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Léonard Pottier

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Le nouvel album de Rosalía a déjà fait le tour du monde et reçu une floppée d’éloges saluant son audace et sa grandeur. Numéro 1 partout. En un temps record, tout le monde criait déjà au génie, certains allant même jusqu’à parler de révolution pop. Aujourd’hui, nous arrivons un peu après l’euphorie générale, 11 minutos tarde, mais non moins excités par cette œuvre majeure de 2025, et nous souhaitions en remettre une couche si vous le voulez bien. Alors, LUX, révolution ?

Rosalía
Rosalía

Déjà en 2022, soit il y a 3 ans, le nom de Rosalía était sur toutes les lèvres et sa musique dans toutes les oreilles, avec l’album MOTOMAMI, bijou de pop moderne aux mélanges de flamenco, salsa, hip-hop, soul, reggaeton… La chanteuse espagnole déjà au sommet. Une star mondiale. Comment revenir sur le devant de la scène en marquant le coup ? s’est-elle très certainement posé la question. En allant chercher ailleurs, s’est-elle très certainement dit. Et voilà qu’en cette fin d’année, ce fut l’heure de cette renaissance. Rosalía transformée en sainte, accompagnée d’un orchestre, et chantant en 10 langues différentes. Dit comme ça, on aurait tendance à penser que c’est un moove de prouveuse. Et c’est d’ailleurs ce que nous nous sommes dit, notamment à la sortie du premier single « Berghain » qui, pris individuellement, n’a pas été tant un choc, malgré l’artillerie lourd déployée. C’est seulement plus tard qu’il nous ait apparu, inscrit dans un ensemble.

 

Une approche qui interroge Rosalía

Mais d’abord, avant d’être convaincus, et nous allons y venir, une interrogation cruciale : qu’est-ce que tout le monde a avec les orchestres symphoniques ? Comme si c’était une étape obligatoire pour « augmenter » sa musique via une approche maximaliste… Comme si, presque en opposition avec une précédente identité plus populaire, il fallait à tout prix redonner vie à la musique, la rendre plus humaine, plus chaleureuse. C’est en tout cas ce qu’affirmait Daft Punk en 2013 sans même aller jusqu’à l’orchestre. Or, cette pensée cache un sous texte : il y est question de rendre une musique populaire plus appréciable par les classes aisées. La rendre donc plus « savante », si l’on s’en tient à cette opposition historique entre musique savante et musique populaire. Alors, lorsqu’on apprend que Guy-Manuel de Homem-Christo, une moitié de Daft Punk, aurait coproduit des titres de LUX, on espère que cette vision a évolué et qu’elle ne s’applique pas à Rosalía. Car les artistes ont évidemment le droit et le loisir d’être attirés par une démarche plus « humaine », comme ils aiment à l’appeler, sans tenter de l’opposer à leur passé pour mettre de l’ombre sur ce dernier.

A contrario, on peut aussi penser différemment et se dire : il ne s’agirait pas tant pour l’artiste de trahir son identité populaire, mais plutôt d’utiliser simplement une forme associée à la musique savante pour justement y incorporer cette identité intacte. Et d’ailleurs, en ce sens, certains férus de musique classique reprocheraient à LUX de trop simplifier cette dernière, de lui enlever sa complexité, ses variations, son « aura »… C’est bien que sa musique continue de s’adresser à un public hyper large sans chercher à atteindre forcément des classes plus élevées. Les chiffres vont d’ailleurs dans ce sens. En touchant autant de personnes, de fait, elle reste dans une certaine approche populaire qui rend son album encore plus surprenant.

ROSALÍA - Berghain (Official Video) feat. Björk & Yves Tumor

 

Peur de rien ! Rosalía

Rentrons maintenant dans le vif du sujet. Car au-delà des interrogations qu’il soulève sur sa démarche, LUX a aussi été pour nous une sacré claque. Et oui, quelle œuvre riche, complexe, puissante. Son écoute constitue un labyrinthe émotionnel jouissif, d’une incroyable accessibilité. Rosalía flex, et le fait avec brio. Musique baroque, opéra allemand, chant lyrique… Jusqu’où peut-elle aller ? Rien ne semble être une barrière. Le plus étonnant étant la cohérence d’ensemble. Le tout s’enchaine magnifiquement, sans même se rendre compte des performances dingues de l’artiste. C’est toute la force de LUX, de combiner une multitude d’éléments divers en une entité compréhensible, logique, fascinante, qui jamais ne tombe dans l’effet inutilement.

 

Une valse grandiose Rosalía

Tout est parfaitement maitrisé, d’une folle précision. Et quand vient « Berghain » par exemple, qui ne nous avait pas tant marqué en tant que single, là, à ce moment précis dans l’album, le morceau prend tout son sens, par son entrée majestueuse. Il faut dire qu’il arrive après le sublime « Mio Cristo Piange Diamanti » et que l’enchainement des deux relève de la perfection. Varier les ambiances, les rythmes et les manières de chanter, est une des forces implacables de LUX. Parfois, comme sur les géniaux « De Madrugà » et « Dios Es Un Stalker », Rosalía met un temps de côté le lyrisme pour mieux retrouver son identité pop, avant de refaire un pas en arrière (ou en avant ?) comme prise dans une valse avec elle-même sur le morceau d’après, l’incroyable « La Yugular » dans lequel elle prend son temps jusqu’à un final grandiose. LUX est en mouvement constant, dans une avancée rotative hypnotisante. Ses sons électroniques au service du classique le rendent tout particulièrement moderne, sans aller jusqu’à parler de révolution. Björk est passée par là avant, et Rosalía le sait, puisqu’elle la convie sur l’album, comme pour lui rendre hommage et la remercier. Le choc de leurs deux voix sur « Berghain », toutes deux organiques, mais l’une plus texturée et âpres que l’autre, est une merveille.

 

Histoires de femmes religieuses Rosalía

LUX est aussi un hommage à plusieurs femmes, figures saintes associés à la religion comme Santa Rosa de Lima (« Reliquia ») ou encore Ryonen Genso (« Porcelana »), une moine bouddhiste japonaise. Rosalía met en avant leurs histoires, dans la langue d’origine de ces femmes, sans se les approprier, mais en faisant un parallèle avec ses propres expériences. D’où le fait qu’elle se mette en scène en tenue religieuse sur cette magnifique cover.

Avec cet album, l’artiste espagnole signe donc l’œuvre musicale la plus écoutée et saluée de l’année 2025, provoquant l’excitation générale. C’est la preuve qu’elle est parvenue à satisfaire ses fans inconditionnels tout en arrivant à atteindre un nouveau public. Et, de prime, faire rager les puristes de musique classique. On trouve ça magnifique. On ne peut qu’applaudir.

 

Rosalía - LUX
Rosalía – LUX

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Nous avons rencontré dans un bar proche des Balades Sonores où ils jouaient le soir même, Merrill Garbus et Nate Brener qui composent le duo américain Tune Yards, actif depuis plus de 20 ans. Les deux sont à l’origine d’une musique home-made faite de collages et de boucles rythmiques. Ils viennent de publier « Better Dreaming », leur sixième album studio, un concentré de ce qu’ils savent faire le mieux, transcendant, énergisant et surtout arme de rébellion contre un monde et une Amérique de plus en plus injustes et liberticides.

Tune Yards - @Shervin Lainez
Tune Yards – @Shervin Lainez

Pop & Shot : Comment est-ce que vous vous sentez juste avant la parution de ce nouvel album ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je me sens excitée, et nerveuse à la fois. Parce qu’on est actuellement dans une période très trouble, partout dans le monde et spécialement dans notre pays. Nate m’a dit ce matin : beaucoup de choses peuvent advenir en un mois. Nerveuse par rapport à ça donc, mais heureuse de la musique et de l’album qu’on s’apprête à publier.

Ca fait aussi sens que l’on soit nerveux parce que notre précédent disque est sorti durant la pandémie, une période difficile pour les musiciens qui ont fait paraitre des albums à ce moment-là. Ca fait un peu égoïste à dire mais il y a cette peur que le monde se mette en travers de notre album, tu vois ? Mais c’est notre travail donc on espère que l’on ne sera pas trop perturbés, dans une période pleine de perturbations justement.

Pop & Shot : Vous habitez toujours aux Etats-Unis ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Oui, en Californie.

Pop & Shot : Avant d’évoquer de ce qu’il se passe là-bas, parlons d’abord de musique. Vous en faites depuis une vingtaine d’années et votre approche est toujours restée la même. Une démarche qui relève du collage, avec des boucles rythmiques et une grande liberté dans la voix. C’est important pour vous de garder cet aspect fait-maison ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je crois que oui. Avec le temps, on s’est améliorés sur bien des aspects. Musicalement notamment…

Nate Brenner – Tune Yards : On est revenus là à certains des sons originaux du groupe. On a évolué d’années en années pour aujourd’hui revenir à la source de cette démarche de collage sonore. Sons DIY. Les précédents albums étaient plus produits. On a bouclé la boucle. Retour à la case départ.

Pop & Shot : Vous êtes aussi revenus à une formule en duo.

Merrill Garbus – Tune Yards : Pour cette tournée, oui, majoritairement.

Nate Brenner – Tune Yards : Mais il y a des invités sur l’album. Des amis à nous. Le guitariste du groupe Phish notamment, qui s’appelle Tray Anastasio.

Pop & Shot : Il y aussi votre fils de trois ans qui apparait sur un morceau.

Merrill Garbus – Tune Yards : A l’époque du premier album, j’étais aussi nounou. Je baby-sittais des enfants en bas-âge et j’aimais le collage de la vraie vie et de la musique. Qu’il y ait presque pas de séparation entre ces deux mondes. Aujourd’hui, étant donné que notre fils est le cœur notre vie, on a voulu lui laisser une place sur l’album. Et lui était excité de prendre le micro. Il était très impliqué. Il a écouté toutes les versions des chansons, en les jugeant ! *rires*

Pop & Shot : L’album est hyper dynamique et émotionnellement puissant. Quel a été le point de départ ?

Merrill Garbus – Tune Yards : D’abord à cause d’une deadline personnelle qu’on s’était fixés : il était temps de faire un nouvel album. Notre enfant venait de naitre…

Nate Brenner – Tune Yards : … et pourquoi on s’était fixés cette deadline ? tu ne l’as pas dit.

Merrill Garbus – Tune Yards : Parce qu’on avait besoin d’argent ? *rires*

Nate Brenner – Tune Yards : Voilà ! Après la pandémie et l’arrêt de nos concerts depuis cinq ans.

Merrill Garbus – Tune Yards : Notre compte bancaire diminuait drastiquement. Et puis c’est notre travail ! Et je dis ça dans le bon sens du terme. On a quand même fait entre temps de la musique pour une émission télé. On composait donc pour le projet d’une autre personne, le réalisateur Boots Riley, avec qui on travaille encore sur un film actuellement. J’ai eu envie de réécrire des chansons pour moi après cette expérience.

Pop & Shot : Où est-ce que vous avez enregistré ce nouvel album ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Majoritairement dans notre studio, à Oakland. On loue un espace là-bas dans lequel on a accumulé au fur et à mesure des années beaucoup de matériel.

Pop & Shot : Cet album, peut-être encore plus que les précédents, renvoie une énergie assez joyeuse et parfois très dansante. Est-ce votre principal moyen d’expression et de combat ? Par la célébration, la vitalité et la solidarité ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je ne saurais pas comment faire autrement ! *rires* Mais le verbe « combattre » (fighting en anglais) a quelque chose de négatif je crois. Il s’agit plutôt de donner aux gens une vision joyeuse du future. C’est ça qui est puissant et que je souhaite transmettre : regardez, on peut être là ! Continuez comme ça ! Il est nécessaire de lutter dans les temps actuels mais il est aussi nécessaire de rendre ça attractif.

Pop & Shot : Vous êtes plutôt optimiste ou pessimiste en général ?

Nate Brenner – Tune Yards : Je suis optimiste sur le long terme et pas du tout sur le court terme. On affronte des temps très difficiles actuellement. Peut-être que l’homo sapiens va évoluer sur une nouvelle espèce. L’état actuel de l’humanité, le système actuel, ne fonctionnent clairement pas. On est devenus trop avancés, au niveau de la technologie notamment, au point de s’auto détruire. On doit trouver une balance.

Merrill Garbus – Tune Yards : Ca ne sonne pas vraiment optimiste ce que tu dis ! *rires*

Nate Brenner – Tune Yards : Non c’est vrai *rires*. Mais je pense qu’on arrivera à quelque chose un jour.

Merrill Garbus – Tune Yards : Je pense souvent aux artistes qui créent durant des périodes de guerre. La musique du Congo par exemple, est l’une des musiques les plus belles, joyeuses et dansantes. C’est des exemples comme ça qui donnent de l’espoir.

Pop & Shot : La chanson « Better Dreaming », qui donne son nom à l’album, se démarque des autres par un côté beaucoup plus calme et posé. Comment vous est-elle venue ?

Merrill Garbus – Tune Yards : En Amérique, on a cette idée du rêve américain, qui te fait croire que si tu travailles d’arrache pied, en tant qu’individu, tu grimperas les échelons et tu obtiendras ce que tu veux. Mais comme Nate l’a dit, ce modèle ne fonctionne clairement pas. L’idée de « Better Dreaming » est que nous devons changer ce rêve pour arranger les problèmes qui découlent de ce rêve. Ca fait sens ? Et on a choisi ce nom pour l’album parce qu’il a plusieurs significations, pas seulement en lien avec le rêve américain. On laisse aux personnes choisir leur interprétation.

 

Pop & Shot : La voix a une place importante dans les compositions, hyper malléable. C’est par exemple marquant sur le morceau « See You there ». Comment vous travaillez cet élément et de quelle manière elle trouve sa place dans les compositions ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Je travaille beaucoup sur ma voix oui. C’est mon principal instrument. Je démarre toujours avec quelque chose, souvent un tempo par exemple, puis très rapidement je commence à chanter dessus. Sur « See You there », c’était justement intéressant vu que c’est quasiment un morceau a capella. Ca m’a permis de me focaliser sur ma voix.

Nate Brenner – Tune Yards : Selon moi, ce qui rend Merrill si unique et incroyable, c’est effectivement sa capacité à chanter de pleins de manières différentes, aussi bien douces que puissantes. On ne peut pas en avoir marre de sa voix tellement elle ne cesse de changer.

Pop & Shot : Vous évoquez dans l’album un besoin pour le monde en général, pour les individus, de savoir rester concentrés au sein d’une ère de distraction. Est-ce un des principaux problèmes de notre monde moderne ?

Merrill Garbus – Tune Yards : On a choisi de livrer nos vies à des grosses entreprises de tech parce qu’elles nous facilitent le quotidien. Et on persiste encore et toujours dans ce choix. En échange, ils nous volent notre attention. On est constamment dans un rapport de transaction : « je te donne mon attention si tu me donnes mon taxi quand je veux. ». On peut en sortir mais c’est compliqué. Je suis aussi là-dedans malheureusement.

Pop & Shot : La situation politique aux Etats-Unis vous fait peur ? Comment les gens réagissent ?

Merrill Garbus – Tune Yards : Oh regarde Nate, un camion poubelle français ! Notre fils adore les camions poubelles *elle prend une photo* yeaaaaaaaah *rires*

Pop & Shot : C’est dans le thème *rires*

Merrill Garbus – Tune Yards : Il y a plusieurs mouvements de mobilisation pour protester contre ce qu’il se passe. C’est très pernicieux. Ce qui m’effraie le plus, c’est qu’il n’y ait plus d’élections dans le futur. Ils travaillent vraiment là-dessus. Mais encore une fois, on en revient à cette question des transactions que j’évoquais tout à l’heure : on adore Amazon, on adore Meta, on adore ces gens qui veulent nous contrôler… La résistance doit donc se faire à l’encontre de cette nouvelle administration politique, mais aussi contre notre propre participation à ce système. Cela passe par repenser la manière dont nous voulons vivre, et quelles transactions on est prêts à abandonner.


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La jeune chanteuse et compositrice britannique Joséphine (Jojo) Orme, sous le nom d’Heartworms, vient de sortir un premier album fascinant, où se déchire à l’intérieur un rock machine combiné à une pop obscure et magnétique. On vous dit pourquoi on en est tombés amoureux.

heartworms
Joséphine Orme alias Heartworms – Credit: Camille Alexander

 

Noir Noir Noir (& blanc)

Heatworms Glutton for Punishment
Heartworms – album « Glutton for Punishment »

Glutton for Punishment. De but en blanc, on vous accorde que le titre de l’album a quelque chose d’un peu repoussant. Encore plus si on le fait suivre du nom de scène qu’a choisi Jojo Orme pour se révéler : Heartworms, en référence au verre du cœur, une maladie qui touche principalement nos pauvres amis les chiens.

Les deux ensemble – album + nom de scène – ouvrent un espace noir où chaque mot, chaque syllabe, chaque particule sonne bizarre, glauque, laid. Autant dire que la musique derrière ne s’annonce pas de très bonne humeur. Léger coup d’œil à la cover avant de se lancer, et c’est encore plus sombre que ce qu’on craignait : peinture abstraite de blanc sur fond noir torturé. Pareil avec les clips et l’identité visuelle globale : absolument tout est en noir et blanc. Zéro particule de couleur. Il n’y a plus qu’à…

 

Premier contact difficile avec l’univers heartworms

Les indices ne trompaient pas, Glutton for Punishment est dark comme il se doit. Il faut s’accrocher pour briser la glace, du fait de sa production lourde et menaçante, quelque peu rebutante. Derrière ce voile pourtant se nichent des morceaux de taille, superbement écrits, terriblement addictifs. Passé la première barrière, l’album fait son effet, commence à nous ronger de l’intérieur, d’abord le cerveau pour ensuite s’en prendre à notre corps qui finit par gesticuler involontairement au rythme de ce rock bizarroïde situé entre Interpol, PJ Harvey et Nine Inch Nails. Interpol pour son pop rock, PJ Harvey par la profondeur de sa voix lancinante, et Nine Inch Nails pour son aspect industriel.

 

Sortez l’artillerie lourde !

Après une courte intro atmosphérique, l’album s’ouvre sur le morceau « Just to Ask a Dance », parfaite entrée en matière dans laquelle l’art de la chanteuse se déploie en grande pompe. D’abord dans une rythmique militaire aux violons possédés, ensuite au travers de son chant transperçant, puis enfin dans l’explosion sonore finale. Puissant, enivrant, maitrisé. Une première claque. Et Heartworms n’en a pas terminé, loin de là.

Un bon équilibre

Ce qui est bien avec les albums de neuf morceaux, c’est que la plupart du temps, il n’y a pas grand-chose à jeter, ni même une chose un peu en dessous d’une autre. Les 37 minutes qui composent Glutton for Punishment sont en ce sens très bien construites. L’enchainement des morceaux à intensité variable nous fait très vite arriver au bout avec un sentiment d’épanouissement, surtout après la pièce finale où la chanteuse reprend de manière bien plus subtile la mélodie et les paroles du premier morceau bourrin. Magique.

 

Force de composition

Au-delà de l’aspect sonore rugueux et obscur, auquel on finit par s’accrocher, et qui nous donne l’impression de marcher aux côtés des bestioles mécaniques du jeu Horizon au sein de l’univers apocalyptique de the Last of Us (shoutout à tous les amoureux de la playstation), les morceaux brillent avant tout par leur force de composition, avec des instants d’une puissance folle comme sur « Warplane » et « Smugglers Adventure », deux grandes pièces hypnotisantes. A côté d’elle, des morceaux plus légers placés au milieu, mais non moins géniaux : « Mad Catch », le morceau le plus pop et catchy, et « Extraordinary Wings », balade obscure entêtante.

Glutton for Punishment n’est donc pas si noir après tout. Si l’on y trouve la porte d’entrée, bien que ce soit celle de la cave, on pénètre un monde singulier, sensible, sublime, qui utilise un rock métallique comme moyen d’expression brut. Il y a peu de couleurs, certes, ni d’espoir, mais Heartworms trouve quand même, en dépit ou grâce à cela d’ailleurs – cela dépend de votre sensibilité personnelle – le moyen de nous séduire par la force de son talent.


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Sylvie Kreusch a probablement sorti le meilleur album de cette fin d’année. A l’origine d’une pop délicate, enchantée, dansante et surtout abreuvée par une potion magique dont elle seule a la recette, la chanteuse belge était de passage à Paris la semaine dernière pour défendre ce nouvel opus intitulé « Comic Trip » sur la scène de la Maroquinerie (report disponible ici). Nous avons saisi l’occasion pour lui poser quelques questions qui nous préoccupaient : comment cet album peut-il être si merveilleux ? Quel est son secret pour être si magnétique et charismatique ? Et a t-elle vu le film « Velvet Goldmine » de Todd Haynes ? Vous trouverez dans cet article les réponses à toutes ces interrogations qui, nous sommes sûrs, vous taraudent également  !

Sylvie Kreusch – Crédit : Eloïse Labarbe-Lafon

Pop & Shot : Pouvez-vous nous présenter ce nouvel album en trois ou quatre mots ?

Sylvie Kreusch : Je dirais d’abord qu’il est très ludique et coloré. Je pense qu’il est aussi audacieux en un sens. Et puis d’inspiration western… Ca fait quatre mots là non ? *rires* Si vous avez un autre mot en tête, n’hésitez pas à l’ajouter !

Pop & Shot : Il y a une certaine évidence dans ce disque qui, de bout en bout, est merveilleusement composé, écrit et arrangé. Cela donne l’impression que la direction artistique était claire depuis le début, que vous saviez exactement où vous vouliez aller, mais était ce vraiment le cas ?

Sylvie Kreusch : Ca ne l’est jamais. Je ne sais jamais ce que je vais faire avant de l’avoir fait. C’est seulement à la fin du processus que tout s’éclaircit. Je trouve ça difficile d’arriver avec un concept, ou alors si tu en as un, de vraiment se lancer dedans. Parce que l’ensemble de la réalisation d’un album prend tellement de temps qu’il est certain que si j’ai un concept, il n’arrêtera pas de bouger en cours de route. Les choses évoluent si vite.

Pop & Shot : Est ce qu’il y a eu un élément déclencheur ? Qu’est-ce qui est venu en premier ?

Sylvie Kreusch : La seule chose que je savais, c’est que je voulais faire quelque chose de très positif.

Après Montbray (son premier album sorti en 2021), je me suis dit ras le bol des ruptures et des chagrins d’amour. Je voulais être amusante, ou plutôt que l’expérience soit amusante, à l’inverse de ce premier album où il était beaucoup question de moi pleurant dans ma chambre, seule et en colère *rires*

Puis j’ai été inspiré par le morceau « Walk Walk », figurant sur mon album précédent, qui m’a donné l’envie de prendre une nouvelle direction pour ce deuxième opus. Les premières chansons sont apparues quand nous sommes venus en France avec mon guitariste, on est restés deux ou trois semaines et on a écrit énormément. C’est un peu là que tout a commencé.

Pop & Shot : Vous étiez dans un état d’esprit plus enjoué.

Sylvie Kreusch : Oui mais paradoxalement, ca a été plus compliqué pour moi, du fait de cela. Ca a pris du temps pour savoir quoi faire.

Pop & Shot : Ca vous a pris combien de temps ?

Sylvie Kreusch : Ca m’a pris du temps de me remettre dans le processus d’écriture parce que c’est une compétence que tu peux perdre si tu es trop occupée par la tournée par exemple. C’est quelque chose qui revient progressivement et que tu dois aller chercher à nouveau. Cette étape a pris une année. Puis quand je fus de nouveau sur les rails, les chansons sont venues rapidement. Je les ai écrites en quelques mois.

Pop & Shot : Dans votre travail, quelle est la part de spontané et de délibéré ?

Sylvie Kreusch : J’aimerais pouvoir écrire sur les tournées mais je n’y arrive pas. J’ai vraiment besoin de m’ennuyer. Ca m’aide toujours de me rapprocher de la nature. Je ne suis pas du genre à devoir vivre en ville pour ressentir les choses. Je suis très vite submergée puisque trop stimulée. Impossible de m’entendre penser dans cette atmosphère oppressante. C’est pour cette raison que j’ai déménagé proche de la nature, avec un grand jardin. M’ennuyer, c’est le remède ! Dès lors que l’ennui arrive, je dois écrire sinon je deviens très anxieuse.

Pop & Shot :  Cela se ressent dans votre style de pop, hyper élégant et relativement calme, à l’inverse d’un style que l’on aime de plus en plus pousser dans ses extrêmes depuis quelques années avec des sonorités toujours plus brutes – je pense à Charlie XCX notamment, devenue une véritable icône – c’est important pour vous de garder cet aspect plus tranquille ? Et je tiens à préciser que j’adore votre musique autant que celle de Charlie XCX !

Sylvie Kreusch : Je peux trouver du plaisir à écouter Charlie XCX également ! Mais c’est la première chose que j’ai su lorsque j’ai commencé à faire de la musique : le désir de faire quelque chose de dansant mais avec des sonorités chaudes. Je serais d’ailleurs incapable de faire un « cold beat » ! On se moquerait de moi. Je n’ai pas le talent pour être si moderne et à l’avant-garde *rires* Ce que j’adore dans la musique, c’est lorsque qu’elle est faite par de vraies personnes donc j’essaie de rester à l’écart des ordinateurs.

Pop & Shot : Vous avez décrit ce nouvel opus comme un album coloré et ludique. Et effectivement, votre musique et vos visuels dégagent parfois un sentiment d’émerveillement et d’imagination enfantins. Quel rôle joue cet aspect ludique dans votre identité artistique ?

Sylvie Kreusch : C’est l’un des premiers thèmes retenus pour l’album lorsque j’ai commencé à réfléchir à sa conception parce que c’est arrivé à un moment de ma vie où je ne me sentais pas inspirée du fait de mon cadre de vie on ne peut plus tranquille. Ma vie était très cosy. J’étais dans une relation saine et stable. Je me réveillais en faisant des trucs chiants réservés aux adultes, comme remplir des papiers administratifs. D’un côté, j’adorais cette atmosphère paisible, mais d’un autre côté, ca n’est pas vraiment recommandé aux artistes *rires* C’est un tue l’inspiration. Un conflit se jouait dans ma tête. Comment ouvrir à nouveau mes sens sans avoir à replonger dans des relations nocives, ni devoir forcément sortir, boire etc ? Comment retrouver l’état d’esprit dans lequel on se trouve suite à une peine de cœur sans devoir en revivre une ? Je ne voulais pas m’infliger ça de nouveau.

Alors j’ai repensé à lorsque j’étais enfant, toujours la tête dans les nuages. J’ai beaucoup été punie à cause de ça *rires*. Là m’est venu l’idée de retrouver ce regard enfantin sur le monde. Ca a guidé mon inspiration.

Pop & Shot : Il y a plusieurs références au monde de la bande dessinée dans l’album (le titre, le clip du morceau éponyme…) et on sait l’importance et la place majeure que cet art occupe en Belgique. C’est quelque chose à laquelle vous êtes attachée ?

Sylvie Kreusch : Dans ce désir de retrouver mon regard de petite fille sur le monde, j’ai essayé de me replonger dans des moments précis de mon enfance, comme mon attachement aux bandes dessinée. On en avait énormément dans le grenier de chez ma grand-mère. J’étais tout le temps en train d’en lire. Ca m’a paru être un concept intéressant à décliner en chansons.

Mais en réalité, c’est un seul morceau, qui donne son nom à l’album, qui navigue autour de cet univers. C’était pour moi une manière visuelle pertinente pour donner un aperçu de l’album entier, de ses thèmes et de son esthétique globale.

Pop & Shot : Pour décrire l’album, vous avez aussi employé le mot western, et ses références dans l’album ne nous ont pas échappé. C’est un univers qui vous parle ?

Sylvie Kreusch : C’est surtout une coïncidence, que tous ces éléments soient réunis. Je me rappelle que j’écoutais énormément Toots Thielemans, un immense joueur d’harmonica belge. Il est mort il y a quelques années. Il a joué dans tous les films. Quand tu entends un peu d’harmonica dans un western, tu peux être sûr que c’est lui !

On pourrait le comparer à… je ne sais pas… Qui est actuellement le plus grand artiste belge à l’heure actuelle ? Peut-être Stromae.

Et bien quand tu regardes l’impact de Toots Thielemans à l’international, c’est complètement fou ! Il m’a beaucoup inspiré. Mais je le répète, c’est une coïncidence que tous ces mondes se rencontrent, celui du western, de l’harmonica, de la bande dessinée et de l’enfance…

Pop & Shot : Et vous aimez regarder des westerns ?

Sylvie Kreusch : Oui, j’aime beaucoup Midnight Cowboy (1969, John Schlesinger) notamment. Je ne sais pas si on le considère comme un western typique parce que c’est assez psychédélique. Mais j’adore !

Pop & Shot : Ca fait particulièrement sens parce que vous semblez puiser beaucoup d’inspiration dans les années 60 et 70, et même dans les années 20 sur le clip de « Daddy’s Selling Wine in a Burning House », à la fois en termes de musique et d’esthétique. Qu’est-ce qui vous a poussé à revenir à cette époque ? 

Sylvie Kreusch : Je suis quelqu’un de très nostalgique en général. Avec les voitures, les maisons, tout… Je resterai toujours accrochée à ces époques où je n’étais pas née. Parce que le futur m’angoisse énormément. Si on pouvait avoir un bouton pour revenir dans le temps au lieu de continuer vers l’avenir, je l’utiliserais sans aucun doute.

Comic Trip – Sylvie Kreusch

Pop & Shot : Peux-tu nous parler de cette très belle pochette d’album ? 

Sylvie Kreusch : C’est une artiste française de Paris. Elle s’appelle Eloise Labarbe-Lafon. Elle fait toujours des photos analogiques qu’elle colorie avec de la peinture. Je l’ai rencontre parce que son copain m’a accompagné sur une tournée. J’ai tout de suite été subjuguée par son travail. J’ai vu une interview d’elle où elle explique son approche et sa manière de faire son art, très similaire à la mienne. La manière dont elle utilise les couleurs par exemple, comme si un enfant avait peint. Je me suis dit que ça pourrait être le match parfait !

Quand elle m’a proposé un choix de couleurs original, au départ, j’étais un peu réticente parce que j’étais habituée à des couleurs typiquement mystérieuses comme le rouge. Je trouvais ça vraiment audacieux. Mais je l’ai laissé faire bien entendu et maintenant, je suis tellement heureuse du rendu !

Pop & Shot : d’où vient l’idée de cette photo ?

Sylvie Kreusch : C’est l’idée d’un enfant qui porte sur sa tête un bocal à poisson, avec derrière la symbolique que tout est possible. Avec de l’imagination, tu peux aller dans l’espace !

Pop & Shot : Est-ce aussi un aspect de votre personnalité, que de se réfugier dans son monde à soi, avec un goût pour l’isolement ?

Sylvie Kreusch : C’est drôle parce que mon manageur m’a fait la même réflexion, il croyait que c’était parce que j’avais parfois la tête dans les nuages ! J’aime aussi cette idée, même si ça n’était pas vraiment intentionnel au départ.

Pop & Shot : Il y a dans votre travail une certaine énergie magnétique, théâtrale et un aspect androgyne qui rappellent l’Aladdin Sane de Bowie, même si vous le réinterprétez avec une puissante touche féminine. L’approche de Bowie en matière de personnage et de performance vous influence-t-elle ?

Sylvie Kreusch : Oui carrément ! C’est toujours le premier nom qui me vient à l’esprit. Il excellait à beaucoup d’endroits : dans sa manière de performer, dans son univers visuel, mais aussi dans sa manière de changer constamment d’identité et de look et de s’entourer de personnes qui l’inspirent profondément… C’était un directeur artistique génial. J’essaie de m’approcher de cette conception. Je n’ai pas envie d’avoir peur de faire quelque chose de radicalement différent que le public n’attendra pas. Il y a tellement de facettes chez un être humain et Bowie avait décidé de les incarner toutes au travers de divers personas. Chacun de ses albums est très différent du précédent, comme une sorte de rébellion. Chaque personnage que le public aimait, il finissait par le tuer. C’est une grande inspiration.

Sylvie Kreusch – Crédit : Oriane Verstraeten

Pop & Shot : Avez-vous vu le film Velvet Goldmine de Todd Haynes ? Les personnages sont très inspirés de Bowie, Iggy Pop et Lou Reed, avec beaucoup de costumes et de paillettes…

Sylvie Kreusch : Non mais ça m’intéresse, je le note !

Pop & Shot : Qui écoutez-vous en ce moment ?

Sylvie Kreusch : J’ai vu Jessica Pratt il y a quelques jours ! J’étais subjuguée. Je connais son travail depuis longtemps.

J’ai aussi découvert la musique de Suki Waterhouse. Son album est très beau. Elle est incroyable, avec une super voix.

 

Propos recueillis par Léonard Pottier et Pénélope Bonneau Rouis


Sylvie Kreusch - La Maroquinerie - Crédit photo : Pénélope Bonneau Rouis

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