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avril 2024

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La famille la plus connue du rock indé s’apprête à publier leur 4e album Forgiveness is Yours, un opus dans la continuité du précédent mais qui, par ses circonstances de création, fut le plus difficile à concevoir selon les dires de Lias Saoudi, le chanteur et leader du groupe, qui nous a fait l’honneur de répondre à nos questions.

Le groupe a récemment connu une rupture difficile, causée par le départ de Saul Adamczewski, bras droit de Lias Saoudi, compositeur, arrangeur et guitariste hors pair. Sans lui, la famille recomposée est comme à nu, obligée de repenser son processus créatif. Avec Forgiveness is Yours, la nouvelle version du groupe parvient à poursuivre leur chemin plus pop, démarche entamée sur l’album précédent, tout en conservant une grande liberté expérimentale. Moins facile d’accès, il déploie sa généreuse force au fil des écoutes.

Fat White Family - Crédit : Louise Mason
Fat White Family – Crédit : Louise Mason

Si l’on en croit Lias Saoudi : « Les thèmes esthétiques prédominants ici sont la léthargie et une léthargie encore plus profonde ». Le groupe n’a jamais été réputé pour être de joyeux lurons, on préfèrera même les qualifier de sombres lardons. Leur folie, décuplée en live, découle de leur désespoir et de leur vision pessimiste du monde. Lias Saoudi n’en est pas moins très agréable et accessible en échange, masquant derrière son joli sourire l’obscurité qu’il porte sur ses épaules. C’est la création qui le fait tenir, il en est même hyperactif (projet live en solo, livre publié récemment, collaboration avec Decius…).  Avec lui, on a parlé du nouvel album, de littérature, et de John Lennon. Il entame la conversation :

Lias Saoudi – Fat White Family : J’avais un concert l’autre jour, je me sentais malade, et vulnérable. Je deviens vieux.

Pop & Shot : Tu peux encore performer quand tu es malade comme ça  ?

Lias Saoudi – Fat White Family :  C’est horrible, mais tu dois le faire. Pas le choix. C’est comme n’importe quel boulot. T’as du monde sur la route avec toi. Si t’annules, t’es baisé.

Pop & Shot : C’était un concert solo ou avec Fat White ?

Lias Saoudi – Fat White Family: Avec Decius. On a beaucoup de concerts avec Decius. On joue ce week-end à Saint Malo d’ailleurs.

Pop & Shot : A la Route du rock, oui ! Pour la session d’hiver. Je comptais justement en parler, parce que je vous ai vu à la Route du rock il y a deux ans.

Lias Saoudi – Fat White Family : Oh oui, c’était une bonne celle-là.

Pop & Shot : C’était incroyable, un des meilleurs concerts de ma vie.

Lias Saoudi – Fat White Family : On avait beaucoup à prouver. C’était juste après s’être séparés avec Saul, j’avais pris de l’acide et d’autres trucs pharmaceutiques. Un combo à éviter. La tête d’affiche avait sauté. Gizard wizard lizard. 

En tête d’affiche pour une fois. Enfin ce qu’on mérite. Les dieux nous ont souris.

Pop & Shot : Oui, vous remplaciez les King Gizzard pour un concert à 1h du matin. 

Lias Saoudi – Fat White Family : En tête d’affiche pour une fois. Enfin ce qu’on mérite. Les dieux nous ont souris.

Pop & Shot : A ce moment-là, vous aviez déjà composé le nouvel album ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Non, on était à mi-chemin. La première partie a été faite avec Saul. Puis il y a eu la rupture. C’était son bébé. On a travaillé dessus longtemps. On avait des chansons mais qui n’étaient pas prêtes à devenir un album encore.

Pop & Shot : Mais tu es content de sortir cet album quand même, malgré les circonstances ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Je suis content qu’il soit fini, oui (rires). C’était un challenge personnel vraiment difficile mais on devait prouver qu’on pouvait le faire sans lui. Je suis sûr qu’il le déteste / le détestera.

Pop & Shot : Tu l’espères ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Je m’en soucie pas vraiment.

Pop & Shot : Cet album parle du pardon non ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Oui apparemment. La rumeur dit ça (rires).

Pop & Shot : Quand as-tu commencé à le composer ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Dans une cave à Belleville – Ménimontant en 2019. J’étais en train d’écrire de la très mauvaise poésie en écoutant Marlene Dietrich et en buvant du vin rouge avec mon ami Mike. C’est là que tout a commencé, je le réalise seulement maintenant.

Pop & Shot : Et qu’est ce qui est venu en premier ?

Lias Saoudi – Fat White Family : La première chose que j’ai écrite pour cet album est la chanson d’ouverture justement : « The Archivist ». Du spoken word, une pièce empruntée à T.S. Eliott. Tu as déjà écouté ses enregistrements sur YouTube ? La façon qu’il a de slamer. C’est génial.  Ensuite, il y a eu « Visions of pain ».

C’est claustrophobique quand les choses sont figées. C’est mieux qu’elles soient ouvertes à l’interprétation.

Pop & Shot : Je l’adore justement. De quoi parle-t-elle ?

Lias Saoudi – Fat White Family : J’essayais de m’attaquer à Aguas de Marco. Sa version de « Waters of March » d’Art Garfunkel. C’est un classique brésilien. J’étais vraiment  à fond dans Marlene Dietrich. Cette idée de revisiter les standards, de les réécrire. J’avais l’habitude de travailler avec Saul. Il me donnait la mélodie et j’écrivais tous les textes. J’ai essayé de faire ça en changeant quelques trucs, dont la musique. C’est pas à propos de quelque chose en particulier. C’est juste un mood à capter. Tout n’a pas à être délibéré et pensé. C’est claustrophobique quand les choses sont figées. C’est mieux qu’elles soient ouvertes à l’interprétation.

Pop & Shot : Une chanson que j’adore aussi, c’est « John Lennon », qui prend le contrepied des précédentes introductions de vos albums. La chanson prend son temps pour évoluer tandis qu’une chanson comme « Feet » (ouverture de Serf’s up) met direct les pieds dans le plat (rires).

Lias Saoudi – Fat White Family : Je crois que tu veux toujours ouvrir avec un banger. J’aime beaucoup celle-ci parce qu’elle elle a la même énergie que « Raining in your mouth ». Elle va quelque part, elle trace un chemin. Je pense que quand on bossait avec Saul, il y avait beaucoup de choses supers comme ses arrangements et sa musicalité. Il était très fort et j’entends parfois son absence sur ce nouvel album. Mais l’un des avantages ici, c’est que j’étais plus libre de juste performer. Quelle que soit la raison, cet espace ne s’était pas ouvert via de notre relation avec Saul. Et c’est pas une accusation que je porte. C’est juste pas arrivé. Il y a un peu plus de liberté là, et de performances vocales. On est dans une approche et une production plus live. Je trouve que c’est rafraichissant.

Pop & Shot : C’était justement un des sujets dont je souhaitais parler avec toi, les performances vocales dans l’album. On entend de multiples manières d’utiliser la voix comme matière. A quel point c’était important de creuser ces différentes manières de chanter et de poser ta voix ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Très important. J’avais plus de liberté. J’ai fait comme je l’ai voulu, comme je le sentais, sans trop de préméditations. J’essayais souvent de faire une prise, quand c’était possible, et de laisser même quand il y avait des erreurs.

J’ai rencontré Yoko quand j’étais vraiment défoncé à la K et elle m’a dit que je lui faisais penser à son mari.

Pop & Shot : Pour revenir au morceau « John Lennon », le titre m’a interpellé, parce que c’est une figure pleine d’optimisme porteuse d’espoir qui prône la paix connue de tout le monde, un état d’esprit qui ne vous correspond pas vraiment disons. Pourquoi l’avoir appeler comme ça ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Ça part d’une vraie histoire en quelque sorte. J’ai rencontré Yoko quand j’étais vraiment défoncé à la K et elle m’a dit que je lui faisais penser à son mari. J’ai trouvé ça très drôle. Elle m’a dit : « tu me rappelles mon mari. Il était chanteur aussi tu sais ? » (rires). J’étais là : je suis au courant oui (rires). C’est fascinant. C’est sûrement la chose la plus triste qui est arrivée dans la musique. Personne ne s’en est jamais vraiment remis. C’était John Lennon bordel. Qu’est-ce qu’on fait maintenant avec ça putain ? C’était le Jésus du 20e siècle.

Pop & Shot : Il l’a dit lui-même : « je suis plus grand que Jesus ».

Lias Saoudi – Fat White Family : John était aussi un personnage. Derrière le peace and love, il y avait aussi beaucoup de noirceur. Des côtés plus sombres. C’est intéressant et drôle cette idée de lui revenant vers Yoko depuis sa tombe pour l’inviter à le rejoindre. C’est ce que j’ai pensé à ce moment-là, quand j’étais défoncé à la K. J’ai imaginé John qui souhaite à tout prix revoir sa femme (rires). 

Pop & Shot : Et tu l’as écrite quand tu étais encore défoncé ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Non (rires). Après avoir écrit mon livre, j’étais dans un mode d’écrit particulier, celui de l’essai, ce que j’avais pas fait depuis l’école. C’était la période où je devais commencer à écrire les textes pour l’album. Je me suis alors mis à cet exercice, idée du poète Zafaar Kunial, qui consiste à écrire un poème par jour pendant un an. J’ai essayé pendant un mois. On se donnait des thèmes tous les jours. Le 2e ou 3e, il m’a donné John Lennon et j’ai écrit ça. Ça m’a aidé à recommencer l’écriture. C’est bien d’avoir quelqu’un à côté pour te soutenir. Si tu as dit que tu le faisais, tu le fais, peu importe si c’est mauvais. Zafaar Kunial un putain de poète, tellement génial même que j’ai fini par arrêter l’exercice au bout de quelques semaines parce que c’était un peu déprimant.

Pop & Shot : Ca n’est pas pareil d’écrire des chansons et d’écrire des poèmes.

Lias Saoudi – Fat White Family : Pas du tout effectivement. tu peux écrire plein de merdes en chansons, qui seraient impossibles en poésie. La plupart des lyrics, si tu les mets sur papier, c’est des déchets. Mais c’est cool, parce qu’ils ont pas pour objectif d’être de la grande littérature. La poésie c’est le plus difficile. Tu dois être très patient

Les ventes d’albums ni les royalties ne rapportent pas assez pour en vivre.

Pop & Shot : Sur le précédent album, vous disiez avoir eu quelques pressions de la part du label et du management, vous vous êtes sentis plus légers par rapport à ça sur celui-ci ?

Lias Saoudi – Fat White Family : La seule pression venait de nous-même et du fait qu’on avait déployé beaucoup d’énergie et d’argent à essayer de maintenir la relation avec Saul. On avait plus de fonds ni de temps. C’était ça la pression. On devait livrer un album pour pouvoir tourner. Les ventes d’albums ni les royalties ne rapportent pas assez pour en vivre. On a dû établir de nouveaux codes et une nouvelle façon de travailler, via une nouvelle dynamique. La pression venait de là principalement.

Pop & Shot : Mais alors ce que vous avez écrit sur Instagram  : « Je n’ai jamais connu de période de paix, de compréhension et de tranquillité plus grande que celle que nous avons passée à faire ce disque. Ce disque a été une orgie de compréhension », j’en déduis que c’est du second degré ? (rires)

Lias Saoudi – Fat White Family : Oui j’étais complètement sarcastique, je confesse (rires). Ça a été tout l’opposé d’un moment d’écoute et de compréhension.

Pop & Shot : La tournée pour cet album s’annonce comment ? Qu’est ce qui va changer par rapport aux précédentes avec cette nouvelle version du groupe ?

Lias Saoudi – Fat White Family : Y’aura quelques changements. J’essaie de faire en sorte que mon corps soit en forme. Les dernières tournées m’ont défoncé physiquement. L’objectif est d’être prêt à ce niveau-là. Sinon, j’ai peur que quelque chose de grave arrive à mon corps (rires). Mais comme d’habitude, j’ai envie qu’on y mette la plus grande énergie et intensité. Les albums sont toujours un moyen d’arriver à ça finalement. Ça se joue sur scène.

Pop & Shot : Tu as un vrai sens de la performance.

Lias Saoudi – Fat White Family : J’adore ça. Je déteste les tournées en revanche. Ta vie est soumise dans ces moments-là. T’as seulement une heure par jour de vie active pour toi. T’arrives pas à te concentrer, à lire, à évoluer, à apprendre, à te connecter… T’es un zombie.

Pop & Shot : Tu performes en solo également, hors tournée, comme l’année dernière à l’Internationale, une mini salle parisienne.

Lias Saoudi – Fat White Family : Oui, je fais ça de plus en plus. Ça me permet de m’amuser et de tester de nouveaux morceaux en live. J’aime beaucoup jouer de cette manière. C’est très différent. Tu peux parler, lire, c’est une autre approche plus intimiste. C’est quelque chose que je peux faire sans devenir complètement taré pour le reste de ma vie, sans me péter le dos par exemple. 

Ça ne me dérangerait pas un jour d’écrire des textes pour des pièces théâtrales et musicales dans ce genre. Ce genre de merde

Pop & Shot : Dans la dernière chanson de l’album, vous reprenez le thème de Cendrillon non ?

Lias Saoudi – Fat White Family : T’es pas la première à dire ça. J’en avais aucune idée. J’ai pas écrit la mélodie. C’était le saxophoniste Alex White. Quand les gens ont commencé à me le dire j’étais là « quel cendrillon ? » (rires). Je pense que c’est dedans tu as raison, mais ce n’est pas volontaire. C’est une musique très lyrique. Ça ne me dérangerait pas un jour d’écrire des textes pour des pièces théâtrales et musicales dans ce genre. Ce genre de merde (rires).

Lias Saoudi / Fat White Family – Crédit : Julia Escudero

Interview par Léonard Pottier & Julia Escudero

Le groupe se produira en concert le 25 mai au festival Levitation (Angers), le 27 mai à la Cigale (Paris), le 03 juillet au Grand Mix (tourcoing), le 04 juillet au transbordeur (Lyon) dans le cadre du festival transbo summer sessions.

L’album « Forgiveness is Yours » paraitra le 26 avril 2024.

Cover de l'album "Forgiveness is Yours" - Fat White Family
Cover de l’album « Forgiveness is Yours » – Fat White Family

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Lulu Van Trapp dévoilait le 19 avril son nouvel album « LOVECITY ». Un album qui se laisse aller à une dominante clairement pop sans pour autant perdre son esprit rock. Comme toujours avec l’équipe, qui a décidé de ranger ses costumes pour montrer son vrai visage, les morceaux comme les textes reflètent d’un engagement profond. Pour le féminisme, mais aussi pour l’art, pour l’envie de bousculer les codes et inviter le plus grand nombre à la réflexion. Le groupe qui a l’habitude de se mettre à nu sur scène sait aussi le faire en interview. Avec Rebecca, on parle de pop, du corps féminin, de se réapproprier son corps, du pouvoir de l’amitié, de l’art qui bouscule, d’art populaire, de nudité, de violence mais aussi de Catherine Ringer.

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Pop&Shot : LOVECITY  sortira le 19 avril, comment le décririez-vous en quelques mots ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : LOVECITY parle de ce qui nous rattache et nous éloigne de la ville – de notre ville, Paris. Cet album traite de la relation amour-haine qu’on peut avoir à l’encontre de là d’où on vient, de ce qui fait à la fois notre fierté et notre faiblesse. Et de comme cette relation peut se propager jusqu’à l’intérieur de nos corps, nos relations amoureuses et amicales. LOVECITY part d’un constat sombre sur le monde qui nous entoure, et finit sur un espoir lumineux en notre génération et les suivantes, une foi inébranlable en l’amitié.

C’est un album qui parle beaucoup d’amour mais surtout d’amour entre amis comme un remède. L’amitié est-elle un remède aux maux d’amour ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : A travers les chansons de cet album mais aussi notre expérience personnelle depuis que nous en avons entamé la création, nous avons réalisé que l’amitié est décidément la plus solide des formes d’amour. L’amitié est libre du capitalisme, elle n’obéit à aucun contrat, à aucune monnaie. C’est le dernier lieu de liberté et c’est là que nous puisons notre force. L’amitié nous a à de nombreuses reprises sauvé.e.s du chagrin d’amour et peut même avoir la force de nous sauver de cette époque dure et solitaire. C’est de ça que parle LOVECITY aussi, cette ville d’amour qu’on imagine, elle brille en nous.

Ce n’est pas toujours facile et harmonieux de se situer à la croisée des contraires, mais l’assumer en fait une force.

La volonté de faire cohabiter punk et pop a toujours fait partie de votre ADN. C’est un titre qui tire sur la pop qui ouvre l’opus : « L’amour et le Bagarre ». Ce sont aussi deux mots qui représentent bien votre groupe. Etait-ce une façon de donner une définition immédiate de l’univers de Lulu Van Trapp ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : On peut dire ça oui! Après, la définition se situe plutôt dans ce titre que dans les paroles de la chanson, qui déroule une relation toxique comme on les connaît et les expérimente souvent à nos âges, que l’on a essayé d’écrire sans jugement ni morale. C’est bien dans l’espace où ces deux mots se cognent qu’on peut définir Lulu Van Trapp, en effet. Entre amour et bagarre, punk et pop. Ce n’est pas toujours facile et harmonieux de se situer à la croisée des contraires, mais l’assumer en fait une force.

Ce qu’on montre dans l’amour et la bagarre, c’est l’image même du consentement.

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Son clip avait pour but de transcender la violence. Loin de la violence gratuite, il s’agissait de violence reçue et donnée volontairement. Tourner cette vidéo, était-ce cathartique pour vous ? Comment avez-vous fait pour rompre le schéma classique de la violence que l’on voit beaucoup à l’écran ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : On a écrit le scénario à quatre mains avec Lucie Bourdeu, qui a aussi réalisé notre clip BRAZIL. On y retrouve les thèmes qui nous obsédaient alors et nous obsèdent encore, que nous continuons à creuser et déconstruire, avec au centre la ré-appropriation de la violence par, et non plus contre, le corps féminin. En effet, dans l’un comme dans l’autre nous montrons des personnages féminins puissants et impénitents, initiatrices de la violence et jamais victimes de celle-ci. Tout au plus sado-masochistes ou carrément psychopathes, mais jamais victimes. De plus, ce qu’on montre dans l’amour et la bagarre, c’est l’image même du consentement. C’est un fight club où une bande de potes se mettent sur la gueule sans conséquences pour extérioriser la violence subie dans la société. Et n’est-ce pas là notre rôle d’artistes ? Nous emparer de l’imagerie de notre époque et en faire un objet qui fait s’interroger, qui en démontre le cynisme? Le point de vue de la caméra nous le montre bien, s’attardant sans cesse non pas sur celle.ui qui donne mais celle.ui qui reçoit le coup (la bagarre) qui est voulu, désiré comme un baiser (l’amour). C’est un clip profondément féministe, au regard féminin et empathique sur une femme dé-chaînée.

Le titre « Geisha » parle de place dans la société en tant que femme. Pourquoi avoir choisi cette figure de dame de compagnie très traditionaliste pour illustrer ce propos ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Encore une fois, pour faire briller la thématique par son contraire. Je ne dirais pas que « Geisha » parle tant de la place de la femme dans la société que d’habiter son propre corps pleinement. Et d’admettre que même le détester, c’est le considérer, donc le posséder. Après, en effet, les femmes vivent plus que quiconque leur place dans la société, à travers, en dépit de, et assignées à leur corps. C’est une chanson qui veut surtout donner de la force. Quelle que soit la façon dont on vit son corps, il prend de l’espace, il existe, on ne peut disparaitre / on ne peut nous faire disparaitre. Il faudrait nous tuer pour cela. Et la deuxième partie du refrain parle bien de ça : qu’on me cache / me torde / je remplis l’espace – peut importe ce que l’on fera subir à nos corps, nous existerons. C’est une chanson pour affirmer son existence, sa légitimité, sa place. Ce qui est drôle, c’est que bien que ce soit une voix féminine qui la chante, la chanson n’est pas genrée. Et pourtant, quand on l’écoute on ne peut qu’assumer que c’est d’une femme dont on parle. Et là se situe le coeur du problème de la perception de la place de la femme dans la société.

C’est la nudité le véritable uniforme qui nous met toustes au même niveau.

Le corps a une place centrale dans l’univers de Lulu Van Trapp. A la Maroquinerie vous aviez par exemple invité des spectateurs.trices à se mettre entièrement nu.e.s sur scène. Comment cette nudité est-elle synonyme d’art et de liberté dans votre univers ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Je trouve que la nudité dénuée de préméditation est ce qui représente le mieux le lâcher prise d’un concert. C’est la métaphore de ce que nous faisons quand nous sommes sur scène, mettre nos sentiments à nu, se donner à l’exercice complexe d’être complètement honnête. A travers la nudité nous sommes tous égaux.égales. Il n’y a plus de symbole de différences de classe, culturelle ou sociale. C’est la nudité le véritable uniforme qui nous met toustes au même niveau. Je pense aussi que la nudité simple, sans forme de strip tease, sans accessoires ni atours, nous permet d’accéder à un regard dénué de sexualisation. C’est une façon de rendre humble face à ce que la nudité représente, de boycotter les regards non-désirés, de se ré-approprier son érotisme à travers un acte très pur et un retour aux sources, à l’état sauvage.

notre volonté est pop au sens populaire du terme

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Cette idée de nudité peut choquer. Le choc dans l’art peut être essentiel pour faire passer des messages. Vous pensez qu’aujourd’hui l’art peut-il encore être bruyant, radical et donc à contre courant des mœurs ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Il est même nécessaire que l’art reste ainsi, c’est le devoir des artistes! Avec Lulu Van Trapp, nous voulons nous inscrire dans le genre musical de la pop. Le rock, le punk, le hip hop, sont des genres qui nous traversent et nous alimentent, mais notre volonté est pop au sens populaire du terme. C’est à travers la pop qu’on veut faire passer des messages qui toucheront un maximum de personnes, qui seront le plus ouverts (sans être policés). Se dire qu’on fait de la pop force à penser son message différemment. Quand on fait du rock , on pense « contre » la société, quand on fait de la pop on pense « avec », et on trouve ça infiniment plus interessant, subversif et dangereux aussi! On regrette qu’il n’y ait pas plus d’artistes qui mêlent engagement et art. Nos paroles ne sont pas toujours directement engagées, mais notre engagement politique irrigue tout ce que l’on fait. Et oui, l’artiste qui cherche à plaire à tout le monde, ne choquer personne et présenter un visage agréable, est pour moi un commerçant d’art.

Le costume a une place centrale dans vos concerts. Pourtant cette fois, vous ne voulez plus jouer de rôles. Comment ça va se matérialiser sur scène ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Je vous rassure, le costume continue et continuera d’avoir une très grande place. Nous avons un tel goût pour ça que c’est impossible de le dissocier de la performance. Mais ce que nous voulons dire par là, c’est que plutôt de continuer d’incarner une multitude de personnages et de muer sans cesse d’identité, nous avons enfin trouvé la nôtre et sommes dans une volonté d’explorer toutes les facettes du même costume, au plus près de ce que nous sommes vraiment.

« Pornbooth » tranche en milieu d’album, déjà avec ses paroles en anglais mais aussi avec ses sonorités disco / dance rétro. Il est aussi le résultat de réflexions intérieures qui surgissent. Quelle est son histoire ?

Lulu Van Trapp- Rebecca : « Pornbooth » s’inspire de ces chansons et duos qu’on pouvait souvent entendre dans la variété française dans les 80’s, avec des couplets en français et de refrains en anglais. On trouvait drôle de surfer sur notre double identité en l’assumant à fond. Et même de métisser la chanson au point d’avoir une instru d’inspiration « française » pour les couplets ou Max chante et plutôt « brit » pour les refrains ou je chante. C’est la seule chanson de l’album qui ne parle pas directement de nos expériences, mais où on s’est amusé.e.s à imaginer une cyber relation entre un mec un peu paumé et pas tout à fait déconstruit – mais sur la voie, on sent qu’il se cherche – et une camgirl de l’autre côté de l’océan. Lui, chante son amour à sens unique, puisqu’il est pour elle perdu dans la marée de clics qu’elle reçoit à la minute.

Elle, chante sa propre désillusion face à son métier qu’elle trouve parfois un peu vide de sens (car non reconnu et non encadré!) mais aussi son empouvoirement d’utiliser fièrement son corps comme gagne pain (plutôt que d’être soumise à lui, ce qui est de toute façon la façon dont la majorité des femmes vivent leur corps – pourquoi  ne pas en tirer de l’argent du coup?), de faire payer les hommes pour pouvoir le regarder et prendre sa revanche sur ce regard dont ils pensent avoir le droit de jouir gratuitement (harcèlement de rue par exemple). Mais aussi sa solitude parfois, de danser seule dans sa chambre pour l’oeil d’une caméra. On a adoré enregistrer cette chanson, car comme tous les duos de l’album, on l’a chantée en même temps avec Max, en se regardant, en dialoguant réellement, en riant, en se plongeant dans les émotions l’un de l’autre. On a vraiment incarné ces personnages le temps d’une chanson.

Ce ne serait pas notre ville si on ne voulait pas constamment la fuir mais qu’elle nous manquait aussi à chaque fois qu’on en est loin.

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
LOVECITY c’est Paris, votre ville, celle qui vous a porté en tant que groupe. Elle a bien des visages cette capitale, de la ville romantique, à celle détestée, des clichés aux nuits endiablées. C’est quoi le Paris de Lulu Van Trapp ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Grande question! Déjà ce ne serait pas notre ville si on ne voulait pas constamment la fuir mais qu’elle nous manquait aussi à chaque fois qu’on en est loin. En vrai nos sentiments face à cette ville sont plutôt bien résumés dans la chanson city girl. Notre carte de paris à nous va de Saint Ouen à Ménilmontant en passant par Pigalle et SSD. C’est petit mais c’est là qu’on vit, qu’on a grandi et enregistré notre musique, comme un village.

L’album a été masterisé par Mike Bozzi, comment était-ce de travailler avec lui ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Nous n’avons pas été en contact direct avec lui, mais plutôt le réalisateur et producteur de l’album, Azzedine Djelil. Le son qu’il nous a proposé nous a tout de suite plu et intrigué, car il poussait la volonté « pop » de l’album plus loin encore, avec un son à l’américaine, la voix hyper définie qui surplombe une instrumentalisation qui laisse la place aux kicks, aux basses, avec les guitares et les synthés qui explosent parfois, mais sinon un medium assez en retrait. Assez différent de notre premier album, masterisé par (rip) John Davis aux studio Metropolis, qui avait un son « brit » plus agressif et rock. Ici, la place est faite à l’aspect dansant de l’album, tout en préservant son côté vraiment « chansons ».

On a particulièrement aimé le moment où elle a foutu la honte nationale à Macron

Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Lulu Van Trapp @ Edouard Richard
Même si ce n’est pas réellement une influence, vous avez été comparés souvent aux Rita Mitsouko, peut-être par besoin de mettre les artistes dans des cases. Vous disiez que vous respectiez énormément Catherine Ringer. Elle a chanté pour l’entrée dans la constitution du droit à l’avortement. Etait-ce un moment inspirant pour vous ?

Lulu Van Trapp – Rebecca : Oui, même si le gouvernement pour lequel elle a chanté ne nous inspire que du dégoût. On a particulièrement aimé le moment où elle a foutu la honte nationale à Macron en l’ignorant au moment où il essayait de la féliciter, et par là s’approprier son acte d’ailleurs.

Lulu Van Trapp sera en concert à la Machine du Moulin Rouge le 23 mai 2024.

 


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X Ambassadors – Elysée Montmartre Paris 2024 – Crédit photo : Louis Comar

« Townie » : etre chez soi

X Ambassadors Townie albumSam Nelson Harris et Casey Harris sont originaires d’Ithaca dans l’Etat de New-York. C’est en 2009 qu’ils débutent entourés de leurs amis depuis la maternelle : Noah Feldshuh et Adam Levine. Puisque pour le groupe, le foyer, qu’il soit localisé ou dans les relations, est central. Et c’est un changement géographique, un départ pour Brooklyn qui sera à l’origine de la création de « Townie ». Une dose de nostalgie peut-être ? Certainement l’envie de créer un conte musical autour de la vie dans une petite ville. L’ennui à ses vertus. Grandir dans une petite ville c’est déjà être né quelque part et être donc marqué par le mode de vie qui en découle. Les longues promenades en vélo, le bus, se perdre dans les bois, faire les 400 coups, les premiers flirts et rêver à l’immensité du Monde, voilà qui peuplait le quotidien des frangins. A l’évocation de pareils souvenirs, faits d’armes de la promo de « Townie », les images se succèdent forcément. Est-ce après tout parce télévision et médias ont peuplé nos imaginaires d’une vie à grandir dans les vastes banlieues américaines ? A force d’en faire un rêve n’y avons-nous pas d’une certaine façon forgé notre imaginaire adulte ? Loin en est pour X Ambassadors qui y puise avec une certaine nostalgie la beauté d’un passé. Nous voyons cette vie rêvée avec le filtre de ce que l’écran aura bien voulu nous donner. Le regard plus direct de nos hôtes, lui,  se filtre dans sa musique de cette touche douce-amère propre au passé qui revient en mémoire. Bonne nouvelle pour cet album, X Ambassadors y appose ses mélodies les plus graphique et invite l’auditeur à y plonger comme dans une bande-originale. Celle d’une vie ? Certainement mais en prenant suffisamment par la main pour que les expériences de vies se juxtaposent. Voilà donc que « Townie » est une plongée dans l’intime. Un jardin secret qui ouvre ses portes pour se faire terrain de partage.

A l’âge adulte, Sam Nelson Harris a d’ailleurs pris le temps de retomber amoureux du nord-américain. Et c’est cette lettre d’amour, également destinée à ceux qui viennent aussi de quelque part, de villages oubliés, partout dans le Monde, que l’on est amenés à écouter.

Quand on arrive en ville

En 2015, X Ambassadors démarrait très fort avec son premier album « VHS ». Le titre y était encore une fois emprunt de nostalgie, mais la troupe s’étant connue dans sa petite enfance, l’affaire paraissait logique. Coup de maître, le groupe y signait déjà une collaboration avec Imagine Dragons. Machine à tubes rodée, on retrouve d’ailleurs sur ses précédents opus les cultes UnconsolableJungle, et Renegades qui servait d’ailleurs d’ouverture  à leur concert à l’Elysée Montmartre de Paris au mois de février. « Townie » compte moins pourtant sur les grosses machines tubesques que sur une montée en puissance musicale où les mélodies à fleur de peau s’enchaînent. Pour peu tout l’album pourrait s’écouter briquet en main, mouchoir en poche. Les 12 titres qui composent l’opus s’enchaînent d’ailleurs avec une évidente fluidité. Sunoco en est l’accroche idéale et permet de placer immédiatement le cadre. Les refrains entêtants, marque de fabrique de la formation y sont légion tout comme  la capacité à créer des riffs précis, taillés pour séduire. Your Town est certainement le morceau le plus représentatif de l’album que se soit dans sa construction musicale ou ses paroles.  D’autant plus que sa douce montée dégage l’atmosphère propre à cette galette qui fait la part belle à la voix puissante de son chanteur. Le lyrisme y est de mise titre après titre. Voilà qui reste vrai jusqu’au bout. « Follow the Sound of my Voice » permet d’ailleurs de se laisser entièrement prendre par la main pour visiter les souvenir de nos musiciens locaux. La voix encore une fois comme vecteur d’images. La conclusion se fait sur « No Strings », l’occasion pour la voix chaleureuse de s’offrir un dernier démarrage sur les aigus. Plus rythmé que le reste de l’opus, le titre se vit comme une dernière promenade à tout allure entre les maisons, les visages de ses habitants et la verdure flamboyante. Et c’est ce sentiment d’avoir appartenu à une communauté qui reste gravé dans la peau comme un tatouage en forme de racines, bien longtemps après l’écoute.


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