Que de choix en ce lundi 27 mai 2024 à Paris ! Le choix cornélien, presque celui de Sophie en somme, devait être fait entre deux des meilleurs artistes du moment qui se produisaient ce soir dans la capitale. D’un côté Beth Gibbons avec en première partie Bill Ryder Jones, de l’autre, à la Cigale, Fat White Family. Les artistes les plus fous de la scène rock actuelle. C’est donc, et ce n’est pas un spoiler si vous avez lu le titre, vers ces derniers que notre choix s’est porté. En cause, une réputation d’immanquables qui nous faisait trépigner d’envie. Avons-nous eu raison ? On vous raconte.
le Chapelier fou : Lias au Pays des merveilles
Dès l’entrée, notre bon goût est d’office validé par les bruits de couloirs. La veille, l’incroyable famille se produisait au festival Levitation. La prestation avait fait l’unanimité, d’autant plus que le meneur de notre formation jouait à présent entièrement sobre. Voilà qui laissait songeur. 21 heures sonne enfin, il est l’heure ! La tornade se met en marche, la foule se contracte, on ouvre grand les yeux. La famille est là, un joyeux non anniversaire à vous !
C’est sur « Angel » de Robbie Williams qu’entre le groupe sur scène, le décalage se fait. Quoique Robbie Williams, malgré ses mélodies mielleuses est connu pour son sens de l’humour et son plaisir à montrer des photos de ses fesses. D’ailleurs Lias Saoudi, lui, compte bien en dévoiler plus que Robbie. Vêtu d’un imperméable ouvert, il cache à moitié un collant couleur chair, seul vêtement plus que suggestif et qui moule comme vous vous en doutez, chaque partie de son anatomie ( mais ce soir il n’y aura pas de chute). « John Lennon » ( issu de Forgiveness is yours) ainsi que « Without Consent » ouvre la partie, alors que le dit imperméable dévoile un peu mieux les parties du chanteur. Et les premières secondes ne laissent aucun doute planer : le concert va être un pur moment de folie. Si la notion semble se répéter au cours des précédentes lignes, c’est parce qu’elle représente le mieux la scène qui se déroule ce soir. Lias aurait été un bien meilleur Joker que ne le furent Heath Ledger et Joaquim Phoenix. Il a, du très célèbre personnage, la théâtralité, mais quelque chose dans sa gestuelle vient redistribuer les cartes. Au lieu d’être passive comme on peut l’être en regardant les célèbres films, la foule devient partie intégrante de l’immense asile de Gotham Ci(ty)gale. Il faut donc moins d’un titre pour que les spectateurs n’entrent dans l’ambiance, moins de deux pour que le chanteur ne s’offre son premier bain de foule face à un membre de la sécu déjà débordé qui court donner du fil à son micro. Au troisième morceau, notre homme s’est déjà roulé sur le sol, a hurlé dans son micro, donné une leçon de chant tout en se déchaînant tant qu’il parait improbable d’avoir encore du souffle. « Polygamy is only for the chief » scande-t-il face à une foule transpirante, de corps entremêlés.
L’heure du thé
La grand messe cathartique se poursuit. Tout comme le cinéma d’horreur peut l’être, les concerts de Fat White Family sont d’immenses exutoires. La foule est particulièrement réceptive d’ailleurs à la thérapie par l’absurde qui lui est proposée. Et cette foule a des visages bien variés. Le rock transcende les générations, nous dirons-nous, et c’est peut-être ce qui est le plus beau à voir ce soir. Les plus âgés, les cheveux gris, vêtus de leurs chemises de bureaux, là dans les premiers rangs, en train de pousser dans les pogos et de slamer à toute allure. Au tout premier rang, téléphone à la main, photographiant chaque instant, la fan a toujours 15 ans. Tout comme celle juste à ses côtés qui les a encore sur ses papiers d’identité. Il n’y a pas d’uniforme quand on fait partie de cette grosse famille. D’ailleurs un homme au balcon, et son sage cardigan, félicite du pouce une performance qu’il qualifie d’excellente, pendant qu’une toute jeune femme, au look gothique elle court dans les escaliers pour se prendre un bain de foule. Une famille inter-générationnelle, rassemblée derrière le tonton fou furieux, qui lui est maintenant en eaux. Pour revenir aux sources, peut-être changer de position dans la famille, le voilà qui adopte en avant-scène une position de fœtus, les bras se tendent vers lui, comme dans les films de zombies. « Touch the leather », « Bullet of dignity », « Visions of Pain » ou encore « Hits hits hits » résonnent très fort. La folie continue alors que deux bémols viennent entacher un moment qui pourtant rappelle que les bons concerts existent encore et qu’on peut prendre un plaisir « fou » en concert. Le premier tient du son qui retient trop l’énergie déployée et peine à se répandre dans la salle, laissant parfois de côté certains membres de l’audience. L’autre tient à la répétition de certains gimmicks, qui donnent à une partie du concert une sensation de redite. Non que l’instant ne soit agréable mais une fois la température du bain déjanté prise, l’énergie déployée pourtant en continue vient moins tabasser le public, qui s’était pris une grosse claque pendant une bonne heure de live. Pour autant la fosse bouillante, elle, se fiche bien de toute objection que pourrait donner un critique musical. La critique est papier mais l’instant lui est torride. Les slams sont légions, et les bières volent dans les airs depuis la première heure. Lias jette les éco cups qui lui sont envoyées d’un air machinal et les instruments eux ne sont que mouvement. D’autant plus la flûte traversière qui épouse parfaitement l’instant, insolite et logique à la fois. Côté public, les slammeurs fous remarqueront peut-être la présence des membres de Lulu Van Trapp, eux aussi auront préféré la Fat White Family à Beth Gibbons.
Vol au dessus d’un nid de cigale
Les slams sont nombreux dans la foule et les corps volent dans les airs d’une Cigale pleine à craquer et en parfaite ébullition. La Fat White Family entame quant à elle la fin de son concert survolté. « Whitest Boy on the beach » résonne avant que le set ne se calme radicalement. Lias Saoudi marque un temps de pause pour interpréter à l’acoustique le titre « Borderline ». Un moment bienvenu puisqu’il permet un reset du concert et de repartir de plus belle pour se dire au revoir. « Work » et « Bomb Disneyland » viennent conclure l’instant survolté, et redonner au grain de folie distillé la puissance dont il a besoin. Lorsque les portes s’ouvrent, le public électrifié et transpirant se déverse dans un Paris tiède que la pluie a délaissé un temps. Aurions-nous dû préférer Beth Gibbons finalement ? Impossible à dire tant les deux soirées promettaient d’être inoubliables. Une chose est certaine, ce moment dément ne saurait sortir des esprits. Comme le dit l’habituellement tristement commun proverbe : les folies sont les seules choses qu’on ne regrette jamais. Ce soir donnons lui raison.
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