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Léonard Pottier

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Deux gueules bien marquées de cinquantenaires britanniques. Jason Williamson et Andrew Fearn. Le premier chante parfois, scande surtout, et le second… enclenche… puis danse… inlassablement. Il est en charge de toute la partie musicale qui, sur scène, tient sur des pistes enregistrées dans un ordi. Vous les connaissez probablement. Sleaford Mods étaient à l’Elysée Montmartre jeudi 07 avril dernier.

Ils sont experts du minimalisme, de la répétition et du spoken-word. Pour les deux compagnons, rien besoin de plus qu’une basse entrainante foutue en boucle sur laquelle étaler cette voix typique d’anglais au caractère bien trempé, toute droit sortie de la classe ouvrière que Ken Loach aura durant des années filmée et défendue. Leur dernier album, Spare Ribs, sorti en janvier 2021, ne change pas de recette mais continue, sur les pas de l’album précédent, d’emprunter un chemin davantage pop/électro qu’à leurs tout débuts. Ce qui a contribué à leur succès perdure néanmoins. Et cet élargissement récent de leur palette sonore et mélodique leur permet aujourd’hui de gagner encore et toujours de nombreux adeptes. Ce soir-là d’ailleurs, la salle est comble.

 

LICE : Tout sauf lisse

Lice en première partie de Sleaford Mods Elysee Montmartre
Lice à l’Elysee Montmartre ; Kevin Gombert©

En première partie : LICE pour ouvrir le bal. Ils étaient déjà en ouverture du concert de Thurston Moore à Petit Bain. Nous les avions globalement appréciés. Le chanteur a indéniablement quelque chose qui le destine à la scène. Joyeux luron à l’attitude exubérante, il s’amuse comme un chef-d ’orchestre. Sa drôle de gestuelle est celle d’un enfant un peu à part qui joue de son l’excentricité. Contre rock-star, il se place dans une dynamique qui prête autant à l’envoûtement qu’à l’amusement, dans un jeu d’estime de soi. La musique qui l’accompagne n’y va pas par quatre chemin : c’est un rock féroce, loin pourtant des clichés, tant il parvient à mélanger différents genres. Nous avions la première fois relevé un défaut au niveau des fins de morceaux, comme quoi ils n’avaient pas l’air très doués pour les arrêter. Ce n’est pas ce qui nous a dérangé ce soir-là, mais plutôt la qualité sonore. Faute à la salle ? Très certainement, puisque Petit Bain nous avait offert meilleur rendu. Cette fois-ci, c’est en tout cas too much : trop brouillon, trop fort, trop épuisant. Pas une minute de répit pour une musique pas simple d’accès. Alors quand le son ne s’y met pas, on a du mal à accrocher… On restera sur la note positive du précédent concert. LICE doit encore faire des efforts pour ne pas assommer ses auditeurs même si, derrière, les morceaux valent le coup.

Lice en première partie de Sleaford Mods Elysee Montmartre
Lice à l’Elysee Montmartre ; Kevin Gombert©

SLEAFORD modère la température

Suite à cette petite déception, rien de mieux qu’une musique qui ne s’éparpille pas. Pour aller droit au but, il faut dire que celle de Sleaford Mods a tout d’un modèle du genre. Les deux hommes entrent en scène tandis que la musique de fond défile encore et que les lumières sont toujours allumées. Surprenant. Mais cohérent. Reflet d’un refus de toute starification. Après tout, ils n’étaient pas vraiment prédestinés à rencontrer le succès qui est aujourd’hui le leur. Les voilà pourtant sur la jolie scène de l’Élysée Montmartre, n’ayant rien perdu de leur humilité et simplicité de départ. La scénographie en témoigne : une table sur laquelle est posée un ordi et un long néon lumineux tout le long du fond de scène. Efficace. Le simple nécessaire pour un concert qui n’est pas là pour se regarder. Même entre eux, les deux ne se regardent que très rarement, comme chacun plongé dans son monde. A vrai dire, il leur faut être diablement concentré, puisque leur présence sur scène relève de l’exercice physique. Pendant que Jason Williamson déblatère sans relâche, presque toujours de profil, son acolyte fait le pitre à côté. Sinon enclencher les pistes, ce dernier n’a pas grand-chose à faire. Alors il court sur place. Pourquoi pas tout compte fait… C’est plutôt rigolo à voir. Et quand au bout d’1h20, il continue encore et toujours ses mouvements avec l’exacte même énergie, force est de saluer son acharnement. En soirée, il est celui qui ne cesse de s’agiter maladroitement mais qui ne gêne personne. Alors laissons-le tranquille.

L’attitude des deux à l’image de la musique qu’ils prodiguent : obstinée et pulsative. Sur le morceau d’ouverture du concert, qui est aussi celui de leur dernier album, Sleaford s’échauffe. « The New Brick » est un peu maladroit  et flottant. Comme sur l’album, l’effet est voulu, puisqu’il est justement fait pour introduire le morceau suivant : Shortcummings, qui fonctionne en rupture. Lui est bien plus rigide avec sa boucle de basse minimaliste. Voici déjà Sleaford parfaitement résumé en un seul morceau. A ce moment du concert, le son n’est pas tout à fait rôdé. Il manque de vivacité. On sent pourtant qu’avec un peu plus de punch, il serait capable de nous avoir en un rien de temps. Patience, c’est en approche.

« I don’t rate you », issu du dernier Spare Ribs, sera l’élément perturbateur. Il intervient vite, au bout de quatre morceaux. Son corps est gras, chaleureux, et s’adresse directement à nos tripes. Les quelques notes sonorité futuriste du refrain nous plaisaient déjà sur l’album. Alors en live, comme couche complémentaire à cette basse baveuse remplie d’effets, elles nous agrippent de suite. Maintenant que le son est moins compressé et s’adresse à nos tripes dans une ampleur tout à fait convenable, le concert est vraiment lancé.

Il durera 1h15 environ, pour plus de 20 morceaux interprétés. Ceux-là sont pris dans les différents albums, avec un accent mis sur les derniers, dont le génial Eton Alive de 2019. Le morceau « Kebab Spicer » qui intervient après « I don’t rate you » est une belle réussite dans sa manière de capter l’attention par son rythme effréné. « Discourse », vers la fin du concert, sera de la même teneur intensive.

Who runs the hits ? GIRLS

Entre les deux, le public a évidemment le droit aux singles du dernier album, « Nudge It » et « Mork n Mindy » sublimement portés par la participation de deux meufs qu’on aime beaucoup dans la musique actuelle : Amy Taylor du groupe de punk bien vénère Amyl and the Sniffers et Billy Nomates, sœur jumelle de Sleaford dans le style mais avec une patte bien à elle. Elles ne sont pas vraiment là sur scène, mais, dans la logique du tout enregistré (à part la voix), ça ne dérange pas de les entendre ainsi. C’est même plutôt très apprécié tant ces deux morceaux parviennent à gagner la clameur de la foule.

Jason Williamson remplit son rôle comme il se doit. Son parlé chanté est toujours aussi captivant, et cela appuyé par une posture visuellement notable : de profil le regard vers le bas. Il y a dans cette manière de faire une profonde humilité et gentillesse, qui contraste avec son ton généralement rude et acerbe. En amicale compétition avec la mécanique instrumentale à l’œuvre derrière, il apporte au concert un peu de vivant et d’inattendu, même si les versions sont calquées sur celles en studio. Mais cette écoute et cette vue font du bien, puisque derrière le protocole se dévoile une justesse d’intention encore plus incarnée.

AAAAAAAHHHHHHHHH

Le concert prend fin sur « Tweet Tweet Tweet » et ses mémorables « ahhhhhhahhhhhh ohhhhhhohhhhhh » en guise de ligne mélodique. La rythmique mouvementée assure le spectacle. Sur cette dernière chanson, le volume a grimpé d’un cran. C’est particulièrement prenant. Dommage que ça ne dure que deux minutes, et qu’aucun rappel ne donnera suite à cette frénésie réclamée. On leur pardonne, en considérant l’effort qu’ils viennent d’accomplir. Ils s’éclipsent rapidement après un dernier « Paris, you’ve always have been good to us ». Contrairement à beaucoup d’autres, on sent celui-ci sincère.

Les lumières se rallument rapidement dans le public, et à défaut de recommencement, on regagnera le trottoir à l’écoute d’un morceau de John Carpenter qui passe en fond. Les similitudes nous sautent aux oreilles : punk, rock, en boucle, ambiance sonore électro minimaliste. Sleaford ressort plus grand que jamais.

Il est de ces concerts qui nous font beaucoup appréhender avant leur passage, puisqu’on ne saurait trop dire si notre envie d’y assister découle d’un réel intérêt musical ou repose davantage sur une curiosité nostalgique. Celui de Skunk Anansie au Casino de Paris le 29 mars dernier réunissait tous les marqueurs de cette appréhension. A-t-il su la faire voler en éclats ?

skunk anansieGroupe britannique des années 90, Skunk Anansie tient en un nom : Deborah Dyer, sa mythique front-woman qui n’a rien à envier aux plus grand.e.s du milieu. Sa voix et sa prestance en font une véritable maitresse du rock. Et même si Skunk Anansie n’a jamais été un grand groupe, c’est grâce à elle qu’il n’est pas tombé dans l’oubli après toutes ces années. Leur heure de gloire s’étend sur quatre ans, de 1995 à 1999, avec la sortie de trois albums auxquels il serait malhonnête de nier la force d’évidence. Une musique située à plusieurs intersections, entre le rock alternatif, le punk, le métal, le rap… Le tout porté par des compositions commerciales à allures d’hymnes, la plupart du temps tellement bien foutues qu’elles ont su réconcilier chez ses admirateurs leur côté rock badass et leur penchant pour les refrains de cœur.

Depuis 2009 et après une pause d’une dizaine d’années, le groupe continue de sortir des albums (que l’on ose à peine écouter) et à faire des concerts pour le plus grand plaisir des fans de la première heure. Cette date au Casino de Paris donnait rendez-vous à ces derniers après de multiples reports.

 

La bonne odeur des années 90

Si nous sommes venus, c’était principalement dans l’espoir d’une touche d’adrénaline procurée par l’interprétations des morceaux de leur début de carrière. De ce côté-là, ce fut un festin, puisque le groupe a évidemment conscience que la majorité du public (pas tout jeune) s’en tamponne royalement de leurs dernières créations aussi peu dans l’ère du temps que le dernier single (et presque toute la carrière) de Muse. Voilà donc que le concert débute sur leur classique : « Yes It’s Fucking Political », géniale ouverture de l’album Stoosh (1996). On priait d’ailleurs pour que le concert s’ouvre sur ce titre de grande qualité qui donne tout de suite le ton dans une parfaite définition de l’engagement du groupe. Deborah Dyer entre sous de vives acclamations avec une dizaines de cornes sur la tête, comme une Méduse du côté obscur de la force. Bon, le costume prête plus à la rigolade qu’à l’envoutement… Mais le groupe semble en forme, et heureux d’être là. Dans leur attitude, on sent l’envie généreuse d’offrir le plus impressionnant, le plus iconique et le plus inoubliable. Dès la 3e chanson : « I Can Dream », Deborah demande déjà à la foule de se baisser. On croirait assister à l’apogée du concert. Il faut dire que ce titre contient tous les ingrédients du carton plein, sous la directive d’une vivacité affolante et d’un refrain fédérateur.

 

Punch Anansie

Mode best-of activé, le concert est un florilège de leurs tubes, entre morceaux bourrins et autres plus mélodieux. On croise la route de « Weak », « Hedonism (Just Because I Love You”, “Charlie Big Potato”… Tous issus des trois albums des années 90. Parmi les morceaux plus récents, « Can’t Take You Anywhere », leur dernier single, tente de moderniser le style Skunk Anansie mais tombe vite dans une lourdeur épuisante… On appréciera davantage « Love Someone Else », tiré de leur album Anarchytecture (2016) qui s’en sort plutôt bien en live.

Deborah Dyer est en forme et remplit son rôle, même si la voix rencontre un peu de fatigue de temps en temps, ce qui n’altèrera néanmoins pas sa générosité. L’accueil chaleureux du public lui sert de carburant, et vice versa. On remarque un grand nombre de sourires sur les visages, comme si certains y retrouvaient là une amie d’enfance avec qui les 400 coups ont auparavant été faits. Des retrouvailles amplifiées par un son plutôt clair et fidèle à la musique du groupe. A la manœuvre, on retrouve le clan originel : Ace à la guitare, Cass à la basse et Mark Richardson à la batterie. Soutenus par Erika Footman aux claviers.

 

Skunk Anesthésie

Skunk anansieSans grandes surprises, la recette fonctionne. Pas de mensonges sur la marchandise. On fait face à une machine bien rôdée, plus ou moins méthodique. C’est un grand spectacle à l’américaine, qui n’évite malheureusement pas la caricature, bien que, lorsqu’on se prête au jeu, nous emporte assez facilement. Il suffit dès le départ d’adhérer aux règles. Mais voilà que certaines chansons ont tout de même du mal à gagner notre tolérance, tellement s’en dégage quelque chose de désuet, démodé… Si ce n’est pour dire ringard (reprendre ACDC ne vous rendra jamais cools). En réalité, l’ensemble n’y échappe jamais totalement.  Mais on leur pardonne en mettant ça sur le compte d’un certain immobilisme artistique dû principalement à un encrage trop appuyé de leur musique.

 

Yes it’s fucking political !

Heureusement, notre tolérance sera très vite regagnée grâce aux speechs engagés de Deborah Dyer, dont l’engagement politique et la musique sont toujours allées de pair. On ne peut ainsi qu’approuver ses quelques mots sur les immigrés et réfugiés de guerre, comme quoi il est insupportable de constater une différence de traitement selon leur nationalité et religion par les pays en mesure de les soutenir/accueillir, situation mise en lumière par l’envahissement de l’Ukraine par la Russie. C’est bien la réalité des choses et ça ne fait pas de mal de l’entendre. Le rock restera toujours le meilleur porte-parole de l’indignation.

 

Alors ce concert, pure nostalgique ou réel intérêt musical ? Même si le premier l’emporte haut la main, il n’en fait pas moins un moment apprécié. Skunk Anansie, fidèle à lui-même, poursuit son chemin. Se mettre sur leur route, c’est savoir exactement quelle direction emprunter en connaissances de causes. Etre contrarié de la destination finale, c’est avoir voulu renverser la table mais ne pas être parvenu à descendre de la voiture dont vous vous être abstenu de choisir le chauffeur. En résumé : vous ne pouvez que vous en prendre à vous-même ! Skunk, lui, n’a pas menti.

Cover album « See You Through » A Place to Bury Strangers

Cette semaine du 14 mars est marquée par la sortie physique d’un album déjà disponible à l’écoute depuis le mois dernier. Il se nomme See You Through et nous vient tout droit d’une cave crasseuse de Brooklyn où l’on tripote pédales et bidouille du matos extra-terrestre. Les scientifiques déjantés à l’œuvre s’appellent A Place to bury strangers. Ce n’est peut-être pas hyper approprié durant les temps qui courent mais il reste toujours le meilleur nom de groupe du monde. On profite de l’occasion pour parler de leur nouvel alien.

 

 

 

Avec See You Through, le goupe de rock indépendant américain qui compte déjà 20 années d’existence revient plus dévorant que jamais. Leur dernier album en date Pinned était une déjà sacré épreuve puisque, comme à son habitude, niveau production, le groupe n’est pas là pour mieller nos oreilles. Leurs morceaux, géniaux pour la plupart, peuvent s’avérer difficiles à écouter sans grincer des dents : voix distordues, basse crasseuse, effets saturés… Dans des airs de Joy Division sous acides, A Place to Bury Strangers produisent un rock sombre en débordement constant, où la musique est un scalpel. « The loudest band in the world » peut-on lire sur leur site internet. Toutefois, le groupe n’est peut-être pas aussi barré et loufoque qu’on pourrait le penser. Car derrière, la formation composée aujourd’hui de trois membres, Olivier Ackermann (chant, guitare), Sandra Fedowitz (batterie) et John Fedowitz (basse), mais qui en a vu défiler beaucoup d’autres, fait état d’un véritable talent de composition. Et ce nouvel album est là pour une nouvelle fois en attester.

A Place To Bury Strangers
A Place to Bury Strangers

 

Un volcan en éruption

Quatre ans après son prédécesseur, et dans un ton assez différent, See You Through prend des airs de maelstrom musical. Le groupe a décidé de voir les choses en grand, et de mettre le paquet. Là où les autres albums s’écoutaient volume 30, celui-ci n’a besoin que du niveau 15 pour jaillir avec la même puissance sonore. On imagine bien les voyants rouges de la table de mixage obligeant tout le monde à sortir du studio devant un tel raz-de-marée. La chanson la plus iconique à ce niveau-là semble être toute trouvée : « So Low », avec son titre trompeur de poti rigolo. Elle commence aux quarts de tour et ne s’arrête qu’après mise à terre de ses auditeurs. Le riff de guitare comme couche supplémentaire est la cerise sur le gâteau. Surplus total : tout dégouline et déborde dans un espace-temps chaotique. « So all » aurait été un titre plus annonciateur.

Dans la même veine destructrice, plusieurs autres morceaux nous font pousser des grimaces : « Dragged in a Hole » et son démarrage sur un contre-temps traître, « Anyone But You » et ses pleurs instrumentaux torturés, « Hold on Tight » et sa tension perpétuelle… Néanmoins, au beau milieu de ces ravages, on trouve toujours des repères. Car A Place to Bury Strangers, c’est aussi l’art des compositions remarquables. On y décèle sans cesse une recherche d’assemblages, une volonté de marquer les esprits dans des évidences dissimulées. Les morceaux, au-delà de leurs sonorités parfois douloureuses, font preuve d’un réel effort dans l’accompagnement de l’auditeur, qui sera toujours rattrapé par la force des mélodies.

Chaos CHARMEUR

See You Through aspire tout ce qui bouge, mais n’agit jamais seulement dans la terreur ou dans l’épreuve. Dès lors que l’on accepte son mode opératoire, il se révèle même être plutôt accueillant. Ses légères mais nombreuses variations nous tiennent en haleine : on circule parmi des morceaux directs et incisifs comme « My Head is bleeding » et « Let’s See Each Other », dansants comme le fabuleux et enflammé « Broken », et même mélancoliques comme les deux derniers titres qui clôturent l’opus sur une note enfin colorée, « I don’t know how you do it » et « Loves reaches out ».

A tort et à travers, See You Through prend progressivement racines dans nos organes. Réveil excessif, celui qui ne s’arrête jamais de sonner, il termine comme une obsession crânienne. Ce sont 13 titres à la fois difficiles d’accès (malgré de nombreux points d’accroches) et extrêmement généreux. A lire leurs noms à la suite, on croirait à une histoire impossible aux rebondissements multiples. A leur écoute, c’est encore plus que ça : tout y si malicieusement imbriqué, génialement cohérent et abondamment musical que l’ensemble transperce tous les récits. Son battement inexorable à allure inhabituelle, pareille à la rythmique défigurée de « I’m Hurt », est sa raison d’être : déchainer les sentiments, et cela jusqu’à la fatigue.


Enquête sur un scandale d’état, de quoi ça parle ?

Enquête sur un scandale d’état est le nouveau film de Thierry de Peretti, qui revient sur une affaire française aux  secousses légères, celle concernant la brigade des stups et ses méthodes douteuses. Révélations que l’on doit à Hubert Avoine, un ancien infiltré des stups chargé à l’époque de recueillir des informations du côté des trafiquants, pour mieux permettre à la tête des stups dirigée par le patron Jacques Billard d’organiser ses magouilles. L’accusation ? Utiliser les armes auxquelles ils sont censés s’attaquer. Ici la drogue, dont l’entrée et la diffusion en France furent facilitées dans l’objectif de prétendre ensuite l’intercepter. C’est en 2016 qu’Hubert Avoine révèle l’affaire, épaulé par un journaliste de Libération : Emmanuel Fansten. Les deux feront paraître un livre intitulé L’infiltré, revenant en détails sur la manière dont Hubert fut utilisé par les stups à des fins malhonnêtes.

 

Est-ce que c’est bien ?

            L’adaptation cinématographique de Peretti s’offre une belle brochette d’acteurs avec Roschy Zem dans le rôle de Hubert Avoine, Pio Marmaï dans celui du journaliste et Vincent Lindon pour incarner le patron des stups… De quoi gonfler dès le départ l’intérêt pour celle-ci.

Quand on lit d’abord son titre, Enquête sur un scandale d’état, bien qu’il n’égale en rien la classe et la puissance d’un titre comme Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, on s’attend tout de même à quelque chose d’haletant, une histoire intrépide pleine de magouilles et de rebondissements. Ce n’est pas vraiment ce qui nous est servi. Le film joue quelque part d’autre. Il est surement moins l’exaltation d’une enquête que l’analyse des relations et des personnages qui le construisent. Partant de ce constat, qu’en est-il ? En ressort-il du bon de cette enquête cinématographique ?

            Pour y répondre, il conviendrait d’abord de s’attarder sur la matière cinématographique proposée. A vrai dire, nous cherchons encore, trois semaines après la projection, à l’identifier. Car si le sujet a de quoi intéresser, qu’il y a-t-il réellement à filmer de lui ? Mis à part les conférences de rédaction qui révèlent les coulisses d’un quotidien majeur de la presse française, difficile malheureusement de s’accrocher à quoi que ce soit. Mais est-ce vraiment la faute du sujet, ou davantage de la réalisation ? Un peu des deux nous semble-t-il, puisque nul ne rattrape vraiment l’autre, le film ne parvenant jamais à sortir de son ennui intrinsèque. Et même s’il est tout en son honneur de vouloir étudier les relations et les états d’âmes des personnages, il ne semble pas parvenir pas à dépasser la seule surface visible.

Enquete sur un scandale d'état - Teaser

            Sans aucunement chercher à restreindre l’importance des faits réels qui se sont déroulés durant cette enquête, ayant sans nul doute demandé grand investissement et détermination de la part des acteurs qui la composent, nous avons assez peu de scrupules à dire que la manière dont ces faits sont montrés à l’écran dénote un cruel manque d’appétit pour la mise en récit. Des personnages mous, des discussions à n’en plus finir, une trame qui n’avance pas, des choix de mise en scène à la recherche d’une originalité dont on espère qu’elle viendrait sauver le traitement de l’histoire mais qui ne fait que l’enfoncer dans une morne routine cinématographique… A croire que la notion de suspense sera inventée en 2023 et qu’en 2022, nous ne connaissons encore rien de ses ressorts. Le film ne semble pas croire lui-même en ce qu’il raconte, en ses personnages, en son dénouement… Il peint tristement sans couleurs, dans un faux reflet de la réalité proche de celle qu’arbore les téléfilms, mais surtout dans un désamour de son récit et de ses personnages.

            Si nous devons y relever une lueur, nous pouvons dire que les acteurs ne sont pas mal choisis, avec un Vincent Lindon dans un rôle tout apprêté. Roschdy Dem et Pio Marmaï collent quant à eux plutôt bien à leurs rôles, sans étincelles pour autant. N’est-ce pas d’ailleurs du fait que les étincelles recherchées n’ont pas réussi à s’échapper du titre du film, Enquête sur un scandale d’état ? Lui qui, dans son audace de porter vaillamment trois mots puissants, ne sera parvenu à en assumer aucun véritablement. C’est pourquoi nous sommes d’avis de les prendre séparément, et d’aller revoir Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon,  Etat de siège de Costa Gavras, et peut-être la série Scandal, que nous n’avons pas vu mais dont nous sommes certains que son affinité les notions de tension et de suspense est un peu plus marquée…