bill ryder jones
©Kevin Gombert

Ce 12 janvier sortait « Iechyd Da », un toast à la bonne santé par l’incroyable Bill Ryder-Jones. On est en janvier et l’artiste signe déjà ce qui restera, c’est certain, l’un des meilleurs albums de 2024. Comme toujours il signe un opus particulièrement honnête et à fleur de peau mais y ajoute une lumière qu’on ne lui connaissait pas. On a donc tout naturellement eu envie de discuter avec lui de cette pépite. C’est dans les locaux parisiens de son label, Domino, que l’on a pu le rencontrer autour d’une tasse de thé. Et il faut dire que le musicien / producteur n’hésite pas à dire tout ce qu’il pense, sans filtres, sans détours, pour parler à coeur ouvert de santé mentale, d’addiction, de création, de production, d’industrie musicale, du festival Pop & Psy, de ne pas aimer le live et même de ses pyjamas. Rencontre passionnante, humaine, d’une véracité rare.

P&S : Parlons de ton nouvel album, comment le décrirais-tu ?

Bill Ryder-Jones : Je ne sais pas si je suis doué par ça. Je dirai que ce sont les 4 dernières années de ma vie. Et toi comment tu le décrirais ?

P&S : Je dirai qu’il est plein de lumière et beaucoup plus optimiste que son prédécesseur.

Bill Ryder-Jones: C’est très vrai. Il aurait difficilement pu être moins optimiste que celui d’avant. Ce serait impressionnant non ?

P&S : (Rires) Clairement. Tu disais d’ailleurs que tu n’étais pas capable d’écrire des chansons joyeuses quand tu parlais du précédent. Ca a changé sur celui-ci ?

Bill Ryder-Jones : Je dirai que la musique est plus empreinte d’espoir. Je ne pense pas qu’elle parle de joie ou d’être joyeux. Etait-ce vraiment une décision consciente de la rendre plus lumineux ? De parler de beaux gros moments qui te font avancer ? Oui c’était vraiment ma décision.

Quand je joue sur scène mes anciennes compos ça entretient un putain de malheur

P&S : Ca vient de ce qui t’arrivait dans la vie ou était-ce la musique que tu voulais faire ?

Bill Ryder-Jones : J’ai aimé le faire mais ça ne me représente pas vraiment. J’ai pensé que ce serait simple et intéressant à jouer en live. Quand je joue sur scène mes anciennes compos ça entretient un putain de malheur. Je faisais un album avec un musicien de Liverpool, je le produisais et il avait tellement de grands moments, de beaux moments avec de grands moments de cordes et je me disais c’est la musique que j’aime, pourquoi je n’en fais pas ? Je me suis senti super con. Je pourrai faire de la musique qui me rend heureux et qui combat le malheur. Faire de la musique pleine d’espoir.

P&S : C’est pour ça qu’on entend des chants d’enfants sur l’album ? Le rendre encore plus joyeux ?

Bill Ryder-Jones : Oui, tu peux pas entendre un gosse chanter sans sourire. C’est un son heureux. Ce ne sont pas juste les instruments mais les choix qu’on fait. Et leurs voix répondent à cette envie plus que certains instruments.

P&S : C’est aussi, comme tu le disais, l’album le plus produit que tu as fait. En tant que producteur, qu’est-ce que ça a signifié pour toi ?

Bill Ryder-Jones : Il y a beaucoup plus d’informations et d’instruments sur cet album. Il y a des morceaux qui n’ont pas de vrais couplets juste 3 sections, c’est très différent de celui d’avant. Je travaillais sur mes chansons toute la journée, les écoutais le soir, prenais des notes, rentrais chez moi j’écrivais encore plus. Il y a beaucoup d’edits sur chaque chanson. Tout a été ré-écrit plusieurs fois, les rythmiques par exemple. La production est la majorité de l’album. L’écriture a pris du temps mais n’a pas été difficile. Je me suis senti beaucoup à l’aise à le produire. Et c’est aussi l’album qui m’a pris le plus de temps.

D’autres fois tu te dis « Putain je déteste la musique, je veux me mettre au lit et jouer sur ma Playstation. »

P&S : Tu as pris combien de temps sur l’écriture ?

Bill Ryder-Jones : Comme beaucoup de gens avec le covid, je ne sais pas où est passé le temps. Je n’en ai pas la moindre putain d’idée. Je sais que j’ai écrit trois chansons pendant la première semaine du confinement. J’en ai écrit sur mon ex, et puis on a rompu alors je ne voulais pas sortir l’album parce que beaucoup de morceaux étaient à son sujet. J’ai écrit sur d’autres choses et puis on s’est remis ensemble. J’en ai écrit d’autres sur elle. Et puis finalement on a vraiment rompu. J’ai fait une dépression et j’ai dû prendre du temps loin du travail. Je ne saurai pas dire quand ces différents moments ont eu lieu. C’est ce que je fais, j’écris quelques morceaux, je laisse passer le temps. Puis le reste du temps, j’essaie de finir des choses qui je sais, ne seront pas assez bonnes, mais j’essaie de rester dans le processus. Mais bout à bout ça a dû prendre 2 ou 3 ans. Période pendant laquelle j’ai produit des albums pour d’autres. Quand tu produits pour les autres, à un moment donné tu veux aller en studio pour toi-même. Et d’autres fois tu te dis « Putain je déteste la musique, je veux me mettre au lit et jouer sur ma Playstation. » Donc ça prend du temps.

P&S : Le premier single de l’album était « This Can’t Go On », un morceau excellent, que j’ai adoré. Quelle est son histoire ?

Bill Ryder-Jones : Merci ! C’était après une très grosse dispute avec mon ex partenaire durant, je crois, le second confinement. Il parle de mes crises de panique et de comment je gère mes flashbacks émotionnels. Mon agoraphobie s’était empiré, j’étais devenu dépendant du Valium et je buvais beaucoup trop. Je suis allé marcher derrière ma maison. Il était 4 heures du matin et j’ai dû sortir de ma maison parce que les choses étaient si horribles, je n’en pouvais plus. J’étais au bord de la falaise à me demander ce qui était en train de se putain de passer, ce qu’était ma vie, comment j’en étais arrivé là. Et en parlant aux gens, en écoutant des conseils, il m’ont dit ‘tu devrais sortir plus tu sais ‘ (rires). Mais je suis agoraphobe … Les gens bien intentionnés te disent des choses parfois. Genre ‘ tu devrais faire du sport’ ‘ tu devrais moins boire tu sais …’ ‘prends l’air frais, bois de l’eau’ … toutes ces choses qui évidemment aident, mais qui sont impossibles à atteindre pour certaines personnes.

La musique est le grand guérisseur de ma vie.

P&S : Justement tu parles beaucoup de santé mentale. Beaucoup de gens ont dit que ça les a aidé de te voir en parler aussi honnêtement. Comment penses-tu que la musique aide et inspire les gens en détresse ?

Bill Ryder-Jones : On sait tous que la musique aide. La musique est le grand guérisseur de ma vie. Du moins elle fait quelque chose d’identifiable, elle te calme et te fait penser que tu as ta place ici. Elle m’aide moi donc je pense qu’elle aide d’autres personnes. C’est pour ça que c’est difficile de ne pas éprouver de la haine pour d’autres musiciens qui ne sont pas de bons modèles. Qui prennent par exemple de la cocaïne et qui amusent les gens avec ça. Qui ils aident putain ? Ils doivent aider certaines personnes.

Les gens qui font de la musique sont souvent assez dérangés tu sais…

P&S : On parle de plus en plus de santé mentale dans l’industrie de la musique, c’est du moins vrai en France et j’imagine aussi pour vous. Depuis tes débuts, est-ce que tu vois que ce dialogue a vraiment changé les choses ?

Bill Ryder-Jones : Oui. J’ai commencé quand j’avais 16 ans en 2000. Et mes problèmes ont commencé en 2004. Ca ne change pas assez vite. Je pense qu’il n’y a pas assez de personnes dans l’industrie qui en ont vraiment quelque chose à foutre. Ceux qui en ont quelque chose à foutre de la santé mentale sont ceux qui ne sont pas au sommet du succès. Genre si tu vis de la musique mais tu n’es pas vraiment de l’industrie. Les gros labels font semblant que ça les intéresse mais c’est probablement faux. Le bon boulot est fait par des associations. C’est toujours vraiment affreux ce qui se passe dans l’industrie. Mais les choses s’améliorent grâce à une conscience sociale qui est une réflexion du monde extérieur. Et ça a besoin d’aller encore mieux. L’industrie ne sera jamais entièrement vidée des problèmes de santé mentale et de personnes qui ne peuvent pas s’aider elles-mêmes. Les gens qui font de la musique sont souvent assez dérangés tu sais (rires). Ces gens ne peuvent pas et ne seront pas aidés mais on ne peut pas toujours blâmer l’industrie pour ça. Mais oui on sent le changement.

P&S : En France on a même un festival dédié à ce sujet. Il s’appelle Pop & Psy. Vous avez ce genre d’initiatives au Royaume-Unis ?

Bill Ryder-Jones : C’est génial. Je ne suis pas toujours très au courant de ce qui se passe mais j’imagine honnêtement que si on avait ce genre de choses en Angleterre, on m’appellerait pour y jouer (rires). Mais c’est une bonne chose que ça existe ici. Les personnes plus jeunes avec lesquelles je travaille on l’air de mieux accepter leurs problèmes. Ils les comprennent plus tôt.

P&S : Le titre de ton album parle d’aller mieux d’ailleurs …

Bill Ryder-Jones : Ca veut dire bonne santé. C’est un toast à la bonne santé si on le traduit bien. Pour quand tu bois un verre. J’aime la manière dont ça sonne quand on le dit. C’est sûrement la phrase que je dis le plus. L’album n’a pas de thème central autre que l’espoir. Je ne voulais pas l’appeler « Espoir » parce que c’est de la merde (rires) mais c’est une bonne façon de dire la même chose. J’allais beaucoup au Pays-de-Galle quand j’étais gosse, c’est tout à côté, ça ressemble beaucoup à là d’où je viens mais la langue est complètement différente, sonne si différemment. Le titre m’est venu très tôt tout comme la pochette, quelques mois avant le mixe. Je savais l’identité que je voulais donner à l’album. Mais pas ce qui donnerait de l’intérêt aux gens. C’est à ça que sert le titre selon moi.

P&S : En parlant de là où tu viens, tu parles aussi de la mer sur l’album qui fait partie intégrante de là où tu viens.

Bill Ryder-Jones : C’est vrai. Mais ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux de James Joyce. Ils allaient très bien sur le morceau que j’ai composé. Je faisais beaucoup plus de références à la mer sur mes anciens albums.

Je n’écris pas sur ce qui se passe dans le Monde, juste sur la mer.

P&S : Tu en as beaucoup écris dessus ?

Bill Ryder-Jones : Oui je suis juste paresseux. Je n’ai qu’à regarder par la fenêtre et la mer est partout. Je n’écris pas sur ce qui se passe dans le Monde, juste sur la mer.

P&S : Et comment tu te sens de jouer cet album sur scène ?

Bill Ryder-Jones : Plus excité que je ne l’ai jamais été. C’est plus calme dans le sens, il y a mois de grosses guitares, j’ai une violoniste avec moi. Et c’est super. J’ai vu d’anciennes performances à moi sur Instagram et je me sens mauvais j’en fais trop. Là je vais pouvoir être plus calme et je préfère ces morceaux. Et je pense que les gens les aime. Je n’ai jamais adoré le live mais c’est la meilleure façon d’en faire.

C’est là où est l’argent, pour l’instant le concert donc il faut bien en faire.

P&S : Tu as dit que tu n’aimes pas les gros concerts sauf si tu ne joues pas pour toi-même.

Bill Ryder-Jones : Je ne les aime jamais. J’ai joué à Londres et fais un Q&A, il y avait 40 personnes et j’avais quand même peur. C’est là où est l’argent, pour l’instant le concert donc il faut bien en faire.

P&S : Tu préfères créer la musique que de tourner pour la jouer ?

Bill Ryder-Jones : Oui enfin je peux tenir 15 jours, 20 jours. Enfin c’est quand même horrible (rires)

P&S : D’ailleurs en parlant promo, les photos que tu as mis pour annoncer ta tournée sur Instagram sont prises dans ta chambre. C’est pour dire que c’est de la bedroom pop ?

Bill Ryder-Jones : Ho oui elles (rires). Je passe beaucoup de temps au lit, c’est un bon endroit pour écrire. J’ai oublié que le photographe devait venir à vrai dire. ( rires) Je sais pas pourquoi je lui ai dis de venir à 11 heures 30 alors que je ne me lève jamais avant midi donc je l’ai laissé entrer. J’ai juste enfilé un truc rapidement. Je suis content du rendu parce que j’ai souvent la flemme de faire ce genre de choses. Et là, ça a ce côté un peu amusant et c’est bon de l’être, de ne pas se prendre au sérieux.

P&S : C’est aussi très honnête comme ta musique que tu as toujours voulu très honnête.

Bill Ryder-Jones : Et puis j’adore ce pyjamas. C’est ma mère qui me l’a acheté. Le haut et le bas assortis comme un gentleman anglais. Je portais un chapeau comme à noël. J’ai 39 ans et je suis encore fan de pyjamas.

bill ryder jones
©Kevin Gombert
P&S : Tu dis que tu essaies toujours de faire des albums accessibles, que tu n’y arrives pas et qu’au final ils sont plutôt honnêtes. C’est le cas cette fois ?

Bill Ryder-Jones : Je n’ai même pas essayé de le rendre accessible cette fois. Je me rends compte que c’est une idée inutile que d’essayer ça. This can’t go on prouve ça. Il ne devait pas être un single pour la radio. Et finalement la radio l’a pris et c’est un grand pas pour moi. C’est aussi honnête que je peux l’être. Et pourtant les gens ont l’air de l’aimer plus que n’importe quel morceau que j’ai écrit. Quand on parle de suicide il faut faire très attention à ce qu’on dit, la musique a un tel pouvoir sur les gens. Je ne voudrai pas pousser les gens. Je voulais que ce soit quelque chose de doux et d’aimant sur ce qui se passe quand on perd quelqu’un de cette façon.

Bill Ryder-Jones sera en concert en France, le 28 mars à la Maroquinerie de Paris.


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