Tout change, tout passe, tout avance. Parfois trop vite, à tel point qu’il est difficile de retrouver ses repères. Et pourtant, il est un lieu où nous avons toujours 20 ans et où les codes restent – du moins en immense partie – inchangées. Il s’agit des gigs des artistes issus du rock des scènes alternatives. En la matière, le concert parisien des britanniques d’Enter Shikari ce 21 février permettait de se reconnecter à une maison constituée d’un cœur humain. Une forme d’insouciance partagée sans pour autant s’abstraire de l’actualité et du difficile contexte politique que nous subissons en ce début 2024. Un moment entre énergie et set très travaillé qu’on vous raconte.
Communauté engagée
Il y a du monde ce soir au Trianon de Paris. La pluie qui dehors coule à flot depuis le début de la journée semble rapidement se faire obscure souvenir en montant les escaliers de la très belle salle parisienne. A l’intérieur, les t-shirts noirs de groupes sont légions. Ceux d’Enter Shikari évidemment, mais pas seulement. Les fans de rock alternatif partagent un look travaillé mais précis, sorte de repère pour défendre les formations qui leur parlent. Et depuis fort longtemps, le courant est une niche. Certes, il a son public, l’un des plus dévoué qui soit mais aussi l’un des plus communautaire. Ce qui est vrai au Royaume-Unis est loin d’être vrai en France. Outre-Manche, Enter Shikari et leurs comparses remplissent des Arenas. Ici, il faut compter sur des salles de moyennes capacité pour chanter à tue-tête des riffs screamés. Une configuration qui ne dérange en rien Enter Shikari. Bon joueurs, ils y mettent la même énergie que dans les plus grandes salles. A croire même qu’un certain plaisir se dégage à la perspective d’une proximité retrouvée avec le public. La chose sera d’ailleurs prouvée encore et encore en cette soirée, où, les jeux d’écrans, aussi impressionnants soient-ils ne volaient pas la vedette aux nombreux échanges offerts par Rou Reynolds, le frontman. Et puis ces salles à taille humaine, elles permettent également de partager des valeurs communes. Le groupe est en effet ouvertement engagé dans de nombreuses causes qui lui sont chères. Parmi elles on retrouver les luttes pour les droits LGBTQ+ (Reynolds n’avait pas ménagé – à juste titre – le chanteur de For Today suite à ses tweets homophobes) mais aussi engagement pour le climat et le féminisme ( tout leur 4ème album « The Mindsweep », hautement politisé traitait de ces sujets). Des engagements qu’ils apportent avec eux leurs de leurs tournées.
Fever 333 : fièvre pacifiste
C’est sûrement une des raisons (entre autre de leur talent) qui les ont poussé à tourner avec Fever 333. Ces derniers signaient ainsi la deuxième première partie de la soirée. Notons que deuxième première, ça parait plus compliqué à l’écrit que ça ne l’est dans la réalité. Toujours est-il que le groupe américain mené par Jason Aalon Butler a lui aussi profité de ce Trianon pour rappeler que le groupe se tient toujours du côté des opprimés. Sans musique,face au public et parlant avec éloquence, le chanteur ne mâche pas ses mots pour défendre la cause des palestiniens et demander la libération totale de ce peuple comme l’arrêt de cette guerre violente. Un message accueilli par un public qui partage ce même sentiment de profonde injustice. Les applaudissements fournis venant d’ailleurs appuyer le propos. Plus tard, le groupe en profitera pour remercier les membres féminins du public : « Votre simple existence suffit et est une bénédiction »avant de leur dédier un morceau. L’envie de créer une safe place au sein de ces concerts sonne comme une évidence. La rage déployée par les guitares saturées, le rock, les screams, tout ça forment un exutoire, une occasion de laisser sortir les souffrances, difficultés et d’exprimer les révoltes. Il devient aisé de laisser sortir ses démons. Leur rire au nez même. En la matière l’énergie de Fever 333 a peu d’égal. Au milieu de ses riffs costauds, la formation subjugue la foule, visiblement aussi fan de la première partie que des hôtes de la soirée et connait chaque morceau par cœur. Avant de quitter la scène, Butler s’offrira un saut dans la fosse depuis les balcons atteint par quelques astuces d’escalade. Un premier bain de foule la soirée, les suivants seront réservés à Enter Shikari.
Enter Shikari : Des visuels forts, des lumières muticolores
Ces derniers savent d’ailleurs soigner leur performances. Moins brutes de décoffrage que Fever 333, on voit que la tête d’affiche de la soirée a pris le temps de rôder son live. L’entrée sur « System… » puis le single à succès « …Meltdown » (issu de « A Flash Flod of Colour » publié en 2012) ne sont qu’une très belle mise en appétit. Il débarquent sur scène avec de gros écrans peuplés de nombreuses vidéos colorées qui viennent habiter leur performance musclée. La scène du Trianon (l’une des plus belles de Paris d’ailleurs en raison des ses balcons élégants) leur va parfaitement au teint. Probablement même mieux que celle de leur dernier passage, un Trabendo en 2022, qui laisse peu de place à ce genre de très grosses scénographies. Ici, Rou Reynolds et ses comparses sortent le grand jeu. Des lumières viennent s’ajouter au live. Elles se font parfois jeu de laser, le chanteur s’amusant à les couper de sa main pour mieux les laisser changer de couleur. La lumière ici ne se contente pas d’aider le spectacle et sa lecture mais devient une véritable actrice de cette scénographie très léchée.
Un nouveau registre et un dernier baiser
Côté son, on ne pourra pas reprocher à Enter Shikari de ne pas avoir su peaufiner son style et lui donner une texture plus accessible, plus mainstream. C’était déjà le cas sur son avant-dernier né « Nothing Is True & Everything Is Possible » paru en 2020 et dont la tournée, retardée par le COVID avait vu le jour en 2022. La preuve en est à nouveau donnée avec cette dernière sortie en date : » A kiss for the whole world » paru en 2023 . Ici un électro enragé vient se greffer à un rock sans concession. Les genres s’y croisent et s’y rencontrent. Jim Morrison prévoyait déjà à la grande époque des Doors une telle évolution de la musique. Un rock qui changerait, peut-être perdrait un certain souffle au profit d’une scène électronique travaillée.
On ne va pas faire mentir le maître. Cette modernité pressentie si tôt, elle s’applique à la carrière de ceux qui ce soir enflamment le public. Pogos et slams se côtoient volontiers au milieu de mélodies saturées. Pour autant, l’atmosphère, elle, reste inchangée. Ce qui était vraie dans les années 2000 ( la formation du groupe date de 1999) l’est tout autant aujourd’hui. Les réactions, la manière de goûter au live sur cette scène si particulière se répètent en une grande fête dont on connait la gestuelle. Et Reynolds ne manquera d’ailleurs pas d’en profiter pour s’offrir son traditionnel bain de foule. Morrison disait également qu’un autre courant viendrait prendre la relève du rock. Il avait raison, puisque le Hip Hop a aujourd’hui pris une place dominante dans le paysage musical. Bonne nouvelle : Enter Shikari sait aussi manier le genre, dans le registre néo metal d’ailleurs. En les écoutant, il parait évident de penser au pionniers du genre Limp Bizkit. Le nouvel album a la part belle ce soir notamment sur une interprétation phénoménale de » Jailbreak ». Et puis pour mieux se calmer, le chanteur s’offre un un titre apaisant en solo, guitare à la main avec « Juggernauts ». La soirée se conclut sur un rappel en deux titres et son grand final pour un dernier pogo transpirant : » A Kiss for the whole world ». Ce baiser passionné permet de démultiplier l’énergie, la transmettant comme une promesse faite. Au Monde entier d’enfin soigner ses plaies ? Au moins au Trianon ce soir, d’avoir passé un moment mémorable où l’amour se signe en baisers et lâcher prise.