Qu’est ce que c’était que ça ? Ou bien « What was that ? » comme dirait le titre de la chanson du dernier album de Lorde, « Virgin », publié en juin dernier. Alors que les heures passent, cette sensation d’avoir vécu un moment si immense qu’il peine à être décrit perdure. Le Zénith de Paris l’incroyable Lorde avait tout de le claque aussi attendue qu’espérée. La chanteuse a profité de sa soirée pour tordre tous les codes, ceux de la féminité, ceux du live, ceux de la pop et créer une expérience si immersive et réelle qu’elle réinvente à elle seule la notion même de concert. Un moment si rare qu’il serait impossible de ne pas laisser couler sur des pages et des pages une longue liste de superlatifs pour tenter de vous plonger avec nous dans la beauté des souvenirs qui peuplent nos mémoires. Le décollage pour l’Ultrasound tour est imminent, allons-y !

Everything is blue lorde
Nous y étions ! Et autant dire qu’accéder au concert de Lorde ce 10 novembre n’était pas mince affaire. Show hyper prisé, rempli en seulement quelques heures, la musiciennes était attendue de pied ferme pour son grand retour dans la capitale. La sortie de son merveilleux album, « Virgin » avait déjoué les pronostics et remis la chanteuse dans les petits papiers de fans souvent déçu.es par son prédécesseur « Solar Power ». Alors à 21 heures lorsque les lumières s’éteignent, tout devient bleu. Les couleurs de la salle comme celles de nos esprits. « Hammer », le premier titre de « Virgin » ouvre le bal. Sa mise en place entêtante résonne comme un avertissement. Après cette soirée, vous ne serez plus la même personne disent les notes. Il est impossible de ne pas lui reconnaître son immense capacité à construire un morceau. La mise en place soignée, la montée en puissance à mesure que les riffs progressent, l’apogée. Si cette force d’écriture fonctionne particulièrement sur album, elle vient tout renverser en live. Chaque titre, à chaque instant des 1 heures 30 que nous passerons en compagnie de la chanteuse sera porté par son lot de retenu, d’attente, d’explosion de joie. D’ailleurs, la sainte Lorde de la pop (ou mother comme l’appellerons certaines personnes) compte bien captiver jusqu’au dernier membre de l’audience. C’est ainsi qu’elle balance en deuxième position le titre auquel elle doit son succès : l’immanquable « Royals » et sa précisions aux mille rythmes. Lui succède « Broken Glass ». C’est d’ailleurs « Virgin » qui peuplera une grande partie de la set-list, en occupant pratiquement la moitié. Et voilà qui n’est pas pour nous déplaire.

Virgin : à album cru, live brutal lorde
Ella Marija Lani Yelich-O’Connor de son véritable nom arpente la scène sans fin. On demande aux pop stars d’être belles, sexys, parfaites, de proposer une image de la féminité version girl next door que l’on ne pourrait approcher. Seulement voilà, Lorde elle n’a que faire des codes. « Virgin » en est la preuve par mille. Rarement un album aussi cru et organique pour parler du corps féminin n’avait autant résonner sur une scène mainstream. C’est sa sincérité qui prime. Les injonctions, les obligations, les douleurs. Et si Lorde ne se sentait pas en adéquation dans le rôle attribué à son genre ? C’est bien ce dont il est notamment question sur « Man of the Year » qu’elle interprètera plus tard, du scotch sur sa poitrine pour mieux interroger sur la binarité. Pas besoin pourtant de ce titre emblématique pour faire de cet opus et de cette scène une vaste remise en question de tous les stéréotypes. La voici donc qui fait tomber le bas, un pantalon baggy, pour laisser découvrir un caleçon Calvin Klein. Le sexy n’est pas là, l’utilisation du corps est toute autre. On a bien souvent entendu des fans remercier les artistes pour leur capacité à émouvoir, à parler aux coeurs. L’idée m’avait toujours intriguée. Doit-on remercier quelqu’un qui fait son métier ? Une profession si enviable de plus ! Et pourtant un grand sentiment de gratitude vient à s’emparer de la salle lorsqu’Ella s’y produit dans toute son imparfaite perfection. Sa vulnérabilité à fleur de peau, sa capacité à gérer une foule. Là où le live est un travail de mois de réflexion, à fortiori un live pop qui nécessite de la précision , celui-ci respire l’honnêteté . Derrière les vaisseaux bleus, la magie d’écrans aux images millimétrées, la force de réalisation qui évoque autant le clip qu’un show de la fashion week, le message translucide fait croire que nous passions une simple soirée entre ami.es.

Côté set-list les tubes s’enchaînent. Combien Lorde a-t-elle de méga hit ? Chaque morceau de son répertoire frappe si fort qu’il est impossible de passer à côté. On chante à tue-tête sur « Buzzcut Season » alors que la chanteuse elle, fait face à un ventilateur géant. La chorégraphie est sublime, simple, pure et ses danseurs eux aussi sortent des cases traditionnelles. Des morceaux comme « Favourite Daughter » ou encore « Shapeshifter » prennent des nuances supplémentaires en live, plus incisifs, plus percutants encore. D’autant que la chanteuse s’allonge sur une plateforme pour nous livrer ses mélodies. Cette dernière s’envole dans les airs, à moins que ça ne soit l’audience qui se sent aussi pousser des ailes. Chaque mot est chanté par l’assistance, Lorde pourrait plutôt être une reine, pas besoin de tant de modestie.
Au nom du lorde, de la musique et du saint corps

Impossible de ne pas prendre le temps de souffler, rapidement pour ne pas parler du titre « Clear Blue ». La couverture de « Virgin » est une radiographie qui vient immortaliser le stérilet d’Ella. Une pochette qui percute alors que la chanteuse s’interroge sur les tortures infligées au corps de la femme en matière de contraception. Elle expliquait avoir souhaité arrêter les hormones, les obligations, les contraintes. Un message d’autant plus important que nombre de femmes sont toujours seules à porter le poids de la contraception dans les couples hétérosexuels. Et la voilà donc, voix légèrement robotisée par un effet, qui vient à nous parler dans son titre de test de grossesse. De peur d’être enceinte, de solitude face à ces angoisses. Le féminisme de Lorde est essentiel, concret et adressé à un large public qui a besoin de l’entendre, parce que seul l’art pourra aider à faire bouger certaines lignes. D’ailleurs n’est-ce pas son féministe qui n’aura pas permis à « Virgin » sa nomination aux Grammys 2025 ? C’est en tout cas ce sur quoi s’interrogeait Rolling Stone alors que la chanteuse, seule femme nommée dans la catégorie meilleur album en 2018, avait pris une page entière de journal pour faire un pied de nez à l’institution lorsqu’elle avait perdu. Merci de laisser place aux artistes féminines n’est-ce pas ? Il n’empêche que les têtes se secouent carrément maintenant, les cheveux bouclés de la chanteuses sautent dans tous les airs, magnifiquement imparfaits comme ses ongles au vernis à moitié fait. Dans la grande fête de Lorde, chacun.e est libre d’être lui ou elle. On ne cherche pas à impressionner, on chercher à exister pleinement. Et toute cette énergie se retrouve sur un tapis de course installé sur scène. D’abord utilisé par ses danseurs puis par la chanteuse qui interprète la petite merveille qu’est « Supercut » que l’on retrouve sur l’album « Melodrama ». Nous parlions de superlatifs, et il en manque alors qu’en pleine course, elle délivre une performance sans faute. Le résultat est bluffant. Le corps est sublimé, challengé, il répond à l’esprit.

Solar Power : le soleil au Zénith lorde
Et toi petite, tu es de la dynamite, dirait la chanson d’un chanteur dont on ne peut pas oublier à quel point il a pu être problématique envers sa compagne. Il n’empêche que le soleil a bien pris possession de la salle ce soir et il est entièrement bleu. La chanteuse prend le temps de parler avec son audience et d’évoquer son intoxication alimentaire de la veille qui la forçait à annuler son show au Luxembourg. Et à faire trembler tout le Zénith de Paris craignant lui aussi une annulation. Il n’empêche que, parler vomis en dehors d’un concert de punk reste un joli tabou levé. Et quitte à faire des doigts aux tabous, Lorde en profite pour rappeler qu’elle fêtait ses 29 ans quelques jours plus tôt et comme il est incroyable de vieillir, d’avancer dans la vie, de prendre le pli du temps qui passe et d’y trouver mille beautés. Puis il est temps d’évoquer, le temps de deux titres, son avant-dernière galette « Solar Power ». Cette dernière la conduisait lors de son dernier passage parisien au Casino de Paris, voilà qui pourrait expliquer le choix d’une salle de « petite capacité » comme le Zénith pour accueuillir l’UltraSound Tour. De petite capacité quant au remplissage auquel peut prétendre la chanteuse évidemment, le Zénith restant une salle de belle envergure. S’enchainent « Big Star » et « Oceanic Feeling ». A ce moment de la soirée, Lorde a déjà réussi à me rappeler, au milieu des centaines de concerts que j’ai l’immense chance de pouvoir faire chaque année, pourquoi la musique vaut la peine d’être vécue et pourquoi elle vaut le coup de toujours se battre pour maintenir cette chance. « Melodrama », l’album chouchou des fans reprend ses quartiers sur un temps émotion : « Liability ». Voilà que le Zénith se pare entièrement de vert sur « Green light », le plus grand titre d’ouverture d’un album de pop de tous les temps si vous souhaitiez me poser la question. Et l’objectivité de la presse ? Ayant découvert récemment l’intégralité du répertoire de Lorde après des années en tant que critique musicale, je serai tentée d’argumenter qu’elle doit encore exister. Les autres super titres ne sont pas oubliés pour autant. « What was that » l’immense single de « Virgin » prend une place centrale en bout de set et se voit porté par des écrans aux textes futuristes. Enfin « Team » du premier né « Pure Heroine » permet à la chanteuse et ses danseurs de s’envoler grâce à une plateforme. Et nous sommes tous.tes dans la même équipe ce soir, la plus belle de toutes.

Nous sommes Les Adam et Eve sorti.es de la côte de Lorde
La chanteuse a changé de tenue, elle brille face à nous et s’adresse directement au public. La fosse se creuse, un espace se crée et les portables s’y tendent. Voilà la chanteuse qui s’engage dans le public pour y chanter « David » et sa douceur sans fin. C’est ainsi qu’on dit au revoir à « Virgin », le coeur sur les lèvres. Il reste pourtant un dernier morceau. Lorde se perche dans les gradins, au centre de son public. Avec la sincérité d’une bonne amie, elle lance quelques « Je vous aime » à l’audience. Au commencement était « Pure Heroine », celle qui se tient encore devant nous. Au commencement était « Ribs », et telle une Eve qui nous donne quelques bouffées de vie, Ella s’apprête à lancer son dernier morceau. Les notes défilent et les lumière en un sillage astucieux provoquent une vague de brouillard au dessus de son visage. Le brouillard semble créer des vagues et lorsqu’elle tend la main pour les toucher du bout des doigts, elle semble nager. Le corps est constitué d’eau et de musique ce soir. » We can make it so divine » chante-elle avec une foule qui crie chaque mot. Loin d’être des paroles en l’air, voilà que le divin aura bien pris part à la soirée. Perchée au dessus de la foule, la prêtresse au sweat rouge, la plus humaine que l’on puisse rêver, nous attribue quelques dernières grâces. « But that will never be enough » répète-elle en boucle. Des mots qui résonnent tout particulièrement en cette fin de soirée. Parce que nous aurions pu habiter dans ce concert de Lorde, pour le reste de l’éternité.
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Qui l’eut cru ? Alors que les courants pop punk et autres emos semblaient avoir perdu de leur superbe, se contentant de faire plaisir à des trentenaires nostalgiques du bon temps de Jackass et Daria, les voilà qui reviennent sur le devant de la scène. Et pas si discrètement d’ailleurs, Blink-182 est de retour dans les petits bacs du Citadium de Paris, The Offspring n’est plus un gros mot et l’emo personnifié par My Chemical Romance s’offre un bain de foule immense à l’Accor Arena de Paris en ce 1er juin 2022. Une surprise pour ceux qui auraient perdu le fil il y a quelques années. La nouvelle popularité de son chanteur, Gérard Way, créateur des bande-dessinés « Umbrella Acamedy » aurait-elle aidée ? Pas uniquement à en juger par un public beaucoup trop jeune pour avoir connu les débuts du groupe mais néanmoins hautement investi. Ce moment de nostalgie était-il à la hauteur de l’immense salle parisienne ?

