Author

Léonard Pottier

Browsing

Le Bataclan accueillait dimanche 11 décembre dernier la folie furieuse Viagra Boys qui, depuis 2017 et son premier album Street Worms, a pris d’assaut le monde du rock indé. Venus de Suède, les mecs qui forment le groupe le plus badass du moment, loin de la caricature facile, étaient à Paris pour présenter leur dernière pinte de bière bien fraiche : « Cave World », ouverte plus tôt dans l’année. Même si ça n’est pas la plus gouteuse de leur collection, nous étions impatients de la déguster sur scène.

Viagra Boys – Bataclan 2022 — Crédit : Théophile Lemaitre

Fidèle à lui-même, le bide gonflé urgemment mis à nu comme si sa vie en dépendait, laissant apparaitre un corps entièrement tatoué, tantôt sublime tantôt repoussant, Sébastien Murphy, leader mythique du groupe, n’a pas donné tort à sa réputation ce soir-là. Il va de soi que si la musique de Viagra Boys résonne autant aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à ce mec complètement barré. Tout chez lui respire de travers, de sa dégaine à sa démarche. Cette punk attitude, que l’on sent ici vécue de la plus honnête des manières, rend les concerts de Viagra Boys souvent mémorables, comme leur précédent parisien à l’Elysée Montmartre de cette même année. C’est un rock bourrin qui est à l’œuvre, mais toujours intelligemment fait, avec une base d’influences diverses, dont le blues en maître.

Viagra Boys – Bataclan 2022 — Crédit : Théophile Lemaitre

GIVE ME BLUES AGAIN AND AGAIN

Le groupe débute avec un duo de négation, bien en phase avec l’esprit des Suédois  :  « Ain’t No thief » issu de leur dernier album, et « Ain’t Nice », premier morceau explosif de Welfare Jazz, leur deuxième opus, où le sax fait son entrée. Ce début de concert bastonne déjà bien, mais ça demande encore à gagner en précision niveau sonore. Le groupe enchaine sur plusieurs de ses tubes, et on se rend compte que beaucoup de morceaux ont la carrure d’en être : de « Punk Rock Loser » aux allures Dandy Wharoliennes, à « Baby Criminal » qui retentit dans la salle comme un merveilleux coup de massue. Ce dernier prend aux tripes. Ça sera encore davantage le cas du morceau suivant : « Big Boi », trêve bienvenue au milieu de morceaux torpilleurs à la basse inarrêtable, construction presque systématique des morceaux du groupe. Celui-ci amène une cassure, dans un moment non moins puissant. Même sans la présence de Jason Williamson, chanteur de Sleaford Mods convié pour un couplet sur la version studio, « Big Boi » prend de l’ampleur comme le ventre de son interprète, surtout sur son refrain ici martelé avec consistance sonore, et son final perçant au sax. Un des sommets de la soirée.

SPORt et pinte : bon ménage ?

Mais attendez encore un peu, car « troglodyte » revient à la charge pour secouer une nouvelle fois le public en délire. Viagra Boys enchaine ensuite sur celle qui fera lever un peu plus de téléphones qu’à la normale. « Sports » a tout d’un tube, et encore plus que c’est Sébastien Murphy qui l’incarne. Leur clip mythique sorti en 2018 comptabilise non moins de 5 millions de vues. Pour du rock indé, c’est plutôt balèze. Sur scène, le caractère humoristique du morceau fait son petit effet puisque chaque personne qui scande le refrain tient évidemment une pinte dans la main. Comment continuer après avoir balancé son tube incontestable ?

des crevettes bien énervées

Si cette interrogation vous a réellement traversé l’esprit, c’est que vous ne connaissez certainement pas « Shrimp Shack » (cabane à crevette en français), aka le morceau le plus délirant des Suédois. La version studio, présente sur le premier album, dure 6 minutes. Et sur ces 6 minutes de pur blues bénies des dieux, il n’y a évidemment pas une seule seconde où vous n’êtes pas roulé compressé par ce combo basse – guitare hallucinant. Le morceau carbure à une vitesse folle et vous vous doutez qu’en live, il ne fait pas de cadeau. Sans surprises, c’est lui qui est chargé de nous asséner le coup final. Cela est fait avec classe et brutalité, avant un rappel dont on ne retiendra pas grand-chose et pour cause : « Shrimp Shak » était immense, et indétrônable. Mention spéciale tout de même au dernier morceau du rappel, que le groupe présente comme le premier qu’ils aient écrit. C’est une sorte de « Shrimp Shak » bis qui ne lui arrive pas à la cheville, mais dont l’intention ravageuse nous a fortement séduit, dans un esprit the Fall qu’on ne peut que féliciter.

Viagra est grand.  C’est le cas de le dire.

Viagra Boys – Bataclan 2022 — Crédit : Théophile Lemaitre

 

 

 

Vendredi dernier 07 octobre 2022 à la Boule Noire, nous avions affaire au retour en bonne en due forme d’un artiste qui, en 2020 dans la même salle, nous avait procuré un électrochoc. Théo Cholbi est toujours à la tête du groupe SÜEUR et il est plus que jamais décidé à broyer nos muscles pour boire chaque goutte de notre sueur.

Leur premier album officiel ANANKE sortira le 04 novembre prochain, après une mixtape éponyme il y a deux ans particulièrement appréciée ici, pour ne pas dire adorée. Rares sont les premiers projets aussi convaincants, autant dans leur originalité et leur force de persuasion, que dans leur son déjà si bien fabriqué. Ce son, c’est un somptueux mélange en ébullition de rock dans l’esprit, de rap dans le flow et d’électro dans l’habillage.

Ce projet mené par Théo Cholbi, que l’on retrouve aussi à l’écran au cinéma, notamment dans un rôle secondaire de La Nuit du 12 de Dominik Moll et très bientôt dans le film Les Harkis  de Philippe Faucon, est né véritablement en 2020 peu de temps avant la pandémie, de quoi leur couper les ailes bien comme il faut. Dommage pour un premier opus au bord de la perfection, qui avait la carrure pour tout manger sur son passage.

 

NOUVEAU NAVIRE

2022 marque leur retour tant attendu et en deux ans, des choses ont eu le temps de changer. D’abord les membres du groupe. Seul Théo Cholbi est encore sur le navire. Ses deux autres compagnons à la guitare et à la batterie ont trouvé remplaçants, après l’avoir quitté délibérément. « Je ne leur en veux pas » nous dira plusieurs fois l’unique survivant pendant le concert, derrière quoi une certaine amertume semble tout de même avoir du mal à passer pour le répéter autant. Comme un recommencement depuis zéro, Théo Cholbi a su rebondir comme il se doit puisque le voilà maintenant décidé à tourner la page en dévoilant ce nouvel album. « Il faut passer à autre chose, aller de l’avant. On jouera seulement 3 anciens morceaux ». Ceux-là seront le génial « Ridé tout Paris », le grandiose « Peut-être » (peut-être notre titre préféré du groupe) et le mythique « MTM (sur ma vie) ». On se contentera de cette bonne pioche.

SÜEUR – La Boule Noire – Crédit : Léonard Pottier

ANANKE NÉCESSITÉ !

La salle n’est pas tout à fait pleine à craquer même si affichée complète, mais la chaleur qui y règne rend l’espace encore plus étroit qu’il ne l’est. Dès son arrivée, SÜEUR met le paquet avec le titre éponyme de ce nouvel album à paraître, « Ananke », que le public entend donc pour la première fois. Le ton est donné, le concert sera sportif. Capuche sur la tête et lumière bressom, cette entrée en matière fait l’effet d’un tremblement de terre dans le sous-sol de la Boule Noire. Théo Cholbi est bouillant et son groupe semble être devenu un blockbuster aux effets exubérants. L’artillerie lourde est déployée et force est de constater la réussite de ce décollage, tant l’énergie y est déjà explosive. Direct et impulsif, ce premier morceau inédit nous fait comprendre que ce qui arrive le 04 novembre n’a rien à envier à son prédécesseur. La musique de SÜEUR reste abrasive, en tension, habitée par une rage à la fois grande et intime, portée par un chanteur chez qui la manière de bouger et de dire ses mots nous plonge systématiquement dans un tourbillon épileptique, aussi bouleversant que familier. Qu’il nous fait sur le moment du bien de retrouver cette proposition musicale si unique en son genre, aujourd’hui encore davantage sûre d’elle, et donc maitrisée.

SUEUR SUAVE

Le groupe nous fait entendre en avant-première chaque nouvelle chanson qui figurera sur l’album. Trois sont déjà connues : « Faille », jouée au début du set, « Rage 2 », sur les violences policières, qui a littéralement provoquée une émeute musicale au milieu du concert, et « Arrêt d’urgence », petit tube en son genre, jouée à la fin juste avant le vrai tube bouffeur de morts. La setlist est parfaitement menée. Deux morceaux inédits, plus calmes et magnifiques, provoquent même des « chut » de la part du public pour faire taire une salle un peu trop bruyante. En même temps, difficile de calmer l’agitation après les séries de coups de poings que le groupe se plaît à nous asséner.

Côté instrumentation, les deux compères qui accompagnent Théo Cholbi à la guitare et à la batterie assurent le set. Beaucoup de parties sont tout de même enregistrées et le tout manque peut être parfois d’un peu de clarté sous la carapace. Mais les textes et l’interprétation du leader nous absorbent tant que la moindre petite écharde se retrouve vite noyée dans l’énergie de l’instant.

Retour plus que réussi pour SÜEUR qui, après avoir affronté l’épreuve d’une renaissance, s’apprête à dévoiler un des grands albums de cette fin d’année ! Ce deuxième passage à la Boule Noire, à la vue du sol humide en fin de concert causé par toute cette sueur déversée, fut l’ultime constat que le groupe est définitivement prêt à devenir grand. Puisse le sort lui être favorable.


 

 

Voilà deux jours que le festival Malouin nous boxe bien comme il faut. Coup de cœur sur cœur de cœur, il nous est presque difficile de nous souvenir de toutes les claques musicales reçues jusque-là. Deux jours sur trois sont déjà passés. Les promesses du dernier nous ont tenues en haleine durant tout le mois d’août rien qu’à la vue des artistes programmés. Il est enfin temps de le vivre ! La soirée du samedi au Fort Saint-Père, dernière de cette édition 2022 du festival, a-t-elle été à la hauteur des espérances ? Evidemment que oui. Beaucoup plus que ça même. On vous dit tout. 

Comme on est déjà un peu nostalgiques, permettez nous de revenir sur la soirée de manière dé chronologique, de manière à remonter dans le temps, et à ne jamais quitter ce petit bout de paradis.

La Route du Rock / Crédit : Théohpile Le Maitre

Fat White family rafle la mise

Il est 02h15 du matin. Le dernier concert vient d’avoir lieu. Nous nous trouvons dans un état de choc. La soirée a été immense et le concert de clôture en est pour beaucoup. Après l’annulation de King Gizzard and the Lizzard Wizard, c’est le groupe britannique FAT WHITE FAMILY qui est venu à la rescousse. Certains ont fait entendre leur mécontentement, surement par ignorance, mais peu importe, car quoi qu’on en dise, il faut avouer que c’était osé et judicieux de la part des programmateurs. Ca n’est pas la première fois que la grosse famille est invitée ici.

 King Gizzard, ok. Presque tous les amateurs de rock les aime. Ils sont doués, prolifiques, puissants, tout ce que vous voulez. Et on aurait évidemment adoré entendre « The Dripping Tap » en live, ce récent morceau de 18 minutes complètement hallucinant, on vous l’accorde. Mais avec FAT WHITE FAMILY, c’est tout de suite plus à double tranchant. Et ça nous plait. Enfin eux nous plaisent. Leur dernier album Serf’s Up en 2019 nous avait conquis en tous points. Leurs deux précédents également. On était donc confiants sur le fait qu’ils puissent largement assurer cette clôture. Et quelle n’a pas été notre surprise ! Leur concert était le plus dantesque du festival.

FAT WHITE FAMILY / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre

A leur arrivée sur scène, à six, on s’étonne déjà de l’atmosphère mystérieuse et pleine de tension dans laquelle ils plongent le festival. Le leader, tel qu’on le connait, arrive torse nu, seulement vêtu d’un short moulant de la même teinte que sa peau. C’est un sacré personnage, on a été prévenu. Il est d’abord droit comme un piquet. Le groupe débute d’inquiétantes expérimentations sonores. Très vite, Lias Saoudi saute dans le public. Pas sur mais dedans. Alors, le show peut commencer. Il court, se fraye un chemin, pousse des cris, se met au sol, provoque le public, s’agrippe à lui, comme un fou qui a perdu sa direction : « i wanna go hoooome ». Tout le monde sait que ça fait partie de la performance, et tente alors de jouer avec lui, de le toucher, de le cogner même parfois. Persiste toutefois chez chacun ce sentiment de panique et d’incompréhension, qui fait monter l’adrénaline. Ce début de concert est une plongée dans les entrailles, qui fait office de mise en condition. Cela va être éprouvant. Le leader remonte enfin sur scène après s’être fait malmené. Débute alors les morceaux plus classiques, mais non moins intenses. « Wet Hot Beef » ouvre le bal, issu du premier album. C’est direct, puissant, aidé par un son majestueux. On commence à avoir l’habitude de la scène du Fort, bientôt on ne voudra plus la quitter du tout. Le concert se poursuit dans la même hallucination sonore. Sur scène, les morceaux de FAT WHITE FAMILY gagnent en tout. Lias Saoudi les transporte assurément dans une autre dimension, mais c’est aussi grâce aux musiciens qui, derrière leur dégaine bien britanniques, assurent de leur donner l’ampleur méritée. L’affranchissement par rapport aux versions studios est totale. C’est tellement rare qu’il est bon de le souligner.

La setlist est parfaite, déjantée. Il y a plusieurs chansons à l’évidence absolue qui ne manquent pas de nous scotcher sur place : « Touch the Leather », « Feet », « I Believe in Something Better », « Is it Raining in your Mouth ? ». Régulièrement, elles se finissent en apocalypse, avec un leader qui sait hurler dans le micro quand il faut là où faut. Sur « I Believe in something better”, le clavier valdingue après avoir été asséné de coups. FAT WHITE FAMILY vient de tuer le game. Le festival se termine de la meilleure façon possible. On souhaite aux pleurnicheurs de fans de King Gizzard d’avoir oublié, l’instant d’une plongée radicale en plein délire, l’absence de leurs chouchous qui, finalement, ne s’est pas tant fait remarquée.

Allez, heureusement que la grosse famille blanche est passée en dernier. Personne n’aurait pu se frotter à elle. Mais la construction de ce report nous permet quand même de remonter le temps, et d’aller voir ce que la soirée nous a offert d’autre. Car au-delà d’être le plus majestueux, le concert de clôture n’était pas le seul à avoir été excellent. Bien au contraire, toute la soirée du samedi fut à sensations fortes.

 

festival CHENAPAN !

Avant de rembobiner les concerts, arrêtons-nous sur l’instant chenille. Une géante s’est formée vers minuit, sous l’impulsion du festival qui avait prévu le coup et donner une heure précise. Cela s’est passée au niveau de la scène du Fort. Les participants ont plutôt assuré. On parle de 4500 unités selon les organisateurs, un record ! Bravo à tout le monde.

 

Maitre rockeur depuis 1845

Sur la même scène avant Fat White, à l’heure la plus prisée (23h), nous avons pu bénéficier de la main de maitre de TY SEGALL, un habitué du festival, rockeur californien que nous suivons de très près depuis des années maintenant. Nous étions à ses deux derniers concerts parisiens à la Cigale en 2019, l’avons vu au Bataclan l’année d’avant, et également deux fois à Rock en Seine, dont une en 2015 avec la machine infernale FUZZ qui d’ailleurs, depuis 3 ans, doit donner un concert au Trabendo que nous attendons de pied ferme (déjà deux fois reporté). Bref, on ne se lasse ni de le voir, ni d’écouter ses albums annuels. Le dernier en date, majoritairement acoustique, vient de sortir et s’intitule « Hello, Hi ». Pour ce concert à la Route du rock, il a laissé de côté la guitare sèche pour s’emparer de l’électrique, celle avec laquelle il a l’habitude de créer une frénésie sonore au travers d’un impressionnant mur de son. Sur scène, il est accompagné de son fameux FREEDOM BAND, qui en est pour beaucoup dans la manœuvre. Leurs concerts sont toujours mémorables dans leur manière de balancer la sauce avec des amplis réglés au maximum. TY SEGALL est là pour nous en mettre plein les oreilles, c’est un fait, mais cela toujours soutenu par une base de morceaux très très solide. Il en a des centaines à son répertoire. Ceux du jour sont en partie issus de son dernier album électrique sorti l’année dernière : Harmonizer. La même recette appliquée pour tous : vitesse décuplée, rugissement de guitare guitares, sensations d’emballement totales… Pendant 1h15 environ. Véritable rouleau compresseur dont on ne se lasse jamais. Et avec le son de la scène du Fort, la jouissance est pleine. Sur « Sleeper » version électrique, final du concert, on tombe à la renverse. Cette chanson a bercé notre adolescence rock, l’entendre ainsi fait l’effet d’une bombe dans notre corps.

Depuis des années, TY SEGALL nous offre le meilleur du rock en live. Depuis des années, TY SEGALL développe un style unique, avec une patte sonore et des compositions reconnaissables parmi des milliers, ainsi qu’une manière unique de poser sa voix. Depuis des années, nous disons que TY SEGALL est une icône rock de cette génération. Ce soir encore, du haut de son trône, qui n’aura d’ailleurs jamais rien changé à son extrême modestie et on l’en remercie, il nous a prouvé qu’il était plus que jamais présent, actuel et juste. Si à 50 ans vous ne vous êtes pas fait renversé par un riff de TY SEGALL en concert, alors vous avez raté votre vie.

 

Dans le rétroviseur

On continue à remonter dans le temps. On passe maintenant sur la scène des remparts. DITZ précède le concert de Ty Segall. Il est environ 22h. La nuit est là. Ambiance nocturne obligatoire pour ce jeune groupe de punk venu de Brighton qui vient de dévoiler son tout premier album cette année. Celui-ci est une vraie réussite, composé de morceaux aux dégâts colossaux. Leur son est lourd, pesant, mais dans le bon sens du terme. Sur scène, ils n’hésitent pas à balancer. Le chanteur est frêle, il gagne très vite l’attention de son auditoire. C’est l’un des seuls concerts du festival aussi punk. Ca se voit au niveau de la foule déchainée, les gens en profitent. Au beau milieu, ils reprennent « Fuck the Pain Away » de Peaches. Ils ont donc bons goûts, et guidés par de bonnes influences. Ce sont des choses qui ne trompent pas. DITZ est à suivre de près.

On repasse sur la scène du Fort. Le jour entre en scène. Il est 21h quand BEAK> fait son apparition. C’est un trio britannique qui a trois albums à son actif et qui a gagné une certaine reconnaissance depuis ses débuts dans les années 2010. Leur dernier album date de 2018 et avait reçu une très bonne réception. Parmi les trois mecs qui forment le groupe, on trouve un ex-membre de Portishead : Geoff Barrow aux percussions. Gage de qualité. Avec le concert de Fat White et de Ty Segall, celui de BEAK> fait partie du trio gagnant. Pour certains même, il était le meilleur de tout le festival. On peut très facilement l’entendre. Pas le plus impressionnant, ni forcément le plus secouant, mais peut-être le mieux maitrisé. Les trois gars sont des experts. Ils ne gesticulent pas dans tous les sens. Non on s’en tape dans leur cas. Tout vient directement de la musique et seulement de la musique. Le bassiste est même assis, certainement pour avoir plus une meilleure maitrise de son instrument. Puisque c’est autour de lui que tout se joue. La basse est omniprésente, centrale… Enfin ! C’est autour d’elle que l’ensemble s’articule. Les morceaux sont de longues explorations sonores répétitives. Mais comment diable peuvent-ils sonner aussi bien et puissamment dans cette configuration ? Si le concert débute relativement calme, c’est au fil de l’heure que les choses s’intensifient et à partir d’ « Allée Sauvage » c’est une machine de guerre qui se dresse devant nous. Génialement électrique, avec une basse aiguisée comme il faut, le morceau est la chose la plus fascinante qui nous a été donné à entendre sur les trois jours du festival. La version studio avait déjà retenu notre attention. Dites vous qu’en live, c’est encore 10 fois plus intense. Comme toujours, le son est monstrueux. C’est la dernière fois qu’on le répète mais merci à cette scène du Fort pour ce qu’elle a engendré en matière sonore. Chez BEAK> et sa précision à toute épreuve, on s’en rend compte encore davantage. Le concert ne fera que monter, jusqu’au point d’en sortir déboussolé. A côté de nous, on entendra dire « ils sont très bons, pas comme les Liminanas ». On sourit fort. Assurément, BEAK> n’a aucun morceaux à la mords moi le nœud. Tout est riche, consistant.

Rembobinage. A 21h, quand le concert de BEAK> s’apprête à commencer, le super stand disquaire des Balades Sonores présent sur le site depuis le début du festival organise une signature de vinyles. C’est WU-LU la star du moment. Il vient de terminer son concert sur la scène des remparts qui a débuté vers 20h. Son album Loggerhead fait pas mal entendre parler de lui en ce moment. Nous l’aimons personnellement beaucoup, même si nous avons un peu de mal à revenir dessus régulièrement. Probablement à cause de morceaux pour le moins intriguants et bizarrement construits. En terme de production, WU-LU a mis le paquet. Les bases rythmiques sont au centre. Et la guitare, primordiale. Dans un rap – soul – rock, c’est un cocktail détonant, surtout sur certains morceaux coups de poings comme « Times » et « South ». Son concert à la Route du Rock attise la curiosité du public. Il y a du monde devant la petite scène. Le musicien est accompagné de deux autres gars, à la basse et à la batterie. Le concert a d’abord un peu de mal à prendre. Les morceaux joués ne sont pas forcément les plus entrainants. Mais l’attitude du chanteur, détachée, a de quoi nous tenir en haleine. La dégaine est simple : t-shirt orange de monsieur tout le monde. Comme si un gars du public était monté sur scène. Mais là-haut, il assure tout en modestie. Sa présence ne trompe pas. Accompagné de sa guitare qu’il tient désinvoltement, WU-LU nous transporte finalement dans un paysage musical original, intense et incarné. Le final sur « South » en sera la meilleure preuve, avec des cris venus tout droit des enfers.

Ça commence à faire long, mais promis c’est bientôt terminé. Ou justement l’inverse, puisqu’on s’approche du premier concert de la soirée.. . Mais avant de boucler la boucle avec BIG JOANIE, on passe très rapidement sur VANISHING TWINS aka le concert le plus emmerdant du festival. Ils passent sur la grande scène à 19h15. On peut lire sur Wikipédia (désolé de na pas être allés chercher plus loin) « groupe londonien dont les membres partagent un intérêt pour le groove, les instruments inhabituels, le mystique et l’ésotérique ». Tout s’éclaire, puisque ce même bullshit se reflète parfaitement dans leur musique d’un vide abyssal. Dès le premier morceau, un profond ennui nous assomme. Quelle est cette musique minimaliste qui se regarde ? Les musiciens sont vêtus avec fantaisie. Il y en a un à la flûte qu’on lui prie plusieurs fois de ranger. Le concert sera au pire ennuyeux, au mieux banal. Souvent les deux. Une pop sans vie et prétentieuse. Retournons au punk.

« We are black feminists punk » . C’est comme ça que BIG JOANIE se présente. Elles sont quatre sur scène, mais plutôt trois officiellement dans le groupe. Actives depuis 2018 et leur premier album Sistahs très apprécié, elles sont à l’origine d’un rock assurément engagé, fier et vivant. Quelques nouveaux morceaux sortis récemment précèdent un nouvel album à venir. De 18h30 à 19h15, elles ouvrent la soirée de la meilleure des manières, avec assurance et sourires. Jouer là semble les rendre heureuses. Le plaisir est partagé avec une foule qui, doucement, s’épaissit. Leur musique en jette. Sur le dernier morceau « Fall Asleep », l’ampleur est là. Les « yeah yeah yeah » du refrain retentissent avec fracas. La Route du Rock dans toute sa splendeur.

– Rembobinage

Nous entrons sur le Fort pour cette journée qui s’annonce encore plus intense que les deux précédentes.

– Rembobinage

Nous nous garons sur le parking, excités même si la fin approche.

– Rembobinage

Nous nous réveillons, plein d’enthousiasme.

– Rembobinage

Nous nous endormons, épuisés.

– Rembobinage

Nous roulons pour la Bretagne, des étoiles plein les yeux. Cette édition de la Route du Rock sera-t-elle à la hauteur des espérances ? Ahhhhh jeunes gens, si vous saviez…

 

Diego Philips

 

Il y a deux ans paraissait sur Pop & Shot une chronique d’un album ici très apprécié : Tides de Diego Philips, que nous réécoutons encore avec attention. Si nous reparlons aujourd’hui de Diego, c’est qu’il vient de dévoiler un nouveau projet il y a quelques semaines de cela : I am Yuki : the Hiroshima Project. Et encore une fois, nous n’avions pas d’autres choix que de vous inciter à l’écouter.

 

 

CONTEXTE ET CONCEPT

La catastrophe d’Hiroshima. Tout le monde connait son histoire. Ce n’est pourtant pas ça qui a freiné Diego Philips dans son envie de réaliser un album concept autour de ce tragique épisode survenu il y a bientôt 80 ans, en 1945. I am Yuki : the Hiroshima Project explore le point de vue d’un enfant brutalement confronté à la destruction soudaine de sa ville natale, et dont la vie paisible se retrouve fauchée par l’horreur.

C’est depuis 2018 que Diego Philips travaille sur ce projet, qui sortira donc en tant qu’album quatre ans plus tard, après une période de pandémie peu favorable à la sortie d’une œuvre autour d’un tel sujet. Le choix de ce dernier, et l’envie de créer quelque chose à partir de lui, ne viennent d’ailleurs pas de nulle part, puisque Diego Philips a passé plusieurs mois de sa vie au Japon en 2007 quand il était encore étudiant, et y est revenu plus tard en 2013 durant un séjour où la visite de la ville d’Hiroshima l’a profondément ému et marqué. De cette empreinte laissée en lui, Diego s’en est servi pour raconter les évènements d’une manière originale et intime : par la musique et le récit fictionnel à base de faits réels. Pour ce projet, il est accompagné des musiciens Vincent Cudet à la batterie, Jamie Moggridge à la guitare, Michael Jones à la basse et Madga Skyllback au chant.

« I am Yuki – The Hiroshima Project » de Diego Philips

 

varier les ambiances avec cohérence

Comme son nom l’indique, I am Yuki : the Hiroshima Project, est avant tout l’histoire d’un jeune garçon, Yuki, dans toute son innocence et son allégresse juvénile. En sept morceaux d’une durée totale de 23 minutes environ, l’album dépeint un quotidien prêt à être bouleversé, loin de tout pathos. Ce qui fait la particularité de cette histoire est de connaître son dénouement avant même qu’elle ne débute. En ce sens, le premier morceau prélude fait rôle d’annonciateur à travers une ambiance menaçante qui, dans l’esprit, pourrait rappeler certaines expérimentations du Neil Young de Dead Man. Rien ne peut échapper à ce qui s’apprête à venir. Pourtant, malgré cette fatalité, l’album ne s’impose aucunement un ton sinistre, et débute d’ailleurs sur un morceau plein de vitalité. C’est la présentation à la première personne du petit Yuki. « Come Home Yuki » vous restera très certainement dans la tête pendant de longues semaines tant son air respire la gaieté.

L’album se poursuit en variant merveilleusement bien les humeurs. Tantôt allègre, tantôt rêveur, tantôt bousculant, I am Yuki est une œuvre qui, en l’espace de 23 minutes, fait don de couleurs et d’ambiances tout à fait variées mais non pour autant hétéroclites. L’ensemble est d’une forte cohérence. Les trois derniers morceaux se concentrent sur l’explosion, dans une construction pré / explosion / post. Rien qu’à travers ce triptyque, les variations sont nombreuses. Si la Pt. 2 est celle que l’on attend le plus, car elle est celle qui illustre assez justement l’explosion en tant que telle (« creating the bomb » entend t-on dans le court documentaire sur l’album réalisé par Laura Eb), dans un morceau progressif aux airs de jazz rock se clôturant dans un cataclysme musical et une peur panique palpable, elle n’en constitue pas pour autant le centre inévitable de l’album. C’est-à-dire qu’elle ne prend pas forcément toute l’attention, et que l’œuvre ne cherche pas à en faire un paroxysme forcé. Non, I am Yuki s’attache davantage à autre chose, à l’histoire de ce gamin qui, comme il le dit dans la Pt. 1 de cette fin du monde à deux doigts de survenir : « I have the feeling that it’s gonna be a beautiful day ». Sa bonne humeur, ses interrogations et ses aspirations, voilà ce qui fait la force du projet. Pour preuve, « In my Room », le morceau le plus long de l’album, constitue tout autant un sommet, avec un soin apporté à son final explosif et grandiose. Tout est là, dans la chambre du petit Yuki, dans son intimité prête à être brisée mais qui, tant que l’heure n’est pas arrivée, a le pouvoir de nous transporter vers un ailleurs plein de promesses.

 

Soin des sonorités

La progression de l’histoire et de l’album tient également en ses variations sonores. Si l’humeur de chaque morceau est relativement différente, c’est aussi qu’un réel soin est apporté aux sonorités et à la place de chaque instrument. La guitare par exemple, peut autant refléter un sentiment d’apaisement sur « In My Room » et « Goodnight Little Boy » qu’une impression de terreur soudaine, comme les cris étouffés d’une population sur qui s’abat le malheur dans « End of the world pt. 2 ». Dans chacun de ses morceaux, qu’elle soit acoustique ou électrique, la guitare dessine une atmosphère bien particulière. Le travail de recherche sonore à ce niveau montre à quel point l’album a été pensé dans son ensemble pour créer un récit musical garni de surprises et d’émotions. Entre la folk d’un Kevin Morby, le rock enjoué des Beatles et le rock plus sombre du Velvet, I am Yuki passe par diverses ambiances sonores. Ambiances qui, sur chaque morceau sinon celui instrumental de l’explosion, sont enrichies par deux très belles voix. D’abord celle de Diego Philips, toujours aussi envoutante et incarnée. Sur « Come Home Yuki » et « In My Room », elle nous transporte directement dans l’histoire avec une justesse de ton agréable. Tendre, assumée, intense quand il faut l’être, sa voix est en plus de cela élevée par un très bon mixage et une production réussie, que l’on doit à James Yates.

La deuxième voix est celle de Magda Skyllback, qui, sur les morceaux « Goodnight Little Boy » et « End of the world, Pt. 3 », introduit quelque chose de plus abstrait, de plus songeur. A travers les ruines du sublime dernier morceau, après la destruction, elle raconte la mort de manière relativement détachée, et invite à ne pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé, pour que tous les petits Yuki, promis à une belle journée, où qu’ils soient, puissent la terminer avec paix et sérénité.