Lulu Van Trapp dévoilait le 19 avril son nouvel album « LOVECITY ». Un album qui se laisse aller à une dominante clairement pop sans pour autant perdre son esprit rock. Comme toujours avec l’équipe, qui a décidé de ranger ses costumes pour montrer son vrai visage, les morceaux comme les textes reflètent d’un engagement profond. Pour le féminisme, mais aussi pour l’art, pour l’envie de bousculer les codes et inviter le plus grand nombre à la réflexion. Le groupe qui a l’habitude de se mettre à nu sur scène sait aussi le faire en interview. Avec Rebecca, on parle de pop, du corps féminin, de se réapproprier son corps, du pouvoir de l’amitié, de l’art qui bouscule, d’art populaire, de nudité, de violence mais aussi de Catherine Ringer.

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Pop&Shot : LOVECITY  sortira le 19 avril, comment le décririez-vous en quelques mots ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : LOVECITY parle de ce qui nous rattache et nous éloigne de la ville – de notre ville, Paris. Cet album traite de la relation amour-haine qu’on peut avoir à l’encontre de là d’où on vient, de ce qui fait à la fois notre fierté et notre faiblesse. Et de comme cette relation peut se propager jusqu’à l’intérieur de nos corps, nos relations amoureuses et amicales. LOVECITY part d’un constat sombre sur le monde qui nous entoure, et finit sur un espoir lumineux en notre génération et les suivantes, une foi inébranlable en l’amitié.

C’est un album qui parle beaucoup d’amour mais surtout d’amour entre amis comme un remède. L’amitié est-elle un remède aux maux d’amour ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : A travers les chansons de cet album mais aussi notre expérience personnelle depuis que nous en avons entamé la création, nous avons réalisé que l’amitié est décidément la plus solide des formes d’amour. L’amitié est libre du capitalisme, elle n’obéit à aucun contrat, à aucune monnaie. C’est le dernier lieu de liberté et c’est là que nous puisons notre force. L’amitié nous a à de nombreuses reprises sauvé.e.s du chagrin d’amour et peut même avoir la force de nous sauver de cette époque dure et solitaire. C’est de ça que parle LOVECITY aussi, cette ville d’amour qu’on imagine, elle brille en nous.

Ce n’est pas toujours facile et harmonieux de se situer à la croisée des contraires, mais l’assumer en fait une force.

La volonté de faire cohabiter punk et pop a toujours fait partie de votre ADN. C’est un titre qui tire sur la pop qui ouvre l’opus : « L’amour et le Bagarre ». Ce sont aussi deux mots qui représentent bien votre groupe. Etait-ce une façon de donner une définition immédiate de l’univers de Lulu Van Trapp ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : On peut dire ça oui! Après, la définition se situe plutôt dans ce titre que dans les paroles de la chanson, qui déroule une relation toxique comme on les connaît et les expérimente souvent à nos âges, que l’on a essayé d’écrire sans jugement ni morale. C’est bien dans l’espace où ces deux mots se cognent qu’on peut définir Lulu Van Trapp, en effet. Entre amour et bagarre, punk et pop. Ce n’est pas toujours facile et harmonieux de se situer à la croisée des contraires, mais l’assumer en fait une force.

Ce qu’on montre dans l’amour et la bagarre, c’est l’image même du consentement.

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Son clip avait pour but de transcender la violence. Loin de la violence gratuite, il s’agissait de violence reçue et donnée volontairement. Tourner cette vidéo, était-ce cathartique pour vous ? Comment avez-vous fait pour rompre le schéma classique de la violence que l’on voit beaucoup à l’écran ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : On a écrit le scénario à quatre mains avec Lucie Bourdeu, qui a aussi réalisé notre clip BRAZIL. On y retrouve les thèmes qui nous obsédaient alors et nous obsèdent encore, que nous continuons à creuser et déconstruire, avec au centre la ré-appropriation de la violence par, et non plus contre, le corps féminin. En effet, dans l’un comme dans l’autre nous montrons des personnages féminins puissants et impénitents, initiatrices de la violence et jamais victimes de celle-ci. Tout au plus sado-masochistes ou carrément psychopathes, mais jamais victimes. De plus, ce qu’on montre dans l’amour et la bagarre, c’est l’image même du consentement. C’est un fight club où une bande de potes se mettent sur la gueule sans conséquences pour extérioriser la violence subie dans la société. Et n’est-ce pas là notre rôle d’artistes ? Nous emparer de l’imagerie de notre époque et en faire un objet qui fait s’interroger, qui en démontre le cynisme? Le point de vue de la caméra nous le montre bien, s’attardant sans cesse non pas sur celle.ui qui donne mais celle.ui qui reçoit le coup (la bagarre) qui est voulu, désiré comme un baiser (l’amour). C’est un clip profondément féministe, au regard féminin et empathique sur une femme dé-chaînée.

Le titre « Geisha » parle de place dans la société en tant que femme. Pourquoi avoir choisi cette figure de dame de compagnie très traditionaliste pour illustrer ce propos ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Encore une fois, pour faire briller la thématique par son contraire. Je ne dirais pas que « Geisha » parle tant de la place de la femme dans la société que d’habiter son propre corps pleinement. Et d’admettre que même le détester, c’est le considérer, donc le posséder. Après, en effet, les femmes vivent plus que quiconque leur place dans la société, à travers, en dépit de, et assignées à leur corps. C’est une chanson qui veut surtout donner de la force. Quelle que soit la façon dont on vit son corps, il prend de l’espace, il existe, on ne peut disparaitre / on ne peut nous faire disparaitre. Il faudrait nous tuer pour cela. Et la deuxième partie du refrain parle bien de ça : qu’on me cache / me torde / je remplis l’espace – peut importe ce que l’on fera subir à nos corps, nous existerons. C’est une chanson pour affirmer son existence, sa légitimité, sa place. Ce qui est drôle, c’est que bien que ce soit une voix féminine qui la chante, la chanson n’est pas genrée. Et pourtant, quand on l’écoute on ne peut qu’assumer que c’est d’une femme dont on parle. Et là se situe le coeur du problème de la perception de la place de la femme dans la société.

C’est la nudité le véritable uniforme qui nous met toustes au même niveau.

Le corps a une place centrale dans l’univers de Lulu Van Trapp. A la Maroquinerie vous aviez par exemple invité des spectateurs.trices à se mettre entièrement nu.e.s sur scène. Comment cette nudité est-elle synonyme d’art et de liberté dans votre univers ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Je trouve que la nudité dénuée de préméditation est ce qui représente le mieux le lâcher prise d’un concert. C’est la métaphore de ce que nous faisons quand nous sommes sur scène, mettre nos sentiments à nu, se donner à l’exercice complexe d’être complètement honnête. A travers la nudité nous sommes tous égaux.égales. Il n’y a plus de symbole de différences de classe, culturelle ou sociale. C’est la nudité le véritable uniforme qui nous met toustes au même niveau. Je pense aussi que la nudité simple, sans forme de strip tease, sans accessoires ni atours, nous permet d’accéder à un regard dénué de sexualisation. C’est une façon de rendre humble face à ce que la nudité représente, de boycotter les regards non-désirés, de se ré-approprier son érotisme à travers un acte très pur et un retour aux sources, à l’état sauvage.

notre volonté est pop au sens populaire du terme

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Cette idée de nudité peut choquer. Le choc dans l’art peut être essentiel pour faire passer des messages. Vous pensez qu’aujourd’hui l’art peut-il encore être bruyant, radical et donc à contre courant des mœurs ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Il est même nécessaire que l’art reste ainsi, c’est le devoir des artistes! Avec Lulu Van Trapp, nous voulons nous inscrire dans le genre musical de la pop. Le rock, le punk, le hip hop, sont des genres qui nous traversent et nous alimentent, mais notre volonté est pop au sens populaire du terme. C’est à travers la pop qu’on veut faire passer des messages qui toucheront un maximum de personnes, qui seront le plus ouverts (sans être policés). Se dire qu’on fait de la pop force à penser son message différemment. Quand on fait du rock , on pense « contre » la société, quand on fait de la pop on pense « avec », et on trouve ça infiniment plus interessant, subversif et dangereux aussi! On regrette qu’il n’y ait pas plus d’artistes qui mêlent engagement et art. Nos paroles ne sont pas toujours directement engagées, mais notre engagement politique irrigue tout ce que l’on fait. Et oui, l’artiste qui cherche à plaire à tout le monde, ne choquer personne et présenter un visage agréable, est pour moi un commerçant d’art.

Le costume a une place centrale dans vos concerts. Pourtant cette fois, vous ne voulez plus jouer de rôles. Comment ça va se matérialiser sur scène ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Je vous rassure, le costume continue et continuera d’avoir une très grande place. Nous avons un tel goût pour ça que c’est impossible de le dissocier de la performance. Mais ce que nous voulons dire par là, c’est que plutôt de continuer d’incarner une multitude de personnages et de muer sans cesse d’identité, nous avons enfin trouvé la nôtre et sommes dans une volonté d’explorer toutes les facettes du même costume, au plus près de ce que nous sommes vraiment.

« Pornbooth » tranche en milieu d’album, déjà avec ses paroles en anglais mais aussi avec ses sonorités disco / dance rétro. Il est aussi le résultat de réflexions intérieures qui surgissent. Quelle est son histoire ?

Lulu Van Trapp- Rebecca : « Pornbooth » s’inspire de ces chansons et duos qu’on pouvait souvent entendre dans la variété française dans les 80’s, avec des couplets en français et de refrains en anglais. On trouvait drôle de surfer sur notre double identité en l’assumant à fond. Et même de métisser la chanson au point d’avoir une instru d’inspiration « française » pour les couplets ou Max chante et plutôt « brit » pour les refrains ou je chante. C’est la seule chanson de l’album qui ne parle pas directement de nos expériences, mais où on s’est amusé.e.s à imaginer une cyber relation entre un mec un peu paumé et pas tout à fait déconstruit – mais sur la voie, on sent qu’il se cherche – et une camgirl de l’autre côté de l’océan. Lui, chante son amour à sens unique, puisqu’il est pour elle perdu dans la marée de clics qu’elle reçoit à la minute.

Elle, chante sa propre désillusion face à son métier qu’elle trouve parfois un peu vide de sens (car non reconnu et non encadré!) mais aussi son empouvoirement d’utiliser fièrement son corps comme gagne pain (plutôt que d’être soumise à lui, ce qui est de toute façon la façon dont la majorité des femmes vivent leur corps – pourquoi  ne pas en tirer de l’argent du coup?), de faire payer les hommes pour pouvoir le regarder et prendre sa revanche sur ce regard dont ils pensent avoir le droit de jouir gratuitement (harcèlement de rue par exemple). Mais aussi sa solitude parfois, de danser seule dans sa chambre pour l’oeil d’une caméra. On a adoré enregistrer cette chanson, car comme tous les duos de l’album, on l’a chantée en même temps avec Max, en se regardant, en dialoguant réellement, en riant, en se plongeant dans les émotions l’un de l’autre. On a vraiment incarné ces personnages le temps d’une chanson.

Ce ne serait pas notre ville si on ne voulait pas constamment la fuir mais qu’elle nous manquait aussi à chaque fois qu’on en est loin.

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
LOVECITY c’est Paris, votre ville, celle qui vous a porté en tant que groupe. Elle a bien des visages cette capitale, de la ville romantique, à celle détestée, des clichés aux nuits endiablées. C’est quoi le Paris de Lulu Van Trapp ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Grande question! Déjà ce ne serait pas notre ville si on ne voulait pas constamment la fuir mais qu’elle nous manquait aussi à chaque fois qu’on en est loin. En vrai nos sentiments face à cette ville sont plutôt bien résumés dans la chanson city girl. Notre carte de paris à nous va de Saint Ouen à Ménilmontant en passant par Pigalle et SSD. C’est petit mais c’est là qu’on vit, qu’on a grandi et enregistré notre musique, comme un village.

L’album a été masterisé par Mike Bozzi, comment était-ce de travailler avec lui ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Nous n’avons pas été en contact direct avec lui, mais plutôt le réalisateur et producteur de l’album, Azzedine Djelil. Le son qu’il nous a proposé nous a tout de suite plu et intrigué, car il poussait la volonté « pop » de l’album plus loin encore, avec un son à l’américaine, la voix hyper définie qui surplombe une instrumentalisation qui laisse la place aux kicks, aux basses, avec les guitares et les synthés qui explosent parfois, mais sinon un medium assez en retrait. Assez différent de notre premier album, masterisé par (rip) John Davis aux studio Metropolis, qui avait un son « brit » plus agressif et rock. Ici, la place est faite à l’aspect dansant de l’album, tout en préservant son côté vraiment « chansons ».

On a particulièrement aimé le moment où elle a foutu la honte nationale à Macron

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Même si ce n’est pas réellement une influence, vous avez été comparés souvent aux Rita Mitsouko, peut-être par besoin de mettre les artistes dans des cases. Vous disiez que vous respectiez énormément Catherine Ringer. Elle a chanté pour l’entrée dans la constitution du droit à l’avortement. Etait-ce un moment inspirant pour vous ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Oui, même si le gouvernement pour lequel elle a chanté ne nous inspire que du dégoût. On a particulièrement aimé le moment où elle a foutu la honte nationale à Macron en l’ignorant au moment où il essayait de la féliciter, et par là s’approprier son acte d’ailleurs.

Lulu Van Trapp sera en concert à la Machine du Moulin Rouge le 23 mai 2024.

 


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