui nous définit? Comment s’accepter? Est-ce dans les yeux de l’être aimé? Donnant au détour d’un final bougrement malin la plus inattendue des réponses.
Le 13 septembre, l’équipe de Pop&Shot mourrait d’envie d’assister à la séance d’Amalia qui promettait de nombreux moments hypnotisant. La salle complète la pousse néanmoins à se rabattre sur Liverleaf … pour son plus grand plaisir. Inspiré d’un manga ce revenge movie, complètement barré n’a pas laissé la salle indifférente. Vendu comme un nouveau « Battle Royal », le métrage s’éloigne de ses classiques pour offrir un bain de sang sérieusement gore et franchement drôle aux spectateurs. Si le métrage ne cherche pas tellement à rester dans un univers logique (il y a quelque chose dans l’eau du village qui expliquerait l’attitude de ses habitants? Pourquoi ce grand-père est-il toujours aussi heureux?) il n’en procure pas moins une bonne dose de cinéma horrifique, sans prise de tête qui fait plaisir à voir. Mention très spéciale pour la scène de la professeur d’école, complètement jouissive!
Up Upon the stars de Zoe Barriatua aurait pu être le dernier né de Michel Gondry tant ses artifices avaient quelque chose de « La Science des rêves ». S’il n’en est rien, il est pourtant impossible de ne pas se laisser prendre par ce tourbillon émotionnel, vibrant et vivant et cette lettre d’amour au cinéma. Les déboires de Victor, alcoolique depuis le décès de sa femme, menteur invétéré et de son fils, Ingmar qui l’idolâtre, se pressent sans cesse à la frontière de l’imaginaire. Un moment de douceur, entre mélancolie et renaissance, le tout porté par une imagination qui ferait rougir Tim Burton, lui qui a oublié comment réellement avoir la tête dans les étoiles.
Upgrade quand à lui fait office de bonne série B » à l’ancienne », qui ravira les fans de Terminator et de « Shadowrun« . Un très bon divertissement, se suffisant à lui même et dont la fin, délicieusement sombre, est particulièrement savoureuse.
Clôture du festival: ce n’est qu’un étrange au revoir
Restait à dire au revoir à notre bien aimé festival le dimanche 16 septembre. L’occasion d’applaudir comme il se doit l’équipe des bénévoles de cette édition 2018. Une équipe de passionnés investis et à l’écoute du public qui méritent toute la reconnaissance des fans du cinéma de genre. Puisque oui, n’en déplaise à certains, ce cinéma à part draine un public investit, connaisseur, intelligent et dévoué qu’on aura eu plaisir à croiser, à entendre débattre, creuser et dont l’énorme curiosité sans fin est elle aussi à saluer.
Reste à dire un mot sur The Man with the Magic Box, fable de science-fiction polonaise, un nouveau métrage sur les sauts dans le temps situé dans un univers futuriste aseptisé. Puisqu’il faut se l’avouer la science-fiction ne promet pas du tout un brillant avenir à l’humanité. Le métrage connait ses classiques et s’offre même une référence à l’immense Fight Club . Au détour d’une histoire d’amour impossible, l’œuvre joue sur le suspens et l’humour pour convaincre. Verdict? On ne peut pas plaire à tout le monde. Malgré une esthétique léchée digne d’un clip le métrage souffre de quelques longueurs.
Rien qui n’entache l’expérience entière qu’est l’Etrange Festival qui rappelons le, ose miser sur la diversité pour parler à un large public. Vivement les 25 bougies!
Alexandre Bertrand et Julia Escudero
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