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Nous avons rencontré dans un bar proche des Balades Sonores où ils jouaient le soir même, Merrill Garbus et Nate Brener qui composent le duo américain Tune Yards, actif depuis plus de 20 ans. Les deux sont à l’origine d’une musique home-made faite de collages et de boucles rythmiques. Ils viennent de publier « Better Dreaming », leur sixième album studio, un concentré de ce qu’ils savent faire le mieux, transcendant, énergisant et surtout arme de rébellion contre un monde et une Amérique de plus en plus injustes et liberticides.

Tune Yards - @Shervin Lainez
Tune Yards – @Shervin Lainez

Pop & Shot : Comment est-ce que vous vous sentez juste avant la parution de ce nouvel album ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je me sens excitée, et nerveuse à la fois. Parce qu’on est actuellement dans une période très trouble, partout dans le monde et spécialement dans notre pays. Nate m’a dit ce matin : beaucoup de choses peuvent advenir en un mois. Nerveuse par rapport à ça donc, mais heureuse de la musique et de l’album qu’on s’apprête à publier.

Ca fait aussi sens que l’on soit nerveux parce que notre précédent disque est sorti durant la pandémie, une période difficile pour les musiciens qui ont fait paraitre des albums à ce moment-là. Ca fait un peu égoïste à dire mais il y a cette peur que le monde se mette en travers de notre album, tu vois ? Mais c’est notre travail donc on espère que l’on ne sera pas trop perturbés, dans une période pleine de perturbations justement.

Pop & Shot : Vous habitez toujours aux Etats-Unis ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Oui, en Californie.

Pop & Shot : Avant d’évoquer de ce qu’il se passe là-bas, parlons d’abord de musique. Vous en faites depuis une vingtaine d’années et votre approche est toujours restée la même. Une démarche qui relève du collage, avec des boucles rythmiques et une grande liberté dans la voix. C’est important pour vous de garder cet aspect fait-maison ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je crois que oui. Avec le temps, on s’est améliorés sur bien des aspects. Musicalement notamment…

Nate Brenner – Tune Yards : On est revenus là à certains des sons originaux du groupe. On a évolué d’années en années pour aujourd’hui revenir à la source de cette démarche de collage sonore. Sons DIY. Les précédents albums étaient plus produits. On a bouclé la boucle. Retour à la case départ.

Pop & Shot : Vous êtes aussi revenus à une formule en duo.

Merrill Garbus – Tune Yards : Pour cette tournée, oui, majoritairement.

Nate Brenner – Tune Yards : Mais il y a des invités sur l’album. Des amis à nous. Le guitariste du groupe Phish notamment, qui s’appelle Tray Anastasio.

Pop & Shot : Il y aussi votre fils de trois ans qui apparait sur un morceau.

Merrill Garbus – Tune Yards : A l’époque du premier album, j’étais aussi nounou. Je baby-sittais des enfants en bas-âge et j’aimais le collage de la vraie vie et de la musique. Qu’il y ait presque pas de séparation entre ces deux mondes. Aujourd’hui, étant donné que notre fils est le cœur notre vie, on a voulu lui laisser une place sur l’album. Et lui était excité de prendre le micro. Il était très impliqué. Il a écouté toutes les versions des chansons, en les jugeant ! *rires*

Pop & Shot : L’album est hyper dynamique et émotionnellement puissant. Quel a été le point de départ ?

Merrill Garbus – Tune Yards : D’abord à cause d’une deadline personnelle qu’on s’était fixés : il était temps de faire un nouvel album. Notre enfant venait de naitre…

Nate Brenner – Tune Yards : … et pourquoi on s’était fixés cette deadline ? tu ne l’as pas dit.

Merrill Garbus – Tune Yards : Parce qu’on avait besoin d’argent ? *rires*

Nate Brenner – Tune Yards : Voilà ! Après la pandémie et l’arrêt de nos concerts depuis cinq ans.

Merrill Garbus – Tune Yards : Notre compte bancaire diminuait drastiquement. Et puis c’est notre travail ! Et je dis ça dans le bon sens du terme. On a quand même fait entre temps de la musique pour une émission télé. On composait donc pour le projet d’une autre personne, le réalisateur Boots Riley, avec qui on travaille encore sur un film actuellement. J’ai eu envie de réécrire des chansons pour moi après cette expérience.

Pop & Shot : Où est-ce que vous avez enregistré ce nouvel album ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Majoritairement dans notre studio, à Oakland. On loue un espace là-bas dans lequel on a accumulé au fur et à mesure des années beaucoup de matériel.

Pop & Shot : Cet album, peut-être encore plus que les précédents, renvoie une énergie assez joyeuse et parfois très dansante. Est-ce votre principal moyen d’expression et de combat ? Par la célébration, la vitalité et la solidarité ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je ne saurais pas comment faire autrement ! *rires* Mais le verbe « combattre » (fighting en anglais) a quelque chose de négatif je crois. Il s’agit plutôt de donner aux gens une vision joyeuse du future. C’est ça qui est puissant et que je souhaite transmettre : regardez, on peut être là ! Continuez comme ça ! Il est nécessaire de lutter dans les temps actuels mais il est aussi nécessaire de rendre ça attractif.

Pop & Shot : Vous êtes plutôt optimiste ou pessimiste en général ?

Nate Brenner – Tune Yards : Je suis optimiste sur le long terme et pas du tout sur le court terme. On affronte des temps très difficiles actuellement. Peut-être que l’homo sapiens va évoluer sur une nouvelle espèce. L’état actuel de l’humanité, le système actuel, ne fonctionnent clairement pas. On est devenus trop avancés, au niveau de la technologie notamment, au point de s’auto détruire. On doit trouver une balance.

Merrill Garbus – Tune Yards : Ca ne sonne pas vraiment optimiste ce que tu dis ! *rires*

Nate Brenner – Tune Yards : Non c’est vrai *rires*. Mais je pense qu’on arrivera à quelque chose un jour.

Merrill Garbus – Tune Yards : Je pense souvent aux artistes qui créent durant des périodes de guerre. La musique du Congo par exemple, est l’une des musiques les plus belles, joyeuses et dansantes. C’est des exemples comme ça qui donnent de l’espoir.

Pop & Shot : La chanson « Better Dreaming », qui donne son nom à l’album, se démarque des autres par un côté beaucoup plus calme et posé. Comment vous est-elle venue ?

Merrill Garbus – Tune Yards : En Amérique, on a cette idée du rêve américain, qui te fait croire que si tu travailles d’arrache pied, en tant qu’individu, tu grimperas les échelons et tu obtiendras ce que tu veux. Mais comme Nate l’a dit, ce modèle ne fonctionne clairement pas. L’idée de « Better Dreaming » est que nous devons changer ce rêve pour arranger les problèmes qui découlent de ce rêve. Ca fait sens ? Et on a choisi ce nom pour l’album parce qu’il a plusieurs significations, pas seulement en lien avec le rêve américain. On laisse aux personnes choisir leur interprétation.

 

Pop & Shot : La voix a une place importante dans les compositions, hyper malléable. C’est par exemple marquant sur le morceau « See You there ». Comment vous travaillez cet élément et de quelle manière elle trouve sa place dans les compositions ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je travaille beaucoup sur ma voix oui. C’est mon principal instrument. Je démarre toujours avec quelque chose, souvent un tempo par exemple, puis très rapidement je commence à chanter dessus. Sur « See You there », c’était justement intéressant vu que c’est quasiment un morceau a capella. Ca m’a permis de me focaliser sur ma voix.

Nate Brenner – Tune Yards : Selon moi, ce qui rend Merrill si unique et incroyable, c’est effectivement sa capacité à chanter de pleins de manières différentes, aussi bien douces que puissantes. On ne peut pas en avoir marre de sa voix tellement elle ne cesse de changer.

Pop & Shot : Vous évoquez dans l’album un besoin pour le monde en général, pour les individus, de savoir rester concentrés au sein d’une ère de distraction. Est-ce un des principaux problèmes de notre monde moderne ?

Merrill Garbus – Tune Yards : On a choisi de livrer nos vies à des grosses entreprises de tech parce qu’elles nous facilitent le quotidien. Et on persiste encore et toujours dans ce choix. En échange, ils nous volent notre attention. On est constamment dans un rapport de transaction : « je te donne mon attention si tu me donnes mon taxi quand je veux. ». On peut en sortir mais c’est compliqué. Je suis aussi là-dedans malheureusement.

Pop & Shot : La situation politique aux Etats-Unis vous fait peur ? Comment les gens réagissent ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Oh regarde Nate, un camion poubelle français ! Notre fils adore les camions poubelles *elle prend une photo* yeaaaaaaaah *rires*

Pop & Shot : C’est dans le thème *rires*

Merrill Garbus – Tune Yards : Il y a plusieurs mouvements de mobilisation pour protester contre ce qu’il se passe. C’est très pernicieux. Ce qui m’effraie le plus, c’est qu’il n’y ait plus d’élections dans le futur. Ils travaillent vraiment là-dessus. Mais encore une fois, on en revient à cette question des transactions que j’évoquais tout à l’heure : on adore Amazon, on adore Meta, on adore ces gens qui veulent nous contrôler… La résistance doit donc se faire à l’encontre de cette nouvelle administration politique, mais aussi contre notre propre participation à ce système. Cela passe par repenser la manière dont nous voulons vivre, et quelles transactions on est prêts à abandonner.


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(Interview vidéo – Terrifier 3 de Damien Leone n’a rien d’un film grand public. Il n’est pas non plus mainstream. Il est extrêmement gore, violent, jusqu’au boutiste, référencé … et pourtant. Le troisième volet de la franchise qui met en scène Art le Clown a déjoué tous les pronostics. Suite à un buzz monstrueux le voilà donc premier du box office et détruisant au passage un clown pourtant bien plus connu qu’Art : le Joker. Finalement Vicky au visage déformé a bien plus de succès aux côtés de son clown démoniaque que la pauvre Harley Queen  (Lady Gaga tout de même) chantant au bras de Joaquim Phoenix. Il faut dire que le couple de Terrifier 3 personnifie à lui seul l’idée de folie à deux. Et c’est sûrement cette folie, en plus d’un buzz TikTok inattendu qui font de ce film indé sans aucune prétention un objet à voir absolument. Film après film Damien Leone, son réalisateur fou furieux, n’a de cesse de démontrer son amour dingue du genre horrifique. Pour ses Terrifier, il emprunte aux couleurs des slashers de l’âge d’or des années 80 et pousse les vices et éviscérations à leur apogée. Prends note, s’il te plait Ty West,  la trilogie X  avait tout ce qu’il fallait pour jouer des clin d’oeil à la belle et jusqu’au boutiste époque, mais sa timide réalisation, ses hors champs et sa pudeur n’auront jamais eu l’impact attendu. Ici on en est loin,  le film ose tout, toujours avec humour, recul, à coup de meurtres hyper violents mais non réalistes.

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Terrifier 3 : rencontre avec Lauren LaVera et Olga Turka

Douche sanguine pour majeurs seulement

Le bain de sang dure deux heures durant lesquelles il n’existera absolument aucune limite. D’ailleurs c’est bien pour ça que le film se verra attribuer une interdiction aux moins de 18 ans lors de sa sortie en salles. Une décision hautement contestée par le distributeur, Shadows, qui y voit une forme de censure d’un cinéma toujours décrié, souvent incompris. Une telle interdiction n’avait d’ailleurs pas été appliquée depuis le sortie de Saw 3 (celui dans lequel on peine à se rappeler ce qui se passe tellement la franchise a tourné au grand guignol dès son second opus) et même l’immense Martyrs de Pascal Laugier y avait échappé de très peu. Un film pourtant bien plus réaliste et dérangeant que l’immense montagne russe que peut être Terrifier 3. C’est peut-être cette censure qui aura fini par jouer en faveur du métrage de Leone, le sortant de son carcan de film indépendant adressé au public averti pour mieux devenir le film que l’on teste pour se prouver ses limites, pour savoir si on est capable de le regarder en intégralité. Et c’est sûrement ce jeu enfantin qui rend un métrage comme celui-ci si excellent dans son propre registre puisque toujours conscient de son statut, toujours aussi drôle que son dérangé protagoniste.

Le boogeyman ultime n’existe pas … ho wait

Art le clown y garde son côté Charlie Chaplin horrifique comme nous le confiait Olga Turka (production designer et costumes) au court d’une interview partagée aux côtés de Lauren Vega (interprète de Sienna). Notre nouvelle final girl, dont le nom sera sans nul doute aussi connue prochainement que ceux de Sidney Prescott ou encore Laurie Strode, donne un pendant angélique idéal au clown diabolique. L’actrice prend d’ailleurs le temps de parler de toutes celles qui lui ont succéder, Laurie, Sidney, Mia Allen (Evil Dead version 2013) ou encore les plus délurées des scream queens du cinéma de Rob Zombie. D’ailleurs si Terrifier s’offre un esprit cinématographique qui joue bien dans la cours de ce dernier, il pourrait tout autant être comparé à la franchise Paranormal Activity. Lui aussi, film indépendant à micro budget, créé avec le crowd founding,  lui aussi porté par un buzz et une promesse de terreur supérieure, lui aussi grimpant de façon complètement incongrue dans le box office. Si on peut souhaiter un pareil succès à Leone, il faudra aussi lui souhaiter de garder longtemps son esprit ravagé et sa volonté  à se la jouer indé hors studio pour ne jamais avoir à se plier, chercher à faire plaisir ou à se censurer. On en redemande des scène de purées, de corps découpés par les fesses, de tripes d’enfants à l’air libre, de torture avec rats ou de cryogénisation ( hello le clin d’oeil à Jason X). C’est aussi de tout cela dont on parle au cours d’un échange passionnant avec nos deux acolytes propulsées sur le devant de la scène. Des projets de suite pour le réalisateur qui sait déjà où et comment son oeuvre devra s’achever, de clin d’oeil de l’art dans l’art (et d’Art), de boogeymen mythiques, de final girls et de féminisme, de retour aux slashers à l’ancienne (la nostalgie du vintage ici est aussi dégoutante que fascinante) , de maquillage et de litres d’hémoglobine. Pour tout savoir, vous pouvez regarder la vidéo ci-dessous. Mais surtout, si vous avez le coeur bien accroché, courrez le voir au cinéma (plus vite que si Art vous courrait après). Certes, c’est toujours étrange de voir le grand public s’emparer d’un phénomène que l’on pensait adresser à un lot d’experts, mais quel plaisir de voir qu’on peut donner de la force au cinéma de genre et prouver aux salles que l’horreur n’est pas un sous genre et mérite une place centrale sur grand écran !


Terrifier 3 : Découvrez l’interview de Lauren LaVera et Olga Turka

 

 


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bill ryder jones
©Kevin Gombert

Ce 12 janvier sortait « Iechyd Da », un toast à la bonne santé par l’incroyable Bill Ryder-Jones. On est en janvier et l’artiste signe déjà ce qui restera, c’est certain, l’un des meilleurs albums de 2024. Comme toujours il signe un opus particulièrement honnête et à fleur de peau mais y ajoute une lumière qu’on ne lui connaissait pas. On a donc tout naturellement eu envie de discuter avec lui de cette pépite. C’est dans les locaux parisiens de son label, Domino, que l’on a pu le rencontrer autour d’une tasse de thé. Et il faut dire que le musicien / producteur n’hésite pas à dire tout ce qu’il pense, sans filtres, sans détours, pour parler à coeur ouvert de santé mentale, d’addiction, de création, de production, d’industrie musicale, du festival Pop & Psy, de ne pas aimer le live et même de ses pyjamas. Rencontre passionnante, humaine, d’une véracité rare.

P&S : Parlons de ton nouvel album, comment le décrirais-tu ?

Bill Ryder-Jones : Je ne sais pas si je suis doué par ça. Je dirai que ce sont les 4 dernières années de ma vie. Et toi comment tu le décrirais ?

P&S : Je dirai qu’il est plein de lumière et beaucoup plus optimiste que son prédécesseur.

Bill Ryder-Jones: C’est très vrai. Il aurait difficilement pu être moins optimiste que celui d’avant. Ce serait impressionnant non ?

P&S : (Rires) Clairement. Tu disais d’ailleurs que tu n’étais pas capable d’écrire des chansons joyeuses quand tu parlais du précédent. Ca a changé sur celui-ci ?

Bill Ryder-Jones : Je dirai que la musique est plus empreinte d’espoir. Je ne pense pas qu’elle parle de joie ou d’être joyeux. Etait-ce vraiment une décision consciente de la rendre plus lumineux ? De parler de beaux gros moments qui te font avancer ? Oui c’était vraiment ma décision.

Quand je joue sur scène mes anciennes compos ça entretient un putain de malheur

P&S : Ca vient de ce qui t’arrivait dans la vie ou était-ce la musique que tu voulais faire ?

Bill Ryder-Jones : J’ai aimé le faire mais ça ne me représente pas vraiment. J’ai pensé que ce serait simple et intéressant à jouer en live. Quand je joue sur scène mes anciennes compos ça entretient un putain de malheur. Je faisais un album avec un musicien de Liverpool, je le produisais et il avait tellement de grands moments, de beaux moments avec de grands moments de cordes et je me disais c’est la musique que j’aime, pourquoi je n’en fais pas ? Je me suis senti super con. Je pourrai faire de la musique qui me rend heureux et qui combat le malheur. Faire de la musique pleine d’espoir.

P&S : C’est pour ça qu’on entend des chants d’enfants sur l’album ? Le rendre encore plus joyeux ?

Bill Ryder-Jones : Oui, tu peux pas entendre un gosse chanter sans sourire. C’est un son heureux. Ce ne sont pas juste les instruments mais les choix qu’on fait. Et leurs voix répondent à cette envie plus que certains instruments.

P&S : C’est aussi, comme tu le disais, l’album le plus produit que tu as fait. En tant que producteur, qu’est-ce que ça a signifié pour toi ?

Bill Ryder-Jones : Il y a beaucoup plus d’informations et d’instruments sur cet album. Il y a des morceaux qui n’ont pas de vrais couplets juste 3 sections, c’est très différent de celui d’avant. Je travaillais sur mes chansons toute la journée, les écoutais le soir, prenais des notes, rentrais chez moi j’écrivais encore plus. Il y a beaucoup d’edits sur chaque chanson. Tout a été ré-écrit plusieurs fois, les rythmiques par exemple. La production est la majorité de l’album. L’écriture a pris du temps mais n’a pas été difficile. Je me suis senti beaucoup à l’aise à le produire. Et c’est aussi l’album qui m’a pris le plus de temps.

D’autres fois tu te dis « Putain je déteste la musique, je veux me mettre au lit et jouer sur ma Playstation. »

P&S : Tu as pris combien de temps sur l’écriture ?

Bill Ryder-Jones : Comme beaucoup de gens avec le covid, je ne sais pas où est passé le temps. Je n’en ai pas la moindre putain d’idée. Je sais que j’ai écrit trois chansons pendant la première semaine du confinement. J’en ai écrit sur mon ex, et puis on a rompu alors je ne voulais pas sortir l’album parce que beaucoup de morceaux étaient à son sujet. J’ai écrit sur d’autres choses et puis on s’est remis ensemble. J’en ai écrit d’autres sur elle. Et puis finalement on a vraiment rompu. J’ai fait une dépression et j’ai dû prendre du temps loin du travail. Je ne saurai pas dire quand ces différents moments ont eu lieu. C’est ce que je fais, j’écris quelques morceaux, je laisse passer le temps. Puis le reste du temps, j’essaie de finir des choses qui je sais, ne seront pas assez bonnes, mais j’essaie de rester dans le processus. Mais bout à bout ça a dû prendre 2 ou 3 ans. Période pendant laquelle j’ai produit des albums pour d’autres. Quand tu produits pour les autres, à un moment donné tu veux aller en studio pour toi-même. Et d’autres fois tu te dis « Putain je déteste la musique, je veux me mettre au lit et jouer sur ma Playstation. » Donc ça prend du temps.

P&S : Le premier single de l’album était « This Can’t Go On », un morceau excellent, que j’ai adoré. Quelle est son histoire ?

Bill Ryder-Jones : Merci ! C’était après une très grosse dispute avec mon ex partenaire durant, je crois, le second confinement. Il parle de mes crises de panique et de comment je gère mes flashbacks émotionnels. Mon agoraphobie s’était empiré, j’étais devenu dépendant du Valium et je buvais beaucoup trop. Je suis allé marcher derrière ma maison. Il était 4 heures du matin et j’ai dû sortir de ma maison parce que les choses étaient si horribles, je n’en pouvais plus. J’étais au bord de la falaise à me demander ce qui était en train de se putain de passer, ce qu’était ma vie, comment j’en étais arrivé là. Et en parlant aux gens, en écoutant des conseils, il m’ont dit ‘tu devrais sortir plus tu sais ‘ (rires). Mais je suis agoraphobe … Les gens bien intentionnés te disent des choses parfois. Genre ‘ tu devrais faire du sport’ ‘ tu devrais moins boire tu sais …’ ‘prends l’air frais, bois de l’eau’ … toutes ces choses qui évidemment aident, mais qui sont impossibles à atteindre pour certaines personnes.

La musique est le grand guérisseur de ma vie.

P&S : Justement tu parles beaucoup de santé mentale. Beaucoup de gens ont dit que ça les a aidé de te voir en parler aussi honnêtement. Comment penses-tu que la musique aide et inspire les gens en détresse ?

Bill Ryder-Jones : On sait tous que la musique aide. La musique est le grand guérisseur de ma vie. Du moins elle fait quelque chose d’identifiable, elle te calme et te fait penser que tu as ta place ici. Elle m’aide moi donc je pense qu’elle aide d’autres personnes. C’est pour ça que c’est difficile de ne pas éprouver de la haine pour d’autres musiciens qui ne sont pas de bons modèles. Qui prennent par exemple de la cocaïne et qui amusent les gens avec ça. Qui ils aident putain ? Ils doivent aider certaines personnes.

Les gens qui font de la musique sont souvent assez dérangés tu sais…

P&S : On parle de plus en plus de santé mentale dans l’industrie de la musique, c’est du moins vrai en France et j’imagine aussi pour vous. Depuis tes débuts, est-ce que tu vois que ce dialogue a vraiment changé les choses ?

Bill Ryder-Jones : Oui. J’ai commencé quand j’avais 16 ans en 2000. Et mes problèmes ont commencé en 2004. Ca ne change pas assez vite. Je pense qu’il n’y a pas assez de personnes dans l’industrie qui en ont vraiment quelque chose à foutre. Ceux qui en ont quelque chose à foutre de la santé mentale sont ceux qui ne sont pas au sommet du succès. Genre si tu vis de la musique mais tu n’es pas vraiment de l’industrie. Les gros labels font semblant que ça les intéresse mais c’est probablement faux. Le bon boulot est fait par des associations. C’est toujours vraiment affreux ce qui se passe dans l’industrie. Mais les choses s’améliorent grâce à une conscience sociale qui est une réflexion du monde extérieur. Et ça a besoin d’aller encore mieux. L’industrie ne sera jamais entièrement vidée des problèmes de santé mentale et de personnes qui ne peuvent pas s’aider elles-mêmes. Les gens qui font de la musique sont souvent assez dérangés tu sais (rires). Ces gens ne peuvent pas et ne seront pas aidés mais on ne peut pas toujours blâmer l’industrie pour ça. Mais oui on sent le changement.

P&S : En France on a même un festival dédié à ce sujet. Il s’appelle Pop & Psy. Vous avez ce genre d’initiatives au Royaume-Unis ?

Bill Ryder-Jones : C’est génial. Je ne suis pas toujours très au courant de ce qui se passe mais j’imagine honnêtement que si on avait ce genre de choses en Angleterre, on m’appellerait pour y jouer (rires). Mais c’est une bonne chose que ça existe ici. Les personnes plus jeunes avec lesquelles je travaille on l’air de mieux accepter leurs problèmes. Ils les comprennent plus tôt.

P&S : Le titre de ton album parle d’aller mieux d’ailleurs …

Bill Ryder-Jones : Ca veut dire bonne santé. C’est un toast à la bonne santé si on le traduit bien. Pour quand tu bois un verre. J’aime la manière dont ça sonne quand on le dit. C’est sûrement la phrase que je dis le plus. L’album n’a pas de thème central autre que l’espoir. Je ne voulais pas l’appeler « Espoir » parce que c’est de la merde (rires) mais c’est une bonne façon de dire la même chose. J’allais beaucoup au Pays-de-Galle quand j’étais gosse, c’est tout à côté, ça ressemble beaucoup à là d’où je viens mais la langue est complètement différente, sonne si différemment. Le titre m’est venu très tôt tout comme la pochette, quelques mois avant le mixe. Je savais l’identité que je voulais donner à l’album. Mais pas ce qui donnerait de l’intérêt aux gens. C’est à ça que sert le titre selon moi.

P&S : En parlant de là où tu viens, tu parles aussi de la mer sur l’album qui fait partie intégrante de là où tu viens.

Bill Ryder-Jones : C’est vrai. Mais ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux de James Joyce. Ils allaient très bien sur le morceau que j’ai composé. Je faisais beaucoup plus de références à la mer sur mes anciens albums.

Je n’écris pas sur ce qui se passe dans le Monde, juste sur la mer.

P&S : Tu en as beaucoup écris dessus ?

Bill Ryder-Jones : Oui je suis juste paresseux. Je n’ai qu’à regarder par la fenêtre et la mer est partout. Je n’écris pas sur ce qui se passe dans le Monde, juste sur la mer.

P&S : Et comment tu te sens de jouer cet album sur scène ?

Bill Ryder-Jones : Plus excité que je ne l’ai jamais été. C’est plus calme dans le sens, il y a mois de grosses guitares, j’ai une violoniste avec moi. Et c’est super. J’ai vu d’anciennes performances à moi sur Instagram et je me sens mauvais j’en fais trop. Là je vais pouvoir être plus calme et je préfère ces morceaux. Et je pense que les gens les aime. Je n’ai jamais adoré le live mais c’est la meilleure façon d’en faire.

C’est là où est l’argent, pour l’instant le concert donc il faut bien en faire.

P&S : Tu as dit que tu n’aimes pas les gros concerts sauf si tu ne joues pas pour toi-même.

Bill Ryder-Jones : Je ne les aime jamais. J’ai joué à Londres et fais un Q&A, il y avait 40 personnes et j’avais quand même peur. C’est là où est l’argent, pour l’instant le concert donc il faut bien en faire.

P&S : Tu préfères créer la musique que de tourner pour la jouer ?

Bill Ryder-Jones : Oui enfin je peux tenir 15 jours, 20 jours. Enfin c’est quand même horrible (rires)

P&S : D’ailleurs en parlant promo, les photos que tu as mis pour annoncer ta tournée sur Instagram sont prises dans ta chambre. C’est pour dire que c’est de la bedroom pop ?

Bill Ryder-Jones : Ho oui elles (rires). Je passe beaucoup de temps au lit, c’est un bon endroit pour écrire. J’ai oublié que le photographe devait venir à vrai dire. ( rires) Je sais pas pourquoi je lui ai dis de venir à 11 heures 30 alors que je ne me lève jamais avant midi donc je l’ai laissé entrer. J’ai juste enfilé un truc rapidement. Je suis content du rendu parce que j’ai souvent la flemme de faire ce genre de choses. Et là, ça a ce côté un peu amusant et c’est bon de l’être, de ne pas se prendre au sérieux.

P&S : C’est aussi très honnête comme ta musique que tu as toujours voulu très honnête.

Bill Ryder-Jones : Et puis j’adore ce pyjamas. C’est ma mère qui me l’a acheté. Le haut et le bas assortis comme un gentleman anglais. Je portais un chapeau comme à noël. J’ai 39 ans et je suis encore fan de pyjamas.

bill ryder jones
©Kevin Gombert
P&S : Tu dis que tu essaies toujours de faire des albums accessibles, que tu n’y arrives pas et qu’au final ils sont plutôt honnêtes. C’est le cas cette fois ?

Bill Ryder-Jones : Je n’ai même pas essayé de le rendre accessible cette fois. Je me rends compte que c’est une idée inutile que d’essayer ça. This can’t go on prouve ça. Il ne devait pas être un single pour la radio. Et finalement la radio l’a pris et c’est un grand pas pour moi. C’est aussi honnête que je peux l’être. Et pourtant les gens ont l’air de l’aimer plus que n’importe quel morceau que j’ai écrit. Quand on parle de suicide il faut faire très attention à ce qu’on dit, la musique a un tel pouvoir sur les gens. Je ne voudrai pas pousser les gens. Je voulais que ce soit quelque chose de doux et d’aimant sur ce qui se passe quand on perd quelqu’un de cette façon.

Bill Ryder-Jones sera en concert en France, le 28 mars à la Maroquinerie de Paris.


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Le 2 juin sortait le très attendu nouvel album de Protomartyr « Formal Growth in the Desert ».  Si le précédent opus était annoncé comme marquant une fin à Protomartyr tel qu’on le connait, ce nouveau jet signe la promesse d’un nouveau départ et flirte sur le fil du rasoir d’émotions exacerbée à coup de post punk viscéral. Entre le désert émotionnel, le vieillissement mais aussi l’envie de dénoncer une politique américaine liberticide, le groupe frappe fort et s’amuse à ajouter des références à Ennio Morricone à ses sonorités. Nous avons rencontré Joey Casey (chant) et Greg Ahee (guitariste). Avec eux nous parlons de westerns spaghettis, d’âge d’or du Hip Hop, de Covid et musique, de politique américaine, de besoin de s’unir, de grosses entreprises, des manifestations pour les retraites en France, du fait de vieillir et de rester curieux en découvertes musicales. Rencontre.

Popnshot : Comment décririez vous ce nouvel album ?

Joe Casey : C’est une bonne question parce que ça me fait me demander comment je le vendrai. On essaie d’être un groupe avec une forme d’immédiateté qui fait que les gens qui ne nous connaissent pas vont adhérer rapidement. Pourtant beaucoup de personnes qui aiment notre musique n’ont pas forcément aimé à la première écoute. Ils nous disent qu’en nous ré-écoutant, en faisant attention aux paroles, ont une forme de déclick. J’aimerai faire quelque chose qui parle immédiatement aux gens mais se révèle au bout de plusieurs écoutes. Je veux qu’on se sente excité à la première écoute mais que plus on l’écoute, plus on en découvre. On a eu ça en tête avec celui-ci. On a ajouté un vibe western country mais qui colle à ce qu’on avait déjà fait.

Greg Ahee : Dans l’esprit d’un film de western. On s’est inspiré d’Enhio Moricone, on a ajouté une touche western spaghetti. Ce que Moricone a fait, c’est qu’il est italien mais qu’il a composé pour des films qui eux ont lieu aux Etats-Unis dans l’histoire des westerns. J’aime ça, prendre quelque chose avec lequel je ne suis pas familier et y mettre ma touche. Quand j’ajoute des éléments c’est ce que j’ai en tête, je n’essaie pas d’imiter parce que je serai mauvais. La dernière fois on avait ajouté du jazz mais dans notre propre interprétation, avec respect. Et c’est pour ça que vous devez écouter l’album (rires)

Popnshot : Pourquoi vous vouliez travailler sur le thème western spaghetti ?

Greg Ahee : C’est arrivé parce qu’après ne pas avoir composé pendant le Covid on m’a demandé de composer pour des courts métrages, je n’avais jamais fait ça avant et je voulais le faire depuis longtemps. j’ai saisi cette opportunité à cause du confinement. Et j’ai voulu élever des scènes avec de la musique. Pour se faire j’ai étudié ce que faisais Moricone, cherché à comprendre sa technique. Une fois que j’ai fini ces enregistrement j’étais enthousiaste à l’idée de travailler sur un nouveau Protomartyr, j’ai voulu mettre la même intensité dans le groupe et coller à la narration de Joe. J’ai voulu élever ce qu’il allait dire. C’était une nouvelle approche rafraîchissante après  albums. Je ne veux pas faire des albums pour en faire, je veux avoir une bonne raison, des choses à dire et je veux que ce soit fun.

une fois sortis de la quarantaine, on s’est dit que les dernier albums étaient les pièce de quelque chose de complet. On s’est senti la liberté de faire un nouveau chapitre, loin de penser aux attentes.

Popnshot : A la sortie du précédent album « Ultimate Success Today », vous disiez qu’il symbolisait la fin dune époque. Vous aviez ça en tête avec ce nouvel opus ?

Joe Casey : C’est marrant avant le Covid, je faisais la promotion de cet album et je disais qu’il clôturait un chapitre. Je le disais parce qu’il y avait des morceaux qui étaient une forme d’au revoir. Et puis la pandémie est arrivée et nous ne savions pas si nous pourrions repartir en tournée un jour, si être dans un groupe avait un intérêt financier ou créatif, donc je me suis senti vraiment stupide. ça aurait pu être notre dernier album. Et puis une fois sortis de la quarantaine, on s’est dit que les dernier albums étaient les pièce de quelque chose de complet. On s’est senti la liberté de faire un nouveau chapitre, loin de penser aux attentes. On a redéfini ce qu’était être un groupe, on a pu se dire que peu importe ce qu’on allait créer, on serait libres. D’une certaine façon c’était un retour à zéro.

Protomartyr crédit Trevor Naud
Protomartyr crédit Trevor Naud
Popnshot : En parlant de liberté, vous disiez dans une interview que le hip hop était plus libre que le rock puisqu’il y a plus de demandes et donc plus d’attente sur les sorties Hip Hop. Vous le pensez encore aujourd’hui alors que le Hip Hop est à son âge d’or et que le rock revient mais doucement ?

Joe Casey : Oui puisque le Hip Hop est le mouvement dominent aujourd’hui et il le mérite. Mais j’ai le sentiment que du coup, le rock peut plus facilement s’offrir la liberté de rechercher et expérimenter ses sonorités. Les gens qui attendent le retour du rock attendent des choses identiques à ce que faisait Led Zeppelin ou d’autres groupes retros. Mais aujourd’hui on a la liberté de faire ce que l’on veut sans se préoccuper des attentes.

Popnshot : Une chose très importante dans la musique pour vous ce sont les paroles. Sur « Formal Growth In The Desert » quand vous parlez de désert, vous voulez dire désert émotionnel c’est ça ?

Joe Casey : J’ai toujours utilisé le désert comme une métaphore facile pour décrire mon état émotionnel : l’isolation. Dès le premier album et la premier morceau j’ai parlé du désert. Avant de faire l’album, avec ma fiancée nous sommes allés dans le désert de l’Arizona. Ces grandes pierres, c’est magnifique mais on s’y sent aussi minuscules. On se sent comme une poussière dans ce qui date de plusieurs milliers d’années. J’ai imaginé ce qui s’est passé pendant le Covid. Même dans le désert des choses poussent, il y a de la vie. C’est devenu une métaphore simple pour l’album qui était en train de pousser.

Popnshot : Et puis il y a la pluie en conclusion de l’album …

Joe Casey : Je suis content que ça colle parfaitement. Les émotions et les notes explosent au même moment dans une forme Technicolor où il y a de la pluie, où les choses poussent. C’est semi intentionnel. Ce n’était pas prévu. Mais ça fonctionne. Parfois les paroles s’opposent à la musique et là au contraire elles vont parfaitement ensemble.

aujourd’hui en Amérique, les choses vont trop loin. Il a beaucoup de monde qui ne peux pas se payer une maison, les syndicats revendiquent l’augmentation des salaires minimums et on ne leur donne pas.

Popnshot : Les paroles sont écrites en premier ?

Joe Casey : Non le groupe vient me trouver avec des morceaux et j’ajoute les paroles. Et je ne voudrai pas que ce soit dans le sens inverse. Peut-être un jour ce sera amusant de faire l’inverse. J’essaie de répondre aux mélodies qui me sont proposées, je me demande ce que ça me fait ressentir. Je ne pense pas à des mots précis, je pense aux émotions qui en ressortent.

Greg Ahee : Sur le dernier album on avait plus ou moins fini d’enregistrer la musique et on a enregistré le chant à la fin. Cette fois-ci on a tout fait en même temps. On était en studio pendant deux semaines. De ce fait il a fini par mettre du chant sur des morceaux qui n’étaient pas complètement terminés. Il y avait juste de la basse, de la batterie et une base de guitare. Grâce à ça, il y a eu plus d’allers-retours entre nous. J’ai pu travailler sur ce qu’il amenait dans les chansons. Enjoliver et élever l’histoire qu’il amenait.

Popnshot : Vos paroles sont toujours politisées. Cette fois vous parlez du capitalisme. Un parti pris qui correspond toujours au courants punks. Que vouliez-vous faire ressortir ?

Joe Casey : Avec les confinements et le Covid, on a vu que les gens étaient encore en train de mourir quand le gouvernement a dit qu’il fallait quand même aller travailler. C’est ce qu’est le capitalisme. Avant j’essayais d’enrober les choses, de ne pas être trop direct quand je parlais de politique, je me cachais derrière des métaphores, c’est parce que je ne me sentais pas à même de répondre intellectuellement, je peux répondre aux choses émotionnellement. Mais aujourd’hui en Amérique, les choses vont trop loin. Il a beaucoup de monde qui ne peux pas se payer une maison, les syndicats revendiquent l’augmentation des salaires minimums et on ne leur donne pas.  On voit tout ça arriver en direct, on ne peut pas le nier. Même dans l’industrie musicale, on voit arriver une nouvelle forme de travail qui sert moins les artistes et au public mais sert plus les grosses entreprises. Ils ferment les salles indépendantes par exemple, on voit tout ça arriver dans notre petite partie du Monde. Je chante sur ce qui m’affecte.

Les problèmes que l’on rencontre à Détroit sont les mêmes qu’on retrouve en Europe.

Popnshot : Tu parles de ton petit bout du Monde mais ce que tu chantes peut concerner d’autres parties du Monde. Par exemple du parles de violences policières ce qui est un énorme sujet ici en France, d’autant plus récemment suite aux manifestations pour les retraites ….

Joe Casey : C’est l’une des meilleures choses quant au fait de tourner, de pouvoir voir le Monde. Avec notre premier album, on ne pensait pas qu’on aurait cette chance. Les deux premiers albums parlent de Détroit. Eh bien, quand on tourne, on découvre l’universalité de nos problématique. Les problèmes que l’on rencontre à Détroit sont les mêmes qu’on retrouve en Europe. Sur la chanson « We know the rats » on parle de ça aussi. Pourquoi est-ce que tu as cambriolé ma maison ? Parce que tu as besoin d’argent. Et pourquoi ? Parce qu’il n’y ni travail, ni opportunités. Et même si ça parait naïf de le dire, on doit travailler ensemble pour s’occuper de ces problèmes. Et la réponse n’est pas la violence. Quand je me suis fait cambriolé chez moi, la police m’a dit que c’était de ma faute parce que je n’avais pas de flingue pour me défendre. Ils veulent qu’on soit montés les uns contre les autres. Mais en étant réalistes, il faut rester prudents. Les gens au final nous parlent beaucoup, ils nous donnent des réponses simples à des questions qui paraissent complexes. Je ne veux pas être simpliste et dire que si on s’unie tout sera réglé. On ne sait pas tout ce qui se passe en France. Mais on voit qu’ici les gens manifestent de façon plus agressives qu’aux USA et que c’est une bonne chose.

Popnshot : Tu parles aussi de vieillir sur cet album. Un sujet peu abordé. Pourquoi était-ce important pour toi ?

Joe Casey : Quand on a commencé le groupe, je me sentais trop vieux pour être dans un groupe de rock et je l’étais sûrement. Mais maintenant Greg est plus vieux que je ne l’étais quand on a commencé.  Et je me dis Mince j’étais jeune en fait, je suis vieux maintenant (rires). Je déteste cette sentimentalité poussée quand on chante des choses comme « Forever young ».  On chante ce qu’on connait alors pourquoi chanter sur la jeunesse quand on n’est plus jeunes ?  Beaucoup de gens nous ont dit aimer notre musique parce qu’elle parle de résignation ou de notre compréhension du Monde. Notre idée c’est de se dire voilà comment marche le Monde mais on peut trouver du bonheur au milieu.

Greg Ahee : Vieillir ce n’est pas si mal. Tant que tu es près à grandir.

Popnshot : Comment ça se traduit en musique ces sentiments ?

Joe Casey : Il y a toujours une forme de tristesse dans la musique que j’aime. Plus tu vieillis, plus il y a de la tristesse. Mais il y a toujours un peu d’espoir. Il doit y avoir un peu de lumière quoi qu’on fasse et qu’on crée.  Essayer d’apporter plus de joie qu’on l’a fait dans le passé c’est grandir pour moi. En dehors de la musique, j’essaie d’être moins un connard, d’accepter plus de choses. J’ai le sentiment que je jugeais beaucoup de choses avant parce qu’étant un gosse, je ne comprenais pas grand chose. Grandir c’est apprendre,  tu acceptes des choses que tu n’étais pas en capacité d’accepter ni de comprendre.

Greg Ahee : Et puis en tant que groupe qui a plus de 10 ans tu veux aussi continuer à te challenger, garder ton niveau. On doit ajouter du pouvoir à notre musique. On ne veut pas devenir un vieux groupe de rock, avoir une guitare plus simple ou des titres moyens.

Joe Casey :On veut que composer reste excitant parce qu’on va jouer ces morceaux encore et encore. On ne veut pas s’ennuyer au deuxième concert.

Greg Ahee : On veut garder l’énergie. J’ai lu un article il y a un mois ou quelque chose comme ça qui disait qu’à partir de 33 ans on ne cherche plus à découvrir des nouveautés en musique. J’ai 36 ans et je ne veux pas devenir comme ça. Et il n’y pas que ce qui vient de sortir, il y a plein de choses anciennes à découvrir. Les gens se contentent de ce qu’ils ont déjà écouté parce que ça les met à l’aise. Du coup je me force à découvrir de nouvelles choses parce que si je m’arrête je ne vois pas l’interêt d’avoir un groupe.

Popnshot : C’est triste d’arrêter d’être curieux en musique, ce serait un peu comme manger le même repas tous les jours …

Joe Casey : C’est aussi, je pense parce que les gens n’ont pas le temps de faire des découvertes parce que la vie est trop intense. Il y a du confort à se dire que ça ne va pas changer, qu’un titre sera toujours le même.  Avec le temps on voit le passé comme un moment où les choses allaient bien.

Greg Ahee : Ca ne s’applique pas au films, les gens en découvrent toujours des nouveaux. Mais on a une connexion différente à la musique, qui nous affecte différemment. De façon plus viscérale. En 2 heures de film, on ne ressent pas qu’un sentiment: les choses changent, c’est un voyage. En musique, le sentiment revient immédiatement. C’est fatiguant de faire des découvertes, mais c’est comme tout dans la vie.

Popnshot : Avec la musique on connait aussi les paroles par coeur, ce qui n’est pas le cas avec un film.

Greg Ahee : C’est un bon point. Et ça se rapproche du fait qu’aujourd’hui un album est moins important qu’une entrée en playlist. Elles sont basées sur les humeurs pas le style. On veut des mixes pour travailler ou chiller. Mais malgré tout on reste un groupe d’albums, c’est la phrase ultime en musique.

Popnshot : C’est amusant parce que j’aime finir mes interviews en demandant comment vous fait pour découvrir de nouvelles choses en musique, quelles sont vos astuces ?

Joe Casey : Même si certains ne découvrent pas de nouveautés, il y a tellement de nouveautés en musique que c’est difficile de savoir comment s’y prendre. Je n’ai pas de Spotify and co donc je compte sur mes amis pour me dire ce qui est bien. En tournant aussi dans différents pays on peut demander aux gens s’ils ont des recommandations. Parfois dans d’autres langues.

Greg Ahee : J’ai Spotify et parfois je découvre des choses via cette plateforme mais je trouve toujours ça dégoutant  parce que ça se base sur ce que j’aime mais je trouve que c’est trop structuré grosses entreprises. je me dis que ces immenses boites vole ma data.  J’essaie d’éviter ça. Du coup pour éviter ça j’écoute des radio classiques ou en ligne. Les stations locales à Détroit ont pas mal de belles choses. NTS sur internet a de très belles choses


Bar Italia crédits Simon Mercer

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