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Interview

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Pendant le confinement, les compères d’Isaac Delusion ont travaillé à la composition d’un nouvel EP « Make It ». Au programme cinq titres à leur sauce et reconnaissables entre tous entre électo, rock, nouvelle vague … Loïc et Jules, fondateurs du groupe ont profité de cette sortie pour répondre aux questions de Popnshot. On parle création, collaborations, libertés, confinement, concerts, science et E.T.

Isaac delusion
crédit : Paul Rousteau

Comment décririez-vous votre nouvel Ep qui sort le 23 ?

Isaac Delusion :  C’est un EP qu’on fait dans des conditions très particulières, pendant le confinement, alors que l’on devait être en tournée. Il a été fait entièrement à distance, c’est une nouvelle manière de travailler. On n’avait jamais travaillé comme ça. On a eu le temps de faire de la musique et le résultat est tel qu’on l’attendait.

Et travailler comme ça c’était pas trop compliqué ?

Isaac Delusion : C’était pas compliqué, c’était bizarre. On préfère travailler tous les deux en direct, en réel avec des vraies personnes.

Et cette période particulière vous avez voulu la retranscrire dans votre musique ? Ou plutôt mettre de côté ?

Pas vraiment, non. On a mis ça de côté. C’était un sujet que l’on ne voulait pas aborder. C’était une manière de ne pas y penser.

Le fait de pouvoir faire des concerts, sans crainte, juste pour écouter de la musique, pour passer un bon moment, c’est quelque chose d’assez primordiale pour moi.

J’ai lu dans une interview d’Indiemusic que vous trouviez votre premier album trop mainstream, le deuxième trop écrit. Vous êtes très critique sur votre travaille. Est-ce que sur celui-ci vous le remettez déjà en questions ou à l’inverse vous êtes content et fier de votre œuvre ?

Isaac Delusion : La musique c’est un apprentissage infini. On est toujours en train de se chercher, d’évoluer. Un artiste qui n’évolue pas c’est un peu un projet mort. Les mots qu’on mettait sur nos albums, nos « critiques » comme sur le premier et le deuxième, il y avait des choses qu’on n’arrivait pas à cerner, il y avait une dimension incomprise. La musique évolue en permanence, rien n’est figé. Les attentes et les goûts sont en perpétuels mouvements. On a passé un cap, on essaye de ne plus être critique sur notre travail, on essaye de produire des choses, de les sortir. Ce qui est déjà pas mal.
Au-delà de ça, on est très content de ce que l’on a fait, on en est fier. Les critiques qu’on en a faite, c’était  une manière de désavouer les choses qui sont faites, qui sont figées. On aura toujours envie de faire différemment.

Il y a un morceau, » make it« ,  que vous avez fait avec Silly Boy Blue. Vous pouvez me parler de cette rencontre artistique ?

Isaac Delusion : On évolue dans une sphère musicale, où on n’est pas nombreux à Paris et même en France à avoir le même esprit. Ce côté onirique de la musique est quand même assez large et n’a pas vraiment d’équivalent. On a trouvé une identité intéressante et originale. Des artistes qui rentrent dans le cadre de notre musicalité se retrouvent plus dans les pays anglosaxons. Silly Boy Blue on l’avait repérée avant de faire un featuring avec elle. On a le même manager, qui nous a présenté. On a accroché avec elle et on l’a fait chanter sur l’un de nos morceaux. C’était une première pour nous d’avoir quelqu’un d’extérieur. On trouve que cela a porté le morceau dans une dimension différente de ce que l’on a l’habitude de faire. C’est une super expérience que l’on va reproduire par la suite. On adore sa musique.

Isaac Delusion feat. Silly Boy Blue - Make It | A COLORS SHOW

C’est difficile de parler de musique en se détachant de l’actualité. Vous avez une tournée de prévue. Comment l’envisagez vous ? Comment l’appréhendez vous ?

Isaac Delusion : On prend les choses au jour le jour. Des dates ont déjà été annulées, d’autres devraient l’être. On a une chance assez incroyable de tourner en ce moment. On est ravis d’y arriver dans ce contexte. C’est pas facile, avec un public assis. Tout le monde préférerait plus de convivialité. Tout s’est toujours bien passé, et cela ne retire rien au plaisir.

Sur votre album Rust & Gold il y avait le titre  » Voyager ». Si vous pouviez voyager aujourd’hui, où est ce que vous  iriez ? Le voyage vous inspire?

Isaac Delusion : C’est une de nos grosses thématiques. C’est inspirant pour n’importe qui. Si on pouvait voyager où est-ce qu’on irait ? A la mer !
Moi je suis déjà à la mer ahah (Loïc).
Dans un endroit chaud avec la mer, comme Bali ou Le Sri Lanka (Jules)

Vous avez fait un live à la Cité de Sciences et de l’industrie. Il avait la particularité d’être une médiation scientifique. Pour vous comment l’art et la science peuvent-ils cohabiter ? Et comment c’était de jouer là-bas ?

Isaac Delusion : (Loïc)Pour ma part c’est un endroit où j’ai grandi. Ma mère m’emmenait souvent à la Cité des Sciences découvrir pleins de choses, faire des expériences. C’est rempli de souvenirs. Le fait de faire un concert là-bas je l’ai pris un peu comme une consécration.
(Jules) Je suis d’accord avec toi, j’ai les mêmes souvenirs d’enfance et c’était très cool de bosser là-bas.
Concernant le lien entre les sciences et la musique, on est dans une époque où les sciences impactent beaucoup la musique, on est dans un monde digital, où il se passe beaucoup de choses. Il y a plein de nouveaux instruments de musique qui sortent tous les jours, qu’on avait jamais vu avant. Il y a des nouvelles méthodes de travail, presque révolutionnaires, où tout est possible de faire même dans des tout petits objets. Il se passe quelque chose de très intéressant dans la musique. On fait une musique assez synthétique, on est très friands de ces nouvelles technologies qui sortent et qui changent la donne, la manière de faire de la musique et qui font évoluer cet art.

Isaac Delusion
crédit Paul Rousteau

Si on pouvait envoyer un morceau à une forme de vie extraterrestre, lequel choisiriez-vous pour vous présenter ?

On choisirait « Midnight Sun ». C’est notre premier morceau composé ensemble. Cela a été un succès immédiat. Il a marqué le début de l’aventure pour nous. C’est un morceau très simple, minimaliste, très dénudé, qui va vraiment à l’essentiel. L’essence du projet se trouve dans ce morceau. C’est vraiment ce morceau là qu’on enverrait à E.T..

L’art c’est déjà liberté. Le fait de pouvoir en vivre c’est la liberté absolue

Dernière question, en ce moment on parle beaucoup de liberté, que ce soit d’expression ou de mouvement. Pour vous la liberté en tant qu’artistes, qu’est-ce que c’est ?

Isaac Delusion : On a plusieurs façons d’interpréter la liberté en tant qu’artiste. L’art c’est déjà liberté. Le fait de pouvoir en vivre c’est la liberté absolue. On est « très mal placé » pour expliquer ce que c’est que la liberté vu que notre métier c’est déjà une liberté énorme.
Il y a une part de liberté à prendre concernant les réseaux sociaux. Les artistes contemporains, on attend d’eux qu’ils se dévoilent, qu’ils montrent leurs vies privées, qu’ils expliquent ce qu’ils font. On attend d’eux qu’ils mettent tout le temps du contenu, finalement sans profondeur. La liberté de tout artiste c’est communiquer ce qu’il souhaite communiqué quand il souhaite le communiqué de la manière qu’il le veut. De ne pas se sentir obligé de tout le temps communiquer avec les gens de façon très creuse, comme maintenant devenu la norme.
Pouvoir continuer à vivre en tant qu’artiste et de communiquer que de l’art.

Des projets pour l’avenir ?

Isaac Delusion : Faire le plus de concerts possibles. Sortir de cette période qui complique la vie de tout le monde. Le fait de pouvoir faire des concerts, sans craintes, juste pour écouter de la musique, pour passer un bon moment, c’est quelque chose d’assez primordiale pour moi.


Ralph of London
crédits : Heiko Prigge

Le 13 mars 2020, tout juste avant le confinement, Ralph Of London dévoilait sa seconde galette brit-pop « The Potato Kingdom ». Porté par son talentueux chanteur originaire de  Londres, Ralph donc, le groupe indé y révèle une esthétique aussi populaire que sophistiquée et des paroles incisives oscillant entre romantisme et satyre social. Aidé par une troupe native du Nord de la France ( Diane, François, Léopold et Maxime), le musicien crée une bande son lumineuse d’une main de maître. Le 19 juin, les acolytes dévoieront le clip de leur dernier single :  « Dotty » et y parleront des folies que l’on peut faire par amour. A cette occasion, le groupe a accepté de répondre aux questions de PopnShot. Un échange passionnant  au cours duquel ils abordent tour à tour la brit pop,  les communautés musicales, la pop française, les concerts post-confinement, l’amour, le punk et  Van Gogh

Dans votre biographie, votre musique est décrite comme « do it yourself ». On sait que la charge de travail pour les artistes indépendants est colossale, comment gérez-vous tout ça et jusqu’où est-il possible de tout faire soi-même ?

Ralph : On utilise le mot « DIY » pour décrire l’esthétique de notre musique. Cela signifie que l’on reste fidèles à l’impulsion ou l’idée initiale, aussi bien dans l’enregistrement que dans le mix. Gérer nous-mêmes le côté plus “administratif” du projet sert à protéger et renforcer notre éthique. Pour le moment, c’est le seul modèle que nous avons essayé donc son efficacité se révèle en principe dans notre travail.

Vous êtes inspirés par la pop britannique, qu’est-ce qui vous parle dans ce courant ?

Ralph : Il y a toujours eu une forte veine d’irrévérence dans la musique britannique qui provient du bas de la société. Cette énergie était à un moment donné le domaine privilégié de la culture des jeunes britanniques, et l’est toujours en grande partie, mais maintenant il y a d’autres proliférations de la même énergie qui viennent d’autres générations, c’est peut-être plus intéressant maintenant que ça ne l’a été auparavant.

François : L’Angleterre a musicalement été imprégnée par son melting pot, créant des styles variés et marqués d’influences. Nous pensons davantage à la philosophie d’inspiration et d’initiation de l’Angleterre qu’à une résurgence du mouvement pop.

 

Mais la France pourrait porter plus haut cette notion de communauté musicale.

 

 Londres, que vous évoquez jusque dans votre nom de groupe, a une véritable aura musicale ; on imagine en y pensant un rock indépendant local. Alors que votre chanteur vient de Londres, pensez-vous que la France ou Paris a une telle aura musicale ?

Diane : Je ne dirais pas que Paris en particulier a une aura musicale, mais que la France, internationalement, a apporté sa pierre à l’histoire musicale. La pop française est à différencier de la pop anglaise mais n’est pas incompatible. L’aura française est à mon goût moins punk et plus sophistiquée peut-être. Paris est tout de même, pour les français, le seul moyen de vraiment percer. Comme partout, la capitale centralise les meilleures opportunités, les meilleures salles de concert et peut-être un public plus ouvert à la diversité. Mais le reste de la France offre également sa part de diversité et de belles découvertes.

Ralph : La France a cette aura dans certaines villes dans lesquelles nous avons joué. La seule différence est où ces personnes regardent. À Londres, il y avait avant un sentiment de communauté musicale très fort, communauté au sein de laquelle on trouvait représentation et validation ; je doute fort que cela existe encore. Mais la France pourrait porter plus haut cette notion de communauté musicale. C’est quelque chose que l’on garde en tête lorsque l’on communique sur notre travail, cette notion d’appartenance, de voix commune.

La crise du Coronavirus a particulièrement touché l’industrie de la musique qui en souffre encore énormément. Comment vivez-vous tout ça ?

Diane : Le confinement en France est tombé quelques jours après le lancement de notre album “The Potato Kingdom”, ce qui nous a énormément affecté. Cependant, les concerts annulés et le contexte général étant au questionnement et à la remise en question, nous avons fait de même. On a décidé de se placer en tant qu’observateurs, de composer de nouveaux morceaux et de reprendre la communication sur l’album au bon moment. C’était comme une période de résidence improvisée.

François : Oui, la période de confinement a été plutôt salutaire pour nous dans la mesure où nous venions de lancer l’album, nous étions épuisé et avions besoin de repos. Cela a également marqué une césure avec nos travaux passés, amenant une nouvelle ère pour notre musique.

 

Il n’y a rien de pire qu’un public stérile, immobile trop intellectuel pour répondre physiquement au son.

 

Le rock est vecteur de partage, de pogos et d’énergie, vous pensez que concerts pourraient réellement rimer avec gestes barrières ?

Ralph : Les concerts devraient être rythmés d’une dose d’instabilité et de frénésie. Il n’y a rien de pire qu’un public stérile, immobile trop intellectuel pour répondre physiquement au son.

François : Notre musique est plutôt de la Shit-Pop que du Rock, nos concerts ne sont pas faits pour les pogos (en tout cas pas encore).

Vous citez le génial Elliott Smith parmi vos références, qu’est-ce qui vous parle chez cet artiste ? Sa musique est une véritable catharsis, c’est quelque chose qui existe également pour vous lorsque vous composez ?

Ralph : Elliott Smith a un style de composition qui correspond à sa façon de conjurer et de transporter l’émotion. Il est l’un des oracles du songwriting. Si vous soupçonnez que votre travail manque de quelque chose, vous consultez l’oracle.

Diane : Oui, je pense que dans notre cas, comme dans le cas de beaucoup d’artistes, la composition et l’écriture sont le moyen d’exorciser des émotions internes et personnelles ou alors universelles pour lesquelles nous sommes hôtes pour un certain temps.

François : L’humour en interne au sein du groupe est aussi une catharsis ; un humour à l’image des facettes les plus noires de l’humanité parfois.

Votre dernier single « Dotty » parle de ceux qui sont capables de faire des folies par amour. Quelle est la chose la plus folle que vous ayez faite par amour ?

Ralph : Me déraciner de ma vie londonienne et emménager en France pour continuer la musique.

Diane : J’ai conduit à droite un énorme SUV dans les Cornouailles sur des petites routes rocailleuses dans la nuit et en hauteur et je me suis retrouvée au bord d’un précipice, une roue dans le vide.

La chose la plus folle que tu peux faire pour l’amour de la musique, c’est te débarrasser de toutes les illusions de sécurité et de confort, de gain matériel et te plonger simplement dans ton travail la tête la première.

Quelle est la chose la plus folle que l’on pourrait faire selon vous par amour de la musique ? Est-il encore possible de choquer et dépasser les limites en musique comme le punk avait pu le faire en son temps ?

Ralph : Je dirais que la musique est un véhicule pour porter l’énergie de l’amour, de la politique ou de la philosophie. Dans le cas de la musique Punk, la musique coïncide avec quelque chose qui bouillonnait déjà à la surface de la société. Le punk était un bon catalyseur pour beaucoup de changements sociaux. Je pense que c’est toujours possible mais le faire ne te permettra pas nécessairement de faire la une des magazines et de la TV. L’industrie musicale est trop intelligente maintenant pour ce type de synthèse cinétique entre idées et sons pour être à la tête d’un mouvement. De nos jours, tout tourne autour des gens qui doivent payer leurs factures. La chose la plus folle que tu peux faire pour l’amour de la musique, c’est te débarrasser de toutes les illusions de sécurité et de confort, de gain matériel et te plonger simplement dans ton travail la tête la première.

François : Travailler dur pour la musique est le meilleur exemple. Le mythe de Sisyphe d’un groupe indépendant. Si nous composions un album par semaine avec pochette et clips, cela serait une belle preuve d’amour mais nous mourrions littéralement de fatigue. Quoi de plus romantique ? La frenzy scénique est ce qu’il reste de plus évocateur, la fureur de jouer, la vraie. Les ersatz du jeu de scène actuellement me font rire ; ce sont des pièces de théâtre calibrées, pré-écrites, rien de plus.

 

Nous rappelons que la pop est populaire.

Votre univers est empreint d’un certain grain de folie, d’ailleurs c’est bien ce qu’évoque un titre comme « The Potato Kingdom », d’où vient-il et que signifie-t-il ?

Ralph : Vraiment ? Nous pensions que toute la folie venait du monde par-delà les murs du Royaume. La plupart des gens ne savent pas avec certitude s’ils sont intramuros ou extramuros.

Diane : Tout est dit dans l’album : “Tout est rien, la vie est une patate”.

François : Nous avions un jour parlé avec Ralph du tableau de Van Gogh “ les Mangeurs de pommes de terre », qui demeure une peinture populiste, portée par un médium réservé à une certaine élite pour représenter le peuple. Je pense que cela représente bien la philosophie du Potato Kingdom avec ses travers et ses joies. Nous rappelons que la pop est populaire.

On traverse une période particulière, alors quel morceau serait selon vous, la bande originale parfaite pour raconter l’année 2020 ? 

Ralph : « Riverman » de Nick Drake. Il y a quelque chose qui hante et qui est incertain dans ce morceau. Comme si la nature conspirait, le morceau nous laisse comme à la merci d’une force inconnue. J’aime la capacité qu’a la musique à désarmer la conscience de l’égo.

Diane : La nature tente de reprendre ses droits avec violence ; les oubliés, les trop longtemps rabaissés se soulèvent. C’est une période excitante dans un sens, qui laisse entrevoir que peut-être le monde pourrait s’embellir. Mais pour ça il faut que chacun prenne ses responsabilités, change sa façon de consommer et de penser le monde, et surtout il faut que personne n’ait la mémoire courte…  Kel Tinawen – Tinariwen “The uprising will be impossible to suppress”

 François : Le choix est difficile. Je dirais « Down of the Iconoclast » de Dead Can Dance qui est un groupe que j’admire ; la chanson sonne comme un Lacrimosa, une Thrène, en la mémoire des victimes. Le recueillement est nécessaire pour apaiser les âmes des défunts.


 

Steve Hewitt, vous l’avez découvert lorsqu’il était le batteur de Placebo. Depuis, le musicien a pris de l’assurance et a monté en 2010 l’énorme groupe de rock Love Amongst Ruin en s’entourant notamment de Perry Bamonte qui jouait avec The Cure. Devenu chanteur et guitariste, Steve Hewitt excelle et produit un nouveau son résolument rock, transformant la colère en énergie pure. En 2020, le groupe revient avec un troisième album « Detonation Days ». Ce dernier profitera d’un format particulier puisque les morceaux seront dévoilés un par un avant de devenir un opus entier. Rencontre avec un grand nom de la musique qui nous parle de ce nouvel album mais aussi du renouveau de l’industrie musicale, du streaming, des réseaux sociaux, du Brexit et du monde actuel.

(Ndlr : Cette interview a été réalisée avant la crise sanitaire du Coronavirus et le confinement )

 

De nouveaux morceaux arrivent pour Love Amongst Ruin qui sont teasés par un premier titre Seventh Son, que peux-tu nous dire à ce sujet ?

Seventh Son sera le premier morceau à sortir pour présenter le troisième album de Love Amongst Ruin. C’est différent de l’album Lose Your Way parce que c’est beaucoup plus contemporain, c’est une tentative de mettre en avant la musique rock. La manière dont j’ai crée cet album est très différente de mes habitudes. Plutôt que d’écrire de nouveaux morceaux, il s’est agit d’apprécier de nouveaux sons et de nouvelles textures qui ont inspirés les titres. Seventh Son vient de quelque chose d’ancien qui parait pertinent aujourd’hui. C’est un lieu parfois obscure mais aussi un endroit où les gens peuvent se cacher lorsqu’ils veulent se rendre invisibles dans leurs vies et pour le reste du Monde et ce lieu existe.

Pour toi le 7 être symbole de chance comme de malchance, pourquoi avoir choisit ce chiffre ?

A notre époque, le numéro 7 est un chiffre chance qui apporte la fortune et le succès. Mais à l’époque médiévale c’était un chiffre sombre et démoniaque. si tu étais le 7ème fils alors tu étais un paria et damné. Je trouvais intéressant de souligner à quel point la société humaine pouvait changer à travers les siècles.

Tu veux sortir un nouveau titre chaque mois, as-tu déjà écrit tous les morceaux ? Quand et comment sauras-tu que tu as un album entier ?

 L’industrie musicale est en train de changer et j’essaie de m’y adapter. Le changement se situe dans la manière dont la musique est distribuée et écoutée. Je ne pense pas que les gens écoutent encore des albums, parce que trop de morceaux sortent tous les jours et qu’il est impossible pour qui que se soit de rester informé de tout ce qui se passe. Je pense que plutôt que de sortir une chanson pour un album qui disparaitra dans l’obscurité, il vaut mieux faire en sorte que chaque titre soit sa propre entité. Mais j’ai assez de morceaux pour sortir un album, pas d’inquiétudes à ce sujet.

Je prie Dieu que les gens veuillent toujours écouter des albums entiers

Pourquoi l’avoir intitulé « Detonation Days » ?

Et bien, Denotation Days est un titre qui m’inspire bien puisqu’il me permet d’écrire sur ce qui se passe dans le monde en ce moment. Et ce que c’est de vivre dans ce Monde. Et j’ai bien peur que ça ne s’empire avant de pouvoir s’améliorer.

 

Pourquoi évoquer une trilogie quand tu parle de cet opus ?

 Je parle de trilogie puisque s’agira du troisième album de Love Amongst Ruins, rien de plus. Il pourrait être le dernier ou pas, qui sait…

Tu parles beaucoup d’avoir une approche moderne de la consommation de la musique, de streaming notamment. Penses-tu qu’aujourd’hui la création d’un album soit toujours pertinente ? Quelles différences vois-tu entre notre époque et tes débuts dans la musique ?

Je crois que le vinyle est un véritable levier et que si l’album est bon alors il restera toujours une oeuvre d’art. Je prie Dieu que les gens veuillent toujours écouter des albums entiers. La différence c’est que quand j’ai commencé on découvrait la chanson à la radio ou la télé et puis on allait chez le disquaire acheter l’album et ça représentait beaucoup plus alors que maintenant c’est plus simple. Tu écoute un titre et puis tu as juste à cliquer. J’imagine que le processus émotionnel pour trouver une chanson s’est un peu perdu.

Tu expliquais récemment que pour toi il est de plus en plus difficile de catégoriser les genres musicaux. Penses-tu que tout ce qui était faisable dans la musique rock classique est maintenant fait et qu’afin de créer de la nouveauté , il faut mélanger les styles musicaux ?

 Je pense qu’on a vraiment atteint un point où tout ce qui pouvait se faire dans la musique a été fait et ça devient plus difficile d’être original. Ceci dit le mélange des soit-disant genres permet de créer de la nouveauté. Ca date depuis un bon moment maintenant, depuis les début du hip hop. La même chose se produit dans le rock. Il n’y a qu’un certain nombre de notes que tu peux jouer et un certain nombre de façon d’incorporer et de les mélanger les genres pour déguiser ce que tu joues. Mais aujourd’hui les genres n’existent plus, il n’y a plus qu’une grande zone grise dans laquelle tout se confond et se mélange. Tout ce qu’on écoute aujourd’hui utilise des éléments passés qui ont fonctionné.

On a juste besoin d’un nouvel act rock, que la nouvelle génération sorte les guitares et la batterie et joue du rock.

En France c’est le hip hop qui est en tête des charts, une idée de comment le rock pourrait lui voler la vedette ?

Haha, impossible pour moi de répondre, si je le savais, j’ouvrirai un énorme label en France. Je ne pense pas que le rock ait déjà été leader du marché en France, c’est culturel. Les USA et la Grande-Bretagne se sont toujours définis par le rock classique, là où la France est plutôt dans l’âge moderne porté par des crooners traditionnels et des chanteurs du hit parade, il y a également une grande scène électro très forte de nos jours. On a juste besoin d’un nouvel acte rock, que la nouvelle génération sorte les guitares et la batterie et joue du rock.

 

 

Le premier album de Love Amongst Ruin parlait de souffrance et de colère.  Le second, plus abouti, avait plus de confiance en lui. A quoi peut-on s’attendre pour ce troisième act ?

Ce troisième album est en train de prendre forme mais c’est aussi le moment d’observer le monde et ce qu’il s’y passe. Je ne veux pas faire de la politique pour autant, il s’agit plus de parler d’où j’en suis dans ma vie en ce moment.

Love Amongst Ruin est un nom de groupe très fort, dans quel état d’esprit étais-tu lors de sa création ? Te sens-tu maintenant plus à l’aise derrière un micro et une guitare que derrière une batterie ?

J’ai crée ce groupe par nécessité d’exprimer mes idées. Je n’aurai jamais pensé de la vie devenir un chanteur. J’ai toujours écrit et composé donc c’était assez naturel pour moi. Mais m’habituer à chanter dans un groupe ça a été beaucoup de travail ne serait-ce que pour me convaincre que j’en étais capable. Je suis maintenant plus à l’aise avec le fait de chanter et de jouer de la guitare mais je serai toujours heureux de jouer de la batterie. 

Les musiciens se succèdent à tes côtés sur ce projet. Est-ce facile de garder une identité de groupe malgré ça ? 

Love Amongst Ruin  c’est essentiellement moi., peu importe qui joue avec moi même si quelques musiciens jouent régulièrement à mes côtés aujourd’hui. J’ai travaillé avec Donald Ross Skinner sur tous les albums, on écrit ensemble, on joue ensemble sur les enregistrements donc ça ne change qu’en live quand des musiciens nous rejoignent. Ce qui peut vraiment changer les choses se sont les producteurs qui décident de nous co-produirent.  C’est toujours bon d’avoir un troisième ou un quatrième avis. C’est facile de retenir l’identité d’un groupe puisque ce sera le même frontman, ça ne changera pas et ce quelque soit le groupe.

 

 

Que peux-tu nous dire de « Dream », le prochain extrait à sortir ?

Dream devrait être le second titre à être dévoilé même si pour l’instant ce n’est pas figé. Cette chanson parle d’un artiste qui a atteint un point dans sa vie où il se demande si ce qu’il fait est bon et souffre d’un manque de directives. C’est globalement un manque d’estime de soit lié à la crise de la quarantaine. Il passe alors ses journées à avoir trop peur de faire quelque chose à ce sujet. 

Quand les gens vont en concert pour regarder leurs écrans de portables, là je me demande ce que c’est que cette merde ??!!

Comme beaucoup de musiciens tu utilises énormément les réseaux sociaux. Penses-tu qu’ils sont de bons outils pour le développement des artistes ? 

Les technologies modernes sont une bonne chose, il n’y a rien de mauvais dans le progrès et ça aide les musiciens à diffuser leur musique.  Ce que signifie être un musicien a entièrement changé de nos jours et ça n’est pas un problème. Mais quand les gens vont en concert pour regarder leurs écrans de portables, là je me demande ce que c’est que cette merde ???!! Ils passent à côté de l’intérêt du concert. Mais au final les réseaux sociaux restent une bonne chose pour les musiciens.

Le Brexit est passé et les artistes anglais devront maintenant repasser par la case visa pour leurs tournées européennes.  Comment vis-tu cette actualité en tant que musicien ?

Pour moi, le Brexit a été une perte de temps totale. j’ai voté pour rester dans l’Europe donc maintenant je dois faire avec la décision de quelqu’un d’autre. C’est une véritable emmerde et un bouleversement au-delà de l’imaginable. Je ne veux pas plus en parler puisque c’est une véritable connerie. 

je pense que le rock peut être la réponse aux problèmes de ce monde. 

Alors que ce monde tend à se renfermer sur lui-même, que les extrêmes montent, que les fake news circulent, penses-tu que la musique, ce language universel peut être une réponse. Le rock et sa révolution ressemblent-ils à une solution ?

Je ne suis pas certain que le monde soit devenu plus disparate  que jamais, tout le monde a son opinion, même les politiques n’arrivent pas à se mettre d’accord dans leurs partis respectifs. C’est à cause de tout ça que la musique a de plus en plus de mal à unir les gens.  C’est pourtant elle qui a toujours eu le pouvoir de les bouger et de leur faire ressentir quelque chose et je pense, mais je ne suis pas sûr que le rock puisse être la réponse aux problèmes de ce monde. 

 

Après avoir tourné avec Placebo, tu tournes avec LYS et Love Amongst Ruin, qu’est-ce qui a changé sur scène pour toi ?

La grande différence lorsque l’on vient me voir sur scène maintenant est que je joue avec plus de monde, c’est important d’essayer de nouvelles choses et d’agrandir son expérience en tant que musicien. C’est important de rester pertinent dans la musique et d’embrasser le futur, c’est même vital. Il faut continuer d’aimer ce qu’on fait et d’aimer se renouveler, c’est ce que je fais depuis 30 ans et je vais continuer à le faire. J’aime rencontrer de nouvelles personnes dans la musique qui viennent de différents styles. C’est fabuleux.

On peut s’attendre à une tournée française ?

J’espère pouvoir tourner en novembre avec le groupe donc continuez à nous suivre.

 

Rodolphe Burger
 Crédit photo: Julien Mignot

 C’est dans son appartement parisien que Rodolphe Burger a accepté de répondre à mes questions. Attablés, nous discutons pendant plus d’une heure, sans voir le temps défiler. Passionné de son œuvre et de sa carrière, je l’écoute avec attention parler de sa vision du rock. C’est avec étonnement et grande satisfaction de ma part qu’il se livre avec jovialité sur des sujets divers et variés. La discussion se construit autour de thèmes sur lesquels j’ai longtemps souhaité l’entendre parler, notamment sur le son, la production, ses influences, sa vision de la musique… Un moment comme il en est rare, qu’une voix de conte, celle d’un éternel passionné, aura mené avec enthousiasme. Plein d’étoiles dans les yeux au moment de m’en aller, je le quitte avec le sentiment d’avoir franchi une étape : celle d’une ouverture et d’un élargissement de mon horizon musical. Voici donc la synthèse écrite de ce qu’il m’a raconté, aussi bien sur son nouvel album prévu pour le mois de juin prochain que sur son amour pour le son.

 Pour rappel, Rodolphe Burger, né en Alsace et leader du groupe Kat Onoma dans les années 80/90, est un artiste important du paysage musical français, ayant collaboré avec les plus grands: Jacques Higelin, Alain Bashung, Rachid Taha… Dans une démarche indépendante depuis ses débuts, il détient son propre label : « Dernière Bande ». En 2001, il crée un festival « C’est dans la Vallée », à travers lequel il fait vivre de musique la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines en Alsace. Sa carrière solo, conséquente, réputée notamment pour ses albums Cheval-Mouvement et Meteor Show, se poursuit encore aujourd’hui sans limites, et dans un perpétuel renouvellement. 

Je souhaite débuter avec une question assez générale, pour essayer d’en apprendre un peu plus sur vous, surtout pour notre audience qui ne vous connaît pas forcément. Je voulais ainsi savoir ce que vous faîtes de vos journées ? Quel est le quotidien de Rodolphe Burger ?

Rodolphe Burger : Du fait de la démultiplication des projets, je suis rarement désœuvré. Je suis même plutôt sur-occupé, notamment par les concerts. Il y a évidemment les tournées mais à côté de cela, je fais aussi des concerts un peu particuliers qui sont des petites créations. Celles-ci sont liées à des évènements qui demandent beaucoup de préparation. J’ai la chance d’être sollicité et d’avoir régulièrement des propositions qui ne se refusent pas. J’adore les commandes, souvent très stimulantes, qui nous permettent d’aller à des endroits que l’on n’aurait pas soupçonnés.

En effet, vous faîtes beaucoup de scène, pas forcément dans le sens commun du terme, à savoir des concerts classiques, mais vous semblez particulièrement attaché au fait de jouer devant un public, quel qu’il soit, pour divers évènements.

Rodolphe Burger : Oui, c’est une dimension de la musique qui me plaît, le fait que cela se pratique évidemment devant un public mais aussi à plusieurs. Comme je suis dans une démarche indépendante, j’ai une petite équipe avec laquelle on organise quelque fois des évènements plus confidentiels, comme par exemple des « thé dansants ». On ne boit pas de thé et on ne danse pas, mais on se retrouve le dimanche après-midi dans des endroits tenus secrets. Ce genre de projets est vraiment à part. C’est hors promo, hors commande.

 Aussi, j’apprécie beaucoup les passages en studio, le fait que l’on essaye d’être dans une sorte d’état et de dynamique proche de celle du live. Quelque chose de l’ordre de la performance.

Ce que j’aime, c’est cette variété de situations.

Donc si je comprends bien, vous dédiez toute votre vie à la musique ?

Rodolphe Burger :  Tout à fait, cela fait longtemps maintenant. Il y a eu des années où j’étais en parallèle sur la musique et d’autres activités, avant de faire le choix de ne faire que ça. J’ai recommencé à faire de la musique au moment où j’ai débuté l’enseignement de la philosophie. Il y eut plusieurs années où j’étais donc à cheval entre ces deux occupations. C’était étrange, assez inconfortable et en même temps intéressant d’être engagé à 100% dans deux choses qui ne sont pas forcément compatibles.

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« On a eu envie avec Erik Marchand et les musiciens qui nous accompagnent d’écrire un deuxième chapitre à cette collaboration » 

J’ai vu que vous alliez bientôt entamer plusieurs dates avec Erik Marchand, avec qui vous aviez fait un album en 2004. A quoi doit-on ces retrouvailles ?

Rodolphe Burger :  Oui, il y a un projet nouveau. On a eu envie avec Erik Marchand et les musiciens qui nous accompagnent d’écrire un deuxième chapitre à cette collaboration. Nous avons déjà fait un disque du nom de « Before Bach ». C’était assez étonnant et improbable. On doit ce genre de situations à des circonstances particulières, des amis… Ce sont souvent des résultats inattendus, une chose en provoque une autre. J’avais fait ce disque avec Olivier Cadiot, « Hôtel Robinson », sur l’île de Batz en Bretagne. J’ai donc joué à cette occasion à Morlaix, dans un petit théâtre. J’ai proposé à mon ami Joran Le Corre, qui programme le Festival Panorama, de choisir des invités, parmi lesquels figurait Erik Marchand. S’en est suivi une connexion particulière sur un morceau. Il se trouve qu’à ce concert assistait Jacques Blanc du Quartz de Bretz. Il souhaitait à tout prix un prolongement de cette collaboration. Il nous a alors commandé une création, que nous avons fait dans mon studio en Alsace. S’en est suivi un disque, et des concerts… Nous l’avons rejoué il n’y a pas si longtemps en Bretagne. C’était un grand plaisir de le retrouver et on a vu que le public réagissait encore mieux maintenant. On a donc voulu donner une suite à ce projet, suite que nous avons enregistré il y a quelques semaines, qui donne vie à un nouveau répertoire, que nous allons bientôt présenter en concert. L’album n’est pas encore mixé donc nous n’avons pas encore de date de sortie.

A côté de cela, il y a mon nouvel album solo qui est prévu pour juin mais aussi d’autres projets comme celui avec le Couscous Clan, le groupe que j’avais avec Rachid Taha, que l’on a décidé de poursuivre avec des invités, dont un stupéfiant chanteur de raï : Sofiane Saïdi. Il y aura surement un disque à venir autour de ce projet.

Carrière

« Quand tu écoutes le Velvet, tu ne penses pas à Ornette Coleman, mais de savoir qu’ils allaient écouter sa musique en ayant l’intelligence de ne pas vouloir jouer dans la même cour, montrait qu’ils connaissaient leurs limites. Je veux dire, à aucun moment ils ne se sont pris pour des musiciens noirs » 

Et vous avez un public autour de vous qui vous suit dans n’importe quelle nouveauté et épreuve ? Car vous jouez dans des endroits pas forcément réputés et qui bénéficient de très peu de publicité j’imagine.

Rodolphe Burger :  Oui, bien sûr. Nous sommes à beaucoup d’endroits différents. Moi j’aime beaucoup cela. C’est ce que les situationnistes appelaient la dérive sociale : d’être dans un mouvement, de traverser des situations, des lieux, d’être dans une expérimentation permanente et de ne surtout pas être figé dans un fonctionnement unique. Je crains évidemment la routine.

Vous faîtes partie de ceux qui font le plus de choses diverses et variées, et toujours selon un même esprit. Vos projets semblent se répondre entre eux. On ressent un lien solide, un fil conducteur, une colonne vertébrale bien constituée.

Rodolphe Burger : Oui voilà, c’est ce que j’espère. Je ne pensais pas que cette aventure dans la musique m’amènerait à cela. Comme je le disais il y a quelques minutes, il faut tel projet pour m’amener à faire quelque chose que je pensais impossible. Récemment, j’ai fait une création autour du Lenz de Büchner et je me suis retrouvé à chanter du Schubert, ce que je n’aurais jamais imaginé possible. Dans mon prochain album, il y a d’ailleurs deux lieder de Schubert. J’aime être surpris moi-même par ce que la musique m’amène à faire. Tout cela est guidé par la musique elle-même, par les rencontres. Cette dimension est fabuleuse, car elle ne passe pas seulement par le langage. L’intuition est davantage mobilisée, et suit l’idée d’un mouvement rapide et consistant. Ce n’est pas fumeux. C’est quelque chose de très concret.

 

Before Bach, l’album avec Erik Marchand, le montrait très bien. C’est l’exploration d’une langue, le breton, donc la représentation d’un voyage hors de votre monde, adapté à votre propre identité.

Rodolphe Burger : Cela suppose d’être à la fois à sa place, de ne pas se sentir menacé, et d’être en même temps ouvert au langage de l’autre, curieux. C’est quelque chose qui n’est pas immédiat. Les années Kat Onoma étaient des années bien plus centrées sur nous-mêmes, dans notre laboratoire, à fabriquer notre son et à la recherche d’une identité, au détriment parfois de relations extérieures. C’est plus tard que j’ai pris goût à la rencontre et que j’ai réalisé son importance. Un épisode qui m’a permis d’envisager de faire une création avec Erik Marchand par exemple, c’est l’expérience que j’ai eu au préalable avec un groupe afghan, à Strasbourg, une situation ponctuelle de soutien à l’Afghanistan. C’était un groupe en exil. En répétition je marchais sur des œufs, j’étais inquiet, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire. J’étais ébloui par leur façon d’articuler les thèmes, et je m’aperçois que tout leur concert est en do dièse. Les variations viennent du rythme, de la mélodie elle-même, sans changements harmoniques. Il a fallu que je trouve une façon de me glisser là-dedans. J’y allais à petit pas, j’étais comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, avec ma guitare électrique, au milieu d’un ensemble acoustique. En fait j’ai découvert qu’ils attendaient une seule chose de ma part : que j’envoie le gros son. Lorsque je m’y suis mis, je les ai vu sourire. Cet épisode m’a en quelque sorte désinhibé. Il faut assumer d’être soi-même, avec ses limites et tout ce qui s’en suit, puis trouver un moyen de communiquer.

C’est ce qui est impressionnant avec votre œuvre. Vous avez une base solide, autour de laquelle vous gravitez sans vous répétez. Quoiqu’il y a cette forme de répétition qu’est la reprise constante de vos propres morceaux, chose à laquelle vous êtes attachés depuis toujours. D’où vient cette obsession ?

Rodolphe Burger : La reprise, c’est quand même le béaba. Au début en tout cas. Les groupes de rock commencent généralement par faire des reprises. C’est l’école des autodidactes. Personnellement, j’ai une pratique de la reprise qui n’est pas vraiment celle-là, même s’il m’arrive d’en faire en tant que pur hommage. La plupart du temps, ce sont des reprises très interprétées. Je trouve que cela permet de raconter quelque chose de plus. On est d’emblée dans un contrepoint. Au fond, j’éprouve la même chose avec mes propres morceaux.

Oui, parce que vous reprenez beaucoup de vos morceaux.

Rodolphe Burger : Oh oui, avec Olivier Cadiot, nous avons au moins 50 versions de « Cheval-mouvement ». Avec Kat Onoma, nous avions déjà cette pratique-là. Quand j’ai fait un disque avec Philippe Poirier récemment qui s’appelle « Play Kat Onoma », dans lequel nous avons repris des anciens morceaux, c’était un grand plaisir. Reprendre Kat Onoma comme si on reprenait les morceaux d’un autre groupe. Au fond, c’était un répertoire.

Vous avez traité vos morceaux d’une manière totalement différente, beaucoup plus calmement…

Rodolphe Burger : Oui, en laissant plus de place au français. C’est un album dédié à Jack Spicer, poète américain qui avait déjà inspiré Billy the Kid, l’album de Kat Onoma. A l’époque, je n’imaginais pas donner autant d’importance au français. Là, ce fut possible. C’est beaucoup plus minimaliste. Il y a cet écart intéressant étant donné que c’étaient des morceaux que nous n’avions pas joués depuis quinze ans. Ce fut enrichissant d’aller à l’os de la chose, de tester ce qui tient, sur quoi cela repose, en quoi cela consiste exactement. D’être dans une épure autant que possible, quitte ensuite à lui donner du développement. Cette démarche du minimalisme, Kat Onoma la pratiquait déjà. Par exemple, cette reprise de « Wild Thing » de Jimi Hendrix : elle tenait sur trois accords, on allait jusqu’au silence puis on repartait de ce silence…

Bouleversant… C’est cette reprise qui m’a fait découvrir Kat Onoma. A l’époque d’ailleurs, je pensais que c’était une chanson originale, et elle m’a fait un effet indescriptible.

Rodolphe Burger : Tu n’es pas le seul à avoir pensé que c’était une chanson originale (rires).

Vous avez également dédié un album entier à des reprises du Velvet Underground. Comment est né ce projet ? Par passion ?

Rodolphe Burger : Par passion évidemment, mais à la base, c’est lié à une commande de création que l’on a faite en live au théâtre de Sète. Ça a été guidé par le plaisir. Je me suis demandé avec qui j’avais envie de faire ça, de me plonger dans ce répertoire merveilleux.

Et encore une fois, vous êtes parvenu à l’intégrer à votre univers.

Rodolphe Burger : Surement, mais en déformant beaucoup moins. C’est investi avec énormément de jubilation et de chaleur, alors que le Velvet s’obligeait à être très froid, s’interdisait le groove, la chaleur. C’était un tel bonheur de réactiver ces morceaux et revérifier à quel point c’est vivifiant, vivant… Alors qu’à l’époque, on avait l’image de quelque chose de morbide.

Le Velvet vous a suivi durant toute votre carrière.

Rodolphe Burger : Oui, oui, le Velvet a été très important, comme une influence, mais surtout comme un exemple. On pouvait projeter beaucoup de choses sur ce groupe. Quand j’ai appris qu’ils étaient fan d’Ornette Coleman, j’ai été à la fois surpris et très content. J’aimais aussi beaucoup cet artiste, même si je l’ai découvert après. Quand tu écoutes le Velvet, tu ne penses pas à Ornette Coleman, mais de savoir qu’ils allaient écouter sa musique en ayant l’intelligence de ne pas vouloir jouer dans la même cour, montrait qu’ils connaissaient leurs limites. Je veux dire, à aucun moment ils ne se sont pris pour des musiciens noirs.

Rodolphe Burger
Crédit photo : Julien Mignot

Nouvel album

« Nous avons enregistré quatre morceaux de Kat Onoma, dont un sera sur l’album, dans une version nouvelle et avec un invité » 

Pour revenir à votre nouvel album que vous avez brièvement mentionné, vous n’avez encore rien annoncé. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Rodolphe Burger : Le disque est fini. Je réfléchis en ce moment au visuel. Il sortira en juin. Il y aura une tournée en automne qui suivra.

Il a été enregistré dans votre studio en Alsace ?

Rodolphe Burger : Tout à fait. Entièrement là-bas. Ça a été une expérience incroyable, je n’ai jamais fait un disque de cette façon. Ce qui était inhabituel, c’est l’enchaînement de deux albums solos aussi proches dans le temps.

 On rappelle que GOOD est sorti il y a trois ans, en 2017, et que No Sport, le dernier album solo avant GOOD, remonte-lui à 2008.

Rodolphe Burger : Voilà. Il y a eu plusieurs projets entre No Sport et GOOD, dont Play Kat Onoma, l’album dédié au Velvet et l’hommage à Mahmoud Darwish. Mais en effet, pas d’albums solo. Or, j’étais tellement content de la formation live de « GOOD », ce trio que je forme avec Sarah Murcia et Christophe Calpini, que je leur ai proposé de repartir rapidement en studio enregistrer de nouvelles choses, sans volonté particulière de faire un disque. J’avais quelques idées et tout s’est fait incroyablement vite, dans une entente assez étonnante. J’ai adoré toutes les formations avec lesquelles j’ai tourné. Avec le temps, j’ai pris goût à la forme trio. J’avais trouvé géniale celle de No Sport avec Alberto Malo et Julien Perraudeau. Quand je change de formation, c’est surtout par défi de renouvellement, et non par lassitude. D’ailleurs, je continue à collaborer avec plusieurs musiciens avec lesquels j’ai joué. Je pourrais demain jouer avec Kat Onoma. Il y a quelque chose qui, pour moi, reste toujours là. Quand on a rejoué avec Philippe Poirier par exemple, ce fut immédiat, comme si rien n’avait changé.

Mais pour revenir au nouvel album, je dirais qu’il y a eu l’envie de ne pas s’arrêter en si bon chemin. On a ainsi passé des moments magnifiques dans ce studio. On travaille incroyablement sans s’en rendre compte, c’est un immense plaisir. Le disque s’est fait de cette manière-là, sans que je me pose de questions de cohérence, en m’abandonnant totalement au désir du moment. Je me suis retrouvé avec des morceaux extrêmement disparates, au point de me demander si j’allais parvenir à construire un album.

Vous êtes finalement parvenu à assembler les pièces d’une manière qui vous plaît ?

Rodolphe Burger : Oui, j’en suis très content, c’est un disque extrêmement libre.

Un disque dans la continuité de GOOD ?

Rodolphe Burger : Il y a à la fois des choses qui s’en rapprochent fortement, surtout au niveau du son, cette porte qui s’est ouverte et que je souhaite explorer davantage. Il y a même des morceaux qui vont un peu plus loin dans la même direction il me semble. Et d’autres choses qui sont tout à fait différentes. On peut faire une reprise d’un morceau de rocksteady avec à côté un lieder de Schubert.

 Est-ce que vous reprenez des anciens morceaux à vous comme vous en avez l’habitude ?

Rodolphe Burger : Nous avons enregistré quatre morceaux de Kat Onoma, dont un sera sur l’album, dans une version nouvelle et avec un invité. Mais je ne veux pas encore tout dévoiler, à ce rythme il n’y aura plus de surprises (rires).

Clips et art visuel

« Notre album Far From the Pictures attestait plus ou moins de notre distance par rapport à l’image » 

Parlons d’autres choses alors, je ne voudrais pas être trop curieux (rires). J’ai vu sur votre chaîne Youtube plusieurs clips, parfois étranges, autour de votre précédent album. Le morceau « GOOD » bénéficie par exemple de deux clips. J’ai l’impression que l’un d’eux est plus officiel que l’autre, même si les deux en portent le marqueur.

Rodolphe Burger : C’est une histoire qui me tient à cœur, même si je n’ai pas vraiment communiqué là-dessus. Sur « GOOD » j’ai eu envie de proposer à des jeunes vidéastes issus d’école d’art de réaliser des clips totalement libres. C’était à eux de choisir le morceau qui les intéressait, c’était comme un exercice. Eloigné de toute idée de clip promotionnel. Il y a eu en effet une autre proposition de clip sur le morceau « GOOD », différente de celle qu’avait imaginé Patrick-Mario Bernard, le réalisateur du film GOOD.

Quel est votre rapport aux clips ? Personnellement, j’ai toujours beaucoup de mal, je trouve qu’ils dénaturent quelque chose de la musique, je peine souvent à les regarder. Je préfère écouter le son sans visuel.

Rodolphe Burger : Je suis tout à fait de ton avis. A l’époque de Kat Onoma, on a vu naître l’image comme accompagnement indispensable de la musique. On ne connaissait pas cela, et on était quelque peu réticent. On avait beaucoup de mal. C’était le règne de MTV, M6, des boîtes de pubs qui fourguaient leurs réalisateurs aux maisons de disques. Notre album Far From the Pictures attestait plus ou moins de notre distance par rapport à l’image. Mais ce qui était paradoxal, c’est que l’on disait souvent que notre musique stimulait l’imagination, avait un côté presque cinématographique, qui appelait d’une certaine façon l’image. Aussitôt que l’on figeait des images sur la musique, nous étions distants, dans une sorte de déboire, de conflit… Et en même temps, plusieurs clips anglais ou américains me plaisaient beaucoup. Quelques clips français aussi, mais ils étaient bien plus rares. J’avais vu qu’en Angleterre, les groupes indés comme Cure par exemple faisaient leurs clips avec des potes. Il y avait cette connexion dans la musique anglaise entre le rock et les écoles d’art. C’est quelque chose de très important dans l’histoire même de la pop anglaise. Beatles, Stones, Bowie… Il y avait des liens avec les arts visuels, que nous n’avons pas connu en France. C’est ce que j’ai essayé de faire exister à travers ces quelques clips autour de l’album Good (regroupés sous le nom videobox).

 

Clip alternatif du morceau Good de Rodolphe Burger

 

Mouvement et répétition / Vision du rock

« On a découvert que dans le jazz, il y avait par exemple des figures plus rock’n’roll que dans le rock » 

J’aimerais approfondir cette notion de fixation. Vous disiez ne pas apprécier les choses figées, notamment les clips qui emprisonnent en quelque sorte l’imaginaire de la musique. Vous ressentez la même chose vis-à-vis de vos morceaux, que vous ne cessez de disséquez et de malaxer, comme pour empêcher de les figer à travers une seule interprétation, chose très rare chez les artistes ?

Rodolphe Burger : Pour moi, c’est vraiment le signe qu’un morceau n’est pas mort tant qu’on prend plaisir à le redécouvrir sans cesse. On a envie de vérifier quelque chose, d’aller voir si cela tient toujours et comment cela tient. C’est quelque chose que j’ai aimé chez certains musiciens de jazz, très libres. Je me souviens d’un disque d’Archie Shepp où il reprend du Duke Ellington. Magnifique. Archie Shepp a fait partie de cette avant-garde qui s’est affranchie de la tradition, sans pour autant considérer la musique de Duke Ellington comme une musique morte. Surtout pas. Tout à coup, il fait entendre Duke Ellington d’une façon autre, très belle. J’aime ce geste qui consiste à sauver quelque chose du passé, quelque chose qui n’est pas mort. La musique a ce pouvoir. J’aime assez mettre à mal et dialectiser ces partages entre ce que l’on appelle « grande musique » ou « musique savante » et « musique populaire », entre art noble et art vulgaire. Et donc aussi entre musique occidentale et musique modale, entre l’ancien et le neuf par exemple…

Je dois probablement cela au fait que j’ai recommencé à faire du rock dans les années 80, à un moment de reprise, car j’en avais déjà fait dans ma jeunesse. Tous les membres de Kat Onoma avaient d’ailleurs eu des expériences précoces avec le rock. C’était notre point commun. C’est comme si l’on avait évacué le côté un peu juvénile, cette tendance à vouloir à tout prix casser la baraque façon « roll over Beethoven », qui va évidemment de pair avec le rock, mais qui nous importait moins avec les années passées. On savait pouvoir faire un rock différent. C’est ce qui nous a rapprochés au moment où j’étais à la recherche de musiciens sur la même longueur d’ondes que moi : on avait tous écouté d’autres musiques. On ne se limitait évidemment pas au rock. On a découvert que dans le jazz, il y avait par exemple des figures plus rock’n’roll que dans le rock. Quand tu as vu Ornette Coleman ou certaines formations de free dans la grande époque, tu remarques qu’au niveau de l’attitude et de la radicalité, rares sont ceux qui leur arrivent à la cheville.

Oui, tout est dans l’esprit. Il ne suffit pas seulement de guitares pour faire du rock. C’est une attitude, un mode de pensée.

Rodolphe Burger : Et c’est grâce à cela que notre vision s’élargit. C’est ce qui faisait la force de Kat Onoma. On s’entendait là-dessus.

En ce sens, vous perpétuez l’idée d’un rock intemporel et immortel.

Rodolphe Burger : Disons un rock qui sort de cette naïveté-là. Je refuse d’employer les termes comme « rock adulte » ou « rock sérieux » car ce n’est pas cela dont il s’agit. C’est juste un rock qui se veut moins impulsif et rentre dedans. Or, je ne savais pas si c’était possible. La grande question était de déterminer si cette naïveté n’était pas consubstantielle au rock.

Il y a plusieurs manières de voir le rock. Vous vous rangiez plus du côté de Lou Reed et du Velvet.

Rodolphe Burger : Voilà, c’est ici que le Velvet intervient comme exemple, tout à fait. C’est un groupe phare de ce point de vue-là. Les références s’élargissent, les influences également. Le blues pour Lou Reed, la musique répétitive et d’avant-garde pour John Cale… Et la musique classique également. Tout se mélange d’un coup. Le rock ne se réduit pas à ce genre étroit, qui se voudrait inséparable de l’adolescence et du jeune âge. Et je dis cela sans aucun mépris car il y a des propositions d’adolescents quelquefois fulgurantes. Et c’est souvent aussi la jeunesse qui permet cette fulgurance.

Si l’on s’intéresse au punk par exemple, qui a beaucoup joué sur le côté « tabula rasa », on voit très bien que ce n’est pas le cas. Ce sont des gens qui avaient un background et qui se référaient à des choses très précises.

Tout cela pour dire qu’on ne se reconnaissait dans aucune des visions courtes et clichés qui dominaient en France. On se sentait plus à l’aise dans des démarches et des propositions proches de certains groupes indépendants américains ou encore allemands qui étaient exactement dans la même attitude.

Notre période de tâtonnement et de recherche, avant que l’on commence à enregistrer, s’est étendue sur six ans, entre 80 et 86.

A un moment où le rock était comme qui dirait mis à mal…

Rodolphe Burger : Bah les années 80, c’est l’apparition des synthés et d’une façon particulière d’enregistrer la musique.

A laquelle vous vous opposiez j’imagine…

Rodolphe Burger : Complètement. Nous n’étions pas tellement branchés sur cette scène de la cold wave anglaise. On nous a mentionné Joy Division, que j’adore par ailleurs, mais comme influence… Ce n’était pas du tout le cas. Nous étions davantage connectés à l’Amérique qu’à l’Angleterre par exemple. Et finalement, encore plus à l’Allemagne. Le rapport allemand à la musique, c’est ce qui nous attirait réellement.

Tu vois, l’électro, je me rends compte qu’elle est plus allemande qu’autre chose. Ils sont à la fois mélomanes et ils ont été obligés, eux, de faire table rase et d’inventer quelque chose, de manière radicale. Ils ne pouvaient plus s’appuyer sur le passé.

Vous parlez des groupes tel que Can, Neu ! ou encore Kraftwerk ?

Rodolphe Burger : Oui, ce que l’on appelle le Krautrock. Ce sont des groupes qui ont été très importants pour nous. Nous étions aux avant postes, sur la carte de leur tournée. Donc tous ces groupes, je les ai vus en concert, sans que l’on se dise que c’était quelque chose de radicalement différent. C’était une proposition plus large, qui nous parlait. Il faut se rendre compte que les anglais, lorsqu’ils se trouvaient en manque d’inspiration, se sont rendus là-bas afin d’en regagner.

On pense tout de suite à David Bowie et Brian Eno.

Rodolphe Burger : Il y a une radicalité et une invention sonore. Une profondeur par nécessité. L’Angleterre était irriguée par un folklore. Nous, on ne pouvait pas s’appuyer réellement là-dessus. En tant qu’alsacien, il n’y avait rien. Il fallait chercher ailleurs, s’inventer des racines, se fabriquer son monde.

On fait partie de cette génération Wim Wenders, fascinée par l’Amérique, avec un rapport à la musique du même ordre. Je pense que ce qu’il nous a manqué en Europe, ce sont les noirs. Même dans la grande musique du siècle aux Etats-Unis, on peut dire que toute la country vient d’Allemagne par exemple. C’est une manière vivante de réinventer la musique allemande, au niveau de l’instrumentation, de la thématique… Ce qui est fascinant, c’est de voir ce que les juifs, les immigrés allemands, les noirs, les indiens sont parvenus à faire avec les racines, tout en allant vers une transfiguration. Une nécessité de le transfigurer. Hendrix, on entend que c’est à la fois quelqu’un d’enraciné et un être totalement ailleurs, dans l’espace. C’est une obligation historique dans laquelle se trouvaient les américains. En Europe, il y avait d’emblée quelque chose de vieux…

Rodolphe Burger
 Crédit photo: Julien Mignot

Son et Production

« S’il y a un endroit qui donne à penser, à plein de niveaux, c’est bien le studio » 

A côté de votre rôle de compositeur et d’interprète, vous êtes également reconnu comme producteur.

Rodolphe Burger : Oui, mais j’ai du mal à me qualifier moi-même de producteur. Si je l’ai été, c’est en tant que camarade. Je n’en ferais pas mon métier. J’ai partagé mes expériences. Il est vrai que j’ai produit un bon nombre de projets, mais dans lesquels j’étais impliqué aussi ailleurs, du point de vue de la composition par exemple. Cela a commencé avec Françoise Hardy, puis Jeanne Balibar, Alain Bashung… Mais c’est avec Higelin que je me suis retrouvé dans une situation particulière, celle d’être sollicitée comme réalisateur. J’ai longtemps hésité car c’était une lourde responsabilité. C’était à un moment où il doutait beaucoup et il avait besoin d’aide. Il cherchait un allié, ce qui m’a beaucoup touché. De voir Higelin venir te demander de l’aide, ce n’est pas rien. Le studio en Alsace a beaucoup aidé. C’est un lieu réconfortant dans lequel il se sentait à l’abri, à l’opposé des studios cliniques qu’il détestait par-dessus tout.

Vous dîtes ne pas vouloir être qualifié de producteur, mais s’il y a bien une chose qui fascine dans votre œuvre globale, c’est la qualité hallucinante de la production. D’où vous vient cette exigence pour le son ?

Rodolphe Burger : C’est du goût. Du goût et de l’exigence en effet. J’adore cela, c’est fascinant. Cela m’intéresse philosophiquement. S’il y a un endroit qui donne à penser, à plein de niveaux, c’est bien le studio. Comment se fabrique les œuvres ? Quelle est la place de la technique ? Comment s’articulent plusieurs éléments comme le savoir-faire, l’invention, le hasard, le contrôle, le non-contrôle ? Toute cette espèce de chimie complètement extraordinaire. Il suffit de lire les mémoires de l’ingénieur des Beatles à Abbey Road. Il raconte à quel point c’était une sorte de laboratoire, alliant expérimentations et détournements. J’ai travaillé avec des personnes qui, justement, étaient des as du détournement. Cette démarche renvoie presque à l’essence même de ce qu’est le son rock. Par exemple, la distorsion, fondamentale dans le rock, est au départ une faute, transformée ensuite en détournement. En prise acoustique, la saturation est l’ennemie. Et le rock, tout à coup, fait avec la saturation. Hendrix est allé détourner absolument tout, utilisant l’excès. Qu’est-ce que cela fait quand on met tout dans le rouge ? La musique est un domaine où la créativité technique est permanente. C’est le domaine où il y en a d’ailleurs le plus, après l’armée. Il y a d’ailleurs des rapports très étroits entre les progrès militaires et ceux du côté de la musique. Tout ce qui est radiocommunication, les émetteurs, les compresseurs…

En même temps, ce n’est pas un domaine où l’on peut dire qu’il y a du progrès.

Moins de recherche et beaucoup d’uniformisation à l’heure actuelle, du moins dans ce que l’on met en avant aujourd’hui.

Rodolphe Burger : Il y a le risque que cela s’uniformise évidemment. L’ordinateur fait rentrer tout dans un tuyau très étroit. Et en même temps, c’est d’une commodité incroyable. Tout le monde peut enregistrer un album génial chez soi. Ce qui est beau dans un studio, c’est qu’il y a le dernier cri technologique qui cohabite avec des vieilleries que l’on croyait obsolètes. On cherche aujourd’hui des choses que l’on jetait auparavant. Klaus Blasquiz, le chanteur de Magma, a fait une espèce d’entrepôt de SPA pour le matos de son, qu’il ramasse parfois dans la rue. N’importe quelle pédale a une couleur, une qualité… Les progrès, c’est génial, ça permet de compenser les défauts des trucs d’avant. Cela fait remonter le passé.

L’album Meteor Show a été fait en sollicitant grandement les logiciels, en les amenant dans des zones interdites.

Meteor Show est un exemple de production phénoménal. J’ai rarement entendu autant de recherche et d’exigence dans le son que sur cet album, qui fait d’ailleurs partie de mes œuvres musicales préférées de tous les temps. C’est un album qui a marqué la production en France autant que des œuvres comme Homework de Daft Punk ou encore Moon Safari d’Air.

Rodolphe Burger : C’est gentil de le dire, je le pense aussi. En tout cas, en le faisant, nous avions ce sentiment, d’être à un endroit nouveau. C’était tellement exaltant et fort comme sensation, je m’en souviendrai toute ma vie.

Vous aviez dit à l’époque vouloir atteindre une « futurisation » du son. Un bond dans le temps, c’était l’idée ? Bond qui d’ailleurs, est toujours d’actualité. On ressent encore aujourd’hui cette pulsion futuriste.

Rodolphe Burger : Ah oui oui oui, tout à fait. C’était vraiment lié à des configurations techniques. C’est la première fois où l’on pouvait se servir de l’ordinateur comme magnéto, ce qui nous a permis d’appliquer des traitements au son particuliers et novateurs. Cela ne signifiait pas pour autant que l’on rompait avec la console analogique. Au contraire, on utilisait une console avec des clapets qui permettaient de faire à la main des effets de coupure. Chaque piste a été travaillée en live. Il y a donc ce mélange entre son analogique et son numérique. Tu pouvais ralentir de 50, 100, 200%, et voir ce que cela donnait. Tu finis par avoir un son totalement stupéfiant, qui ne sonne comme rien d’autre. On passait au vitriol des pistes entières.

« En France, il y a des bons interprètes d’accord… Mais ces personnes n’ont souvent aucun sens de l’exploration et de la production. Je ne dis pas que tout musicien doit s’engager là-dedans mais je suis toujours étonné que l’on puisse y être totalement insensible » 

 Cette passion du son se perd j’ai l’impression, vous ne trouvez pas ? Les artistes semblent de moins en moins exigeants de ce côté-là.

Rodolphe Burger : Cela dépend. Pas forcément. Par exemple, Christophe a une passion du son incroyable. Il est comme un gamin. C’est ce qui lui a permis de se détacher de cette case « variété » qui est en même temps sa provenance. L’exemple inverse, celui chez qui il n’y avait aucune recherche de son, parce qu’il s’en fichait, c’était Johnny Hallyday. En France, il y a des bons interprètes d’accord… Mais ces personnes n’ont souvent aucun sens de l’exploration et de la production. Je ne dis pas que tout musicien doit s’engager là-dedans mais je suis toujours étonné que l’on puisse y être totalement insensible. C’est artistique de part en part cette affaire. J’aime travailler avec des techniciens qui sont également des artistes. J’attends d’eux une sensibilité. Nous partageons une oreille ensemble.

Je souhaitais également vous parler de la qualité d’enregistrement de vos concerts. Je pense notamment à ceux de Kat Onoma, Happy Birthday Public ou Live at la Chapelle. Des albums live d’aussi bonne qualité, ça n’existe pas normalement (rires). Quel est le secret ?

Rodolphe Burger : C’est vraiment lié aux personnes avec qui l’on travaille, plus qu’au matériel. Ce n’était pas un matosexceptionnel. Rien d’extravagant. On peut faire avec peu des choses qui sonnent formidablement. Il y a de moins en moins de règles par rapport à cela. Des personnes comme Rick Rubin me fascinent, dans ce qu’il a réussi à faire avec Johnny Cash n otamment. C’est sublime. Moi j’aime bien Johnny Cash mais je ne tombe pas de ma chaise à chaque fois que j’entends un de ses morceaux. Avec Rick Rubin, c’est différent. Là tu tombes littéralement de ta chaise. Il est parvenu à enregistrer cette voix comme jamais personne ne l’avait fait. C’est extraordinaire de présence.

J’avoue davantage connaître Bob Dylan…

Rodolphe Burger : Pour Bob Dylan, c’est sur son album Oh Mercy que la magie opère. Ses albums sont souvent variables en terme de production. Avec celui-ci, il atteint un sommet. Je me souviens de l’effet qu’il m’a fait, indescriptible. Et l’on doit cela à Daniel Lanois. Il y a ce morceau… Je ne me souviens plus de son nom…

« Man in the long black coat » ?

Rodolphe Burger : Oui voilà, c’est formidable. La voix, c’est du fil de fer barbelé. Je l’ai fait écouter à l’ingénieur du son avec qui j’ai fait mon premier album « Cheval Mouvement » en guise d’exemple et de modèle. Daniel Lanois est le premier à avoir remis la console au centre du processus d’enregistrement et à rompre avec cette séparation des années 80, complètement clinique, où les studios ressemblaient à des cabinets de dentiste. Les musiciens venaient enregistrer chacun leur tour. Dylan lui-même a été déconcerté par la façon de travailler de Lanois. C’était le retour de l’art du live en studio.

« Lulu, l’album de Lou Reed et Metallica, je le trouve évidemment merveilleux » 

Dans les années 80, donc avant Oh Mercy, la musique de Bob Dylan était au plus mal. On a perdu Bowie à ce moment-là. Lou Reed est le seul à avoir plus ou moins survécu à ces années dévastatrices, bien qu’il eut été impacté également. On l’entend dans le son de ses albums d’ailleurs (The Bells, Growing Up in Public, Legendary Hearts…)

Rodolphe Burger : Il y a quand même cet album… Mistrial, pas très fameux (rires).

C’est vrai, mais Lou Reed a gardé une sorte de constante assez impressionnante. En ce sens, je le rapproche souvent de vous, car j’y vois des parallèles entre son œuvre et la vôtre : cohérence de l’œuvre globale, exploration, passion du son, identité unique. J’imagine que vous avez suivi et admiré la carrière de Lou Reed.

Rodolphe Burger : Enormément. Lou Reed, c’est considérable. J’ai eu un moment l’opportunité de le rencontrer. Mais je n’ai pas voulu, car j’avais trop peur. J’ai lu tellement de récits autour de lui.

J’ai une dernière question qui me tient à cœur, notamment pour connaître l’avis du fan de Lou Reed que vous êtes. J’ai procédé à un classement des meilleurs albums de la décennie en décembre dernier, dans lequel votre album GOOD apparaît d’ailleurs en trentième position, et j’ai pris le risque de mettre Lulu, le projet de Lou Reed en collaboration avec Metallica, en première place. On sait à quel point cet album est controversé. Je voulais savoir votre avis sur cet album.

Rodolphe Burger : Je le trouve évidemment merveilleux. Je ne comprends pas pourquoi il s’est fait lyncher de cette manière. C’est juste super.

Je pense que l’on peut s’arrêter ici. Merci beaucoup Rodolphe Burger, ce fut un immense plaisir.

Rodolphe Burger : Merci !

Voici une sélection personnelle de morceaux de Rodolphe Burger et Kat Onoma, si vous souhaitez (re)découvrir son oeuvre. Cette playlist a été pensée pour être écouté dans l’ordre suivant :

« Petit Vagabond » – Kat Onoma (Live at la Chapelle)
« Le déluge (d’après moi) » – Kat Onoma (Far From the Pictures)
« Ensemble » – Rodolphe Burger (No Sport)
« Cheval-jungle » – Rodolphe Burger (Meteor Show)
« Wild Thing » – Kat Onoma (Cupid)
« C’est dans la vallée » – Rodolphe Burger (Valley Session)
« Old Trouble » – Kat Onoma (Live at la Chapelle)
« Try to understand » – Rodolphe Burger, Olivier Cadiot (Welche)
« John and Mary » – Kat Onoma (Far From the Pictures)
« Happy Hour » – Rodolphe Burger (GOOD)
« House People » – Rodolphe Burger, James Blood Ulmer (Guitar Music
« Passe/donne » Rodolphe Burger (Valley Session)
« B à Batz » – Rodolphe Burger, Olivier Cadiot (Hotel Robinson)
« Be Bop de Beep » – Rodolphe Burger, Philippe Poirier, Julien Perraudeau (Play Kat Onoma)