Grace au Club300 d’Allociné, El Reino, le dernier film de Rodrigo Sorogoyen a pu être présenté au Forum des Images, précédé de son succès retentissant aux derniers Goyas (7 trophées pour 13 nominations!). Un thriller politique dans l’Espagne du milieu des années 2000 comme nouveau projet porté par Sorogoyen et de la Torre, respectivement réalisateur et tète d’affiche de l’excellent Que Dieu nous pardonne sorti en 2017 : Pour un même résultat? Critique.
De l’autre coté des Pyrénées, pour peu de s’intéresser un peu à l’actualité, il n’est pas rare depuis plusieurs années d’entendre parler de scandales politico-financiers impliquant tel ou tel grand parti espagnol, au pouvoir ou dans l’opposition. Un peu comme dans notre beau pays en somme. Du coup, le synopsis de El Reino peut interroger sur son originalité, mais il suffit de se rappeler du précédent film de Sorogoyen pour clairement se laisser tenter et accepter de sortir de sa zone de confort.
El Reino : De quoi ça parle ?
Manuel López-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu’il doit entrer à la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches. Pris au piège, il plonge dans un engrenage infernal…
C’est l’un des grands avantages du film de Sorogoyen que de toujours nous faire suivre l’intrigue à travers les yeux de Lopez-Vidal, personnage introduit comme quelqu’un d’important qui se verra bien assez vite tombé dans la nasse d’un scandale politique qui va finir par le dépasser. Instinct de survie ? Volonté de liberté? C’est bien pour la première option que le personnage principal, efficacement interprété par Antonio de la Torre va poursuivre une véritable (en)quête pour découvrir les tenants et les aboutissants du scandale dans lequel il n’était au départ qu’un pion. On est loin des « Hommes du Président » dans « El Reino« , car si on finira par en apprendre un peu plus sur le scandale, ce n’est pas dans une optique de rédemption ou d’un idéalisme quelconque. Non, le personnage de Lopez-Vidal est un politicien pourri, avide de pouvoir, qui veut le garder et cherche juste à sauver, d’abord sa place puis sa peau. A travers cette quête, Sorogoyen se charge de nous livrer un portrait au vitriol de l’Espagne contemporaine.
El Reino : Est ce que c’est bien?
Passé la scène d’introduction d’El Reino exposant finement les liens et caractéristiques des principaux personnages au cours d’un repas, les minutes suivantes paraissent bien longues et peuvent laisser perplexes. Va t-on assister tout au long du film, au parcours de Lopez-Vidal, politicien expert en coup bas dénouant intrigues et complications pour le bien de son mentor et de son parti? On se dit alors qu’El Reino va être une sorte de « House of Cards » espagnol et si le quatrième mur ne sera pas brisé, on suivra caméra chevillé au corps du personnage de de la Torre évoluer dans les méandres de la politique espagnole. Musique techno entêtante en fond sonore à chaque franchissement de couloirs, on finit dans un premier temps par se perdre dans ce quotidien mouvementé d’un homme politique ambitieux parlant à mots couverts avec ses interlocuteurs de sujets dont le spectateur ne sait (encore) rien. Et c’est bien là, qu’est le premier coup de maître de Rodrigo Sorogoyen.
Convaincu de ce à quoi il assiste, dans ses petits souliers, le spectateur suit donc le premier tiers du métrage en se croyant en terrain conquis. Jusqu’à ce que … Ses convictions en même temps que celles du personnage principal commencent à vaciller… Et la mise en scène de continuer à entretenir cet état d’incertitude de dont il va être question pour le reste du film. Tentant de se sauver comme il peut, Lopez-Vidal cherche à dissimuler pendant de longues minutes un objet…qui finira par être découvert par la police. Le salut du personnage principal passe par l’enregistrement de la confession d’un de ses amis? Cela ne se passera pas comme prévu… Sorogoyen joue et déjoue les attentes du spectateur en faisant monter efficacement la tension lors d’une poignée de scènes au suspense palpable et efficace pour mieux les désamorcer en quelques secondes. De l’art du contrepied permanent pour brouiller les attentes du spectateur.
El Reino : La forme au service du fond
D’un point de vue technique, la succession de contrepieds proposés par le metteur en scène madrilène permet de capter et de garder l’attention du spectateur. Il s’agit aussi de tenir un propos, bien sombre au demeurant, sur l’Espagne du début du XXIème siècle. Car si Lopez Vidal semble en mesure de révéler le fin fond du scandale dans lequel il était partiellement impliqué dans les dernières minutes du film, cette attente du spectateur est encore une fois déjoué. Après une scène de course poursuite vraiment prenante et impressionnante dans sa mise en scène toute en tension, Lopez-Vidal se présente à un personnage qui peut révéler la vérité et lui sauver la mise. Sauf que…
Un monologue final va conclure El Reino en prenant pour la dernière fois le spectateur à contrepied. Non, il ne s’agit pas d’une version espagnole de « La Firme« . Non, il ne s’agit pas de rédemption ni de vérité triomphante. Ce à quoi nous a fait assister Sorogoyen, avec son quatrième film, c’est à un véritable cri du cœur désabusé sur l’état de son pays. Un pays dont le système politique est corrompu jusqu’à la moelle, ou aucune solution ne semble poindre à l’horizon ( le personnage principal et son interlocuteur final se renvoient la balle comme s’ils ne se comprenaient pas). Un constat puissamment asséné avec un monologue final qui fait réfléchir bien après le générique de fin…