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Julia Escudero

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Tout change, tout passe, tout avance. Parfois trop vite, à tel point qu’il est difficile de retrouver ses repères. Et pourtant, il est un lieu où nous avons toujours 20 ans et où les codes restent – du moins en immense partie – inchangées. Il s’agit des gigs des artistes issus du  rock des scènes alternatives. En la matière, le concert parisien des britanniques d’Enter Shikari ce 21 février permettait de se reconnecter à une maison constituée d’un cœur humain. Une forme d’insouciance partagée sans pour autant s’abstraire de l’actualité et du difficile contexte politique que nous subissons en ce début 2024. Un moment entre énergie et set très travaillé qu’on vous raconte.

Enter Shikari – Le Trianon Paris 2024 – Crédit photo : Louis Comar

Communauté engagée

Il y a du monde ce soir au Trianon de Paris. La pluie qui dehors coule à flot depuis le début de la journée semble rapidement se faire obscure souvenir en montant les escaliers de la très belle salle parisienne. A l’intérieur, les t-shirts noirs de groupes sont légions. Ceux d’Enter Shikari évidemment, mais pas seulement. Les fans de rock alternatif partagent un look travaillé mais précis, sorte de repère pour défendre les formations qui leur parlent. Et depuis fort longtemps, le courant est une niche. Certes, il a son public, l’un des plus dévoué qui soit mais aussi l’un des plus communautaire. Ce qui est vrai au Royaume-Unis est loin d’être vrai en France. Outre-Manche, Enter Shikari et leurs comparses remplissent des Arenas. Ici, il faut compter sur des salles de moyennes capacité pour chanter à tue-tête des riffs screamés.  Une configuration qui ne dérange en rien Enter Shikari. Bon joueurs, ils y mettent la même énergie que dans les plus grandes salles. A croire même qu’un certain plaisir se dégage à la perspective d’une proximité retrouvée avec le public. La chose sera d’ailleurs prouvée encore et encore en cette soirée, où, les jeux d’écrans, aussi impressionnants soient-ils ne volaient pas la vedette aux nombreux échanges offerts par Rou Reynolds, le frontman.  Et puis ces salles à taille humaine, elles permettent également de partager des valeurs communes.  Le groupe est en effet ouvertement engagé dans de nombreuses causes qui lui sont chères. Parmi elles on retrouver les luttes pour les droits LGBTQ+ (Reynolds n’avait pas ménagé – à juste titre – le chanteur de For Today suite à ses tweets homophobes) mais aussi engagement pour le climat et le féminisme ( tout leur 4ème album « The Mindsweep », hautement politisé traitait de ces sujets). Des engagements qu’ils apportent avec eux leurs de leurs tournées.

Fever 333 : fièvre pacifiste

Fever 333 – Le Trianon Paris 2024 – Crédit photo : Louis Comar

C’est sûrement une des raisons (entre autre de leur talent) qui les ont poussé à tourner avec Fever 333.  Ces derniers signaient ainsi la deuxième première partie de la soirée.  Notons que deuxième première, ça parait plus compliqué à l’écrit que ça ne l’est dans la réalité. Toujours est-il que  le groupe américain mené par Jason Aalon Butler  a lui aussi profité de ce Trianon pour rappeler que le groupe se tient toujours du côté des opprimés. Sans musique,face au public et  parlant avec éloquence, le chanteur ne mâche pas ses mots pour défendre la cause des palestiniens et demander la libération totale de ce peuple comme l’arrêt de cette guerre violente. Un message accueilli par un public qui partage ce même sentiment de profonde injustice. Les applaudissements fournis venant d’ailleurs appuyer le propos. Plus tard, le groupe en profitera pour remercier les membres féminins du public : « Votre simple existence suffit et est une bénédiction »avant de leur dédier un morceau. L’envie de créer une safe place au sein de ces concerts sonne comme une évidence. La rage déployée par les guitares saturées, le rock, les screams,  tout ça forment un exutoire, une occasion de laisser sortir les souffrances, difficultés et d’exprimer les révoltes. Il devient aisé de laisser sortir ses démons. Leur rire au nez même. En la matière l’énergie de Fever 333 a peu d’égal. Au milieu de ses riffs costauds, la formation subjugue la foule, visiblement aussi fan de la première partie que des hôtes de la soirée et connait chaque morceau par cœur. Avant de quitter la scène, Butler s’offrira un saut dans la fosse depuis les balcons atteint par quelques astuces d’escalade. Un premier bain de foule la soirée, les suivants seront réservés à Enter Shikari.

Enter Shikari : Des visuels forts, des lumières muticolores

Ces derniers savent d’ailleurs soigner leur performances. Moins brutes de décoffrage que Fever 333, on voit que la tête d’affiche de la soirée a pris le temps de rôder son live. L’entrée sur « System… » puis le single à succès « …Meltdown » (issu de « A Flash Flod of Colour » publié en 2012) ne sont qu’une très belle mise en appétit.   Il débarquent sur scène avec de gros écrans peuplés de nombreuses vidéos colorées qui viennent habiter leur performance musclée. La scène du Trianon (l’une des plus belles de Paris d’ailleurs en raison des ses balcons élégants) leur va parfaitement au teint. Probablement même mieux que celle de leur dernier passage, un Trabendo en 2022, qui laisse peu de place à ce genre de très grosses scénographies. Ici, Rou Reynolds et ses comparses sortent le grand jeu. Des lumières viennent s’ajouter au live. Elles se font parfois jeu de laser, le chanteur s’amusant à les couper de sa main pour mieux les laisser changer de couleur. La lumière ici ne se contente pas d’aider le spectacle et sa lecture mais devient une véritable actrice de cette scénographie très léchée.

Un nouveau registre et un dernier baiser

Côté son, on ne pourra pas reprocher à Enter Shikari de ne pas avoir su peaufiner son style et lui donner une texture plus accessible, plus mainstream. C’était déjà le cas sur son avant-dernier né « Nothing Is True & Everything Is Possible » paru en 2020 et dont la tournée, retardée par le COVID avait vu le jour en 2022.  La preuve en est à nouveau donnée avec cette dernière sortie en date :  » A kiss for the whole world » paru en 2023 . Ici un électro enragé vient se greffer à un rock sans concession. Les genres s’y croisent et s’y rencontrent. Jim Morrison prévoyait déjà à la grande époque des Doors une telle évolution de la musique. Un rock qui changerait, peut-être perdrait un certain souffle au profit d’une scène électronique travaillée.

Enter Shikari – Le Trianon Paris 2024 – Crédit photo : Louis Comar

On ne va pas faire mentir le maître. Cette modernité pressentie si tôt, elle s’applique à la carrière de ceux qui ce soir enflamment le public. Pogos et slams se côtoient volontiers au milieu de mélodies saturées. Pour autant, l’atmosphère, elle, reste inchangée. Ce qui était vraie dans les années 2000 ( la formation du groupe date de 1999) l’est tout autant aujourd’hui. Les réactions, la manière de goûter au live sur cette scène si particulière se répètent en une grande fête dont on connait la gestuelle. Et Reynolds ne manquera d’ailleurs pas d’en profiter pour s’offrir son traditionnel bain de foule. Morrison disait également qu’un autre courant viendrait prendre la relève du rock. Il avait raison, puisque le Hip Hop a aujourd’hui pris une place dominante dans le paysage musical. Bonne nouvelle : Enter Shikari sait aussi manier le genre, dans le registre néo metal d’ailleurs. En les écoutant, il parait évident de penser au pionniers du genre Limp Bizkit. Le nouvel album a la part belle ce soir notamment sur une interprétation phénoménale de  » Jailbreak ». Et puis pour mieux se calmer, le chanteur s’offre un un titre apaisant en solo, guitare à la main avec « Juggernauts ». La soirée se conclut sur un rappel en deux titres et son grand final pour un dernier pogo transpirant :  » A Kiss for the whole world ». Ce baiser passionné permet de démultiplier l’énergie, la transmettant comme une promesse faite. Au Monde entier d’enfin soigner ses plaies ? Au moins au Trianon ce soir, d’avoir passé un moment mémorable où l’amour se signe en baisers et lâcher prise.


Maisie Peters – Olympia 2024 – Crédit photo : Louis Comar

C’est la Saint-Valentin et l’amour est dans l’air, particulièrement doux ce soir, de la capitale française. Dans les transports, dans les rues, des bouquets de fleurs géants comme des roses solitaires se baladent de mains en mains. Et c’est dans un lieu tout aussi habitué à en voir des roses, mais celles-là jetées sur scène, qu’il faut se diriger : j’ai nommé l’Olympia. Là nous attend le concert pop et sucré de la britannique Maisie Peters venue défendre son dernier album en date : « The Good Witch ». Un show qui se déguste comme une guimauve devant un teen show : tout en douceur.

Cross my heart

L’amour est en fait partout. C’est Love Actually qui le dit mais pas seulement. A en juger par la devanture de l’Olympia ce soir, il est fort celui que partage Maisie Peters avec sa communauté de fans. Tout le monde est à l’heure, personne ne veut perdre une miette du concert. Du coup dès la première partie, le public est déjà tassé en masse dans la salle. Il faut attendre 21 heures pour que la star de la soirée se présente. L’amour il est aussi dans les petites gestes. Là, au fond, dans le public, une mère pose un casque sur les oreilles de sa jeune fille, pré-adolescente qui y découvre ses premiers concerts, et ses premiers battements de coeur quand les lumières s’éteignent. A peine la salle plongée dans l’obscurité, voilà que retentissent les notes de « So What » de Pink, balancées avec force pour permettre à l’audience de se mettre dans le bain. Enfin la chanteuse fait son entrée. Son décors est à l’image de sa musique : des nuages roses qui ne sont pas sans rappeler la couverture de « Teenage Dream » de Katy Perry. Le bal s’ouvre sur « Coming of Age ». Et dès les premières notes, la foule se met immédiatement à chanter de bon coeur les paroles connues elles aussi par coeur. Ce qui est vrai à la première minute le sera tout au long de la soirée. La fan base investie ne lâche pas un titre de la musicienne, l’accompagnant autant en chantant qu’en dansant. A tel point qu’il est impossible de distinguer les singles des titres moins connus pour une oreille non avertie.

Vêtue de rouge, avec sa voix fluette, la musicienne pourrait rappeler la grande époque des stars Disney, Hilary Duff en tête de liste. La comparaison est aussi évidente avec l’icône la plus en vogue du moment : Taylor Swift. Avec elle, elle partage cette connexion avec son public, ce côté girl next door avec laquelle il serait bon être amie. Bavarde, elle s’adresse au public dès ses première minutes. D’abord en français : « Paris, je t’adore ». Puis reprenant sa langue maternelle pour demander qui ici à un Valentin ou une Valentine. Peu de mains se lèvent. Mais la voilà qui rassure sourire aux lèvres « Ce soir  vous avez toute.s une Valentine : c’est moi ! ». Rapidement, elle prend en main sa guitare et ajoute un petit côté country à sa pop colorée. « Body Better », l’un des singles issus de son dernier opus se fraie rapidement une place dans sa set list tout comme le plus ancien « John Hughes Movie ». Amour encore, amour toujours. Parfois celui-ci tourne mal alors la voici qui explique « Si vous vous dites que vous reconnaissez votre mec dans les paroles de ma chanson il faut le quitter d’urgence. » La blague fait mouche, l’audience est ce soir, plus que réactive.

Maisie + Peters X Olympia 

Maisie Peters a aussi assis sa réputation en travaillant avec Ed Sheeran et en officiant ses premières parties. Avec le chanteur elle partage la capacité à offrir des tubes immédiats, qui s’appréhendent avec aisance mais aussi un show centré sur un.e interprète principal.e à la guitare / voix.  Toujours souriante, toujours prête à communiquer, elle prend à partie l’une de ses fans au premier rang pour  la faire parler de son ex, qui visiblement s’est mal comporté, et l’aider en quelques mots à exprimer devant tout le public qu’elle est bien mieux sans lui. Cheh Joe !

A mi set la musicienne s’offre un medley et en profite pour reprendre Noah Kahan, dont son célèbre « Stick Season ». Pour celles et ceux qui souhaiteraient voir sur scène sa version originale il suffira d’attendre la fin de semaine dans l’exacte même salle. Un joli clin d’oeil à la nouvelle sensation folk, dont la musique aux accents country sont très proches d’une scène pop punk en perdition mais dont la candeur appelle toujours à la retrouver.

Cette musique est autant que le reflet d’une époque que les séries télévisées qui l’ont habitée. En la matière le spectacle de Maisie Peters n’est pas sans rappeler l’atmosphère des « Frères Scott ».  Certain.es se rappelleront le sourire aux lèvres avoir passer des heures à rêver de Three Hill en Caroline du Nord où se déroulait l’action. Là où une petite scène locale accueillait des artistes souvent pop tout aussi souvent rock organisée par Peyton. La même scène qui accueillait Fall Out Boy et qui permettrait à Pete Wentz, le bassiste beau gosse de sortir à l’écran avec une adolescente (mineure, mais passons sur ce moment problématique au niveau du scénario). La comparaison est peut-être d’autant plus évidente que Maisie Peters revendique Fall Out Boy parmi ses influences mais aussi Lilly Allen et My Chemical Romance. Elle est d’autant plus aisée que pour le public, relativement jeune et majoritairement féminin de ce soir, la sensation d’appartenir à une communauté, pareil à celle d’une petite ville est palpable. L’amour est partout, nous le disions.

Maisie Peters – Olympia 2024 – Crédit photo : Louis Comar

Un dernier sort

Le show défile à toute vitesse. « Run » est interprété même si précédé de quelques secondes de « Can’t help falling in Love » visiblement moins dans le ton que Maisie Peters souhaite donner. Les bras en l’air, le public suit le concert titre après titre avant de finir, temporairement – rappel oblige- sur « Cate’s Brother », single sorti en 2022 hors albums.  La fin du titre a un arrière goût de trop peu. Comme avec un bon verre de vin, on en reprendrait bien une lichette. Prêt pour une dernière gorgée de Chateau Olympia 2024 en accord met/ vin avec les petites douceurs de la soirée ?

Voilà donc notre Valentine qui revient pour deux titres. Le premier « History of Man » lui permet d’inviter Paris Paloma, sa première partie, à la rejoindre sur scène. Enfin notre bonne sorcière agite son nez pour réaliser un dernier sort et envoûte la foule sur « Lost the Breakup » issu de « The Good Witch ».  La magie opère, un sortilège d’amour en quelques sorte. Celles et ceux qui y auront vécu leur premier coup de coeur scénique rebaptiseront certainement Maisie Peters Hécate, la déesse des sorcière, lorsqu’iels repenseront avec nostalgie à ce moment envolé.

Maisie Peters – Olympia 2024 – Crédit photo : Louis Comar

 

 

bill ryder jones
©Kevin Gombert

Ce 12 janvier sortait « Iechyd Da », un toast à la bonne santé par l’incroyable Bill Ryder-Jones. On est en janvier et l’artiste signe déjà ce qui restera, c’est certain, l’un des meilleurs albums de 2024. Comme toujours il signe un opus particulièrement honnête et à fleur de peau mais y ajoute une lumière qu’on ne lui connaissait pas. On a donc tout naturellement eu envie de discuter avec lui de cette pépite. C’est dans les locaux parisiens de son label, Domino, que l’on a pu le rencontrer autour d’une tasse de thé. Et il faut dire que le musicien / producteur n’hésite pas à dire tout ce qu’il pense, sans filtres, sans détours, pour parler à coeur ouvert de santé mentale, d’addiction, de création, de production, d’industrie musicale, du festival Pop & Psy, de ne pas aimer le live et même de ses pyjamas. Rencontre passionnante, humaine, d’une véracité rare.

P&S : Parlons de ton nouvel album, comment le décrirais-tu ?

Bill Ryder-Jones : Je ne sais pas si je suis doué par ça. Je dirai que ce sont les 4 dernières années de ma vie. Et toi comment tu le décrirais ?

P&S : Je dirai qu’il est plein de lumière et beaucoup plus optimiste que son prédécesseur.

Bill Ryder-Jones: C’est très vrai. Il aurait difficilement pu être moins optimiste que celui d’avant. Ce serait impressionnant non ?

P&S : (Rires) Clairement. Tu disais d’ailleurs que tu n’étais pas capable d’écrire des chansons joyeuses quand tu parlais du précédent. Ca a changé sur celui-ci ?

Bill Ryder-Jones : Je dirai que la musique est plus empreinte d’espoir. Je ne pense pas qu’elle parle de joie ou d’être joyeux. Etait-ce vraiment une décision consciente de la rendre plus lumineux ? De parler de beaux gros moments qui te font avancer ? Oui c’était vraiment ma décision.

Quand je joue sur scène mes anciennes compos ça entretient un putain de malheur

P&S : Ca vient de ce qui t’arrivait dans la vie ou était-ce la musique que tu voulais faire ?

Bill Ryder-Jones : J’ai aimé le faire mais ça ne me représente pas vraiment. J’ai pensé que ce serait simple et intéressant à jouer en live. Quand je joue sur scène mes anciennes compos ça entretient un putain de malheur. Je faisais un album avec un musicien de Liverpool, je le produisais et il avait tellement de grands moments, de beaux moments avec de grands moments de cordes et je me disais c’est la musique que j’aime, pourquoi je n’en fais pas ? Je me suis senti super con. Je pourrai faire de la musique qui me rend heureux et qui combat le malheur. Faire de la musique pleine d’espoir.

P&S : C’est pour ça qu’on entend des chants d’enfants sur l’album ? Le rendre encore plus joyeux ?

Bill Ryder-Jones : Oui, tu peux pas entendre un gosse chanter sans sourire. C’est un son heureux. Ce ne sont pas juste les instruments mais les choix qu’on fait. Et leurs voix répondent à cette envie plus que certains instruments.

P&S : C’est aussi, comme tu le disais, l’album le plus produit que tu as fait. En tant que producteur, qu’est-ce que ça a signifié pour toi ?

Bill Ryder-Jones : Il y a beaucoup plus d’informations et d’instruments sur cet album. Il y a des morceaux qui n’ont pas de vrais couplets juste 3 sections, c’est très différent de celui d’avant. Je travaillais sur mes chansons toute la journée, les écoutais le soir, prenais des notes, rentrais chez moi j’écrivais encore plus. Il y a beaucoup d’edits sur chaque chanson. Tout a été ré-écrit plusieurs fois, les rythmiques par exemple. La production est la majorité de l’album. L’écriture a pris du temps mais n’a pas été difficile. Je me suis senti beaucoup à l’aise à le produire. Et c’est aussi l’album qui m’a pris le plus de temps.

D’autres fois tu te dis « Putain je déteste la musique, je veux me mettre au lit et jouer sur ma Playstation. »

P&S : Tu as pris combien de temps sur l’écriture ?

Bill Ryder-Jones : Comme beaucoup de gens avec le covid, je ne sais pas où est passé le temps. Je n’en ai pas la moindre putain d’idée. Je sais que j’ai écrit trois chansons pendant la première semaine du confinement. J’en ai écrit sur mon ex, et puis on a rompu alors je ne voulais pas sortir l’album parce que beaucoup de morceaux étaient à son sujet. J’ai écrit sur d’autres choses et puis on s’est remis ensemble. J’en ai écrit d’autres sur elle. Et puis finalement on a vraiment rompu. J’ai fait une dépression et j’ai dû prendre du temps loin du travail. Je ne saurai pas dire quand ces différents moments ont eu lieu. C’est ce que je fais, j’écris quelques morceaux, je laisse passer le temps. Puis le reste du temps, j’essaie de finir des choses qui je sais, ne seront pas assez bonnes, mais j’essaie de rester dans le processus. Mais bout à bout ça a dû prendre 2 ou 3 ans. Période pendant laquelle j’ai produit des albums pour d’autres. Quand tu produits pour les autres, à un moment donné tu veux aller en studio pour toi-même. Et d’autres fois tu te dis « Putain je déteste la musique, je veux me mettre au lit et jouer sur ma Playstation. » Donc ça prend du temps.

P&S : Le premier single de l’album était « This Can’t Go On », un morceau excellent, que j’ai adoré. Quelle est son histoire ?

Bill Ryder-Jones : Merci ! C’était après une très grosse dispute avec mon ex partenaire durant, je crois, le second confinement. Il parle de mes crises de panique et de comment je gère mes flashbacks émotionnels. Mon agoraphobie s’était empiré, j’étais devenu dépendant du Valium et je buvais beaucoup trop. Je suis allé marcher derrière ma maison. Il était 4 heures du matin et j’ai dû sortir de ma maison parce que les choses étaient si horribles, je n’en pouvais plus. J’étais au bord de la falaise à me demander ce qui était en train de se putain de passer, ce qu’était ma vie, comment j’en étais arrivé là. Et en parlant aux gens, en écoutant des conseils, il m’ont dit ‘tu devrais sortir plus tu sais ‘ (rires). Mais je suis agoraphobe … Les gens bien intentionnés te disent des choses parfois. Genre ‘ tu devrais faire du sport’ ‘ tu devrais moins boire tu sais …’ ‘prends l’air frais, bois de l’eau’ … toutes ces choses qui évidemment aident, mais qui sont impossibles à atteindre pour certaines personnes.

La musique est le grand guérisseur de ma vie.

P&S : Justement tu parles beaucoup de santé mentale. Beaucoup de gens ont dit que ça les a aidé de te voir en parler aussi honnêtement. Comment penses-tu que la musique aide et inspire les gens en détresse ?

Bill Ryder-Jones : On sait tous que la musique aide. La musique est le grand guérisseur de ma vie. Du moins elle fait quelque chose d’identifiable, elle te calme et te fait penser que tu as ta place ici. Elle m’aide moi donc je pense qu’elle aide d’autres personnes. C’est pour ça que c’est difficile de ne pas éprouver de la haine pour d’autres musiciens qui ne sont pas de bons modèles. Qui prennent par exemple de la cocaïne et qui amusent les gens avec ça. Qui ils aident putain ? Ils doivent aider certaines personnes.

Les gens qui font de la musique sont souvent assez dérangés tu sais…

P&S : On parle de plus en plus de santé mentale dans l’industrie de la musique, c’est du moins vrai en France et j’imagine aussi pour vous. Depuis tes débuts, est-ce que tu vois que ce dialogue a vraiment changé les choses ?

Bill Ryder-Jones : Oui. J’ai commencé quand j’avais 16 ans en 2000. Et mes problèmes ont commencé en 2004. Ca ne change pas assez vite. Je pense qu’il n’y a pas assez de personnes dans l’industrie qui en ont vraiment quelque chose à foutre. Ceux qui en ont quelque chose à foutre de la santé mentale sont ceux qui ne sont pas au sommet du succès. Genre si tu vis de la musique mais tu n’es pas vraiment de l’industrie. Les gros labels font semblant que ça les intéresse mais c’est probablement faux. Le bon boulot est fait par des associations. C’est toujours vraiment affreux ce qui se passe dans l’industrie. Mais les choses s’améliorent grâce à une conscience sociale qui est une réflexion du monde extérieur. Et ça a besoin d’aller encore mieux. L’industrie ne sera jamais entièrement vidée des problèmes de santé mentale et de personnes qui ne peuvent pas s’aider elles-mêmes. Les gens qui font de la musique sont souvent assez dérangés tu sais (rires). Ces gens ne peuvent pas et ne seront pas aidés mais on ne peut pas toujours blâmer l’industrie pour ça. Mais oui on sent le changement.

P&S : En France on a même un festival dédié à ce sujet. Il s’appelle Pop & Psy. Vous avez ce genre d’initiatives au Royaume-Unis ?

Bill Ryder-Jones : C’est génial. Je ne suis pas toujours très au courant de ce qui se passe mais j’imagine honnêtement que si on avait ce genre de choses en Angleterre, on m’appellerait pour y jouer (rires). Mais c’est une bonne chose que ça existe ici. Les personnes plus jeunes avec lesquelles je travaille on l’air de mieux accepter leurs problèmes. Ils les comprennent plus tôt.

P&S : Le titre de ton album parle d’aller mieux d’ailleurs …

Bill Ryder-Jones : Ca veut dire bonne santé. C’est un toast à la bonne santé si on le traduit bien. Pour quand tu bois un verre. J’aime la manière dont ça sonne quand on le dit. C’est sûrement la phrase que je dis le plus. L’album n’a pas de thème central autre que l’espoir. Je ne voulais pas l’appeler « Espoir » parce que c’est de la merde (rires) mais c’est une bonne façon de dire la même chose. J’allais beaucoup au Pays-de-Galle quand j’étais gosse, c’est tout à côté, ça ressemble beaucoup à là d’où je viens mais la langue est complètement différente, sonne si différemment. Le titre m’est venu très tôt tout comme la pochette, quelques mois avant le mixe. Je savais l’identité que je voulais donner à l’album. Mais pas ce qui donnerait de l’intérêt aux gens. C’est à ça que sert le titre selon moi.

P&S : En parlant de là où tu viens, tu parles aussi de la mer sur l’album qui fait partie intégrante de là où tu viens.

Bill Ryder-Jones : C’est vrai. Mais ce ne sont pas mes mots, ce sont ceux de James Joyce. Ils allaient très bien sur le morceau que j’ai composé. Je faisais beaucoup plus de références à la mer sur mes anciens albums.

Je n’écris pas sur ce qui se passe dans le Monde, juste sur la mer.

P&S : Tu en as beaucoup écris dessus ?

Bill Ryder-Jones : Oui je suis juste paresseux. Je n’ai qu’à regarder par la fenêtre et la mer est partout. Je n’écris pas sur ce qui se passe dans le Monde, juste sur la mer.

P&S : Et comment tu te sens de jouer cet album sur scène ?

Bill Ryder-Jones : Plus excité que je ne l’ai jamais été. C’est plus calme dans le sens, il y a mois de grosses guitares, j’ai une violoniste avec moi. Et c’est super. J’ai vu d’anciennes performances à moi sur Instagram et je me sens mauvais j’en fais trop. Là je vais pouvoir être plus calme et je préfère ces morceaux. Et je pense que les gens les aime. Je n’ai jamais adoré le live mais c’est la meilleure façon d’en faire.

C’est là où est l’argent, pour l’instant le concert donc il faut bien en faire.

P&S : Tu as dit que tu n’aimes pas les gros concerts sauf si tu ne joues pas pour toi-même.

Bill Ryder-Jones : Je ne les aime jamais. J’ai joué à Londres et fais un Q&A, il y avait 40 personnes et j’avais quand même peur. C’est là où est l’argent, pour l’instant le concert donc il faut bien en faire.

P&S : Tu préfères créer la musique que de tourner pour la jouer ?

Bill Ryder-Jones : Oui enfin je peux tenir 15 jours, 20 jours. Enfin c’est quand même horrible (rires)

P&S : D’ailleurs en parlant promo, les photos que tu as mis pour annoncer ta tournée sur Instagram sont prises dans ta chambre. C’est pour dire que c’est de la bedroom pop ?

Bill Ryder-Jones : Ho oui elles (rires). Je passe beaucoup de temps au lit, c’est un bon endroit pour écrire. J’ai oublié que le photographe devait venir à vrai dire. ( rires) Je sais pas pourquoi je lui ai dis de venir à 11 heures 30 alors que je ne me lève jamais avant midi donc je l’ai laissé entrer. J’ai juste enfilé un truc rapidement. Je suis content du rendu parce que j’ai souvent la flemme de faire ce genre de choses. Et là, ça a ce côté un peu amusant et c’est bon de l’être, de ne pas se prendre au sérieux.

P&S : C’est aussi très honnête comme ta musique que tu as toujours voulu très honnête.

Bill Ryder-Jones : Et puis j’adore ce pyjamas. C’est ma mère qui me l’a acheté. Le haut et le bas assortis comme un gentleman anglais. Je portais un chapeau comme à noël. J’ai 39 ans et je suis encore fan de pyjamas.

bill ryder jones
©Kevin Gombert
P&S : Tu dis que tu essaies toujours de faire des albums accessibles, que tu n’y arrives pas et qu’au final ils sont plutôt honnêtes. C’est le cas cette fois ?

Bill Ryder-Jones : Je n’ai même pas essayé de le rendre accessible cette fois. Je me rends compte que c’est une idée inutile que d’essayer ça. This can’t go on prouve ça. Il ne devait pas être un single pour la radio. Et finalement la radio l’a pris et c’est un grand pas pour moi. C’est aussi honnête que je peux l’être. Et pourtant les gens ont l’air de l’aimer plus que n’importe quel morceau que j’ai écrit. Quand on parle de suicide il faut faire très attention à ce qu’on dit, la musique a un tel pouvoir sur les gens. Je ne voudrai pas pousser les gens. Je voulais que ce soit quelque chose de doux et d’aimant sur ce qui se passe quand on perd quelqu’un de cette façon.

Bill Ryder-Jones sera en concert en France, le 28 mars à la Maroquinerie de Paris.


Peter & The Roses

Peter-And-The-RosesPeter & The Roses, vous le connaissez déjà. Non pas que son nom vous soit familier, d’ailleurs il ne dévoilera pas son identité. Pourtant sa musique, vous l’avez entendue puisqu’il travaillait aux côtés de noms immenses dans la musique, à commencer par Justice, Busy P, Kungs et Nekfeu pour ne citer qu’eux. Toujours est-il que pour notre mystérieux artiste, l’année 2023 a été celle de ses débuts en solo. Au programme donc,un électro pointu mais aussi lumineux, envoûtant et positif. La faute à une liste d’inspirations aussi longue que variées allant du cinéma de Spielberg, Singh, Miller ou Nolan  à la BD de Mœbius, Caza, Jodorowski ou encore d’Ugo Bienvenue. L’artiste pluriel offre donc des visuels forts et une esthétique très soignée à la croisée des arts. Et la musique dans tout ça ? Là encore, il est question de piocher dans l’éclectisme. On prend de l’éléctronica, de l’indie pop, de la house mais aussi du rock pour créer le cocktail parfait. A ce jeu là d’autres se sont prêtés avec succès : MGMT, Jabberwocky, Phoenix aussi. En l’écoutant, on retrouve l’indie pointu des premier, la capacité tubesque des derniers. Mais surtout, faut-il le répéter, beaucoup de soleil. Chaque titre est une escapade estivale qui n’a rien à envier à l’univers de Fakear qui lui aussi pred plaisir à nous envoyer vers les destinations les plus chaudes. Le clavier s’invite, l’élégance est de rigueur. On danse sur ses morceaux comme dans les clubs selects des plus belles capitales de ce monde. On retrouve aussi la capacité à toujours frapper fort de la troupe de Pedro Winter et du label Ed Banger. Juste avant noël, le musicien dévoilait le remixe de « Breathe » avec Brondinski. Un titre plus sombre, répétitif, obsédant aux rythmiques bien plus primitives et donc instinctives qu’à l’accoutumé. Tout réussi à Peter & The Roses alors que les genres, loin d’enfermer notre artiste, sont un terrain de jeu géant sur lequel il excelle à en parcourir un maximum.  Pour s’en convaincre, il faudra attendre le 2 février et le lancement de son tout premier album. Le moment idéal pour échapper au froid qui ne finit pas, en musique.

Peter and the Roses - Breathe (Brodinski Remix)

Fiona Walden

Fiona WaldenEn 2016, la découverte de Fiona Walden  sur scène avait immédiatement donné lieu à un coup de coeur évident. Sur les planches de la Flèche d’Or, la chanteuse à la voix puissante et grave se dévoilait pour mieux rester dans les mémoires. Son titre « Cold Heart » en tête de liste, ode délicate et entêtante, était une réussite absolue. Pour preuve, elle obtenait en 2017  le prix coup de cœur du Chantier des Francos avec son EP « Wanted ». Et puis, il a fallu s’armer de patience pour suivre ses aventures musicales. En effet, elle a pris le temps de s’essayée au sound design (Givenchy, Unprint…)  pour mieux trouver de nouveaux moyens de créer. Et puis, aidée de machines, en quête de redéfinir sa direction artistique, la voilà de retour en 2023. Toujours aidée par sa voix à part, puissante et profonde, elle se réinvente et met en lumière ses sources d’inspirations de Frank Ocean à Billie Eilish en passant par David Bowie. Cette fois-ci elle compose un électro qui se pare de pop et convoque la capacité tubesque  de ses idoles. Ces morceaux ne sont pas sans rappeler l’attrait dansant de « Bad  Guy », sa force de frappe précise mais aussi la mélancolie joliment dosée de « When the party’s over ». Et puis Fiona Walden ne s’arrête pas là. Elle quitte la langue de Shakespeare, le temps de se trouver en français. De là, né un nouveau morceau « Brûler le temps » qui sera disponible dès le 12 janvier 2024. Dans sa langue, la musicienne est encore plus gracieuse, offrant au texte une envolée narrative puissante qui saura traverser les époques. Le piano et la voix s’y répondent avec douceur et sincérité. A pas de chat, comme le veut la danse classique, la musicienne touche les âmes et crée un havre de délicatesse.  L’année 2024 lui donnera l’opportunité de dévoiler encore plus de son univers divers, sensible, qui fait vibrer le spleen et le sublime.

 

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