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Julia Escudero

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Michael Kiwanuka. Son nom est une évocation du sublime. C’est peut-être avec la série « Big Little Lies » que vous avez d’abord entendu ses morceaux. Du moins l’incroyable « Cold Little Heart » qui constituait son générique. Pourtant le britannique a su se détacher du simple attrait d’un single à série pour se constituer un univers d’une beauté rare et une discographie qui ne lasse jamais. En novembre 2024, il publiait son quatrième opus : « Small chances ». Un bijou, une fois de plus. Le chanteur donnait donc rendez-vous à son public le vendredi 28 février au Zénith de Paris pour le présenter. Nous avons eu la chance d »y assister, on vous amène dans cette soirée aux couleurs ocres.

Michael kiwanuka au pays des rêves

Il faut suivre ses rêves. « Follow your dreams », c’est le septième titre du dernier né de Kiwanuka. Mais aussi aussi le second morceau interprété ce soir au Zénith de Paris. Il aura fallu attendre 21 heures 15 pour voir débarquer sur scène l’incroyable musicien. Et faire la queue, le public du chanteur étant plutôt de l’école dernière minute pour entrer dans la salle. Normal, me direz-vous, point de groupies ce soir, ils et elles sont plutôt des adeptes de la musique et de la musique seulement. Voilà qui tombe bien puisque Kiwanuka est là pour proposer un véritable tour de force de cet art. A ses côtés, de très nombreux musicien.nes et un choeur. Les couleurs chaudes prennent possession du Zénith. Un bâton d’encens fume sur scène, des lampes donnent le sentiment de s’être installé dans un salon cosy. L’hiver s’est arrêté. Il a laissé son blanc manteau aux portes de la salle de concert dès que les premières notes de « The Rest of me » ont commencé à résonner. La voix grave de notre hôte n’invite qu’à la relaxation. Ici tout n’est que luxe, calme et volupté. Le luxe, le vrai se constitue surement d’instants de grâce, de petits moments de perfection, d’un bien-être que rien ne saurait troubler comme c’est le cas en cet instant. Et tant mieux si le tout résonne en chacun.e comme un rêve éveillé, car, nous le disions, ce soir nous allons suivre nos rêves et la figure onirique qu’est Kiwanuka pour se faire.

MICHEAL KIWANUKA ZENITH 2025 ©Kevin Gombert
MICHEAL KIWANUKA ZENITH 2025 ©Kevin Gombert

Régner sur le monde magique des salles de concerts

La musique de Michael Kiwanuka ne saurait souffrir d’aucune interruption. D’ailleurs, le maitre des lieux  sera finalement peu loquace. Quelques remerciements chaleureux viendront ponctuer la soirée. Pour autant, la communication n’en est pas amoindrie. Bien au contraire. La musique, le plus beau des langages, constitue la conversation rêvée de cette soirée presque parfaite. La set list défile avec aisance. « Father’s child » est interprété puis l’immense « Black Man in a white world » issu de l’album « love & hate ». L’occasion de rappeler les origines ougandaises du chanteur dont les parents avaient fuit le régime d’Idi Imin Dada. Et si on en profite pour se permettre quelques pensées à résonance actuelle, l’immense talent de notre homme pourrait bien être une bonne claque à la figure de nombre de nos dirigeants se permettant de questionner les vertus de l’immigration à coup de discours nauséabonds. Nul besoin en revanche de devenir un Michael Kiwanuka en puissance pour faire un pied de nez à un discours montant, qu’il faudra toujours combattre. Mais ne nous égarons point et revenons à notre soirée et donc à ce morceau à la résonance si puissante, dans son texte, son interprétation fabuleuse et surtout son choeur dont l’écho n’a de cesse de faire frissonner. Nos parlions plus tôt de soirée – presque – parfaite.  Pourquoi ce presque ? Outre l’évidente référence au diner presque parfait, qui pourrait bien coller à une soirée qui mérite un 10/10 en toute seconde ( point besoin d’aller la noter dans les toilettes, revenez !), le presque tient au choix de la salle du Zénith. Bien que ce soir sa disposition lui offre un univers bien plus cosy, la forme de sa fosse, le manque de possibilité de bien se placer, le public peu avare d’un placement en avant scène viennent à enrayer l’atmosphère si relaxante qu’instaure notre musicien. Le lieu est peut-être trop grand pour profiter pleinement de la communion offerte. « Rule the World »  (issu de « Love & Hate ») résonne ensuite et le son particulièrement bien géré, donnent à tout l’assistance le besoin de faire Kiwanuka le maître incontesté du Monde.

Notre maison, encore…

Un écran géant en arrière-scène vient ajouter une touche de beauté supplémentaire au moment. On y découvre des visages souriants, de tout âge, de toute origine. Des moments de beautés, de profonde plénitude. Un brin de fumée s’invite aussi à la soirée. Une brume de douceur. Nous sommes chez nous, dans un lieu où seule la bienveillance peut exister. La scène du Zénith est devenu le salon de Michael Kiwanuka. La musique en parcourt chaque recoin, elle vient masser nos cerveaux et nos coeurs. Debout, dans la fosse, le son nous permet de nous installer confortablement, se faisant fauteuil pour l’occasion. « Hero » ampli la salle. Le morceau issu de l’album « Kiwanuka » envahi les esprits. Les musiciens se complètent et forment un tout avec cette voix soul si puissante, leur précision est obsédante. Et puis finalement, comme notre instinct nous l’avait fait deviner, Kiwanuka parle de foyer avec l’un de ses plus grands succès « Home Again ». Hymne empli d’espoir, promesse d’un nouveau jour qui arrivera, de la force que nous retrouverons. Cette promesse vient percuter chaque spectateur ce soir qui chante avec lui. Les doutes s’envolent, si notre héros le dit, un jour on se sentira forts à nouveau. La set list défile à toute allure et le temps d’un premier au revoir pointe trop rapidement le bout de son nez. C’est un nouvel extrait de son dernier album qui vient à conclure ce premier acte : « Stay by my side ».

MICHEAL KIWANUKA ZENITH 2025 ©Kevin Gombert
MICHEAL KIWANUKA ZENITH 2025 ©Kevin Gombert

Des au revoir emprunt d’amour et non de haine

L’amour c’est aussi et surtout ce qui définie le mieux la performance de Kiwanuka. Et pas ce type d’amour forcé de pop star qui passe sa soirée à offrir de longues tirades pour constamment parler d’amour ou dire aimer son public. Non, nous en sommes loin. Loin des clichés, loin du forcing, loin des habitudes, des gimmicks de spectacle. L’amour ce soir, il se distille dans l’air, il apparait naturellement, il prend position parce que ce concert sent la sincérité. Parce que surtout, il sent l’adoration de la musique, de la vivre et la partager. Aussi essentielle que l’air que l’on respire. Et qu’importe si la set-list se répètera dans d’autres villes, demain, après-demain et les jours qui suivent. La sincérité touchante d’un moment parfaitement harmonieux suffisent à le rendre sincère, à en faire un souvenir précieux. « Lowdown » et ses deux parties peuplent les retrouvailles du rappel et « Four long years » viennent le clore non sans que chaque musicien.e n’ait été au préalable présenté.e. Sans trop attendre, un dernier rappel vient sceller nos tristes au revoir. L’immense « Cold Little Heart »résonne enfin, dans une version à l’intro écourtée. Mais dans un format idéal pour le live. Puis enfin, une dernière note d’amour sur « Love & Hate ». L’amour et la haine, le ying et le yang, l’équilibre toujours. Si tout doit être équilibré, alors dehors en quittant le Zénith, le Monde semblera brouillon, stressant, anxiogène pour compenser l’harmonie éprouvée. Heureusement, on gardera la lumière apportée par Kiwanuka dans nos petits coeurs, parfois trop froids.

MICHEAL KIWANUKA ZENITH 2025 ©Kevin Gombert
MICHEAL KIWANUKA ZENITH 2025 ©Kevin Gombert

Déboulée sans prévenir au mois de février 2025,  » Cassandra « , la nouvelle série allemande diffusée sur Netflix, s’est attirée en quelques jours une hype inattendue. En cause, un show au suspens bien géré souvent comparé à « Black Mirror » pour son évidente trame mettant une scène une technologie qui dégénère et son aspect sociétal. Outre la tension qui la définie, la série est-elle à la hauteur des attentes ? Effrayante, moderne et poussée sur sa réflexion?  Notre mère au foyer sous forme d’intelligence artificielle vaut-elle vraiment le détour ? Oui et non, on en parle.

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Cassandra la nouvelle I-série netflix

Cassandra de quoi ça parle ?

La plus ancienne maison connectée d’Allemagne est restée vide depuis que ses propriétaires ont péri dans des circonstances mystérieuses il y a plus de 50 ans. Lorsqu’une famille emménage enfin, l’IA Cassandra se réveille de son sommeil, déterminée à utiliser toutes les ressources à sa disposition pour s’assurer qu’elle ne sera plus jamais seule.

Cassandra est-ce que c’est bien ?

Cassandra Netflix sérieLa perfection n’est pas de ce monde. Sauf peut-être si elle prend les traits d’une ménagère allemande ayant vu le jour il y a maintenant plus de 50 ans. Et si parfaite elle n’est point, elle essaiera de l’être sans reculer devant rien. Bien plus qu’une série sur les dangers d’un monde hyper connecté ou tout serait géré par une machine, Cassandra va surtout déployer ses efforts scénaristiques pour parler de l’humain avant tout. L’humain face à la machine ou l’humain au delà de la machine. L’humain dans son ensemble mais aussi et surtout, la femme en son centre.

La série de Benjamin Gutsche mise par ailleurs sur l’essentiel pour s’assurer de recruter un large public d’adeptes. Déjà, et en premier lieu, le format de la mini-série : 6 épisodes au compteur, a de quoi peupler un dimanche pluvieux ou une soirée d’insomnie. Mais surtout, notre show Netflix , pourtant allemand, s’amuse à reprendre toute la trame du cinéma d’horreur américain pour que ses codes soient distincts et compréhensibles. Alors pourquoi pas me direz-vous ? Après tout, en la matière le cinéma outre-atlantique a mainte fois fait ses preuves. Néanmoins, d’autres, les espagnoles, les japonais, les coréens, les italiens (pour n’en citer que quelques uns)  ont apportés leurs propres codes au genre et il n’est pas si déplaisant les retrouver pour y chercher une nouvelle expérience de visionnage. Dans les grandes lignes, la famille classique, un papa, une maman, un jeune garçon adolescent, Finn, et une adorable petite fille, Juno, emménagent dans une nouvelle demeure loin de la ville et de leur vie suite à un drame. Vous avez déjà vu ça quelque part. Une scène d’introduction nous montre qu’un danger rode. Merci Scream pour la mode des introduction « violentes ». Là, sans avoir fait le ménage, la famille s’installe au milieu des anciens meubles, rempli la piscine et découvre qu’une intelligence artificielle, un robot ménager présent dans chaque pièce, oui les toilettes aussi, contrôle la totalité de la maison. Ce gadget amusant, aux traits très humains ( Lavina Wilson, très douée dans son rôle de Cassandra) va leur facilité la vie, devenir leur amie ou ennemie et bien sûr chercher à foutre la merde, rapport qu’elle est hors de contrôle.

cassandra netflix peur
Laisse pas traîner tes doigts !

Cassandra, Maman artificielle

Passé ces grosses ficelles, le show va néanmoins créer la surprise en dosant très savamment son suspens. Et pas seulement lors des cliffanghers de fin d’épisodes, non. Chaque scène va être assez bien pensée et écrite pour nous tenir en haleine de bout en bout avec le besoin d’en savoir plus. Je n’en doute pas, vous l’aurez lu partout, la fameuse scène du four est effectivement incroyablement stressante et saura ravir les amateur.trices d’angoisses télévisuelles. Pour autant, âmes sensibles, rassurez vous, le show est surtout très grand public. Il ne faudra donc pas s’attendre à des litres d’hémoglobine mais plutôt à des instants de stress qui vont se distiller toute la série durant. Voilà ce qui constitue la première force d’un récit, bien joué et donc bien réalisé dans son registre.

cassandra Netflix JunoAu-delà de cet aspect très plaisant, Cassandra va chercher a explorer des thématiques qui vont bien plus loin que celui de la machine ingérable. Parce que Stephen King nous l’a appris, finalement ce qui est vraiment effrayant c’est rarement le phénomène fantastique, c’est toujours ou presque l’humain qui est derrière. Et ici celui-ci lui aussi vient d’un gimmick déjà utilisé dans l’horreur : l’amour d’une mère. A moins que ce ne soit l’horrible mari, mais cette idée féministe prendra bien le temps avant de se mettre en place. On pense à « A l’intérieur », évidemment en tête de liste, « Scream 2 » aussi ou bien encore « Mother’s day ». Qu’est ce qui est terrifiant ? Ce qui est absolu. Qu’est ce qui l’est ? L’amour d’une mère, pire d’une mère privée de sa progéniture. Parce qu’une femme c’est quand même souvent une mère non ? Et ce fort besoin de materner va faire de Cassandra, le robot humain, une ennemie de taille pour une toute autre femme, la vraie mère du foyer, Samira (Mina Tender). Ce propos manque en réalité de modernité, et est plus que discutable. L’idée de la femme toujours prête à tout pour être maman donne bien envie de grincer des dents. D’ailleurs, la place de sa personnalité est souvent éteinte au profit d’un seul trait de caractère : celui de la maman. Et c’est surement l’un des plus gros défauts de la série.

Il faut toujours que tu dramatises !

Cassandra Samira
Samira, qui exagère toujours !

On s’en souvient, dans la « Cité de la peur », pour moquer le cinéma de genre, les premières minutes du film mettaient à l’écran cette réplique culte « Il va tous nous massacrer ! » « Il faut toujours que tu dramatises ! ». Ce n’est pas une pure coïncidence. C’est parce que quand le cinéma d’horreur décide d’utiliser ses gros sabots, il utilise un personnage, la femme ou le jeune enfant quasiment tout le temps, bien conscient que quelque chose cloche. Et tout son entourage vient le contredire. « Tu as rêvé, c’est ton imagination, mais non …. » dit le mari / père en boucle alors que le danger rôde. Ici donc l’élément scénaristique le plus agaçant tiendra du fait que Samira passera son temps à prévenir du danger pour se faire carrément traitée de « folle ». Surtout par son mari. Ce qui en début de série aura forcément le don d’irriter et pas juste les féministes (même si hein oui beaucoup) mais aussi tous les accros au bon sens. On parle d’un robot créé dans les années 70, pas d’un fantôme hein, c’est possible qu’il déconne !

Rassurez-vous pourtant cet outil finira par servir une plus juste cause, plus féministe qu’il n’y parait et donner naissance à quelques réflexions bien mieux senties à mesure que l’histoire avance. En outre, si on espère toujours que le mari (Horst, Mark Lewis) pourrait finir découpé par la tondeuse ou cuisiné aux petits oignons, la réflexion de la place de la femme au centre du foyer, à travers deux époques, donnera de bonnes raisons de créer des personnages masculins si exécrables. Il ne le sont d’ailleurs pas tous. Finn ( Joshua Kentara), le fils adolescent ajoute sa touche de sympathie à l’histoire, tout comme sa romance avec Steve (Filip Schnack).

Arrivé en fin de bobine, Cassandra laissera quelques sentiments de trop peu exploité. La présence d’une petite fille par exemple, l’accélération trop rapide des explications du pourquoi du comment, surtout sa fin précipitée et trop rapide. Et son manque de volonté d’aller au bout de ses propositions. Néanmoins, et c’est sûrement le plus important, la série Netflix s’avère être un très honnête divertissement, addictif dans sa forme. Il vaut vraiment le détour et aura sûrement le bon goût d’un petit plat préparé avec amour par une maman. Si celle-ci était l’œuvre d’un savant fou.

Une saison 2 de Cassandra sera-t-elle envisageable ? Il y a peu à parier, puisqu’il s’agissait d’une mini-série et que toutes les questions ont trouvé leurs réponses.  Mais rien n’est impossible quand on rapporte gros sur Netflix.


En mathématique, le chiffre 3 est un nombre parfait. Ce qui veut dire que c’est un nombre dont la somme de ses diviseurs est égale à ce nombre. En musique et pour Last Train, « III », le troisième album du groupe donc, est aussi un nombre parfait. La somme de ses accords y est égale à ses divisions de tons. Le groupe alsacien nous y propose un périple mature et sans concession. Un parcours tout en ruptures où le rock est osé et aimé. Pour trois fois plus de plaisir. On en parle.last-train-iii

Last Train : un nouveau départ

Sur le quai de la gare, ce troisième départ du dernier train se passe plutôt bien. Il faudra s’attendre à un démarrage en grandes pompes et peut-être quelques sursauts, tant son introduction s’amuse à alterner les rythmes. « Home », la maison que l’on transporte toujours avec nous lorsque l’on écoute Last Train offre le premier coup de sifflet d’une galette jusqu’au boutiste. Le voyage jusqu’à la lune ou jusqu’aux bras de nos amis de toujours. La bande de meilleurs potes donnent donc le ton d’entrée. Quelques notes douces et calmes, et boum les coeurs et les rythmes s’emballent, on redescent d’un cran, on repart à toute allure. La fin du titre est un périple à 100 km / h, des boucles et une voix qui monte dans les aigus. Du rock, du vrai, profond, puissant, gutural. Last Train a grandi et s’assume pleinement.

Prendre le train à toute vitesse

Il faut dire qu’en trois opus, le groupe a su se faire des adeptes. Trois albums si on ne compte pas son essai symphonique « Motion Picture Soundtrack » paru au printemps dernier. La bande de Jean-Noël Scherrer n’a pas chômé ! Du symphonique il ne reste pas grande chose sur ce « III ». A part une certitude, Last Train soigne ses arrangements et ses compositions. Les instruments y sont précis et cette fois, ils coupent comme une lame de rasoir. Le deuxième titre nous plonge dans une urgence à vif. Sans jamais dérailler. Certes, on pourrait arrêter les jeux de mots sur cette histoire de dernier train mais même la joyeuse équipe ne s’en prive pas sur son compte Instagram, alors pourquoi le devrions-nous ?

« The Plan » donc, deuxième titre sur notre chemin est sans commune mesure avec « Way out » qui avait permis aux alsaciens de se propulser sur le devant de la planète rock francophone. Le premier cadeau de la formation était rappelons-le plus radiophonique, rock certes, mais avec cette fraîcheur adolescente, des garçons dans le vent en quelque sorte. Aujourd’hui la fougue de la jeunesse et donc de nos garçons passe dans la précision. Plus d’excuses, les classiques ont été digérés.

Like a rolling train

« How does it feel ? » demandait Bob Dylan sur « Like a Rolling Stone », c’est aussi la question que va nous poser Last Train au court d’un titre bien plus doux que ces prédécesseurs. Bien sûr dans la navette Last Train le début ne laisse en rien présager la fin. Alors la montée en puissance vient inviter un tourbillon instrumental  et casser les codes définis en début de titre. Quand le groupe ralenti son tempo c’est pour mieux l’accélérer sur la suite. On n’y rattrape pas tant un retard que les paysage y défilent. How does it feel donc ? C’est plutôt plaisant, merci de nous demander. D’autant plus plaisant que le rock français venait peut-être à manquer de visages, d’icônes et de réelles tentatives ces derniers temps. Last Train trace constamment sa route. Sans se fermer à la tornade post-punk qui sévit actuellement – hello Fontaines D.C et autres Idles- nos amis eux, gardent leur identité. Unique et franchement inspirée par un mélange de Led Zepplin et Queen of the Stone Age. Il y a pire comparatif ! « All to blame » suit le mouvement, un titre qu’avait aussi utilisé en son temps Sum 41. Et le comparatif avec la bande de Wimbley ne s’arrête pas là, puisque le groupe comme du bon vin (mais ne buvons pas trop de vin), avait gagné en précision album après album devenant complètement rock en fin de course et faisant sonner ses guitares bien plus fort.

Last Train et  ses ruptures de ton

Last Train aime particulièrement a casser ses rythmes. On s’y était habitué avec l’immense The Big Picture, sûrement leur meilleur morceau jusqu’ici, sans objectivité aucune -quoi que. Démarrer doucement, monter en puissance, prendre le temps de souffler, repartir plus fort. C’est en cela que le groupe est franchement bon. Et pour autant ne va pas jouer à se répéter. De « This is me trying » et sa phrase obsédante répétée comme un let motiv à « How does it feel », la prise de position, la coupure de style ne se gère pas de la même façon. La production y est soignée. Mais soyons honnêtes, sommes-nous surpris ? Du tout puisque, derrière leurs airs de rockeurs, leurs blagues et leur propositions de boire quelques bières ensemble – alerte talent caché Jean-Noël sait en ouvrir avec absolument n’importe quel objet, il l’a fait avec une bougie devant moi ! true story- se cachent en réalité des musiciens minutieux obsédés du détail. Et voilà qui se sent continuellement sur cet album de 9 titres. The Big Picture est aussi loin. Cette page a été tournée. Ici on vise la précision et l’efficacité de morceaux courts mais pour autant jamais trop rapides. Au plus long, il faudra compter les 7 minutes 30 qui composent le tout dernier morceau « I hate you ».

Pour répondre aux mélodies longues et développées de son dernier né, et sa BO fantasmée, le groupe pose en fin de course un mini-titre. « You’ve ruined everything » qui dure 54 secondes. Et ces secondes sont un temps d’accalmie instrumentale dont les dernières serviront de mise en bouche à son final. il fallait, impossible de ne pas l’admettre, reprendre son souffle après le très rock « One by One », aux allures de classique efficace aux guitares saturées.

Arrivée au terminus

Ceux qui quittent toujours la scène sans une bain d’amour et de francs calins, règle respectée d’ailleurs sur la release au Nouveau Casino, nous laissent donc sur « I hate you ». Comme avec l’intro, comme si ce final tenait à y répondre, on marche sur le pointe des pieds. Le ton y est presque inquiétant, comme si, du calme apparent allait sortir un jump scare. Et pas Pedro le chat qui faisait des siennes, non, une vraie grosse claque musicale qui débarque sans crier gare. Le titre prend le temps de poser son cadre et son décors. Et c’est finalement la batterie, qui choisi de nous accompagner doucement dans cette montée vertigineuse alors que Jean-Noël répète en boucle un doux I hate you… La claque arrive bien mais pas sous forme d’un sursaut, non, elle vient nous cueillir. On grimpe doucement jusqu’à l’aliénation. Le timbre au bord des larmes, à la sincérité alarmante. Last Train a grandi et s’exprime pleinement. La noirceur du morceau pourrait bien évoquer les débuts de Korn, tiens Fontaines D.C s’inspirait du groupe d’ailleurs tout autrement pour son « Romance ». Contrairement aux irlandais nos français ont perdu en cette fin de parcours toute forme de romantisme. La haine semble être un bon carburant. Et comme toujours cette fin de parcours se fait en apothéose.

Il y aurait mille manière de conclure cette chronique, sûrement quelques jeux de mots à faire sur le train, la gare et le contrôleur. Nous sommes désolé.es de vous les épargner cette fois pour dire à la place, qu’avec cet album, au même titre que ceux d’avant, il y a fort à parier que Last Train laissera sa marque dans l’histoire du rock français. La folle ascension de la formation semble inarrêtable . Le chiffre III est celui de l’expression de soi et de l’esprit du libre penseur. C’est vérifié, c’est aussi pour nous  celui de l’espoir de voir un groupe de rock français atteindre tous les sommets.


A l’origine de l’indie, à l’origine même de Fontaines D.C et de toute la vague dublinoise qui déferle sur le rock, il y avait les Smiths. L’un des plus grands groupes de rock du Royaume-Unis, le timbre particulier de Morrissey, les guitares sublimes de Johnny Marr. Les deux hommes ont refusé de se retrouver sur scène. La faute de Marr, en partie puisque c’est celui qui a refusé. La faute du Moz surtout, ses débordements politiques, ses sorties problématiques, ses prises de positions scandaleuses, ont eu raison de l’envie du guitariste à être de nouveau associé à son chanteur. Mais voilà qui n’empêche pas de se replonger à corps perdu dans l’un des plus grands albums de tous les temps, j’ai nommé The Queen is dead. Est-ce le meilleur album des Smiths ? Le débat fait rage alors que les puristes lui préfèrent bien souvent Hatful of Hollow. Pour autant, il reste mon favori. Une excellente raison donc de raconter son histoire et de parler de sa pochette culte avec Alain Delon.

The Smiths The queen is deadThe Queen is dead, vive the queen !

Il ne sont pas les seuls à avoir critiqué la royauté via le titre de leur album. Les Sex Pistols avant eux s’étaient essayé à cette exercice difficile. God Saves the Queen n’avait pas plu à la famille royale et lui avait valu la censure. En 1986, les Smiths tentent à nouveau l’essai avec leur The Queen is dead. Seulement le ton s’y alterne en continu. Sarcasme et humour s’y croisent autant que conversation imaginée avec la reine au cours des 6 minutes 30 qui composent le morceau qui donnera son titre à l’album. Cette façon de jouer la carte de la subtilité, de marcher sur la pointe des pieds sera un bon résumé des paroles de cet opus. Le second titre, par exemple « Frankly, Mr. Shankly », est une giffle au visage du patron de Rough Trade qui empêchait alors Morrissey de rejoindre une major. Pour autant le chanteur prend le temps de se moquer de lui-même et de sa propre ambition, dissimulant en partie son propos.

Le décalage est toujours de mise, la marque de fabrique du Moz pour ainsi dire. Et on la retrouve sur la totalité de cet album. « There is a light that never goes out », la chanson d’amour culte au sonorités si douces parle de mourir aux côtés de l’être aimé. « Vicar in a Tutu » est l’occasion de moquer l’église et « Some Girls are Bigger than Others » en fin de galette deviendra même un hymne anti- grossophobie ! Tout un programme donc.

De la princesse à la reine

Côté écriture le duo Marr / Morrissey fonctionne divinement. L’alternance dans la travail de composition leur permet de réaliser l’album parfait. Nous sommes le 16 juin 1986 lorsque celui-ci voit le jour. Troisième album du groupe qui est alors très populaire, il est aussi le prémisse de sa fin autant qu’il l’aidera à devenir culte. Le single « Bigmouth Strikes Again » qui en est issu lui permet d’ailleurs de se placer en deuxième place des charts. Et puis le prestigieux magazine NME en profite pour en faire trois fois d’affilé, le groupe de l’année.Pour autant, l’existence éclair du groupe formé en 1982, prendra fin un an après la sortie de ce chef d’œuvre soit en 1987. Une révélation de rupture qui sera d’ailleurs partagée à un magazine tout aussi culte et bien de chez nous, les Inrockuptibles, un comble quand on sait que l’amour des Smiths a pousser à la création de ce média. Un amour pour la formation que le journal n’aura eu de cesse d’exploiter et de conter, sélections après interviews et compilations.

Côté création, l’album qui nous intéresse est composé par son duo culte au cours de différentes sessions d’écritures mais aussi de tests sons qui ont lieu alors que The Smiths est en pleine tournée pour « Meat is Murder ». Le succès de cette pépite tient aussi en son chanteur et frontman, rebelle à grande gueule qui s’exprime et s’oppose clairement au gouvernement Tatcher alors en place. Jusqu’au-boutiste, tous les titres qui viennent à la composer constituent des tornades émotionnelles sans commune mesure. Impossible de rester de marbre  face à la beauté des paroles des titres mais surtout du travail de composition, urgent, puissant, toujours à fleur de peau. On y trouve des émotions décuplées. Si aujourd’hui le terme indie a perdu de sa grandeur, étant un four-tout difficile à démêler, à la sortie de « The Queen is dead », il était au contraire, la définition même de ce courant à part. En cause également l’incroyable jeu à la guitare de Marr, génie reconnu de son époque et compositeur au talent incontestable. C’est au cœur de cette alliance que réside toute l’âme punk de la formation. Un guitare sophistiquée rencontre des paroles abruptes et irrévérencieuses qui en font un meilleur moyen de faire passer les messages dans les consciences. Jamais policée et pour autant accessible, la formation saura retourner les esprits de toute une génération et d’autres après elles.

The Smiths et Alain Delon

THE SMITHS ALAIN DELONDifficile de parler de The Queen is Dead sans évoquer la pochette culte du disque qui met en scène Alain Delon. On l’y voit dans un ton vert saturé. Cette image est en réalité tirée de du film L’Insoumis, d’Alain Cavalier. Le film sorti en 1964 profite d’un Alain Delon au sommet de sa beauté. Morrissey ne s’y trompe pas, lui qui aime tout particulièrement les acteurs beaux gosses de James Dean à Jean Marais. Le film parle d’un soldat français qui désobéit pendant la guerre d’Algérie, désertant le front de bataille puis libérant une avocate, otage d’un kidnapping, contre l’avis de ses commanditaires. Coup de feu, coup de foudre et passion au funeste sort font partie du métrage, comme dans tout le meilleur cinéma d’Alain Delon.

L’obsession de Morrissey pour les beaux hommes n’existe pas uniquement sur les pochettes de ses albums. Il se revendique majoritairement asexuel, raconte qu’il aurait finit moine s’il n’était pas devenu une rock star tant il considère le sexe comme une perte de temps. Pour autant dans son autobiographie il confira une liaison avec le photographe Jack Owen.  Et d’ajouter, plus tard, qu’une population LGBT+ dominante règlerait les conflits à travers le Monde : « Les guerres et les armées, et les armes atomiques, sont essentiellement des hobbies hétérosexuels. »

The Smiths is dead

Si l’ambiance en studio était plutôt bonne lors de l’enregistrement de « The Queen is Dead », les tensions étaient déjà existantes. Marr en a déjà marre (jeu de mots obligatoire) de Morrissey. Il le trouve trop imposant, trop présent dans les médias. Les frictions entre ces membres fondateurs ne sont pas les seuls problématiques que rencontre le groupe. Le bassiste Andy Rourke a de sérieux problèmes avec l’héroïne. Voilà qui sonne  le début de la fin. Mais c’est surtout Marr qui souhaite quitter le groupe. Le festival de San Remo en mai ne suffit pas à lui donner envie de poursuivre. Plus tard, il confiera sur le livre « Les Smiths Morrissey and Marr, the Severed Alliance » : « Les Smiths étaient devenus un genre de club où toutes nouvelles influences étaient déconsidérées, voire taboues » . Le guitariste souhaite développer ses influences dance, ses envies d’électro. Il souhaite aussi s’éloigner de Morrissey. Ainsi il restera un seul album à dévoiler pour The Smiths, « Strangeways, here we come » qui sortira après l’officialisation de leur séparation en septembre 1987. D’ailleurs dans son auto-biographie, le guitariste ajoute : « Les Smiths n’auraient pas pu avoir une plus longue durée de vie, compte tenu de tout ce qui distinguait ma personnalité de celle de Morrissey. »

the smithsMarre de Morrissey

Et la personnalité de Morrissey, elle pose aujourd’hui autant problème à Marr qu’au public. Le Moz reste une idole indétrônable mais ses sorties lui valent des appels au boycott à tel point que certaines de ses dates en solo aient dû être reportées. L’anti-royaliste est aujourd’hui un soutien à l’extrême droite britannique et donc au parti For Britain. Mais il choque également régulièrement par ses positions en interview à caractère raciste ou  islamophobe. Ce comportement est aussi celui qui privera les fans d’une réunion scénique des Smiths. La question avait été abordée en 2024 et une proposition officielle avait été faite aux anciens membres de se retrouver en tournée. Johnny Marr avait alors choisi d’y répondre par la négative pour ne plus être associé aux propos de Steven Morrissey.

Malgré tout, « The Queen is dead » reste l’un des plus grands albums de tous les temps. Un monument qui ne souffre d’aucun vieillissement. Au contraire, aujourd’hui encore, il représente le meilleur de la scène indie et continue d’influencer des génération des musiciens. Il est la lumière qui ne s’éteint jamais.

Sur une note très personnelle, je tient à dédicacer ce papier à Evelyne, reine elle aussi partie, qui m’aura permis de découvrir toute la grandeur de ce groupe mythique et qui vivra toujours lorsque je lance un de leurs albums.