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Julia Escudero

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Jungle -@Pénélope Bonneau Rouis
Jungle -@Pénélope Bonneau Rouis

Cette année le festival Rock en Seine ne connaîtra pas de fin. Cinq jours durant le parc de Saint-Cloud promet d’entraîner les festivaliers dans une fièvre dansante plurielle. Une véritable épidémie de danse, poussant chacun.e à se déhancher jusqu’à en perdre la raison. En ce vendredi qui met Fred Again en tête d’affiche, il fallait couvrir un maximum de scènes. Un pas chassé par-ci, un moonwalk par là et c’est parti !

Ballet inclusif

En ce début de journée, les festivaliers arrivent au compte goutte. De quoi se ressourcer avant le bain de foule programmé de ce soir et enfin voir entièrement la Grande scène, sans faire des pointes des pieds de ballerine ! C’est fort appréciable pour pouvoir profiter pleinement du concert de Thomas de Pourquery, un poil en décalage du reste de la programmation. Avec sa voix puissante et son saxophone, le chanteur époustoufle comme toujours. C’est même un véritable ballet qui est offert à l’assemblée lorsque deux choeurs le rejoignent sur scène. L’un d’eux inclusif, est entièrement constitué de personnes handicapées, le second est le choeur de Radio France. Son free jazz en est évidemment sublimé tout comme les compositions de son dernier né « Let The Monster Fall » qui, lui, touche au rock.

Une petite pirouette et nous voilà propulsé.es sur la scène Cascade où Olivia Dean nous entraîne dans son univers soul. La chanteuse britannique cite volontiers Lauryn Hill et Amy Winehouse parmi ses idoles. Sublime et souriante, elle entraîne les festivaliers dans quelques déhanchés sensuels , toujours le sourire aux lèvres. D’entrée la musicienne conte son plaisir d’être ici à Paris et d’imposer sa seule règle : s’amuser. Pas besoin pour elle d’en faire des tonnes, l’élégance est de rigueur et parler avec son coeur suffit. En seulement un album studio, « Messy » publié  en 2023, la chanteuse a déjà prouvé qu’elle avait l’étoffe des plus grand.es.  Il faut dire que Rock en Seine avait déjà eu le nez creux en l’invitant il y a deux ans de ça. Olivia Dean n’hésite pas à l’évoquer, expliquant que beaucoup moins de monde était venu l’applaudir alors. Aujourd’hui, chaque cri de la foule, hyper réactive à chacun de ses gestes semble encore la troubler. Comme une découverte constante de sa notoriété. Pourtant, elle était l’un des noms les plus cités de la journée, plus qu’un bruit de couloir, il s’agissait surtout de la promesse d’un brillant avenir.

Not waving, but breakdancing

Nous voilà échauffé.es, il faut maintenant passer au breakdance. Quelques top rocks permettent de rejoindre la Grande Scène où l’un des meilleurs représentants du Hip hop actuel nous a donné rendez-vous. Entouré de ses musiciens, Loyle Carner débarque enfin sur scène. Il faut reconnaître au rappeur britannique qu’il est l’un des meilleurs de sa génération. Outre un flow bouleversant, il offre au mouvement une touche d’élégance et de raffinement qui renverse toute.s celleux qui l’écoutent. On n’aurait assez d’une vie pour conter l’excellence du titre « The Isle of Arran » qui ouvrait son album prouesse, mais aussi son premier « Yesterday’s Gone ». Puissance, noirceure, pouvoir venaient y hanter chaque note. Sur scène, plus classique que sur son album, le père du désormais culte « Hugo » joue la carte de la sobriété.  Un peu trop peut-être tant ses enregistrements studios ont habitué au grandiose. Son timbre lui suffit à conquérir les âmes et connaissant bien ses classiques il dédie même un titre à son idole Madlib. « Vous le connnaissez ? » interroge-t-il. Evidemment, et il y a fort à parier que Loyle Carner laissera une trace similaire dans le monde en pleine effervescence du hip hop.

Quelques pas de bourrée jusqu’à la jungle

Quelques pas de bourrée plus tard, sait-on jamais que notre parcours aie croisé malencontreusement et sur le hasard d’un (l)oui(s) dire quelques verres et voilà que Rock en Seine s’est transformé en dancefloor géant. Jungle a pris possession de la Grande Scène et l’a habillée de ses couleurs ocres. L’instant est si solaire qu’il fait aisément oublier les feuilles qui jonchent les sol de Saint-Cloud. Le public s’amasse en nombre, se faisant de plus en plus dense à chaque instant comme si les sonorités opéraient le charme du serpent. Sur scène, les voix se répondent à la perfection, tout comme les instruments diablement festifs. On y oscille hypnotisés au grès d’un périple à travers leurs très nombreux singles. « Happy Man », « Back on 74 », « I’ve been in love », « Busy Earnin' », le groupe de Lydia Kitto et Josh Lloyd-Watson n’ a-t-il à son actif que des tubes ? La machine peut-elles seulement s’arrêter ? Les hanches, elles, ne peuvent être stoppées. (saint) Clou du spectacle : le soleil se couche doucement sur le festival, permettant aux premières effluves de la nuit de se distiller et d’inviter au lâcher prise pour se fondre entièrement avec la musique.

Jungle -@Pénélope Bonneau Rouis
Jungle – @Pénélope Bonneau Rouis

De la danseuse banane au bugaku

Si Joséphine Baker est la danseuse Banane (en raison de la danse qu’elle faisait avec sa jupe faite de bananes artificielles), on ne peut que souhaiter à la tornade Bonnie Banane une carrière aussi époustouflante. La musicienne publiait en 2024 un tout nouvel album « Nini », qui comme ses prédécesseurs était un pure jus de modernité. Sur scène, la chanteuse appose un univers à part et jusqu’au boutiste. Ses mélodies hybrides y prennent une âme enivrante, entre chant, spoken word et véritable performance.

La découverte de la journée se fait sur la scène Firestone grâce à la prestation d’Aili. Duo d’électro nippo-belge qui mélange brillamment ses influences et fait cohabiter à la perfection deux cultures musicales. La véritable modernité en musique tient à casser les frontières et aller emprunter aux instruments du Monde entier, on se tue à le répéter. Electronica cosmique, pop et paroles en japonais s’y rencontrent en une langue pourtant parlée de tous.tes : la musique. Nous voilà donc bilingues à danser la danse traditionnelle japonaise : le bugaku. Ou pas, le moment happe toute l’assistance qui se laisse guider pas à pas sur des mouvements plus proches de l’aérobic que du mai et odori. On y fait son sport sans s’en rendre compte alors que le public s’y amasse laissant tous les tracas du quotidien, loin là-bas, quelque part au milieu de l’océan pacifique.

Un dernier tour de piste

Moment le plus attendu de la journée, et la quantité de tee-shirts à son effigie dans la foule en étaient l’avertissement, Fred Again prend possession de la Grande Scène. L’artiste sud-londonien offre à la journée du vendredi une toute dernière grande fête, transformant son environnement en dancefloor géant. Son public à n’en pas douter était ravi. Ici, on peine peut-être plus à comprendre l’engouement, sûrement parce que son registre s’inscrit dans un trait trop commun pour réellement piquer la curiosité.

Il fait nuit noire, la nuit tous les chats son gris et nous faisons des pas de chats jusqu’à la scène du Bosquet. Il aurait été dommage de rater le duo Charlotte Adigéry & Boris Pupul. C’est à eux que l’on doit l’incroyable morceau « HAHA ». A sa première écoute, le titre frappe, il appelle l’oreille et crée même une forme de malaise tant il prend aux tripes. Cette première surprise qui pourrait inviter à ne pas l’aimer appelle à une seconde immédiate. Pourquoi une réaction si puissante ? Et enfin la réponse : parce que c’est un morceau brillament écrit qui innove et se glisse sous la peau. Sur scène, sa précision fait mouche. Les pas de danse se font hystériques, alors que l’électro se voit porteur de messages féministes lorsqu’on l’on tend l’oreille. Un dernier pas brisé, à moins que ça ne soit la fatigue et il est temps de faire la révérence pour aujourd’hui. Rock en Seine nous attend pour nous entraîner encore deux jours durant dans une folle ronde !


Longlegs, sorti le 10 juillet sur les écrans français est de ses thrillers à avoir fait couler beaucoup d’encre. Très attendu, le nouveau film d’Oz Perkins promettait le retour des thrillers comme on en fait plus. Une ambiance maîtrisée était alors promise à renfort de promotion autour d’un Nicolas Cage au sommet de sa forme et d’un véritable moment de frissons. Pour une fois, le teasing était même en dessous de la grandeur de l’œuvre. Puisque, tout en connaissant ses classiques, Longlegs s’avère être le joyau attendu par les aficionados de genre, un grand moment de cinéma, que l’on espérait plus. On en parle.

Longlegs Oz PerkinsLonglegs, de quoi ça parle ?

L’agent du FBI Lee Harker, une nouvelle recrue talentueuse, est affectée sur le cas irrésolu d’un tueur en série insaisissable. L’enquête, aux frontières de l’occulte, se complexifie encore lorsqu’elle se découvre un lien personnel avec le tueur impitoyable qu’elle doit arrêter avant qu’il ne prenne les vies d’autres familles innocentes.

Longlegs, pourquoi c’est excellent ?

Et s’il était possible de faire mentir tous les adages ? Peut-être êtes-vous familier.es avec cette notion : plus Nicolas Cage a les cheveux longs dans un film, plus ce dernier sera mauvais. L’acteur star a, on le sait, à son actif nombre de navets assumés tout juste bons à payer ses factures. A tel point qu’on en oublierait ses capacités de grandeur et de choix d’excellence scénaristiques. Eh bien, il fallait patienter. Avec ses longs cheveux et ses longues jambes l’acteur se paye l’un des meilleurs films de ces dernières années et l’une de ses performances les plus marquantes, à vous obséder pour les années à venir.

longlegs afficheTout démarrait déjà fort bien. Il suffit de quelques plans à Longlegs pour se mettre dans le bain et s’émerveiller. Un décors glacial, une mise en scène oppressante et une enfant. L’image se fait carrée, vintage comme un vieux téléviseur pour se présenter. Là un intrus, le ton doux et pourtant si menaçant, l’ombre du mal, à peine dévoilée, vue des yeux d’une petite fille. Point de scène de slasher et de massacre. Non, Perkins choisit un dialogue simple dont seule la caméra, la musique et la noirceur du propos viennent nourrir une angoisse indicible. Cette mise en bouche, qui donnerait envie de prendre ses jambes à son cou, marque le coup d’envoi d’un film qui jamais ne commettra d’impairs et saura toujours tenir son spectateur en haleine. Son atout, un film taillé sur le fil du rasoir, une atmosphère obscure et pesante. On pourrait l’écrire en boucle comme une obsession digne du plus grand culte : quelle ambiance !

Gérer ses références sans se prendre les pieds dans le tapis

Libération avant nous parlait du très attendu Longlegs, comparant son succès à celui de Smile. Film d’horreur à l’immense succès qui redonnait aux films de démons une véritable aura. Le journaliste s’interrogeait alors sur ces succès, était-ce lié au simple fait qu’enfin en matière d’horreur le boulot soit fait et non aux immenses qualités des métrages ? La pauvreté du paysage horrifique n’était il pas ce qui embellissait le tableau ? Ce qui est vrai pour Smile est faux pour Longlegs, me permettrai-je de répondre. Le premier en effet avait le mérite de faire peur là où le genre s’embourbait ces dernières années dans une successions de clichés mal écrits et de coutumes usées en boucles. En sa faculté à bien faire le taff, oui Smile valait le détour. S’osant même à avoir enfin des idées et traitant du poids du traumatisme en l’associant à l’horreur. La finesse venait certes à lui manquer mais le propos et sa mise en scène offraient un très bon spectacle. Sans pour autant valoir qu’on lui accorde toutes les éloges qui lui furent faites (une suite en prévision laisse par ailleurs craindre le pire, même l’excellent Conjuring ayant sombré sur l’autel de vouloir y ajouter des suites à la médiocrité risible), le film fonctionnait parfaitement bien.  Longlegs n’est point du même sang. Il ne s’agit en rien d’une œuvre qui se contenterait d’écrire convenablement un thriller. Bien au delà, il se construit à la perfection de plan en plan. Et si son sujet semble en partie reprendre aux classiques du genre c’est parce qu’il leur fait référence avec amour. Les inspirations y sont digérées et fines sans pour autant être copiées.

Longlegs Nicolas CageD’Hopkins à Perkins en passant par Spacey

Oz Perkins est on le sait le fils d’Anthony Perkins, l’interprète de Norman Bates dans le culte Psychose d‘Hitchcock. Avec un tel bagage, difficile pour notre homme de pas connaître ses classiques en matière de thrillers. Sauf qu’à mesure du temps, exception faite de True Detective, le courant avait connu un long moment de disette. Il semblait alors impossible de rendre le tueur en série iconique. Esprit Criminel a peut-être fait du mal qui sait, à force de banaliser le propos au risque de lui faire perdre sa capacité à effrayer. C’est comme quand les mots je t’aime, trop répétés, perdent de leur intensité. Pourtant, notre réalisateur aime les thrillers. Et ça se voit. Cette lettre d’amour, joliment écrite, elle ne fait que prendre en intensité, voilà ce qu’offre une belle plume – ou un bon jeu de caméra.

Tout du long, l’âme d’Hannibal Lecter, du Silence des Agneaux plane sur le métrage. C’est sûrement en raison du classique duo tueur en série / agent des forces de l’ordre jeune et innocente. Maika Monroe (que vous avez vu dans It Follows – mais c’est quoi la métaphore de ce film bordel ?) joue parfaitement bien le rôle de la détective Lee Harker. Entièrement dans son personnage, aussi fragile que mystérieuse, elle a peu à envier à son inspiration évidente Clarice Starling. Et elle fait de plus mentir Stephen King, le maître, qui expliquait qu’il faut profondément aimer les personnages pour que l’horreur fonctionne. Ici l’attachement peut paraitre moins puissant et, pour autant, le fil scénaristique qui se déroule fonctionne entièrement. Tout comme les jump scares, judicieusement dosés. Le scénario est peut-être moins important que dans d’autres œuvre parce que sa mise en images, elle, tient de l’excellence. Et puis Longlegs emprunte aussi bien des traits à ceux de Buffalo Bill, tueur recherché du Silence des Agneaux, au moins dans une scène dans son antre qui n’est pas sans rappeler le thriller culte. Tout comme le fait de s’en prendre aux familles rappellera forcément Dragon Rouge.

LonglegsL’ombre du grand méchant plane à tout moment sur notre film. Perkins cite volontiers et à raison Seven de David Fincher.  Dans ce dernier on ne voit presque jamais le tueur, (Kevin Spacey donc) mais il est pourtant toujours là. Sa scène, à la fin du métrage reste le moment le plus fort du film et celui qui a à jamais marqué les esprits. C’est que le réalisateur souhaite faire de son Longlegs et de Nicolas Cage, une ombre menaçante, qui hantera vos nuits d’insomnies malgré un court passage à l’image. Et le propos fonctionne, tout le temps. Surtout que notre grand méchant s’offre des scènes bluffantes (celle de la voiture notamment), portées par un jeu d’acteur à l’efficacité redoutable.

Enfin et sans trop en dire, alors que le monde semble comme toujours tourner dans tous les sens, les réseaux sociaux s’osant à parler satanisme avec un sérieux moyenâgeux, le film revoit son mythe et le renvoie à sa juste place : sur une pellicule. ( Et donc pas dans les conversations sur X qui nourrissent une paranoïa elle profondément effrayante quant à la capacité de nos congénères à entretenir des légendes urbaines pour les ériger en faits. S’il vous plait, arrêtez de faire ça)

Au cinéma, l’idée du mal absolu qui s’en dégage fait toujours frissonner lorsqu’il est justement utilisé. En le détachant d’une certaine superstition religieuse mais en simple grand méchant, dont les actions ne seraient jamais de « détruire le Monde » mais bien de corrompre et de faire le mal. Longlegs, quant à lui restera un thriller diablement efficace, autant que ce que le cinéma d’Ari Aster a pu offrir, à courir voir sur grand écran, à très grandes enjambées s’il vous plait !


Pour celles et ceux qui apprécient le cinéma d’horreur, le nom de Taous Merakchi sera forcément familier. L’autrice est aujourd’hui devenue une figure incontournable lorsqu’il s’agit de parler de films de genre en France. Écrivaine, rédactrice web, podcasteuse, elle multiplie les supports et excelle toujours à la plume. On lui doit des ouvrages comme « Le Grand Mystère des règles « , « Mortel : Petit guide de survie à la mort, » ou encore « Le Paon« . Surtout, elle n’est jamais bien loin lorsqu’il s’agit de traiter de cinéma de genre (elle a notamment été jury au festival de Gerardmer) et de remettre en perspectives des œuvres cultes qui ont peuplé son adolescence.  C’est ainsi qu’elle était tout naturellement invitée à parler de tueuses au cinéma et plus particulièrement du cas « Buffy contre les vampires » dans le cadre d’une table ronde aux Champs-Elyées Film Festival. C’est suite à cet évènement qu’elle a accepté de répondre à nos questions. Un sujet tout particulièrement riche duquel il nous serait possible de parler des heures. Avec Taous,  on parle du personnage de Buffy et de son impact, d’adolescence comme un temps crucial, de cinéma de genre, de tueuses à l’écran, de final girls et de féminisme. Une interview passionnante, à lire.

Taous Merakchi par Amandine Giloux
Taous Merakchi par Amandine Giloux

Du cinéma de genre au genre féminin au cinéma …

Tu fais partie de la génération qui a grandi avec la série « Buffy contre les Vampires » que l’on suivait à la télévision. Quels souvenirs associes-tu à ce show ? Le personnage de Buffy t’a-t-il influencé dans ton passage entre enfance, adolescence et âge adulte, comme de nombreuses personnes qui pouvaient s’y identifier ?

Taous Merakchi : Pour moi Buffy c’est vraiment la fin de la primaire et le début du collège, la tradition de la trilogie du samedi, que j’honorais chaque week-end avec ma mère. Si on ne s’est pas toujours accordées sur toutes les séries, celle-ci a vraiment été celle qu’on a suivie du début à la fin ensemble. Quand je ratais un épisode, elle me le racontait pour que je puisse raccrocher les wagons la semaine suivante, et inversement (eh ouais, pas de replay à l’époque). Je partageais cette passion avec ma meilleure amie de l’époque aussi, qui avait poussé le délire jusqu’à poser un enregistreur audio à côté de la télé pour pouvoir écouter les épisodes en boucle — elle m’avait filé une des cassettes et je m’endormais régulièrement en écoutant les deux mêmes épisodes, à tel point que je connais encore certaines des répliques de la VF par coeur aujourd’hui. J’avais des posters d’Angel sur mes murs, qui ont été remplacés par des posters de Spike au fur et à mesure de l’avancée de la série. J’avais acheté le guide officiel de la série, un gros bouquin plein d’anecdotes sur le show et les acteurs, bref, c’était une obsession. Je voulais être une Buffy avec l’attitude de Faith.

 L’intitulé de ta Table Ronde au Champs Elysees Film festival était « Buffy contre les vampires, la meilleure des tueuses ». Pour toi est-elle la meilleure figure de « tueuse » portée à l’écran ?

Taous Merakchi : Ce qui différenciait beaucoup Buffy d’autres héroïnes plus ou moins similaires à l’époque, c’était son humanité toute en nuances. Elle était réelle, palpable, on pouvait s’identifier à elle facilement — jusqu’au moment où elle passait en mode tueuse. Elle faisait des conneries, elle était parfois bornée et égoïste, elle faisait du mal sans forcément s’en apercevoir, c’était un personnage complet, avec ses défauts réalistes. Le fait qu’on l’ait vue alterner régulièrement entre « je suis la tueuse et c’est moi qui décide » et le « c’est pas juste j’ai jamais demandé à avoir cette responsabilité » me rassurait vachement, parce que les deux sentiments sont autant valides l’un que l’autre et qu’on a tous et toutes le droits de vaciller un peu dans nos bottes de temps en temps.

D’où l’importance d’avoir plusieurs modèles différents, le plus possible, pour que tout le monde y trouve son compte

Qu’est-ce qui différencie fondamentalement les personnages des tueuses, de celles des final girls ? L’une de ces figures renvoie-t-elle avec plus de puissance à l’empowerement féminin ?

Taous Merakchi : Sur le papier, on se dit que la tueuse est celle qui va à la confrontation, qui est formée pour ça, et que la final girl est celle qui survit quand ça lui tombe dessus alors que, justement, rien ne l’avait préparée à cette situation. Mais beaucoup de final girls deviennent des tueuses, une fois qu’elles prennent connaissance de la menace qui plane. Ce qui fait d’elles des final girls c’est pas forcément qu’elles sont les seules à survivre (même si c’est souvent le cas), c’est aussi qu’elles finissent souvent par se dire « eh allez merde, y en a marre » avant de s’armer et d’aller elles aussi à la confrontation pour en finir une bonne fois pour toutes (et potentiellement sauver des vies au passage). Les deux sont puissantes à leur façon, et les deux sont source d’empouvoirement. D’où l’importance d’avoir plusieurs modèles différents, le plus possible, pour que tout le monde y trouve son compte.

Quand les femmes créent, notamment quand elles créent du genre, il y a forcément le passif qui s’immisce dans nos fantasmes et nos représentations

Le personnage de tueuse dans Buffy tue uniquement des « monstres », elle est dépeinte comme étant du côté du « bien ». Les tueuses féminines ont d’ailleurs régulièrement cette image au cinéma. Elles tuent par vengeance, pour de justes causes – Carrie se venge de ses bourreaux / Erin se défend dans You’re next/  dans Jennifer’s Body, Jennifer donne une leçon à ceux qui veulent abuser de son corps / Debbie Salt venge son fils dans Scream 2 –  Penses-tu que le cinéma cherche à justifier moralement le meurtre lorsqu’il est commis par une femme ?
Taous Merakchi : Je pense pas qu’il y ait une volonté quelconque de justifier quoi que ce soit. Je pense qu’il y a plusieurs explications. Parfois, c’est simplement pour être un peu subversif et surprenant : on ne s’attend pas à trouver une femme sous le masque de Ghostface dans Scream 2, donc paf, surprise. Le fait de mettre une femme dans un rôle de tueuse ou de celle qui sauve tout le monde en tabassant tous les méchants, ça surprend le public (bon, moins aujourd’hui, heureusement). Ensuite, il y a l’aspect cathartique. Quand les femmes créent, notamment quand elles créent du genre, il y a forcément le passif qui s’immisce dans nos fantasmes et nos représentations, et on se demande souvent « et si j’avais tel ou tel pouvoir, comment je me défendrais/vengerais ? » Je suis pas sûre qu’il soit possible d’exister en tant que femme consciente de son environnement sans nourrir un petit fantasme de vengeance. Moi je le vois comme un petit gremlin à qui je jette des couennes de jambon à chaque fois que je subis une nouvelle micro-agression. C’est pour ça que j’aime autant ces films, ils s’adressent directement à mon gremlin, il se sent compris.
Buffy contre les vampires
Le personnage de Buffy est certes central mais compte aussi sur un entourage très important, le Scooby Gang. Dans leurs rangs, d’autres personnages féminins ont aussi marqué leur époque : Cordelia, Anya, Willow, Tara … Quel regard portes-tu sur elles ?
Taous Merakchi : Elles m’ont appris beaucoup sur mon rapport aux femmes, et en grandissant j’ai souvent changé de regard sur elles. J’ai été ado dans les années 2000, donc tout n’était que compétition et « les filles c’est nul », du coup quand je voyais des personnages de femmes « difficiles », je les trouvais chiantes — comme Cordelia ou Anya, qui me tapaient sur les nerfs. Quand mes potes mecs m’avouaient fantasmer sur elles, ça m’énervait encore plus. À l’époque tout était encore dicté par le regard des hommes dans ma vie, et je ne jugeais les femmes qu’à travers leurs critères et le rôle qu’elles jouaient dans la hiérarchie sociale. Et évidemment, aujourd’hui, j’ai envie de gifler le personnage d’Alex avec une chaise de jardin, et toute mon affection va aux femmes de la série.

Difficile de parler de « Buffy contre les Vampires » sans rappeler que la série a diffusé le premier baiser lesbien sur petit écran (tout comme « Dawson » filmait le premier baiser gay du petit écran). Selon toi cette série et cette époque ont-elles été le berceau de grandes avancées pour les causes LGBTQ+ ?

Taous Merakchi : Alors étant hétérosexuelle et cisgenre je n’ai malheureusement pas grand chose à dire à ce sujet là parce que ça ne m’a pas du tout impactée directement. À tel point que je ne me souviens même pas que ça m’ait particulièrement surprise à l’époque, je sais juste qu’avec ma mère on était très contentes qu’elle ait enfin trouvé l’amour après ses déboires avec Alex et Oz haha.

L’adolescence est une période chrysalidaire, où tout peut changer du jour au lendemain sans qu’on ne contrôle rien, et où tout est une question de vie ou de mort.

Buffy porte également en elle l’intensité de l’adolescence. Pourquoi cette période particulière est-elle si importante au cinéma ? Pourquoi continue-t-elle de parler et de fasciner à l’âge adulte ?

Taous Merakchi : Ah, l’adolescence, je pourrais en parler pendant des heures. C’est une période qui me fascine et pour laquelle j’ai énormément d’affection, ce qui explique que mes goûts soient restés coincés à cette époque-là. Ayant eu des années collège et lycée difficiles, j’estime avoir « raté » mon adolescence (elle a, en réalité, été exactement ce qu’elle devait être) et je cours après depuis que j’en suis sortie. Je blague souvent sur le fait que la Taous de 17 ans est toujours au volant, mais c’est pas tout à fait faux. L’adolescence est une période chrysalidaire, où tout peut changer du jour au lendemain sans qu’on ne contrôle rien, et où tout est une question de vie ou de mort. C’est aussi une période de solitude et de frustration, parce que les adultes sont tous tellement déconnectés de leur adolescence (et ont tellement de choses d’adultes à gérer) qu’ils oublient à quel point tout est intense pour les ados. Ils en rient et se moquent plus ou moins gentiment parce que « c’est pas la fin du monde », sauf que c’est perçu comme tel, et que c’est impossible d’avoir du recul quand on a pas assez d’années au compteur. C’est une période bâtarde, où, pour paraphraser Britney, on est pas tout à fait une fille, pas tout à fait une femme, tout n’est qu’entre-deux. Les adultes nous responsabilisent et nous infantilisent parfois dans le même souffle, et on est nous-mêmes à la fois pressés de grandir et freinés par une immaturité qu’on ne peut pas transcender du jour au lendemain. C’est la période de toutes les premières fois, de toutes les premières confrontations avec la réalité, de l’apprentissage des émotions les plus fortes, des liens sociaux, des liens intimes, de ses propres limites, une formation express à l’expérience humaine, dans un cadre qui nous force souvent à se contorsionner et dont on déborde sans arrêt sans jamais réussir à trouver une position confortable. C’est fascinant et épuisant, et c’est très bien que ça ne dure qu’un temps.

Le fait que les femmes s’emparent de leurs propres histoires et créent leurs propres personnages aide beaucoup à rajouter des nuances nécessaires pour que tout le monde s’y retrouve. 

film Heathers projeté au CEFF 2024
film Heathers projeté au CEFF 2024
Une femme qui se bat, qui est la plus forte tout en étant dépeinte comme « féminine », est-ce une représentation importante ? La beauté d’une héroïne, les tenues qu’elle porte, ça a son importance dans l’image renvoyée au public ?
Taous Merakchi  : Comme pour tout le reste, pour moi ce qui importe c’est qu’il y en ait pour tout le monde. J’ai grandi en pensant qu’il n’y avait que deux façons d’être femme : ultra féminine ou garçon manqué. Du coup, Buffy qui était à la fois la fille girly qui aime le shopping et le maquillage mais qui était capable de distribuer des mandales, c’était cool pour l’époque. Je trouvais ça chouette de pouvoir garder sa féminité en toute circonstance, même si moi je ne m’identifiais pas à ce modèle. Aujourd’hui j’aspire à un peu plus de diversité, et le fait que les femmes s’emparent de leurs propres histoires et créent leurs propres personnages aide beaucoup à rajouter des nuances nécessaires pour que tout le monde s’y retrouve. 
Ça fout les glandes, mais honnêtement entre la musique, la télé et le cinéma, j’ai plus beaucoup d’œuvres dans mon panthéon personnel qui ne soient pas souillées d’une manière ou d’une autre par les agissements d’un mec abusif et/ou toxique.
Quel regard portes-tu aujourd’hui sur la série avec les accusations portées notamment par Charisma Carpenter sur le comportement toxique de Joss Whedon pendant le tournage ?

Taous Merakchi : Comme l’a dit Sarah Michelle Gellar à la lumière de ces prises de parole, pour beaucoup de fans, Buffy c’est pas que lui, c’est les acteur.ices, c’est la communauté qui s’est construite autour, c’est tout ce qui en a découlé, et c’est aujourd’hui ce qui compte le plus. Ça fout les glandes, mais honnêtement entre la musique, la télé et le cinéma, j’ai plus beaucoup d’oeuvres dans mon panthéon personnel qui ne soient pas souillées d’une manière ou d’une autre par les agissements d’un mec abusif et/ou toxique. C’est difficile de déposséder un créateur de son oeuvre, surtout quand il est encore en vie et que l’argent et la gloire lui reviennent encore, donc en général quand on parle de Buffy on prend toujours le temps de rappeler que son créateur est une merde avant d’en chanter les louanges.

Pour moi, le cinéma de genre est le baromètre de l’humanité.

Selon toi, le cinéma de genre est-il féministe ? Doit-il s’améliorer sur ce sujet ?
Taous Merakchi : Je pense pas qu’un genre puisse être quoi que ce soit par essence. Pour moi, le cinéma de genre est le baromètre de l’humanité. On sait ce que traverse une génération en regardant ce qui lui fait peur. Et aujourd’hui, les combats sociaux ont une place importante dans la vie des gens, notamment des jeunes, donc forcément, ça se reflète dans les films et les séries qui en ressortent. Ça vaut pour le féminisme mais aussi pour les luttes antiracistes, les luttes des classes, le rapport au corps, au genre, à la sexualité, etc. L’horreur est le genre qui parle le mieux de notre humanité et de ce qu’on traverse de génération en génération, d’où l’importance de permettre à tout le monde d’y contribuer, parce qu’on a besoin de toutes ces voix pour créer une œuvre globale qui nous ressemble. Ça permet aux luttes de converger, aux dialogues de s’installer, et ça donne des illustrations simples et claires pour nous aider à comprendre ce que d’autres traversent.
Pour aller plus loin, n’hésite pas à t’abonner  au compte instagram  de Taous Merakchi : @jackxparker. On te recommande chaudement de  t’abonner à sa newsletter pour tout savoir sur le genre et ne rien rater de l’actu du grand et du petit écran sur patreon.com/taousmerakchi .   Son prochain livre sortira en octobre 2025 — et il sera justement consacré à l’horreur et au monstrueux. On a forcément hâte de le découvrir !

 


Ce mardi 25 juin 2024, le Champs Elysées Film Festival clôturait sa 13ème édition en récompensant comme toujours le cinéma indépendant Franco-américain. Pendant une semaine, le festival a fait vibré la plus belle avenue du Monde au gré de découvertes, avant-premières, projections, tables rondes, conférences. Cette année, il faisait de plus la part belle à un sujet tout aussi féministe que celui de l’an passé : Les tueuses. (Vous pouvez retrouver noter dossier sur l’image du pouvoir au féminin lors de l’édition 2023 ici) L’occasion de revoir quelques pépites dont les cultes « Heathers », « Ginger Snpas » (pendant lycanthropique à « Carrie »), « Possession » ou encore « The Juniper Tree » (avec une jeune Björk et dont vous pouvez retrouver la critique sur Pop&Shot). Mais aussi l’occasion d’organiser une Table Ronde autour du thème « Buffy contre les vampires ». Enfin le Champs Elysées Film Festival, c’est comme à chaque édition, l’occasion de mettre en lumière un cinéma indépendant d’une immense richesse et d’une grande pluralité, qui sait autant être percutant au box office que parler à un public plus confidentiel. Le palmarès de cette édition vous permettra à coup sûr de faire de très belles découvertes cinématographiques. N’hésitez pas à ajouter tous ces films à vos futures watching list !

champs elysées film festival 2024

Découvrez le palmarès du Champs-Elysées Film Festival 2024

Jury longs métrages

Le Jury Longs Métrages, présidé par la réalisatrice et scénariste Rebecca Zlotowski entourée de l’actrice, chanteuse et réalisatrice Alma Jodorowsky, le cinéaste et scénariste Jimmy Laporal-Trésor, la productrice Marie-Ange Luciani et le réalisateur Nicolas Peduzzi, a décerné les prix suivants :

Le Grand Prix du Jury du Meilleur Long Métrage Américain Indépendant à
Good One de India Donaldson. Dotation de 11 000 € par la Banque Transatlantique remise à la réalisatrice comme aide au développement de son prochain long métrage.

Le Grand Prix du Jury du Meilleur Long Métrage Français Indépendant à
Diaries from Lebanon de Myriam El Hajj. Dotation de 11 000 € par la Banque Transatlantique remise à la réalisatrice comme aide au développement de son prochain long métrage.

Le Prix du Jury de la Meilleure Réalisation Américaine à Nathan Silver pour son film Between the Temples. Dotation de 2500 € par le festival remise au réalisateur.

Le Prix du Jury de la Meilleure Réalisation Française à Caroline Poggi et Jonathan Vinel pour leur film Eat the Night. Dotation de 2500 € par le festival remise au réalisateur.

Jury formats courts

Le Jury Formats Courts, présidé par le réalisateur, scénariste et acteur Jean-Baptiste Durand entouré de l’actrice et réalisatrice Emilie Brisavoine, l’artiste et actrice
Park Ji-Min
, le réalisateur, acteur et metteur en scène Nans Laborde-Jourdàa et l’autrice et réalisatrice Ovidie, a décerné les prix suivants : Le Grand Prix du Jury du Meilleur Court Métrage Américain Indépendant à
Merman de Sterling Hampton. Dotation de 2500 € par la Banque Transatlantique remise au réalisateur. Le Grand Prix du Jury du Meilleur Court Métrage Français Indépendant à
Les liens du sang de Hakim Atoui. Dotation de 2500 € par la Banque Transatlantique remise au réalisateur.
Une Mention Spéciale est décernée à Corps tannés de Malou Six.
Le Grand Prix du Jury du Meilleur Moyen Métrage Indépendant ex-æquo à
Reset de Souliman Schelfout et Incident de Bill Morrison. Dotation de 3000 € par le festival remise aux réalisateurs

Jury presse

Le Jury Presse, composé des journalistes Esther BrejonArthur CiosOlivia Cooper-Hadjian et Laura Pertuy, a décerné les prix suivants :

Le Prix de la Critique du Meilleur Long Métrage Américain Indépendant à
Between the Temples de Nathan Silver.

Le Prix de la Critique du Meilleur Long Métrage Français Indépendant à
Eat the Night de Caroline Poggi et Jonathan Vinel.

Prix du Public

Le Prix du Public du Meilleur Long Métrage Américain Indépendant à
I Saw the TV Glow de Jane Schoenbrun.

Le Prix du Public du Meilleur Long Métrage Français Indépendant à
Habibi, chanson pour mes ami.e.s de Florent Gouëlou.

Le Prix du Public du Meilleur Court Métrage Américain Indépendant à
Bob’s Funeral de Jack Dunphy.

Le Prix du Public du Meilleur Court Métrage Français Indépendant à
Sirènes de Sarah Malléon

Le Prix du Public du Meilleur Moyen Métrage Indépendant à
Voyage de documentation de Madame Anita Conti de Louise Hémon