Pas de repos pour l’été 2023. Ce dernier ne se lasse pas de révéler son lot de merveilles et d’albums puissants qui seront, à n’en pas douter, au sommet des meilleures sorties de cette année. Parmi les pépites qui auront mis en musique nos instants ensoleillés, accompagnés nos coups de soleil et donné le ton des moments que l’on attend toute l’année, trois auront été des claques indélébiles qui marqueront les décennies à venir : ceux de Grian Chatten, ANONHO & The Johnsons et de Gabriels. Ils ont en commun de moderniser le passé. Le rétro y devient élégant. La nostalgie comme gage indélébile du futur ? Certainement.
Grian Chatten : Chaos for the Fly
Les tourbillons des tournées, l’épuisement des concerts à répétitions, la folle vie rock’n’roll. Un univers hors des frontières d’existences plus monotone que nous connaissons mais qui est le quotidien tourbillonnant, comme une mouche, des musiciens qui bercent nos oreilles. Comment l’illustrer si ce n’est en utilisant le langage qu’ils maîtrisent le plus ? Celui de la musique. Esseulé de Fontaines D.C, le groupe virtuose qui lui vaut le succès, voilà que son chanteur Grian Chatten s’essaie au solo. Un coup souvent difficile, porté par des pas tangents et beaucoup d’attente du côté des fans. En la matière, notre homme n’a point à rougir face à sa formation. Il signe avec ce premier jet, composé de 9 titres, un coup de génie et l’une, si ce n’est la, plus belle réussite de cette année. Tout commence en douceur. On y laisse le rock énervé, aux coudes à coudes entre le post punk et un amour marqué pour The Smiths, pour mieux se poser vers des contrées lancinantes. L’entrée en matière du talentueux monsieur Chatten, 27 ans, à une poésie affirmée et convoque les éléments. « The Score » donne irrémédiablement le ton. Comptine triste mais puissante, voix magistralement posée, on tombe amoureux.se en un titre. « East Cost Bend » contredira cette mélancolie affirmée en seconde partie de pépite pour la jouer rétro glam et un brin dansant. Rien dans l’album de Grian n’est laissé au hasard, à tel point que l’opus est une tornade de sentiments sur le fil où retenue est synonyme de précision. C’est avant tout la voix, comme celle de Morrissey avant lui, qui porte la noirceur de cet objet rock aux riffs brillamment répété. Quelques chœurs viennent à troubler l’intimité partagé avec notre hôte dès « Last Time Everytime Forever ». Si « Fairlies » semble à ce point être le fruit d’une longue marche qui attise la créativité, ce n’est certainement pas une coïncidence. L’idée de ce projet lui est en effet venu lors d’une promenade en bord de mer sur la plage de son village natale en Irlande. Loin d’ailleurs des sonorités de son groupe d’origine, Chatten se fait crooner sur ses morceaux. Il touche au art pop, tâte aux états d’âme de la folk et bien sûr touche les âme. Sans jamais se pervertir, Chatten sait entièrement se réinventer. Il parlera avec évidence aux fans de Fontaines D.C, plus ceux qui ont été subjugués par « Skinty Fia » que par les plus grands fans de « A Hero’s death ». Encore plus à ceux qui apprécient le vague à l’âme. Tel un Nick Cave et ses débuts donnant dans le dure pour mieux s’éprendre d’une mélancolie affirmée, Chatten évolue vers des sommets sombres et sincères et y prend l’étoffe des plus grands. C’est La Famille Addams et sa citation : « What is normal for the spider is chaos for the fly » qui inspire le titre de cet album. Il garde d’elle, l’amour de la noirceur et sa capacité à marquer au delà des générations. Ce qui est normal pour Grian entraîne, c’est certain un tourbillon sentimental dans lequel il faut se perdre encore et encore.
AnoHni and the johnsons: My Back was a bridge for you to cross
Comme toujours avec ANOHNI, le travail musical est si riche et si puissant qu’il faut un temps premier pour appréhender l’objet album qu’il nous est donné d’écouter. En 2016, l’immense musicienne et artiste publiait « HOPELESSNESS ». Depuis, plus rien, si ce n’est l’attente. Et elle en valait la peine tant ce nouveau jet est une réussite absolue, un pas vers la soul grandiose et ses émotions démultipliées. Pour sa création la musicienne a avant tout pensé à « What’s Going On » de Marvin Gaye. Un façon de faire écho aux mouvements sociaux initiés dans les années 50 et qui font encore sens aujourd’hui. Pour parfaire ce nouveau son, elle s’est entourée à la production de Jimmy Hogarth (Amy Winehouse, Duffy, Tina Turner). Avec lui, elle entreprend un travail très différent de ses six précédents opus. Certains titres sont d’ailleurs sur cette version studio, la toute première fois qu’elle les interprète. De quoi donner à ce jet son ossature à fleur de peau et sa spontanéité. Pourtant rien dans la construction de ce chef d’œuvre n’est laissé au hasard. Le premier titre « It Must Change » profite d’une vibe doucement enivrante, classique instantanée à la luminosité ombragé où l’insouciance est reléguée au rang de mythe. Si le début s’inscrit dans la simplicité, elle est cassée dès « Go Ahead » qui pourrait faire cohabiter l’esprit anarchique du punk avec la popularité soul. C’est strident, Anohni ne se refusera rien, qu’on se le dise. Il faut dire que côté paroles, les choses sont plus douloureuse que la voix enveloppante et bienveillante ne semble laisser entrevoir. D’entrée il est question de système qui s’effondre et de compassion pour l’humanité. Le constat, très juste est donc posé. Un grand album est-il lié à une cohérence de bout en bout sans faux pas ou à de grands titres qui se détachent des autres ? Si la question peut être posée, notre chanteuse déjoue les pronostiques et coche les deux cases. « Silver of Ice » est évidemment de ceux qui marquent immédiatement les esprits. La puissance narrative, répétitive et solaire de « Can’t » entre facilement en tête. Tout cela n’est surement fait que pour préparer là l’immense morceau qui se tient en milieu d’album : « Scapegoat ». Le titre le plus fort de cet opus, certes, de cet été évidemment, de cette année, il va de soit. De par ses changements de rythmes, il marque les cœurs et écrase tout sur son passage avec puissance. C’est une bonne chose d’ailleurs de parler aux cœurs tant les thématiques abordées tour à tour dans cette galette sont importantes. La perte d’un être cher, les inégalités, les religions monothéistes et leur impact sur le Monde, mais aussi le féminisme et l’idée de lier la nature avec notre façon de penser et de structurer nos sociétés. Pas étonnant quand on connait le parcours de cette artiste entière qui choisi de créer là un manifeste de combat, une promesse de ne pas baisser les bras. Pour l’illustrer, elle choisit le visage de Marsha P. Johnson, activiste défendant les droits de la communauté trans, emblème de la communauté LGBT. Un sujet qui touche particulièrement Anohni, elle-même artiste trans et activiste. Ce « My back was a bridge for you to cross » est un pont à traverser entre le passé, le présent et le futur. Derrière des couche de tristesse, de mélancolie et d’émotions, elle promet l’espoir et de ne pas lâcher prise. Et ce pont à traverser du début à la fin de l’album marquera à jamais ceux qui lui auront tendu une oreille attentive.
Gabriels : Angels & Queens
Dernier album de ce triptyque, sortie moins médiatisée que ses deux comparses ci-dessus, Gabriels s’inscrit avec logique dans cette sélection. On y retrouve des intonations qui ne sont sans évoquer la pépite proposée par ANOHNI, la soul, la profondeur mais le tout est porté par un rayonnement gospel, une palette de couleurs moins sombres donc que celles utilisées par nos deux acolytes. Il faut dire que pour ce qui est de cet héritage musical, Jacob Lusk, le chanteur de la formation a de quoi tenir. Élevé dans une communauté évangéliste de Los Angeles, il y apprend ses bases et crée sa propre choral. C’est en 2018 qu’il crée Gabriels aux côtés de deux musiciens : Ryan Hope et Ari Balouzian, après un passage dans American Idol, une vie de choriste pour quelques très grands musiciens (Diana Ross, Beck, St. Vincent) et surtout un passage à vide dégouté d’une industrie qui tente de contrôler l’image de son corps. Immédiatement le projet fait mouche. Gabriels a l’esthétique de James Brown, l’élégance de Nina Simone, la grandeur effrénée et suave de Barry White. En convoquant les fantômes du blues pour mieux les faire cohabiter avec le jazz mais aussi la pop, le groupe s’attire les éloges d’Elthon John. En 2022, sort enfin le premier album de la formation « Angels & Queens – Part I ». Il faut attendre le mois de juin 2023 pour enfin recevoir l’œuvre dans son entièreté et se laisser porter par sa « pop soul venue du futur » comme le décrit le lead singer. L’album porte parfaitement son nom, le timbre angélique de Jacob Lusk prend vite des tournures royales et se déroule comme un parcours vers la lumière. Il interpelle dès ses premières notes sur « Offering », la retenue y est maîtresse avant d’à pas de velours gagner en intensité et se faire explosif. L’expérience est religieuse et prête à louer les prouesses vocales de son chanteur qui passe avec une aisance déconcertante du grave à l’aigu. La force déployée sur ses treize titres est saisissante, d’autant plus lorsque la retenue explose, monte dans les tours et que la voix porte ses notes avec fierté basculant cette fois entièrement dans les tours du gospel. Gabriels chamboule et retourne tout sur son passage. « Taboo » est l’un des temps les plus forts de cet opus, son énergie et son cri central, obsédants, répétitif tel celui d’un prêcheur que l’on suivrait aveuglément. Cordes et piano, enregistrés sans jamais être modifiés donnent une touche rétro à cet objet qui devient culte en une seule écoute. Les membres de Gabriels sont pluriels, c’est aussi le cas de leur musique. Elle est aussi Flamboyante que mélancolique. La noirceur s’y invite parfois, comme c’est le cas sur « Professional » où les notes se jouent à demi ton et le timbre ne décroche jamais de ses gammes les plus graves. Le périple s’achève sur « Mama », un au revoir lumineux qui promet justement de se retrouver bientôt. Si vous avez la possibilité d’assister à un concert de Gabriels, saisissez pleinement cette occasion. Son passage à We Love Green aura permis à la rédaction de se laisser entièrement bercer par ses ailes d’anges et de voler au creux de ses mélodies. D’ici là, la version studio promet d’embraser vos esprits. Que la lumière soit !
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