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Figure essentielle du rock depuis les années 80 avec Sonic Youth, Thurston Moore sort aujourd’hui un nouvel album solo intitulé Flow Critical Lucidity, dans lequel il poursuit son immense fresque solo constituée de boucles de guitares hypnotisantes. Bien que celles-ci sont cette fois-ci plus courtes et concises qu’auparavant, sa musique garde son essence, toujours guidée par une voix douce et des accords flottants. Un véritable éloge à la nature. En plein mois d’août, il accepte de nous rencontrer en visio pour discuter autour de son œuvre globale et de ses mémoires. C’est avec émerveillement que nous l’écoutons parler sans s’arrêter, le sourire aux lèvres, avec la bonté du professeur avide de paroles et heureux de pouvoir transmettre un savoir et des idées, qui plus est riche d’une expérience immensément grande.

Crédit : Vera Marmelo

Pop & Shot : Bonjour ! Merci beaucoup de nous accorder cet entretien. C’est un honneur.

L’année dernière, vous avez écrit un livre consacré à vos mémoires dans lequel vous revenez sur les années Sonic Youth : « Sonic Life : a memoir ». Quel effet ça fait de replonger dans tous ses souvenirs ? C’était plaisant ?

Thuston Moore : En réalité, j’y pense tout le temps. C’est tellement une grande part de mon existence tu sais. J’ai toujours su que je voulais écrire un livre sur Sonic Youth, encore plus du fait que le groupe n’existe plus. C’était une question de temps avant que je m’y mette. En fait, j’avais juste envie d’écrire. J’adore ça. J’ai toujours écrit des poèmes et des essais musicaux mais je n’avais encore jamais écrit un ouvrage de 300 ou 400 pages. Donc cette fois, j’ai voulu me pencher sur quelque chose de plus long. Ca m’a permis de réellement m’accoutumer à l’art et à la pratique de l’écrit.

Dans mes mémoires, le groupe n’est pas mentionné avant la 200e page du livre. C’est donc autant sur Sonic Youth que sur l’expérience de jeunes gens réalisant quelle était leur vocation, grâce à une obsession, celle de la musique, de la culture, de l’art, de l’impulsivité de créer…

Aujourd’hui, je travaille sur un livre de fiction. C’est surement moins intéressant historiquement parlant mais tout aussi enrichissant comme matière littéraire.

 

Pop & Shot : On trouve aussi dans cet ouvrage une vision, à travers vos yeux d’adolescent, de la scène des années 70 et 80.

Thuston Moore : J’avais envie d’écrire sur mes inspirations, par exemple sur le premier ouvrage de poésie de Patti Smith, ou encore sur la première photo que j’ai vu d’Iggy Pop, de Television, des New York Dolls, des Sex Pistols, et ce que ces images ont représenté pour moi. Les découvrir en photo, y penser, avant de les écouter… Rien n’était vraiment instantané dans les années 70, comme aujourd’hui où, avec mon ordinateur, j’ai directement accès à tout ce qui m’intrigue et me rend curieux. Je peux écouter n’importe quel artiste et savoir à quoi il ressemble instantanément, ce que je trouve super, mais ça n’existait simplement pas à l’époque. On devait donc suivre des indices laissés par le journalisme spécialisé rock par exemple. Tu découvres une photo de Patti Smith dans un magazine où elle ressemble à une jeune femme style Keith Richards qui écrit une poésie incroyable autour du rock, du désir, de l’identité de soi etc. Ca t’intrigue et tu en viens à essayer d’imaginer comment cette personne sonne, parle bouge, vit.. Puis tu apprends qu’elle sort un album, alors tu le commandes, et deux semaines après, il est dans ta boite aux lettres. Là tu découvres la voix sublime d’une poétesse et d’une rockeuse. C’était la chose la plus surprenante pour moi, de découvrir comment sonnaient tous ces artistes après avoir vu à quoi ils ressemblaient. Ces sensations se déplaçaient lentement, tandis que la musique en elle-même était tout l’inverse dès qu’on mettait la main dessus : rapide, immédiate, dans une forme de précipitation. C’est ce qui a permis de créer toute cette dynamique intéressante propre à cette époque tu vois ?

Je voulais écrire sur toutes ces choses et non tellement sur moi. Moi moi moi. Je ne voulais pas aller trop profond dans ma vie perso. Je voulais écrire sur la musique, et sur toute l’énergie positive qui l’entoure, et surtout pas d’un livre qui exprime de la mauvaise énergie, car j’estime qu’il y en a bien assez partout. Donc oui, j’ai beaucoup aimé faire ça.

Pop & Shot : Et est-ce que ça a été difficile de se rappeler de tout ?

Thuston Moore : J’ai ma propre mémoire, et j’ai parlé à différentes personnes aussi. Lee Renaldo [membre de Sonic Youth] par exemple, à qui je demandais : « tu te rappelles de ce temps ? ». Sa mémoire était différente de la mienne. Et j’ai réalisé qu’on était en mesure d’avoir des preuves, des chiffres concrets, qui venaient confirmer nos souvenirs ou non. J’ai dû aller me documenter dans des librairies, trouver des vieux flyers, des posters, les dates d’enregistrements et de concerts… Et je me suis abonné à plusieurs sites internet de journaux pour pouvoir accéder à pleins de vieilles coupures de presse numérisées, ce qui m’a permis de retrouver nos plannings de tournée des années 90…

Sur le site de Sonic Youth, il y a un onglet dédié à ça, autour de nos dates de concerts, mais c’est uniquement basé sur des enregistrements existants disponibles en cassette. Donc il y a beaucoup d’éléments manquants.

Ce qui était important à l’époque à New York, c’était de parcourir le journal hebdo « The Village Voice », qui répertoriait chaque semaine tous les concerts de la ville. J’ai eu beaucoup de mal à trouver une librairie qui avait les archives de ce journal. Mais j’ai fini par trouver juste à côté de chez moi, en Floride : une aubaine ! C’était l’année de la pandémie donc j’ai pu m’y rendre dès la fin du confinement, puis je suis resté là-bas tous les jours de 9h à 19h à décortiquer la chronologie. Ca m’a aussi permis de me rappeler la première venue de My Bloody Valentine à New York et notre interaction avec eux. Pareil pour Jesus and the Mary Chain. Et certaines personnes se sont mises, après la publication du livre, à réfuter certaines dates. Alors je leur disais « non c’est vous qui vous trompez j’ai les documents », puis je leur envoyais en leur disant « touché ! » *rires*.

 

Pop & Shot : Ca vous a pris combien de temps en tout l’écriture de ces mémoires ?

Thuston Moore : Deux ou trois ans. La deuxième année a été celle où j’ai vraiment pu m’enfermer pour écrire, car c’était l’année de la pandémie qui m’a permise de ne pas avoir trop de distractions du monde extérieur. J’ai beaucoup écrit, 800 pages. Le livre final a été réduit de moitié. J’ai passé un an avec mon éditeur pour redescendre à 400 pages. Ils voulaient 300 pages à la base ! Le processus de publication d’un livre est vraiment super intéressant. J’espère qu’il y aura une traduction en français un jour ! Sauf que le livre est assez long pour ce qu’il est, c’est à dire des mémoires sur la musique, et que ça coûte bonbon pour les maisons d’édition. Il y a quand même eu une traduction italienne je crois.

 

Pop & Shot : Est-ce que c’est un processus similaire d’éditer un livre et d’enregistrer un album ? Dans les deux cas, tu dois couper des choses…

Thuston Moore : Ca l’est. Cependant, dans le cas de la création d’un album, tu travailles avec d’autres personnes… C’est une affaire collaborative contrairement au livre qui est un travail solitaire. Il y a de fait moins d’interactions. J’aime les deux aspects. Faire un album dépend de la collaboration avec les autres musiciens. Et quand je fais un album sous mon nom, je continue de travailler avec des musiciens auxquels je fais appel car je sais qu’ils vont toujours avoir de superbes idées. C’est le cas de tous les musiciens et musiciennes présents sur ce nouvel album.

Mince je dois brancher mon ordi ! La batterie est à plat *rires*

*bruit d’ordinateur qui charge*

Donc voilà, où j’en étais… Oui, c’est différent par cet aspect, collaboration ou travail solitaire… Mais dans les deux cas, le processus se ressemble par le fait d’essayer de combler un appétit créatif. Et j’ai eu beaucoup d’appétits créatifs qui n’ont pas trouvé d’accomplissement. Et c’est ok. Que tu fasses un album ou que tu écrives un livre, tu as toujours en tête l’espoir que ça mènera à quelque chose de concret, vers une fin, vers un endroit où tu peux dire « j’ai terminé ». Mais ça n’est pas toujours le cas. Parfois, tu crées des choses que tu ne partages jamais. Quoiqu’il en soit, je suis vraiment dans l’idée d’échanger, entre l’écrivain et le lecteur, entre le musicien et l’auditeur. J’aime exister à ces deux endroits : sur scène et en tant que public. Je ne sais pas ce que je préfère. Etre un collectionneur d’albums est très important pour moi car tu es pleinement engagé dans cet échange. Certaines personnes apprécient certains albums plus que d’autres, par delà de ce qui fait parfois l’unanimité. Par exemple, si je fais écouter « Horses » de Patti Smith à ma soeur, qui, on est tous d’accord, est un disque essentiel, je suis sûr qu’elle n’aimerait pas; parce qu’elle est très axée musique pop contemporaine. Ce genre d’albums l’ennuient.

Un autre exemple : j’ai un jour lancé très fort un album de John Coltrane lors d’une réunion familiale, et tout le monde s’est plaint comme quoi c’était vraiment prise de tête, ce jazz bruyant et en colère. Je leur ai dit : « mais voyons, c’est du jazz sublime et spirituel ! ». Ils ne l’entendaient que par le prisme d’un élément perturbateur de l’évènement. C’est drôle, j’aime ce regard différent sur les choses.

 

Pop & Shot : En parlant des musicien.ne.s qui vous accompagnent, quel rôle jouent-ils dans le processus de création ?

Thuston Moore : Sonic Youth c’était une vraie démocratie. Quatre personnes se réunissant pour créer des chansons. Peu importe qui apportait les idées. Par exemple, si j’avais quelque chose en tête, je leur montrais mais je ne leur disais jamais ce qu’eux/elles devaient jouaient. Iels venaient aussi avec leurs idées et c’était un effort de groupe. Mes moments préférés étaient ceux où personne ne venait avec une idée. On se réunissait, on fermait les yeux et on commençait à improviser. La musique venait à nous puis ensuite on réécoutait l’enregistrement en se disant : « ok cette partie est intéressante, on peut y revenir ». Parfois aussi, on s’arrêtait en plein milieu de notre impro parce qu’on avait bien aimé un moment et qu’on voulait le retravailler. C’était super fun.

Quand j’ai commencé ma carrière solo, je sentais que je n’avais plus besoin d’être dans un groupe comme ça. C’est bien quand tu es jeune et quand tu te construis avec ça. Mais dès lors que j’ai eu 50 ans, je voulais en quelque sorte être le chef aux commandes. Contrôler la situation. Donc quand je me suis réuni avec d’autres musicien.ne.s à Londres, je voulais des personnes que je n’aurais pas à diriger musicalement parlant, et que je laisserais évidemment libre de proposer des idées, mais qui seraient au courant du fait que les publications allaient être sous mon nom, que j’étais « le boss ». Il fallait être ok avec ça dès le départ et je les avais prévenus bien entendu.

Donc j’adore le système démocratique d’un groupe, qui t’apprend plein de choses sur la vie, mais j’ai eu besoin de tester autre chose. Et puis pour beaucoup de groupes, ça finit par devenir une industrie, une marque… Les Rolling Stones par exemple, qui se connaissent depuis qu’ils ont 19 ans, et qui ont maintenant 80 ans. C’est très très rare qu’un groupe ait une espérance de vie aussi longue. Certains de ses groupes deviennent si connus qu’ils dépendent du fait d’être devenus une marque pour générer des revenus.

Un autre exemple : J Mascis de Dinosaur Jr peut faire de la musique sous son propre nom mais il réunira toujours dix fois plus de personnes avec son groupe qu’en solo, juste parce qu’il y a le logo Dinosaur Jr. et que les gens savent ce que c’est.

Et moi, je n’ai pas l’impression que le type de musique que j’écris en ce moment est très différente que celle que j’écrivais à l’époque avec Sonic Youth. C’est peut-être un peu plus mature : 66 ans VS 26 ans *rires*. Mais c’est la même manière de composer.

En tout cas, j’ai le même respect envers les musicien.ne.s avec qui je joue aujourd’hui qu’à l’époque envers les membres de Sonic…

Wow !

*Les deux chiens de Thurston Moore font leur apparition et font tomber son ordinateur*

Je vous présente mes colocataires, deux frères *rires*

 

Pop & Shot : Magnifiques ! Ils ont quel âge ?

Thuston Moore : Cinq mois. Ils sont géniaux. Mignons et intelligents. On peut reprendre, mon ordinateur n’est pas cassé *rires*

 

Pop & Shot : Votre carrière solo est maintenant assez dense mais ce qui est surprenant au fil des années et des albums, c’est qu’on a l’impression d’écouter une pièce musicale infinie, qui s’étend au fur et à mesure des années, et qui s’enracine dans nos oreilles. Je le vois personnellement comme un espace réconfortant où j’adore aller pour me sentir bien, là où Sonic Youth nous prenait toujours par surprise et à contrepied. C’est quelque chose de volontaire que de vouloir être davantage prévisible – et je ne l’entends pas dans un sens négatif du tout – ?

Thuston Moore : Sonic Youth n’a jamais été installé à un seul endroit, fixe. On voulait toujours explorer des nouveaux territoires. Quoique, certaines critiques disaient qu’on faisait toujours la même chose en boucle, avec un même pattern dans la structure de nos morceaux : un début, une partie noisy, une partie vocale etc.

Pourtant, chaque album a son atmosphère, avec son lot d’expérimentations.

Dans mes disques solos, il y a moins de tension avec les musiciens. La musique ne provient pas du même endroit que celle de Sonic Youth. Dans l’essence même de Sonic Youth, il y a une tension intérieure, du fait que c’était un groupe expérimental qui aimait explorer.

Mais j’ai encore l’impression d’aller vers de nouveaux territoires dans ma carrière solo album après album. Ce nouvel album est très différent des autres que j’ai fait je crois, de par les idées d’utilisation de la guitare, de comment il a été enregistré… Mais je ne force jamais les choses et je n’essaie pas trop d’analyser de ce que je fais.

Parfois, on va me demander des choses précises… et j’ai vu ça chez beaucoup musiciens, surtout chez les artistes qui écrivent des lyrics très intenses comme Nick Cave, que l’on va toujours questionner sur le sens de ses paroles…. et bien moi, j’aime quand la réponse n’est pas fixée, quand je ne sais pas. L’écriture est un effort créatif et ça n’est pas comme si j’essayais d’y intégrer des notions spécifiques. Il s’agit plutôt de transmettre un feeling évocateur, que ça soit autour d’un sentiment de peine, de joie, de libération, d’amour, de trahison… Il y a tellement de facteurs et je ne crois pas que les personnes qui écrivent veulent forcément le faire au sujet de choses hyper spécifiques, en étant dans l’analyse de soi… Personnellement, j’adore écouter de la musique dont l’écriture me transmet une vision qui, probablement, n’a rien à voir avec celle de l’auteur à la base, avec son intention première. Jusqu’au point où parfois, tu entends ou comprends mal les lyrics, et que ça donne lieu à une lecture encore plus intéressante.

Il y a une chanson de Sonic Youth sur l’album Bad Moon Rising qui s’appelle « Society is a hole ». Ce titre vient d’une mauvaise lecture de ma part d’une chanson de Black Flag où Henry Rollins chante : « Society arms of control ! ». Et moi j’entendais : « Society is a fucking hole ! ». Je trouvais cette image incroyable, avant de me rendre compte que les vrais lyrics n’étaient pas aussi poétiques. Des trucs comme ça font partie de la magie d’être dans une zone d’ambiguïté au sein même de l’impulsion créative.

Pour revenir à ta question, je ne me sens plus tout jeune et je n’ai plus le même besoin ni la même envie d’explorer autant. Je suis dans une phase où je trouve du plaisir à juste prendre ma guitare et écrire des morceaux. J’ai dernièrement enregistré beaucoup de musique instrumentale que j’ai mis sur Bandcamp. Ca s’appelle « Screen time ». C’était intéressant parce que c’est le seul album où je ne suis pas accompagné, où je suis tout seul à faire de la musique.

Pop & Shot : Je vous préviens que la réunion Zoom s’apprête à se couper dans 5 minutes ! On avait pas réalisé qu’il y avait un décompte.

Thuston Moore : Désolé, j’aime bien parler *rires*

 

Pop & Shot : Non, c’est super ! Pour la dernière question, ça serait dommage de ne pas mentionner votre nouvel album, dans lequel il est beaucoup question de changement, de reconnexion à la nature, de vie en marge loin des perturbations. C’est ce que vous prônez ?

Thuston Moore : Je pense qu’on doit parler de la nature. C’est une question de vie ou de mort, d’extinction. Peu importe ce qu’il se passe dans le monde, tout dépend de notre relation au monde naturel. Donc oui, j’y ai beaucoup pensé pendant la composition de ce nouvel album, en essayant de faire exister ce sentiment dans la musique même. On traverse tellement une période étrange en ce moment, avec des guerres très intenses, le génocide en Palestine, et celui en Ukraine. Le fait qu’il y a tellement d’efforts fournis à des fins meurtrières, pour contrôler et tuer des populations, alors que la nature finira par éradiquer toute l’humanité au bout du compte… On doit prendre ça au sérieux.

Je pense qu’on traverse des cycles au fil du temps et j’ai le sentiment que l’on va sortir de cette période obscure pour aller vers une autre plus bénéfique.

Aux Etats-Unis, je constate un nouvel espoir qui nait, comme en France si je ne trompe pas, avec le rejet d’un gouvernement fasciste qui voulait arriver au pouvoir. Le rejet de Marine Le Pen… Enfin, je ne sais pas si vous soutenez ces idées…

Pop & Shot : Non, surtout pas !

*la réunion se coupe brutalement*

 

Quel dommage.  40 minutes d’entretien, et pourtant la sensation que la discussion ne faisait que commencer. On aurait aimé l’interroger davantage sur ce très joli nouvel album, et lui dire aussi que, malgré son rejet récent lors des dernières législatives, la montée du RN en France reste extrêmement préoccupante, et que le gouvernement actuel au pouvoir ne cesse de tendre du côté de l’extrême droite, n’en faisant qu’à sa tête au travers d’une dangereuse accaparation du pouvoir. Surtout, on aurait aimé lui dire au revoir et le remercier pour son temps, ses idées, ses gentillesse et sa musique… Si vous lisez cet article, nous le disons ici : au revoir et merci mister Moore !

 

« Flow Critical Lucidity », parution le 20 septembre.

Cover de « Flow Critical Lucidity »

 


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Nous y voilà enfin. Où que ce soit, tout le monde l’a repéré. Depuis plusieurs semaines, ses affiches sont disposées un peu partout en France. Encore plus à Paris et bien évidemment en Bretagne. Puisque c’est ici que ça se passe. Le festival malouin La Route du Rock, créé il y a un peu plus de 30 ans, était bien décidé à en mettre plein la vue. On les savait déjà exigeants niveau programmation. Cette année dépasse toutes les attentes. Nous avions beau descendre notre regard sur chaque ligne d’artistes de la programmation, une réaction en boucle de notre part se faisait entendre : « mais noooooooon ». Sans forcément convier les intouchables de la sphère rock comme Nick Cave ou Iggy Pop, le festival a comme d’habitude misé sur l’indé, l’éclectisme et la modernité, dans un bon équilibre entre big boss du game actuel (Fontaines DC, Ty Segall, Kevin Morby, Fat White Family, Baxter Dury…), artistes de taille moyenne (Black Country New Road, Beak >, Working Men’s Club…) et artistes émergents prêts à montrer de quel bois ils se chauffent (Geese, Honeyglaze, Yard Act, Porridge Radio,  Ditz…). Réunis, ils forment la plus belle programmation de 2022 tout festival confondus. Vous venez avec nous ? On est jeudi et une très grosse soirée nous attend.

Cette première journée au Fort Saint Père, après l’apéro de la veille de KING HANNAH et ALDOUS HARDING à la Nouvelle Vague, une salle de concert de Saint-Malo, promettait directement de décrocher les étoiles. En terme de début fulgurant, même celui de Wet Leg n’atteint pas de tels sommets. Elles font d’ailleurs parties de la programmation du jour, nous y viendrons.

Le site du Fort Saint Père est comme toujours divisé en deux scènes : la scène du Fort et celle un peu plus petite des Remparts. Les deux se font face et les concerts s’enchaînent à cinq minutes d’intervalle, de quoi assister à l’ensemble sans manquer une note. Bon point.

 

La Route du rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre

Embarquez pour la route des remparts

Commençons avec la scène des remparts. Imaginez-vous être dans une 2CV et emprunter des petites routes de campagne. Le départ est paisible, vous profitez du paysage avec COLA. C’est eux qui ouvre le bal à 18h30. Le groupe est formé par deux ex-membres de Ought, groupe montréalais de post punk. Un troisième homme est à la batterie : Evan Cartwright de U.S Girls. Leur premier album est sorti cette année et fait entendre un rock léger et efficace. Pas de fioritures : des riffs de guitare simples, modestes et apaisés, qui n’avoisine jamais pour autant le niais. Non, leur rock est ferme et assuré, inspiré des Strokes. COLA reflète l’humilité, avec son chanteur qui n’en fait pas des caisses, tout en sachant tenir l’attention de son public. Pari réussi pour l’ouverture. La route continue.

Votre trajet est soudainement secoué par une insertion sur une grande route, où le traffic est plus dense. Il est 20h10 et GEESE fait son apparition sur la scène des remparts. New-York est leur ville. Sur scène, ils viennent braquer le festival à six. Ce sont nos chouchous. Leur premier album Projector  fait partie de nos albums préférés de 2021, tant il parvient à faire intervenir avec brio un aspect pop au sein d’une musique purement rock. Les dix morceaux de Projector sont dix petits joyaux que l’on écoute en boucle. Les voir prendre vie devant nous nous faisait jubiler d’excitation. Et quel résultat ! GEESE est mené par un chanteur qui n’a pas encore les attributs et le charisme d’une rock star. Comme Grian Chatten à ses débuts, il est un peu maladroit, même si son sourire est bien plus marqué. Quand il ne chante pas, il bouge son corps assez peu naturellement. Mais c’est ce qui fait qu’on le fixe du regard. Il n’a que la vingtaine. Tous ont à peu près le même âge dans le groupe. Quand vient le morceau « Disco », alias le meilleur morceau de l’année passée, on se rappelle à quel point ils sont talentueux. En terme de composition, « Disco » est monstrueux. Celui-ci sonne comme une massue, jusqu’à faire tomber la cymbale du batteur en plein live. Dans sa version studio, il dure près de 7 minutes. Sur scène, relativement le même temps. Et au fur et à mesure que le morceau nous tape, on s’imagine déjà les voir dans quelques années sur la grande scène du Fort. En attendant, on profite de leur présence, et des nouveaux morceaux interprétés, en espérant qu’un nouvel album sorte très prochainement.

Le traffic sur la route se régularise. Vous avancez maintenant de manière fluide. C’est le moment où YARD ACT investit la scène des remparts. Il est 22h. Grande surprise du festival, le groupe britannique nous livre un des meilleurs shows de la soirée. Ils ont seulement un album à leur compteur mais sont déjà accueillis avec entrain. L’attitude barrée du chanteur réveille la foule : « ca va la Route du roooock » s’amuse t-il à dire avec son accent british. Leur pop/rock endiablée sonne terriblement bien, mieux qu’au Trabendo où nous les avions vus il y a quelques mois. Il faut dire que les morceaux sont au rendez-vous. En un album, YARD ACT est parvenu à définir une véritable identité sonore, de quoi assurer très belle performance de scène. Entre la force indéniable de leur single « The Overload » et la singularité assumée de morceaux comme « Rich » et « Land of the Blind », ils s’imposent déjà comme un des groupes importants de leur génération.

Minuit. La nuit est complètement tombée là où vous êtes. Vous arrivez bientôt à destination. Vous avez quitté la grande route pour reprendre des chemins sinueux qui n’apparaissent même pas sur votre GPS. C’est l’heure pour CHARLOTTE ADIGÉRY ET BOLIS PUPUL d’entrer sur la scène. Nuit illuminée par une musique puissante, à la fois techno, électro et pop. Les deux belges qui ont sorti un album cette année savent tenir le public en haleine. Leur jeu de scène est affiné, les interactions nombreuses. C’est une belle clôture pour la scène des remparts qui coupe ses amplis pour aujourd’hui. Vous êtes arrivés à destination. Mais la route n’est pas fini. Vous changez simplement de véhicule pour pouvoir emprunter l’autoroute.

 

Embarquez pour l’autoroute du fort

Oh. Etrangement, le jour est revenu. Comme un bond dans le temps, il semble maintenant être de nouveau 19h20. Vous ne vous souciez pas de cet effet temporel, il faut continuer de rouler.

L’insertion sur l’autoroute est douce, aucune voiture ne bloque le passage. BLACK COUNTRY, NEW ROAD ouvre la scène du Fort. Depuis quelques mois, juste après la sortie de leur excellent deuxième album, ils sont un peu orphelins, comme perdus. Le chanteur les a quittés pour épargner sa santé mentale. Comment continuer ? Faire comme si de rien n’était. Ne rien changer. Sauf que tout change malheureusement. Aucun ancien morceau n’est interprété. Seulement des nouvelles pièces, toujours plus lyriques et orchestrales. Soit. Au niveau du chant, celui-ci est partagé en trois, avec une insistance sur les voix féminines. On est quand même très loin du charisme vocal de l’ex-chanteur. La tension redescend fortement, lui qui maintenait en haleine chacun des morceaux. Jouer seulement de la nouveauté est un risque puisque l’on perd la sensation de retrouver des êtres chers. En deux albums, le groupe était tout de même parvenu à fabriquer de sublimes tableaux musicaux. Compétitifs sur le premier, plus raffinés sur le second. Mais voilà qu’en continuant sous ce nom, même si l’esprit sonore perdure, on trahit quelque peu son public. A six sur scène, ils ont des airs de premiers de la classe qui jouent pour le bal de promo. Tout est un peu trop propre, finement exécuté. Les morceaux ont du mal à retenir notre attention comme ils le devraient. BLACK COUNTRY NEW ROAD n’est plus vraiment. Nous resterons quand même intrigués par le prochain album studio, qui pourrait quand même nous surprendre.

Près de 45 minutes que vous roulez, il fait encore jour. La limitation est de 110. Eh oui, vous êtes en Bretagne. Le trafic est fluide. Vous vous sentez apaisé, libre, comme allongé sur une chaise longue. Gare tout de même à ne pas se sentir partir vers quelques songes lyriques. Pas de panique, WET LEG est là pour vous réveiller. Une heure leur est consacrée sur la scène du Fort, alors même qu’elles n’ont qu’un seul album. C’est dire leur ascension fulgurante. En un titre devenu déjà mythique, « Chaise Longue », les deux britanniques ont réalisé un coup de maitresses : s’imposer comme un groupe très convoité des festivals d’été. La foule se compresse, c’est le premier concert qui rameute beaucoup de monde. Elles commencent par « Being in Love », le premier morceau de l’album. Elles joueront ce dernier en entier, ni plus ni moins. Il est drôle de remarquer à quel point chaque chanson est à elle seule un petit tube pop rock. Le point culminant arrive évidemment à la toute fin, où « Chaise Longue » retentit comme l’évidence absolue. Tout le monde la connait. Simplement dommage qu’elles ne l’étirent pas, surtout que le concert n’aura finalement duré que 45 minutes au lieu d’une heure. C’est le type de morceau avec lequel on peut jouer sur l’engouement, faire des pauses, reprendre… Non, la version est, avec regret, un peu trop conforme à l’album. Sur le visage et l’attitude des deux musiciennes, on remarque la chaleur et la satisfaction de jouer ici. Leur cohésion est belle à voir. Niveau sonore, ça reste néanmoins un peu sage, sans envolées. Il leur faut probablement un peu de temps encore, de quoi rattraper certaines étapes que l’engouement autour de leur single leur a permis de griller. Mais en un sens, c’est aussi c’est ce qui est magique, voir la propulsion soudaine d’un groupe qui a peut-être encore un peu de mal à être pleinement à la hauteur de leur succès, mais qui, au-delà de ça, profite pleinement de leur talent à délivrer des tubes de l’été qui mettent plus ou moins tout le monde d’accord. Leur concert est disponible en replay sur Arte Concert.

La nuit est pleinement retombée. Des voitures surgissent de nulle part sur l’autoroute. Elles semblent accélérer, comme si la limitation était soudainement passée à 150. Fort bien. Vous suivez le mouvement. Malgré la densité, aucune perturbations. Tout le monde file. Il est 22h55 quand le groupe le plus côté de la sphère rock indé fait son apparition sur la scène du Fort. Il y a 3 ans, ils jouaient au même endroit, mais bien plus tôt, à 19h. A l’époque, ils n’avaient qu’un album. On les découvrait tout juste. Depuis quelques mois, ils en comptent trois. Leur nouveau s’appelle « Skinty Fia » et grâce à celui-ci, ils sont déjà entrés au Panthéon du rock moderne. On le sent dans l’air, que FONTAINES D.C. est le groupe le plus attendu de la soirée. La foule est compacte, quitte Yard Act avant la fin pour venir se placer. Les corps se serrent. C’est l’heure convoitée, celle de Baxter Dury demain et de Ty Segall samedi. Trop tôt pour que la foule commence à partir et trop tard pour qu’elle ne soit pas déjà échauffée. FONTAINES a intérêt à foutre le feu. C’est ce que tout le monde se dit secrètement. Et ça ne manque pas. Leur concert est sans nul doute le point culminant et le meilleur de la soirée. Leur aura est telle qu’ils dégagent quelque chose de grand et de mystique dès leur entrée sur scène. Ils débutent avec le premier morceau du dernier album, longue tirade musicale aux airs religieux, qui monte, monte, monte jusqu’à n’en plus finir. On le sent tout de suite, que le son est monstrueux, bien meilleur qu’à l’Olympia de Paris quelques mois auparavant. Grian Chatten, le chanteur, est de plus en plus hypnotique et à l’aise dans son rôle de leader désinvolte. Il captive. Il a certainement gagné en présence, lui qui ne bougeait pas d’un fil il y a 3 ans, même si nous étions déjà tombés amoureux de son attitude à l’époque. C’est aujourd’hui une vraie rock star, sûr de lui et conscient de ce qu’il renvoie. Comme s’il affrontait constamment son micro en duel, qu’il n’hésite jamais à malmener, Grian Chatten fait preuve d’un charisme irréfutable. A côté de lui, les membres du groupe sont relativement stoïques. Leurs instruments suffisent, puisque la guitare sonne terriblement, comme du fil de fer. Les riffs affutés surgissent avec fermeté, comme celui de « Big Shot », ou de « Sha Sha Sha ». Le concert est un best-of de leur carrière. En 1h15, ils ont à peu près tout joué. Que des morceaux mastodontes : ils attaquent notamment très vite avec « Hurricane Laughter » placé en troisième. Puis s’ensuit un déferlement : « Televised Mind », « I Don’t Belong », « Nabokov », « Too Real »,  « A Hero’s Death », « Jackie Down the Line »… Mais combien de chansons cultes ont-ils donc ? La fin nous achève définitivement avec l’enchainement magique de « Boys in the Better Land » et « I Love You ». Oui, Fontaines DC est devenu immense. Face à eux, force est de reconnaitre leur grandeur. Au fond de tous les festivaliers présents sur le site, l’envie d’être Grian Chatten a, à un moment, ne serait-ce qu’une seconde, trouvé naissance.

Comment continuer à rouler à cette vitesse encore ? Vous reste-t-il assez de carburant ? L’autoroute semble interminable, vous semblez l’avoir traversé de long en large. Pourtant, il vous reste un bout de chemin à parcourir. La masse de voiture a faibli. La vitesse descend à 130. Mais vous êtes encore dans la course, à vous enfoncer dans un noir toujours plus lointain. Il est 1h du matin, et pour vous donner toujours plus de pêche, voilà que WORKING MEN’S CLUB entre sur la scène du Fort. C’est surtout le projet d’un gars, Sydney Minsky-Sargeant, jeune, aux traits quelque peu similaires à ceux de Grian Chatten. Il est accompagné par des musiciens mais c’est sur lui que l’attention se fige. Son air nonchalant prend beaucoup de place. Il bouge comme un insecte. La musique jaillit à un niveau sonore inégalé durant la soirée, avec des sonorités électro/rave bien grasses à l’ampleur méritée. C’est fort, et bon, même très bon. Mieux qu’en studio. Plus charnel, plus direct, plus carré. Un nouvel album vient de paraitre le mois dernier. Il gagne là toute son intensité. Il y a quelque chose de frénétique, d’hypnotisant dans cette performance. On se retrouve vite happés par l’intensité. Quand il prend sa guitare, c’est le clou du spectacle, comme un décollage dans l’espace. Elle ne sonne pas comme une guitare, il la déforme pour coller à sa musique toujours située entre le kitch et l’esprit rock.

Votre voiture finit par perdre le contrôle. L’autoroute du rock était finalement trop dangereuse. Pas de panique néanmoins, vous êtes sain et saufs et serez encore là demain pour une deuxième journée au Fort de Saint Père, qui, sur le papier, ne promet pas d’être meilleure que la première mais qui, si les astres s’alignent bien (déjà mal parti avec la pluie), a de quoi nous réserver son lot de surprises.

La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Rodolphe Burger
 Crédit photo: Julien Mignot

 C’est dans son appartement parisien que Rodolphe Burger a accepté de répondre à mes questions. Attablés, nous discutons pendant plus d’une heure, sans voir le temps défiler. Passionné de son œuvre et de sa carrière, je l’écoute avec attention parler de sa vision du rock. C’est avec étonnement et grande satisfaction de ma part qu’il se livre avec jovialité sur des sujets divers et variés. La discussion se construit autour de thèmes sur lesquels j’ai longtemps souhaité l’entendre parler, notamment sur le son, la production, ses influences, sa vision de la musique… Un moment comme il en est rare, qu’une voix de conte, celle d’un éternel passionné, aura mené avec enthousiasme. Plein d’étoiles dans les yeux au moment de m’en aller, je le quitte avec le sentiment d’avoir franchi une étape : celle d’une ouverture et d’un élargissement de mon horizon musical. Voici donc la synthèse écrite de ce qu’il m’a raconté, aussi bien sur son nouvel album prévu pour le mois de juin prochain que sur son amour pour le son.

 Pour rappel, Rodolphe Burger, né en Alsace et leader du groupe Kat Onoma dans les années 80/90, est un artiste important du paysage musical français, ayant collaboré avec les plus grands: Jacques Higelin, Alain Bashung, Rachid Taha… Dans une démarche indépendante depuis ses débuts, il détient son propre label : « Dernière Bande ». En 2001, il crée un festival « C’est dans la Vallée », à travers lequel il fait vivre de musique la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines en Alsace. Sa carrière solo, conséquente, réputée notamment pour ses albums Cheval-Mouvement et Meteor Show, se poursuit encore aujourd’hui sans limites, et dans un perpétuel renouvellement. 

Je souhaite débuter avec une question assez générale, pour essayer d’en apprendre un peu plus sur vous, surtout pour notre audience qui ne vous connaît pas forcément. Je voulais ainsi savoir ce que vous faîtes de vos journées ? Quel est le quotidien de Rodolphe Burger ?

Rodolphe Burger : Du fait de la démultiplication des projets, je suis rarement désœuvré. Je suis même plutôt sur-occupé, notamment par les concerts. Il y a évidemment les tournées mais à côté de cela, je fais aussi des concerts un peu particuliers qui sont des petites créations. Celles-ci sont liées à des évènements qui demandent beaucoup de préparation. J’ai la chance d’être sollicité et d’avoir régulièrement des propositions qui ne se refusent pas. J’adore les commandes, souvent très stimulantes, qui nous permettent d’aller à des endroits que l’on n’aurait pas soupçonnés.

En effet, vous faîtes beaucoup de scène, pas forcément dans le sens commun du terme, à savoir des concerts classiques, mais vous semblez particulièrement attaché au fait de jouer devant un public, quel qu’il soit, pour divers évènements.

Rodolphe Burger : Oui, c’est une dimension de la musique qui me plaît, le fait que cela se pratique évidemment devant un public mais aussi à plusieurs. Comme je suis dans une démarche indépendante, j’ai une petite équipe avec laquelle on organise quelque fois des évènements plus confidentiels, comme par exemple des « thé dansants ». On ne boit pas de thé et on ne danse pas, mais on se retrouve le dimanche après-midi dans des endroits tenus secrets. Ce genre de projets est vraiment à part. C’est hors promo, hors commande.

 Aussi, j’apprécie beaucoup les passages en studio, le fait que l’on essaye d’être dans une sorte d’état et de dynamique proche de celle du live. Quelque chose de l’ordre de la performance.

Ce que j’aime, c’est cette variété de situations.

Donc si je comprends bien, vous dédiez toute votre vie à la musique ?

Rodolphe Burger :  Tout à fait, cela fait longtemps maintenant. Il y a eu des années où j’étais en parallèle sur la musique et d’autres activités, avant de faire le choix de ne faire que ça. J’ai recommencé à faire de la musique au moment où j’ai débuté l’enseignement de la philosophie. Il y eut plusieurs années où j’étais donc à cheval entre ces deux occupations. C’était étrange, assez inconfortable et en même temps intéressant d’être engagé à 100% dans deux choses qui ne sont pas forcément compatibles.

Actualités

« On a eu envie avec Erik Marchand et les musiciens qui nous accompagnent d’écrire un deuxième chapitre à cette collaboration » 

J’ai vu que vous alliez bientôt entamer plusieurs dates avec Erik Marchand, avec qui vous aviez fait un album en 2004. A quoi doit-on ces retrouvailles ?

Rodolphe Burger :  Oui, il y a un projet nouveau. On a eu envie avec Erik Marchand et les musiciens qui nous accompagnent d’écrire un deuxième chapitre à cette collaboration. Nous avons déjà fait un disque du nom de « Before Bach ». C’était assez étonnant et improbable. On doit ce genre de situations à des circonstances particulières, des amis… Ce sont souvent des résultats inattendus, une chose en provoque une autre. J’avais fait ce disque avec Olivier Cadiot, « Hôtel Robinson », sur l’île de Batz en Bretagne. J’ai donc joué à cette occasion à Morlaix, dans un petit théâtre. J’ai proposé à mon ami Joran Le Corre, qui programme le Festival Panorama, de choisir des invités, parmi lesquels figurait Erik Marchand. S’en est suivi une connexion particulière sur un morceau. Il se trouve qu’à ce concert assistait Jacques Blanc du Quartz de Bretz. Il souhaitait à tout prix un prolongement de cette collaboration. Il nous a alors commandé une création, que nous avons fait dans mon studio en Alsace. S’en est suivi un disque, et des concerts… Nous l’avons rejoué il n’y a pas si longtemps en Bretagne. C’était un grand plaisir de le retrouver et on a vu que le public réagissait encore mieux maintenant. On a donc voulu donner une suite à ce projet, suite que nous avons enregistré il y a quelques semaines, qui donne vie à un nouveau répertoire, que nous allons bientôt présenter en concert. L’album n’est pas encore mixé donc nous n’avons pas encore de date de sortie.

A côté de cela, il y a mon nouvel album solo qui est prévu pour juin mais aussi d’autres projets comme celui avec le Couscous Clan, le groupe que j’avais avec Rachid Taha, que l’on a décidé de poursuivre avec des invités, dont un stupéfiant chanteur de raï : Sofiane Saïdi. Il y aura surement un disque à venir autour de ce projet.

Carrière

« Quand tu écoutes le Velvet, tu ne penses pas à Ornette Coleman, mais de savoir qu’ils allaient écouter sa musique en ayant l’intelligence de ne pas vouloir jouer dans la même cour, montrait qu’ils connaissaient leurs limites. Je veux dire, à aucun moment ils ne se sont pris pour des musiciens noirs » 

Et vous avez un public autour de vous qui vous suit dans n’importe quelle nouveauté et épreuve ? Car vous jouez dans des endroits pas forcément réputés et qui bénéficient de très peu de publicité j’imagine.

Rodolphe Burger :  Oui, bien sûr. Nous sommes à beaucoup d’endroits différents. Moi j’aime beaucoup cela. C’est ce que les situationnistes appelaient la dérive sociale : d’être dans un mouvement, de traverser des situations, des lieux, d’être dans une expérimentation permanente et de ne surtout pas être figé dans un fonctionnement unique. Je crains évidemment la routine.

Vous faîtes partie de ceux qui font le plus de choses diverses et variées, et toujours selon un même esprit. Vos projets semblent se répondre entre eux. On ressent un lien solide, un fil conducteur, une colonne vertébrale bien constituée.

Rodolphe Burger : Oui voilà, c’est ce que j’espère. Je ne pensais pas que cette aventure dans la musique m’amènerait à cela. Comme je le disais il y a quelques minutes, il faut tel projet pour m’amener à faire quelque chose que je pensais impossible. Récemment, j’ai fait une création autour du Lenz de Büchner et je me suis retrouvé à chanter du Schubert, ce que je n’aurais jamais imaginé possible. Dans mon prochain album, il y a d’ailleurs deux lieder de Schubert. J’aime être surpris moi-même par ce que la musique m’amène à faire. Tout cela est guidé par la musique elle-même, par les rencontres. Cette dimension est fabuleuse, car elle ne passe pas seulement par le langage. L’intuition est davantage mobilisée, et suit l’idée d’un mouvement rapide et consistant. Ce n’est pas fumeux. C’est quelque chose de très concret.

 

Before Bach, l’album avec Erik Marchand, le montrait très bien. C’est l’exploration d’une langue, le breton, donc la représentation d’un voyage hors de votre monde, adapté à votre propre identité.

Rodolphe Burger : Cela suppose d’être à la fois à sa place, de ne pas se sentir menacé, et d’être en même temps ouvert au langage de l’autre, curieux. C’est quelque chose qui n’est pas immédiat. Les années Kat Onoma étaient des années bien plus centrées sur nous-mêmes, dans notre laboratoire, à fabriquer notre son et à la recherche d’une identité, au détriment parfois de relations extérieures. C’est plus tard que j’ai pris goût à la rencontre et que j’ai réalisé son importance. Un épisode qui m’a permis d’envisager de faire une création avec Erik Marchand par exemple, c’est l’expérience que j’ai eu au préalable avec un groupe afghan, à Strasbourg, une situation ponctuelle de soutien à l’Afghanistan. C’était un groupe en exil. En répétition je marchais sur des œufs, j’étais inquiet, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire. J’étais ébloui par leur façon d’articuler les thèmes, et je m’aperçois que tout leur concert est en do dièse. Les variations viennent du rythme, de la mélodie elle-même, sans changements harmoniques. Il a fallu que je trouve une façon de me glisser là-dedans. J’y allais à petit pas, j’étais comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, avec ma guitare électrique, au milieu d’un ensemble acoustique. En fait j’ai découvert qu’ils attendaient une seule chose de ma part : que j’envoie le gros son. Lorsque je m’y suis mis, je les ai vu sourire. Cet épisode m’a en quelque sorte désinhibé. Il faut assumer d’être soi-même, avec ses limites et tout ce qui s’en suit, puis trouver un moyen de communiquer.

C’est ce qui est impressionnant avec votre œuvre. Vous avez une base solide, autour de laquelle vous gravitez sans vous répétez. Quoiqu’il y a cette forme de répétition qu’est la reprise constante de vos propres morceaux, chose à laquelle vous êtes attachés depuis toujours. D’où vient cette obsession ?

Rodolphe Burger : La reprise, c’est quand même le béaba. Au début en tout cas. Les groupes de rock commencent généralement par faire des reprises. C’est l’école des autodidactes. Personnellement, j’ai une pratique de la reprise qui n’est pas vraiment celle-là, même s’il m’arrive d’en faire en tant que pur hommage. La plupart du temps, ce sont des reprises très interprétées. Je trouve que cela permet de raconter quelque chose de plus. On est d’emblée dans un contrepoint. Au fond, j’éprouve la même chose avec mes propres morceaux.

Oui, parce que vous reprenez beaucoup de vos morceaux.

Rodolphe Burger : Oh oui, avec Olivier Cadiot, nous avons au moins 50 versions de « Cheval-mouvement ». Avec Kat Onoma, nous avions déjà cette pratique-là. Quand j’ai fait un disque avec Philippe Poirier récemment qui s’appelle « Play Kat Onoma », dans lequel nous avons repris des anciens morceaux, c’était un grand plaisir. Reprendre Kat Onoma comme si on reprenait les morceaux d’un autre groupe. Au fond, c’était un répertoire.

Vous avez traité vos morceaux d’une manière totalement différente, beaucoup plus calmement…

Rodolphe Burger : Oui, en laissant plus de place au français. C’est un album dédié à Jack Spicer, poète américain qui avait déjà inspiré Billy the Kid, l’album de Kat Onoma. A l’époque, je n’imaginais pas donner autant d’importance au français. Là, ce fut possible. C’est beaucoup plus minimaliste. Il y a cet écart intéressant étant donné que c’étaient des morceaux que nous n’avions pas joués depuis quinze ans. Ce fut enrichissant d’aller à l’os de la chose, de tester ce qui tient, sur quoi cela repose, en quoi cela consiste exactement. D’être dans une épure autant que possible, quitte ensuite à lui donner du développement. Cette démarche du minimalisme, Kat Onoma la pratiquait déjà. Par exemple, cette reprise de « Wild Thing » de Jimi Hendrix : elle tenait sur trois accords, on allait jusqu’au silence puis on repartait de ce silence…

Bouleversant… C’est cette reprise qui m’a fait découvrir Kat Onoma. A l’époque d’ailleurs, je pensais que c’était une chanson originale, et elle m’a fait un effet indescriptible.

Rodolphe Burger : Tu n’es pas le seul à avoir pensé que c’était une chanson originale (rires).

Vous avez également dédié un album entier à des reprises du Velvet Underground. Comment est né ce projet ? Par passion ?

Rodolphe Burger : Par passion évidemment, mais à la base, c’est lié à une commande de création que l’on a faite en live au théâtre de Sète. Ça a été guidé par le plaisir. Je me suis demandé avec qui j’avais envie de faire ça, de me plonger dans ce répertoire merveilleux.

Et encore une fois, vous êtes parvenu à l’intégrer à votre univers.

Rodolphe Burger : Surement, mais en déformant beaucoup moins. C’est investi avec énormément de jubilation et de chaleur, alors que le Velvet s’obligeait à être très froid, s’interdisait le groove, la chaleur. C’était un tel bonheur de réactiver ces morceaux et revérifier à quel point c’est vivifiant, vivant… Alors qu’à l’époque, on avait l’image de quelque chose de morbide.

Le Velvet vous a suivi durant toute votre carrière.

Rodolphe Burger : Oui, oui, le Velvet a été très important, comme une influence, mais surtout comme un exemple. On pouvait projeter beaucoup de choses sur ce groupe. Quand j’ai appris qu’ils étaient fan d’Ornette Coleman, j’ai été à la fois surpris et très content. J’aimais aussi beaucoup cet artiste, même si je l’ai découvert après. Quand tu écoutes le Velvet, tu ne penses pas à Ornette Coleman, mais de savoir qu’ils allaient écouter sa musique en ayant l’intelligence de ne pas vouloir jouer dans la même cour, montrait qu’ils connaissaient leurs limites. Je veux dire, à aucun moment ils ne se sont pris pour des musiciens noirs.

Rodolphe Burger
Crédit photo : Julien Mignot

Nouvel album

« Nous avons enregistré quatre morceaux de Kat Onoma, dont un sera sur l’album, dans une version nouvelle et avec un invité » 

Pour revenir à votre nouvel album que vous avez brièvement mentionné, vous n’avez encore rien annoncé. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Rodolphe Burger : Le disque est fini. Je réfléchis en ce moment au visuel. Il sortira en juin. Il y aura une tournée en automne qui suivra.

Il a été enregistré dans votre studio en Alsace ?

Rodolphe Burger : Tout à fait. Entièrement là-bas. Ça a été une expérience incroyable, je n’ai jamais fait un disque de cette façon. Ce qui était inhabituel, c’est l’enchaînement de deux albums solos aussi proches dans le temps.

 On rappelle que GOOD est sorti il y a trois ans, en 2017, et que No Sport, le dernier album solo avant GOOD, remonte-lui à 2008.

Rodolphe Burger : Voilà. Il y a eu plusieurs projets entre No Sport et GOOD, dont Play Kat Onoma, l’album dédié au Velvet et l’hommage à Mahmoud Darwish. Mais en effet, pas d’albums solo. Or, j’étais tellement content de la formation live de « GOOD », ce trio que je forme avec Sarah Murcia et Christophe Calpini, que je leur ai proposé de repartir rapidement en studio enregistrer de nouvelles choses, sans volonté particulière de faire un disque. J’avais quelques idées et tout s’est fait incroyablement vite, dans une entente assez étonnante. J’ai adoré toutes les formations avec lesquelles j’ai tourné. Avec le temps, j’ai pris goût à la forme trio. J’avais trouvé géniale celle de No Sport avec Alberto Malo et Julien Perraudeau. Quand je change de formation, c’est surtout par défi de renouvellement, et non par lassitude. D’ailleurs, je continue à collaborer avec plusieurs musiciens avec lesquels j’ai joué. Je pourrais demain jouer avec Kat Onoma. Il y a quelque chose qui, pour moi, reste toujours là. Quand on a rejoué avec Philippe Poirier par exemple, ce fut immédiat, comme si rien n’avait changé.

Mais pour revenir au nouvel album, je dirais qu’il y a eu l’envie de ne pas s’arrêter en si bon chemin. On a ainsi passé des moments magnifiques dans ce studio. On travaille incroyablement sans s’en rendre compte, c’est un immense plaisir. Le disque s’est fait de cette manière-là, sans que je me pose de questions de cohérence, en m’abandonnant totalement au désir du moment. Je me suis retrouvé avec des morceaux extrêmement disparates, au point de me demander si j’allais parvenir à construire un album.

Vous êtes finalement parvenu à assembler les pièces d’une manière qui vous plaît ?

Rodolphe Burger : Oui, j’en suis très content, c’est un disque extrêmement libre.

Un disque dans la continuité de GOOD ?

Rodolphe Burger : Il y a à la fois des choses qui s’en rapprochent fortement, surtout au niveau du son, cette porte qui s’est ouverte et que je souhaite explorer davantage. Il y a même des morceaux qui vont un peu plus loin dans la même direction il me semble. Et d’autres choses qui sont tout à fait différentes. On peut faire une reprise d’un morceau de rocksteady avec à côté un lieder de Schubert.

 Est-ce que vous reprenez des anciens morceaux à vous comme vous en avez l’habitude ?

Rodolphe Burger : Nous avons enregistré quatre morceaux de Kat Onoma, dont un sera sur l’album, dans une version nouvelle et avec un invité. Mais je ne veux pas encore tout dévoiler, à ce rythme il n’y aura plus de surprises (rires).

Clips et art visuel

« Notre album Far From the Pictures attestait plus ou moins de notre distance par rapport à l’image » 

Parlons d’autres choses alors, je ne voudrais pas être trop curieux (rires). J’ai vu sur votre chaîne Youtube plusieurs clips, parfois étranges, autour de votre précédent album. Le morceau « GOOD » bénéficie par exemple de deux clips. J’ai l’impression que l’un d’eux est plus officiel que l’autre, même si les deux en portent le marqueur.

Rodolphe Burger : C’est une histoire qui me tient à cœur, même si je n’ai pas vraiment communiqué là-dessus. Sur « GOOD » j’ai eu envie de proposer à des jeunes vidéastes issus d’école d’art de réaliser des clips totalement libres. C’était à eux de choisir le morceau qui les intéressait, c’était comme un exercice. Eloigné de toute idée de clip promotionnel. Il y a eu en effet une autre proposition de clip sur le morceau « GOOD », différente de celle qu’avait imaginé Patrick-Mario Bernard, le réalisateur du film GOOD.

Quel est votre rapport aux clips ? Personnellement, j’ai toujours beaucoup de mal, je trouve qu’ils dénaturent quelque chose de la musique, je peine souvent à les regarder. Je préfère écouter le son sans visuel.

Rodolphe Burger : Je suis tout à fait de ton avis. A l’époque de Kat Onoma, on a vu naître l’image comme accompagnement indispensable de la musique. On ne connaissait pas cela, et on était quelque peu réticent. On avait beaucoup de mal. C’était le règne de MTV, M6, des boîtes de pubs qui fourguaient leurs réalisateurs aux maisons de disques. Notre album Far From the Pictures attestait plus ou moins de notre distance par rapport à l’image. Mais ce qui était paradoxal, c’est que l’on disait souvent que notre musique stimulait l’imagination, avait un côté presque cinématographique, qui appelait d’une certaine façon l’image. Aussitôt que l’on figeait des images sur la musique, nous étions distants, dans une sorte de déboire, de conflit… Et en même temps, plusieurs clips anglais ou américains me plaisaient beaucoup. Quelques clips français aussi, mais ils étaient bien plus rares. J’avais vu qu’en Angleterre, les groupes indés comme Cure par exemple faisaient leurs clips avec des potes. Il y avait cette connexion dans la musique anglaise entre le rock et les écoles d’art. C’est quelque chose de très important dans l’histoire même de la pop anglaise. Beatles, Stones, Bowie… Il y avait des liens avec les arts visuels, que nous n’avons pas connu en France. C’est ce que j’ai essayé de faire exister à travers ces quelques clips autour de l’album Good (regroupés sous le nom videobox).

 

Clip alternatif du morceau Good de Rodolphe Burger

 

Mouvement et répétition / Vision du rock

« On a découvert que dans le jazz, il y avait par exemple des figures plus rock’n’roll que dans le rock » 

J’aimerais approfondir cette notion de fixation. Vous disiez ne pas apprécier les choses figées, notamment les clips qui emprisonnent en quelque sorte l’imaginaire de la musique. Vous ressentez la même chose vis-à-vis de vos morceaux, que vous ne cessez de disséquez et de malaxer, comme pour empêcher de les figer à travers une seule interprétation, chose très rare chez les artistes ?

Rodolphe Burger : Pour moi, c’est vraiment le signe qu’un morceau n’est pas mort tant qu’on prend plaisir à le redécouvrir sans cesse. On a envie de vérifier quelque chose, d’aller voir si cela tient toujours et comment cela tient. C’est quelque chose que j’ai aimé chez certains musiciens de jazz, très libres. Je me souviens d’un disque d’Archie Shepp où il reprend du Duke Ellington. Magnifique. Archie Shepp a fait partie de cette avant-garde qui s’est affranchie de la tradition, sans pour autant considérer la musique de Duke Ellington comme une musique morte. Surtout pas. Tout à coup, il fait entendre Duke Ellington d’une façon autre, très belle. J’aime ce geste qui consiste à sauver quelque chose du passé, quelque chose qui n’est pas mort. La musique a ce pouvoir. J’aime assez mettre à mal et dialectiser ces partages entre ce que l’on appelle « grande musique » ou « musique savante » et « musique populaire », entre art noble et art vulgaire. Et donc aussi entre musique occidentale et musique modale, entre l’ancien et le neuf par exemple…

Je dois probablement cela au fait que j’ai recommencé à faire du rock dans les années 80, à un moment de reprise, car j’en avais déjà fait dans ma jeunesse. Tous les membres de Kat Onoma avaient d’ailleurs eu des expériences précoces avec le rock. C’était notre point commun. C’est comme si l’on avait évacué le côté un peu juvénile, cette tendance à vouloir à tout prix casser la baraque façon « roll over Beethoven », qui va évidemment de pair avec le rock, mais qui nous importait moins avec les années passées. On savait pouvoir faire un rock différent. C’est ce qui nous a rapprochés au moment où j’étais à la recherche de musiciens sur la même longueur d’ondes que moi : on avait tous écouté d’autres musiques. On ne se limitait évidemment pas au rock. On a découvert que dans le jazz, il y avait par exemple des figures plus rock’n’roll que dans le rock. Quand tu as vu Ornette Coleman ou certaines formations de free dans la grande époque, tu remarques qu’au niveau de l’attitude et de la radicalité, rares sont ceux qui leur arrivent à la cheville.

Oui, tout est dans l’esprit. Il ne suffit pas seulement de guitares pour faire du rock. C’est une attitude, un mode de pensée.

Rodolphe Burger : Et c’est grâce à cela que notre vision s’élargit. C’est ce qui faisait la force de Kat Onoma. On s’entendait là-dessus.

En ce sens, vous perpétuez l’idée d’un rock intemporel et immortel.

Rodolphe Burger : Disons un rock qui sort de cette naïveté-là. Je refuse d’employer les termes comme « rock adulte » ou « rock sérieux » car ce n’est pas cela dont il s’agit. C’est juste un rock qui se veut moins impulsif et rentre dedans. Or, je ne savais pas si c’était possible. La grande question était de déterminer si cette naïveté n’était pas consubstantielle au rock.

Il y a plusieurs manières de voir le rock. Vous vous rangiez plus du côté de Lou Reed et du Velvet.

Rodolphe Burger : Voilà, c’est ici que le Velvet intervient comme exemple, tout à fait. C’est un groupe phare de ce point de vue-là. Les références s’élargissent, les influences également. Le blues pour Lou Reed, la musique répétitive et d’avant-garde pour John Cale… Et la musique classique également. Tout se mélange d’un coup. Le rock ne se réduit pas à ce genre étroit, qui se voudrait inséparable de l’adolescence et du jeune âge. Et je dis cela sans aucun mépris car il y a des propositions d’adolescents quelquefois fulgurantes. Et c’est souvent aussi la jeunesse qui permet cette fulgurance.

Si l’on s’intéresse au punk par exemple, qui a beaucoup joué sur le côté « tabula rasa », on voit très bien que ce n’est pas le cas. Ce sont des gens qui avaient un background et qui se référaient à des choses très précises.

Tout cela pour dire qu’on ne se reconnaissait dans aucune des visions courtes et clichés qui dominaient en France. On se sentait plus à l’aise dans des démarches et des propositions proches de certains groupes indépendants américains ou encore allemands qui étaient exactement dans la même attitude.

Notre période de tâtonnement et de recherche, avant que l’on commence à enregistrer, s’est étendue sur six ans, entre 80 et 86.

A un moment où le rock était comme qui dirait mis à mal…

Rodolphe Burger : Bah les années 80, c’est l’apparition des synthés et d’une façon particulière d’enregistrer la musique.

A laquelle vous vous opposiez j’imagine…

Rodolphe Burger : Complètement. Nous n’étions pas tellement branchés sur cette scène de la cold wave anglaise. On nous a mentionné Joy Division, que j’adore par ailleurs, mais comme influence… Ce n’était pas du tout le cas. Nous étions davantage connectés à l’Amérique qu’à l’Angleterre par exemple. Et finalement, encore plus à l’Allemagne. Le rapport allemand à la musique, c’est ce qui nous attirait réellement.

Tu vois, l’électro, je me rends compte qu’elle est plus allemande qu’autre chose. Ils sont à la fois mélomanes et ils ont été obligés, eux, de faire table rase et d’inventer quelque chose, de manière radicale. Ils ne pouvaient plus s’appuyer sur le passé.

Vous parlez des groupes tel que Can, Neu ! ou encore Kraftwerk ?

Rodolphe Burger : Oui, ce que l’on appelle le Krautrock. Ce sont des groupes qui ont été très importants pour nous. Nous étions aux avant postes, sur la carte de leur tournée. Donc tous ces groupes, je les ai vus en concert, sans que l’on se dise que c’était quelque chose de radicalement différent. C’était une proposition plus large, qui nous parlait. Il faut se rendre compte que les anglais, lorsqu’ils se trouvaient en manque d’inspiration, se sont rendus là-bas afin d’en regagner.

On pense tout de suite à David Bowie et Brian Eno.

Rodolphe Burger : Il y a une radicalité et une invention sonore. Une profondeur par nécessité. L’Angleterre était irriguée par un folklore. Nous, on ne pouvait pas s’appuyer réellement là-dessus. En tant qu’alsacien, il n’y avait rien. Il fallait chercher ailleurs, s’inventer des racines, se fabriquer son monde.

On fait partie de cette génération Wim Wenders, fascinée par l’Amérique, avec un rapport à la musique du même ordre. Je pense que ce qu’il nous a manqué en Europe, ce sont les noirs. Même dans la grande musique du siècle aux Etats-Unis, on peut dire que toute la country vient d’Allemagne par exemple. C’est une manière vivante de réinventer la musique allemande, au niveau de l’instrumentation, de la thématique… Ce qui est fascinant, c’est de voir ce que les juifs, les immigrés allemands, les noirs, les indiens sont parvenus à faire avec les racines, tout en allant vers une transfiguration. Une nécessité de le transfigurer. Hendrix, on entend que c’est à la fois quelqu’un d’enraciné et un être totalement ailleurs, dans l’espace. C’est une obligation historique dans laquelle se trouvaient les américains. En Europe, il y avait d’emblée quelque chose de vieux…

Rodolphe Burger
 Crédit photo: Julien Mignot

Son et Production

« S’il y a un endroit qui donne à penser, à plein de niveaux, c’est bien le studio » 

A côté de votre rôle de compositeur et d’interprète, vous êtes également reconnu comme producteur.

Rodolphe Burger : Oui, mais j’ai du mal à me qualifier moi-même de producteur. Si je l’ai été, c’est en tant que camarade. Je n’en ferais pas mon métier. J’ai partagé mes expériences. Il est vrai que j’ai produit un bon nombre de projets, mais dans lesquels j’étais impliqué aussi ailleurs, du point de vue de la composition par exemple. Cela a commencé avec Françoise Hardy, puis Jeanne Balibar, Alain Bashung… Mais c’est avec Higelin que je me suis retrouvé dans une situation particulière, celle d’être sollicitée comme réalisateur. J’ai longtemps hésité car c’était une lourde responsabilité. C’était à un moment où il doutait beaucoup et il avait besoin d’aide. Il cherchait un allié, ce qui m’a beaucoup touché. De voir Higelin venir te demander de l’aide, ce n’est pas rien. Le studio en Alsace a beaucoup aidé. C’est un lieu réconfortant dans lequel il se sentait à l’abri, à l’opposé des studios cliniques qu’il détestait par-dessus tout.

Vous dîtes ne pas vouloir être qualifié de producteur, mais s’il y a bien une chose qui fascine dans votre œuvre globale, c’est la qualité hallucinante de la production. D’où vous vient cette exigence pour le son ?

Rodolphe Burger : C’est du goût. Du goût et de l’exigence en effet. J’adore cela, c’est fascinant. Cela m’intéresse philosophiquement. S’il y a un endroit qui donne à penser, à plein de niveaux, c’est bien le studio. Comment se fabrique les œuvres ? Quelle est la place de la technique ? Comment s’articulent plusieurs éléments comme le savoir-faire, l’invention, le hasard, le contrôle, le non-contrôle ? Toute cette espèce de chimie complètement extraordinaire. Il suffit de lire les mémoires de l’ingénieur des Beatles à Abbey Road. Il raconte à quel point c’était une sorte de laboratoire, alliant expérimentations et détournements. J’ai travaillé avec des personnes qui, justement, étaient des as du détournement. Cette démarche renvoie presque à l’essence même de ce qu’est le son rock. Par exemple, la distorsion, fondamentale dans le rock, est au départ une faute, transformée ensuite en détournement. En prise acoustique, la saturation est l’ennemie. Et le rock, tout à coup, fait avec la saturation. Hendrix est allé détourner absolument tout, utilisant l’excès. Qu’est-ce que cela fait quand on met tout dans le rouge ? La musique est un domaine où la créativité technique est permanente. C’est le domaine où il y en a d’ailleurs le plus, après l’armée. Il y a d’ailleurs des rapports très étroits entre les progrès militaires et ceux du côté de la musique. Tout ce qui est radiocommunication, les émetteurs, les compresseurs…

En même temps, ce n’est pas un domaine où l’on peut dire qu’il y a du progrès.

Moins de recherche et beaucoup d’uniformisation à l’heure actuelle, du moins dans ce que l’on met en avant aujourd’hui.

Rodolphe Burger : Il y a le risque que cela s’uniformise évidemment. L’ordinateur fait rentrer tout dans un tuyau très étroit. Et en même temps, c’est d’une commodité incroyable. Tout le monde peut enregistrer un album génial chez soi. Ce qui est beau dans un studio, c’est qu’il y a le dernier cri technologique qui cohabite avec des vieilleries que l’on croyait obsolètes. On cherche aujourd’hui des choses que l’on jetait auparavant. Klaus Blasquiz, le chanteur de Magma, a fait une espèce d’entrepôt de SPA pour le matos de son, qu’il ramasse parfois dans la rue. N’importe quelle pédale a une couleur, une qualité… Les progrès, c’est génial, ça permet de compenser les défauts des trucs d’avant. Cela fait remonter le passé.

L’album Meteor Show a été fait en sollicitant grandement les logiciels, en les amenant dans des zones interdites.

Meteor Show est un exemple de production phénoménal. J’ai rarement entendu autant de recherche et d’exigence dans le son que sur cet album, qui fait d’ailleurs partie de mes œuvres musicales préférées de tous les temps. C’est un album qui a marqué la production en France autant que des œuvres comme Homework de Daft Punk ou encore Moon Safari d’Air.

Rodolphe Burger : C’est gentil de le dire, je le pense aussi. En tout cas, en le faisant, nous avions ce sentiment, d’être à un endroit nouveau. C’était tellement exaltant et fort comme sensation, je m’en souviendrai toute ma vie.

Vous aviez dit à l’époque vouloir atteindre une « futurisation » du son. Un bond dans le temps, c’était l’idée ? Bond qui d’ailleurs, est toujours d’actualité. On ressent encore aujourd’hui cette pulsion futuriste.

Rodolphe Burger : Ah oui oui oui, tout à fait. C’était vraiment lié à des configurations techniques. C’est la première fois où l’on pouvait se servir de l’ordinateur comme magnéto, ce qui nous a permis d’appliquer des traitements au son particuliers et novateurs. Cela ne signifiait pas pour autant que l’on rompait avec la console analogique. Au contraire, on utilisait une console avec des clapets qui permettaient de faire à la main des effets de coupure. Chaque piste a été travaillée en live. Il y a donc ce mélange entre son analogique et son numérique. Tu pouvais ralentir de 50, 100, 200%, et voir ce que cela donnait. Tu finis par avoir un son totalement stupéfiant, qui ne sonne comme rien d’autre. On passait au vitriol des pistes entières.

« En France, il y a des bons interprètes d’accord… Mais ces personnes n’ont souvent aucun sens de l’exploration et de la production. Je ne dis pas que tout musicien doit s’engager là-dedans mais je suis toujours étonné que l’on puisse y être totalement insensible » 

 Cette passion du son se perd j’ai l’impression, vous ne trouvez pas ? Les artistes semblent de moins en moins exigeants de ce côté-là.

Rodolphe Burger : Cela dépend. Pas forcément. Par exemple, Christophe a une passion du son incroyable. Il est comme un gamin. C’est ce qui lui a permis de se détacher de cette case « variété » qui est en même temps sa provenance. L’exemple inverse, celui chez qui il n’y avait aucune recherche de son, parce qu’il s’en fichait, c’était Johnny Hallyday. En France, il y a des bons interprètes d’accord… Mais ces personnes n’ont souvent aucun sens de l’exploration et de la production. Je ne dis pas que tout musicien doit s’engager là-dedans mais je suis toujours étonné que l’on puisse y être totalement insensible. C’est artistique de part en part cette affaire. J’aime travailler avec des techniciens qui sont également des artistes. J’attends d’eux une sensibilité. Nous partageons une oreille ensemble.

Je souhaitais également vous parler de la qualité d’enregistrement de vos concerts. Je pense notamment à ceux de Kat Onoma, Happy Birthday Public ou Live at la Chapelle. Des albums live d’aussi bonne qualité, ça n’existe pas normalement (rires). Quel est le secret ?

Rodolphe Burger : C’est vraiment lié aux personnes avec qui l’on travaille, plus qu’au matériel. Ce n’était pas un matosexceptionnel. Rien d’extravagant. On peut faire avec peu des choses qui sonnent formidablement. Il y a de moins en moins de règles par rapport à cela. Des personnes comme Rick Rubin me fascinent, dans ce qu’il a réussi à faire avec Johnny Cash n otamment. C’est sublime. Moi j’aime bien Johnny Cash mais je ne tombe pas de ma chaise à chaque fois que j’entends un de ses morceaux. Avec Rick Rubin, c’est différent. Là tu tombes littéralement de ta chaise. Il est parvenu à enregistrer cette voix comme jamais personne ne l’avait fait. C’est extraordinaire de présence.

J’avoue davantage connaître Bob Dylan…

Rodolphe Burger : Pour Bob Dylan, c’est sur son album Oh Mercy que la magie opère. Ses albums sont souvent variables en terme de production. Avec celui-ci, il atteint un sommet. Je me souviens de l’effet qu’il m’a fait, indescriptible. Et l’on doit cela à Daniel Lanois. Il y a ce morceau… Je ne me souviens plus de son nom…

« Man in the long black coat » ?

Rodolphe Burger : Oui voilà, c’est formidable. La voix, c’est du fil de fer barbelé. Je l’ai fait écouter à l’ingénieur du son avec qui j’ai fait mon premier album « Cheval Mouvement » en guise d’exemple et de modèle. Daniel Lanois est le premier à avoir remis la console au centre du processus d’enregistrement et à rompre avec cette séparation des années 80, complètement clinique, où les studios ressemblaient à des cabinets de dentiste. Les musiciens venaient enregistrer chacun leur tour. Dylan lui-même a été déconcerté par la façon de travailler de Lanois. C’était le retour de l’art du live en studio.

« Lulu, l’album de Lou Reed et Metallica, je le trouve évidemment merveilleux » 

Dans les années 80, donc avant Oh Mercy, la musique de Bob Dylan était au plus mal. On a perdu Bowie à ce moment-là. Lou Reed est le seul à avoir plus ou moins survécu à ces années dévastatrices, bien qu’il eut été impacté également. On l’entend dans le son de ses albums d’ailleurs (The Bells, Growing Up in Public, Legendary Hearts…)

Rodolphe Burger : Il y a quand même cet album… Mistrial, pas très fameux (rires).

C’est vrai, mais Lou Reed a gardé une sorte de constante assez impressionnante. En ce sens, je le rapproche souvent de vous, car j’y vois des parallèles entre son œuvre et la vôtre : cohérence de l’œuvre globale, exploration, passion du son, identité unique. J’imagine que vous avez suivi et admiré la carrière de Lou Reed.

Rodolphe Burger : Enormément. Lou Reed, c’est considérable. J’ai eu un moment l’opportunité de le rencontrer. Mais je n’ai pas voulu, car j’avais trop peur. J’ai lu tellement de récits autour de lui.

J’ai une dernière question qui me tient à cœur, notamment pour connaître l’avis du fan de Lou Reed que vous êtes. J’ai procédé à un classement des meilleurs albums de la décennie en décembre dernier, dans lequel votre album GOOD apparaît d’ailleurs en trentième position, et j’ai pris le risque de mettre Lulu, le projet de Lou Reed en collaboration avec Metallica, en première place. On sait à quel point cet album est controversé. Je voulais savoir votre avis sur cet album.

Rodolphe Burger : Je le trouve évidemment merveilleux. Je ne comprends pas pourquoi il s’est fait lyncher de cette manière. C’est juste super.

Je pense que l’on peut s’arrêter ici. Merci beaucoup Rodolphe Burger, ce fut un immense plaisir.

Rodolphe Burger : Merci !

Voici une sélection personnelle de morceaux de Rodolphe Burger et Kat Onoma, si vous souhaitez (re)découvrir son oeuvre. Cette playlist a été pensée pour être écouté dans l’ordre suivant :

« Petit Vagabond » – Kat Onoma (Live at la Chapelle)
« Le déluge (d’après moi) » – Kat Onoma (Far From the Pictures)
« Ensemble » – Rodolphe Burger (No Sport)
« Cheval-jungle » – Rodolphe Burger (Meteor Show)
« Wild Thing » – Kat Onoma (Cupid)
« C’est dans la vallée » – Rodolphe Burger (Valley Session)
« Old Trouble » – Kat Onoma (Live at la Chapelle)
« Try to understand » – Rodolphe Burger, Olivier Cadiot (Welche)
« John and Mary » – Kat Onoma (Far From the Pictures)
« Happy Hour » – Rodolphe Burger (GOOD)
« House People » – Rodolphe Burger, James Blood Ulmer (Guitar Music
« Passe/donne » Rodolphe Burger (Valley Session)
« B à Batz » – Rodolphe Burger, Olivier Cadiot (Hotel Robinson)
« Be Bop de Beep » – Rodolphe Burger, Philippe Poirier, Julien Perraudeau (Play Kat Onoma)

 

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