Sprints – Juillet 2025 – Paris – Crédit Photo : Pénélope Bonneau Rouis
Ça fait déjà un an et demi que Sprints a sorti son premier album ‘Letters To Self’. Nous étions en janvier 2024, à l’aube d’une année riche en terme de punk rock d’Outre-Manche : d’IDLES à Fontaines D.C. en passant par Fat White Family, le quatuor irlandais avait ouvert le bal pour une année folle. Et la bonne nouvelle, c’est qu’ils sont déjà de retour avec un deuxième album aussi puissant que le précédent : ‘All That Is Over’. Rencontre avec un groupe qui a tout pour devenir grand, très grand.
Sprints : Une deuxième chance?
Plus tôt cette année, nous avons retrouvé Sprints dans les locaux parisiens de leur label, à l’abri d’un été déjà étouffant. Sous la clim plus que bienvenue, les quatre Irlandais, souriants bien que peu habitués aux chaleurs trop intenses, nous accueillent pour discuter de leur nouveau projet. Le groupe est de passage à Paris pour promouvoir All That Is Over Now, un disque aussi viscéral qu’urgent, qui marque un tournant dans leur carrière. “C’est notre deuxième chance à un premier album,” explique Karla Chubb, chanteuse et plume principale du groupe. “Beaucoup s’est passé depuis la sortie de ‘Letters To Self’. On se sent plus assurés, plus en phase avec ce qu’on veut dire. Avec « All That Is Over », on a réussi a être plus nous mêmes aussi, moins intimidés.”
Depuis notre dernière rencontre en novembre 2023, la trajectoire de Sprints s’est considérablement accélérée. Tournées à guichets fermés, passages dans les plus grands festivals d’Europe, dont un Glastonbury mémorable en juin dernier, et une reconnaissance critique qui ne cesse de croître. Un nouveau chapitre s’ouvre, porté par une formation légèrement modifiée. Zac Stephenson, récemment arrivé à la guitare après le départ de Colm O’Reilly en début d’année, s’est rapidement fondu dans la dynamique du quatuor. “Mon intégration s’est faite naturellement, on s’est rapidement bien entendus et vite remis au travail!” affirme-t-il.
philosophie punk de Sprints
Karla Chubb, grande lectrice, continue de tisser des liens entre littérature, philosophie et rage contemporaine. Le premier single de ce nouveau cycle s’intitule « Descartes », un clin d’œil à notre philosophe nationale. L’exotisme de Descartes pour eux est un souvenir douloureux pour les feux spé philo au bac, mais passons. La chanson ouvre cette nouvelle ère avec une tonalité sombre aux paroles quasi-pessimistes. “Le morceau est aussi inspiré d’une phrase du roman ‘Outline’ de Rachel Cusk : ‘La vanité est la malédiction de notre culture.’ C’est quelque chose qui m’a marquée, dans ce climat de sur-connexion où tout est représentation. On voulait essayer de trouver un semblant de rationnel à tout ce chaos.”
Un chaos que Karla ne cesse d’interroger, notamment lorsqu’elle évoque le traitement réservé aux corps féminins dans le milieu musical. Sur son bras tatoué, on peut lire les vers : ‘I am no mother, I am no bride, I am king.’ du morceau « King » de Florence + The Machine. Une observation qui fait sauter de joie la journaliste sur sa chaise. « Pour moi, Florence est l’une des parolières les plus sous-côtées de notre génération, » explique Karla Chubb, les yeux brillants, « son esthétique a pris le dessus dans l’imaginaire des gens, mais ses textes sont d’une grande profondeur poétique. » Les deux chanteuses partagent ce regard acéré sur le traitement des femmes par la société. Le titre « Need » a été écrit après une expérience amère en France. “Une journaliste a mis dans le chapô de son article que j’avais perdu du poids depuis la dernière fois qu’on avait joué ici. J’ai voulu prendre ça à contre-pied, jouer avec les codes absurdes et les standards oppressifs qu’on impose aux femmes.”
Malgré les succès, elle confie ne pas avoir perçu de réel changement dans le regard porté sur elle en tant que femme dans un groupe de rock. Un constat lucide qui nourrit aussi une certaine rage dans l’écriture du groupe.
La place des femmes reste un vaste sujet dans la scène rock internationale. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : dans de nombreux festivals européens, la programmation reste massivement masculine. En 2024 encore, les groupes entièrement féminins ou menés par des femmes peinaient à représenter plus de 20 % de l’affiche sur les grandes scènes.
Dublin, Paris, et ailleurs
Depuis quelques années, l’Irlande connaît une reconnaissance artistique mondiale. Au cinéma, les Paul Mescal, Cillian Murphy et autres Saoirse Ronan enchaînent les récompenses. Côté musique, le groupe de Belfast Kneecap, provocateur et engagé, continue de faire parler de lui, malgré les polémiques à répétition que certains tentent de leur coller. Dans ce paysage, Sprints ne fait pas exception.“On saurait pas trop expliquer pourquoi il y a un tel intérêt,” sourit Jack Callan, batteur. “C’est peut-être le succès de Fontaines D.C. qui a braqué les projecteurs sur notre pays.” Quand on évoque la relation culturelle entre la France et l’Irlande, il se redresse, l’œil taquin : “Ouais, la seule différence, c’est que vous avez colonisé, et nous, on a été colonisés.” Autour de la table, les rires fusent, la française un peu moins, par pudeur, mais une chose est sûre : l’union et la Révolution passe aussi par le rire, parfois.
communion
Sprints reste, fondamentalement, un groupe de scène. Même dans cette ère de concerts filmés en stories et de connexions filtrées par écran, leur musique vise le contact direct, l’émotion brute.
“Les gens ont besoin de connexion,” insiste Jack. “Et être sur scène, c’est ce qui nous permet de vraiment ressentir ça avec le public.” Leurs concerts sont cathartiques, habités, toujours sur le fil. En décembre 2024, lors de leur passage à Paris, ils clôturaient une année éreintante mais marquante.“On était épuisés mais heureux. Alors pour le rappel, on a choisi de chanter ‘Fairytale of New York’ des Pogues. La meilleure chanson de Noël, non ?” Mais attention : pas de rappel systématique. Sprints cherche aussi à casser les codes du punk classique.“On essaye de se libérer des clichés, même dans la manière dont on construit nos concerts.”
All That Is Over sera à vous le 26 septembre. En attendant, découvrez leurs singles « Descartes », « Rage » et « Beg ». Ils passeront par la France en octobre 2025 et en mars 2026, dont une date au Cabaret Sauvage le 28 mars 2026.
Sprints – Juillet 2025 – Paris – Crédit Photo : Pénélope Bonneau Rouis
Ce printemps est riche en sorties ! Les singles d’artistes confirmés ou de nouveaux venus fleurissent et laissent rêveurs quant auxla sortie d’albums à venir. Sommes-nous à l’aube…
Il était attendu ce retour. Deux années que Rock en Seine n’avait pas eu lieu. En échange en 2020, une émission avait permis à quelques artistes français en…
Nous y voilà enfin. Où que ce soit, tout le monde l’a repéré. Depuis plusieurs semaines, ses affiches sont disposées un peu partout en France. Encore plus à Paris et bien évidemment en Bretagne. Puisque c’est ici que ça se passe. Le festival malouin La Route du Rock, créé il y a un peu plus de 30 ans, était bien décidé à en mettre plein la vue. On les savait déjà exigeants niveau programmation. Cette année dépasse toutes les attentes. Nous avions beau descendre notre regard sur chaque ligne d’artistes de la programmation, une réaction en boucle de notre part se faisait entendre : « mais noooooooon ». Sans forcément convier les intouchables de la sphère rock comme Nick Cave ou Iggy Pop, le festival a comme d’habitude misé sur l’indé, l’éclectisme et la modernité, dans un bon équilibre entre big boss du game actuel (Fontaines DC, Ty Segall, Kevin Morby, Fat White Family, Baxter Dury…), artistes de taille moyenne (Black Country New Road, Beak >, Working Men’s Club…) et artistes émergents prêts à montrer de quel bois ils se chauffent (Geese, Honeyglaze, Yard Act, Porridge Radio, Ditz…). Réunis, ils forment la plus belle programmation de 2022 tout festival confondus. Vous venez avec nous ? On est jeudi et une très grosse soirée nous attend.
Cette première journée au Fort Saint Père, après l’apéro de la veille de KING HANNAH et ALDOUS HARDING à la Nouvelle Vague, une salle de concert de Saint-Malo, promettait directement de décrocher les étoiles. En terme de début fulgurant, même celui de Wet Leg n’atteint pas de tels sommets. Elles font d’ailleurs parties de la programmation du jour, nous y viendrons.
Le site du Fort Saint Père est comme toujours divisé en deux scènes : la scène du Fort et celle un peu plus petite des Remparts. Les deux se font face et les concerts s’enchaînent à cinq minutes d’intervalle, de quoi assister à l’ensemble sans manquer une note. Bon point.
La Route du rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Embarquez pour la route des remparts
Commençons avec la scène des remparts. Imaginez-vous être dans une 2CV et emprunter des petites routes de campagne. Le départ est paisible, vous profitez du paysage avec COLA. C’est eux qui ouvre le bal à 18h30. Le groupe est formé par deux ex-membres de Ought, groupe montréalais de post punk. Un troisième homme est à la batterie : Evan Cartwright de U.S Girls. Leur premier album est sorti cette année et fait entendre un rock léger et efficace. Pas de fioritures : des riffs de guitare simples, modestes et apaisés, qui n’avoisine jamais pour autant le niais. Non, leur rock est ferme et assuré, inspiré des Strokes. COLA reflète l’humilité, avec son chanteur qui n’en fait pas des caisses, tout en sachant tenir l’attention de son public. Pari réussi pour l’ouverture. La route continue.
COLA / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
COLA / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
COLA / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Votre trajet est soudainement secoué par une insertion sur une grande route, où le traffic est plus dense. Il est 20h10 et GEESE fait son apparition sur la scène des remparts. New-York est leur ville. Sur scène, ils viennent braquer le festival à six. Ce sont nos chouchous. Leur premier album Projector fait partie de nos albums préférés de 2021, tant il parvient à faire intervenir avec brio un aspect pop au sein d’une musique purement rock. Les dix morceaux de Projector sont dix petits joyaux que l’on écoute en boucle. Les voir prendre vie devant nous nous faisait jubiler d’excitation. Et quel résultat ! GEESE est mené par un chanteur qui n’a pas encore les attributs et le charisme d’une rock star. Comme Grian Chatten à ses débuts, il est un peu maladroit, même si son sourire est bien plus marqué. Quand il ne chante pas, il bouge son corps assez peu naturellement. Mais c’est ce qui fait qu’on le fixe du regard. Il n’a que la vingtaine. Tous ont à peu près le même âge dans le groupe. Quand vient le morceau « Disco », alias le meilleur morceau de l’année passée, on se rappelle à quel point ils sont talentueux. En terme de composition, « Disco » est monstrueux. Celui-ci sonne comme une massue, jusqu’à faire tomber la cymbale du batteur en plein live. Dans sa version studio, il dure près de 7 minutes. Sur scène, relativement le même temps. Et au fur et à mesure que le morceau nous tape, on s’imagine déjà les voir dans quelques années sur la grande scène du Fort. En attendant, on profite de leur présence, et des nouveaux morceaux interprétés, en espérant qu’un nouvel album sorte très prochainement.
GEESE / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
GEESE / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
GEESE / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Le traffic sur la route se régularise. Vous avancez maintenant de manière fluide. C’est le moment où YARD ACT investit la scène des remparts. Il est 22h. Grande surprise du festival, le groupe britannique nous livre un des meilleurs shows de la soirée. Ils ont seulement un album à leur compteur mais sont déjà accueillis avec entrain. L’attitude barrée du chanteur réveille la foule : « ca va la Route du roooock » s’amuse t-il à dire avec son accent british. Leur pop/rock endiablée sonne terriblement bien, mieux qu’au Trabendo où nous les avions vus il y a quelques mois. Il faut dire que les morceaux sont au rendez-vous. En un album, YARD ACT est parvenu à définir une véritable identité sonore, de quoi assurer très belle performance de scène. Entre la force indéniable de leur single « The Overload » et la singularité assumée de morceaux comme « Rich » et « Land of the Blind », ils s’imposent déjà comme un des groupes importants de leur génération.
YARD ACT / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
YARD ACT / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Minuit. La nuit est complètement tombée là où vous êtes. Vous arrivez bientôt à destination. Vous avez quitté la grande route pour reprendre des chemins sinueux qui n’apparaissent même pas sur votre GPS. C’est l’heure pour CHARLOTTE ADIGÉRY ET BOLIS PUPUL d’entrer sur la scène. Nuit illuminée par une musique puissante, à la fois techno, électro et pop. Les deux belges qui ont sorti un album cette année savent tenir le public en haleine. Leur jeu de scène est affiné, les interactions nombreuses. C’est une belle clôture pour la scène des remparts qui coupe ses amplis pour aujourd’hui. Vous êtes arrivés à destination. Mais la route n’est pas fini. Vous changez simplement de véhicule pour pouvoir emprunter l’autoroute.
Embarquez pour l’autoroute du fort
Oh. Etrangement, le jour est revenu. Comme un bond dans le temps, il semble maintenant être de nouveau 19h20. Vous ne vous souciez pas de cet effet temporel, il faut continuer de rouler.
L’insertion sur l’autoroute est douce, aucune voiture ne bloque le passage. BLACK COUNTRY, NEW ROAD ouvre la scène du Fort. Depuis quelques mois, juste après la sortie de leur excellent deuxième album, ils sont un peu orphelins, comme perdus. Le chanteur les a quittés pour épargner sa santé mentale. Comment continuer ? Faire comme si de rien n’était. Ne rien changer. Sauf que tout change malheureusement. Aucun ancien morceau n’est interprété. Seulement des nouvelles pièces, toujours plus lyriques et orchestrales. Soit. Au niveau du chant, celui-ci est partagé en trois, avec une insistance sur les voix féminines. On est quand même très loin du charisme vocal de l’ex-chanteur. La tension redescend fortement, lui qui maintenait en haleine chacun des morceaux. Jouer seulement de la nouveauté est un risque puisque l’on perd la sensation de retrouver des êtres chers. En deux albums, le groupe était tout de même parvenu à fabriquer de sublimes tableaux musicaux. Compétitifs sur le premier, plus raffinés sur le second. Mais voilà qu’en continuant sous ce nom, même si l’esprit sonore perdure, on trahit quelque peu son public. A six sur scène, ils ont des airs de premiers de la classe qui jouent pour le bal de promo. Tout est un peu trop propre, finement exécuté. Les morceaux ont du mal à retenir notre attention comme ils le devraient. BLACK COUNTRY NEW ROAD n’est plus vraiment. Nous resterons quand même intrigués par le prochain album studio, qui pourrait quand même nous surprendre.
BLACK COUNTRY NEW ROAD / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
BLACK COUNTRY NEW ROAD / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
BLACK COUNTRY NEW ROAD / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Près de 45 minutes que vous roulez, il fait encore jour. La limitation est de 110. Eh oui, vous êtes en Bretagne. Le trafic est fluide. Vous vous sentez apaisé, libre, comme allongé sur une chaise longue. Gare tout de même à ne pas se sentir partir vers quelques songes lyriques. Pas de panique, WET LEG est là pour vous réveiller. Une heure leur est consacrée sur la scène du Fort, alors même qu’elles n’ont qu’un seul album. C’est dire leur ascension fulgurante. En un titre devenu déjà mythique, « Chaise Longue », les deux britanniques ont réalisé un coup de maitresses : s’imposer comme un groupe très convoité des festivals d’été. La foule se compresse, c’est le premier concert qui rameute beaucoup de monde. Elles commencent par « Being in Love », le premier morceau de l’album. Elles joueront ce dernier en entier, ni plus ni moins. Il est drôle de remarquer à quel point chaque chanson est à elle seule un petit tube pop rock. Le point culminant arrive évidemment à la toute fin, où « Chaise Longue » retentit comme l’évidence absolue. Tout le monde la connait. Simplement dommage qu’elles ne l’étirent pas, surtout que le concert n’aura finalement duré que 45 minutes au lieu d’une heure. C’est le type de morceau avec lequel on peut jouer sur l’engouement, faire des pauses, reprendre… Non, la version est, avec regret, un peu trop conforme à l’album. Sur le visage et l’attitude des deux musiciennes, on remarque la chaleur et la satisfaction de jouer ici. Leur cohésion est belle à voir. Niveau sonore, ça reste néanmoins un peu sage, sans envolées. Il leur faut probablement un peu de temps encore, de quoi rattraper certaines étapes que l’engouement autour de leur single leur a permis de griller. Mais en un sens, c’est aussi c’est ce qui est magique, voir la propulsion soudaine d’un groupe qui a peut-être encore un peu de mal à être pleinement à la hauteur de leur succès, mais qui, au-delà de ça, profite pleinement de leur talent à délivrer des tubes de l’été qui mettent plus ou moins tout le monde d’accord. Leur concert est disponible en replay sur Arte Concert.
WET LEG / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WET LEG / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WET LEG / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WET LEG / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
La nuit est pleinement retombée. Des voitures surgissent de nulle part sur l’autoroute. Elles semblent accélérer, comme si la limitation était soudainement passée à 150. Fort bien. Vous suivez le mouvement. Malgré la densité, aucune perturbations. Tout le monde file. Il est 22h55 quand le groupe le plus côté de la sphère rock indé fait son apparition sur la scène du Fort. Il y a 3 ans, ils jouaient au même endroit, mais bien plus tôt, à 19h. A l’époque, ils n’avaient qu’un album. On les découvrait tout juste. Depuis quelques mois, ils en comptent trois. Leur nouveau s’appelle « Skinty Fia » et grâce à celui-ci, ils sont déjà entrés au Panthéon du rock moderne. On le sent dans l’air, que FONTAINES D.C. est le groupe le plus attendu de la soirée. La foule est compacte, quitte Yard Act avant la fin pour venir se placer. Les corps se serrent. C’est l’heure convoitée, celle de Baxter Dury demain et de Ty Segall samedi. Trop tôt pour que la foule commence à partir et trop tard pour qu’elle ne soit pas déjà échauffée. FONTAINES a intérêt à foutre le feu. C’est ce que tout le monde se dit secrètement. Et ça ne manque pas. Leur concert est sans nul doute le point culminant et le meilleur de la soirée. Leur aura est telle qu’ils dégagent quelque chose de grand et de mystique dès leur entrée sur scène. Ils débutent avec le premier morceau du dernier album, longue tirade musicale aux airs religieux, qui monte, monte, monte jusqu’à n’en plus finir. On le sent tout de suite, que le son est monstrueux, bien meilleur qu’à l’Olympia de Paris quelques mois auparavant. Grian Chatten, le chanteur, est de plus en plus hypnotique et à l’aise dans son rôle de leader désinvolte. Il captive. Il a certainement gagné en présence, lui qui ne bougeait pas d’un fil il y a 3 ans, même si nous étions déjà tombés amoureux de son attitude à l’époque. C’est aujourd’hui une vraie rock star, sûr de lui et conscient de ce qu’il renvoie. Comme s’il affrontait constamment son micro en duel, qu’il n’hésite jamais à malmener, Grian Chatten fait preuve d’un charisme irréfutable. A côté de lui, les membres du groupe sont relativement stoïques. Leurs instruments suffisent, puisque la guitare sonne terriblement, comme du fil de fer. Les riffs affutés surgissent avec fermeté, comme celui de « Big Shot », ou de « Sha Sha Sha ». Le concert est un best-of de leur carrière. En 1h15, ils ont à peu près tout joué. Que des morceaux mastodontes : ils attaquent notamment très vite avec « Hurricane Laughter » placé en troisième. Puis s’ensuit un déferlement : « Televised Mind », « I Don’t Belong », « Nabokov », « Too Real », « A Hero’s Death », « Jackie Down the Line »… Mais combien de chansons cultes ont-ils donc ? La fin nous achève définitivement avec l’enchainement magique de « Boys in the Better Land » et « I Love You ». Oui, Fontaines DC est devenu immense. Face à eux, force est de reconnaitre leur grandeur. Au fond de tous les festivaliers présents sur le site, l’envie d’être Grian Chatten a, à un moment, ne serait-ce qu’une seconde, trouvé naissance.
FONTAINES D.C. / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
FONTAINES D.C. / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
FONTAINES D.C. / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
FONTAINES D.C. / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
FONTAINES D.C. / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
FONTAINES D.C. / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Comment continuer à rouler à cette vitesse encore ? Vous reste-t-il assez de carburant ? L’autoroute semble interminable, vous semblez l’avoir traversé de long en large. Pourtant, il vous reste un bout de chemin à parcourir. La masse de voiture a faibli. La vitesse descend à 130. Mais vous êtes encore dans la course, à vous enfoncer dans un noir toujours plus lointain. Il est 1h du matin, et pour vous donner toujours plus de pêche, voilà que WORKING MEN’S CLUB entre sur la scène du Fort. C’est surtout le projet d’un gars, Sydney Minsky-Sargeant, jeune, aux traits quelque peu similaires à ceux de Grian Chatten. Il est accompagné par des musiciens mais c’est sur lui que l’attention se fige. Son air nonchalant prend beaucoup de place. Il bouge comme un insecte. La musique jaillit à un niveau sonore inégalé durant la soirée, avec des sonorités électro/rave bien grasses à l’ampleur méritée. C’est fort, et bon, même très bon. Mieux qu’en studio. Plus charnel, plus direct, plus carré. Un nouvel album vient de paraitre le mois dernier. Il gagne là toute son intensité. Il y a quelque chose de frénétique, d’hypnotisant dans cette performance. On se retrouve vite happés par l’intensité. Quand il prend sa guitare, c’est le clou du spectacle, comme un décollage dans l’espace. Elle ne sonne pas comme une guitare, il la déforme pour coller à sa musique toujours située entre le kitch et l’esprit rock.
WORKING MEN’S CLUB / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WORKING MEN’S CLUB / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WORKING MEN’S CLUB / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WORKING MEN’S CLUB / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WORKING MEN’S CLUB / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
WORKING MEN’S CLUB / La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Votre voiture finit par perdre le contrôle. L’autoroute du rock était finalement trop dangereuse. Pas de panique néanmoins, vous êtes sain et saufs et serez encore là demain pour une deuxième journée au Fort de Saint Père, qui, sur le papier, ne promet pas d’être meilleure que la première mais qui, si les astres s’alignent bien (déjà mal parti avec la pluie), a de quoi nous réserver son lot de surprises.
La Route du Rock 2022 / Crédit : Théophile Le Maitre
Au beau milieu de leur tournée européenne pour A Hero’s Death, reportée depuis maintenant deux ans et à quelques jours de la sortie de leur troisième album Skinty Fia, le groupe…
A l’occasion de leur premier concert depuis le confinement, qui eut lieu mercredi 07 octobre 2020 à la maison de la radio, le groupe irlandais Fontaines D.C, en…
Tandis que « Dogrel », premier projet très réussi des talentueux Fontaines D.C., tourne encore régulièrement sur nos platines depuis sa sortie en 2019, le groupe de rock irlandais n’a visiblement pas fini de nous gâter puisqu’il revient aujourd’hui avec « A Hero’s Death », un deuxième album, disons-le d’entrée de jeu, grandiose. Dans une ère où les projets musicaux s’éternisent de plus en plus (deux ans minimum entre chaque album, et encore…), Fontaines D.C. a opté pour la rapidité. Quinze mois seulement séparent « Dogrel » de « A Hero’s Death ». Le groupe a-t-il pour autant négligé la qualité au profit de l’efficacité ? C’est tout l’inverse. Laissez-nous vous dire pourquoi ce nouveau projet des plus aboutis est, parmi tous les scénarios envisageables concernant la suite de « Dogrel », le meilleur.
Un avant-goût jouissif
Enregistré très peu de temps après le premier album (certains morceaux furent même composés durant les sessions de « Dogrel »), « A Hero’s Death »a l’immense qualité de se démarquer de son prédécesseur. Moins impulsif mais non moins puissant, ce deuxième album monte la barre d’un cran, voire de dix. A vrai dire, on ne s’y attendait pas, même si nous ne sommes pas surpris. Là où « Dogrel » jouait beaucoup sur son côté new punk, très irlandais, dans une alliance entre fougue et spontanéité, « A Hero’s Death » prend le contrepied en faisant semblant de se restreindre. Il est vrai, rien dans ce nouvel album semble nous sauter aux oreilles à la manière d’un « Liberty Belle », d’un « Boys in the Better Land » ou d’un « Hurricane Laughter ». Et pourtant, il suffisait de bien s’empreindre des trois morceaux dévoilés en amont de la sortie de l’album : « A Hero’s Death », « Televised Mind » et « I don’t Belong », pour comprendre à quel point ce nouvel opus n’aurait rien à envier à son aîné. On y sentait déjà une profondeur nouvelle, une cible resserrée, un renouveau de leur style… Les terribles tourbillons sonores que sont la chanson éponyme et « Televised Mind » inquiètent aussi bien qu’ils nous font jouir de mille frissons. Jamais le groupe n’avait composé dans une telle maitrise de son style. Toute cette énergie contrôlée, cette ardeur retenue, font de ces titres en particulier la plus belle définition de Fontaines D.C. On y sent une rage nonchalante, portée par l’amour du minimalisme, aussi bien au niveau des textes que des compositions. Lorsque Grian Chatten répète inlassablement « Life ain’t always empty » ou « That’s a Televised Mind », d’un ton distant comme il sait si bien le faire, c’est lui qui porte et subjugue la musique, car il en est en réalité le cœur battant. Grian Chatten est incontestablement la principale force de Fontaines D.C. Et pour les avoir vu en live à la Route du Rock, il va sans dire qu’il tient majestueusement les rênes. Timidement impliqué, son air absent et son chant monotone le rende magnétique.
Ainsi, à l’écoute des trois morceaux dévoilés en amont, nous avions déjà senti la puissance bouillonnante d’un projet plus que prometteur. Pour dire vrai, nous étions tellement enthousiastes que nous les avons écouté en boucle pendant plusieurs semaines, si bien qu’au fil des jours, chacun d’eux grandissaient un peu plus, jusqu’au point de les considérer aujourd’hui parmi les meilleurs morceaux que le rock nous a offert depuis plusieurs années. Il ne restait plus qu’à prier pour que le reste soit du même acabit. Chef-d’œuvre assuré. Pari réussi ? Presque.
Photo : Daniel Topete
Incarnation d’une jeunesse aussi vaillante que résignée
On ne va pas se mentir, le groupe a énormément misé sur ces trois titres en particulier qui ne trouvent pas d’adversaire (ou d’alliés) de taille pour se mesurer à eux. Pour autant, nous devons désormais les inscrire dans un album complet, et non plus comme des morceaux indépendants. Et c’est bien à ce niveau-là que « A Hero’s Death »tient particulièrement la route. Dans sa globalité. L’album coule de source sans jamais devenir une évidence. Il n’est ni timide ni explosif, ni fade ni grandiloquent, et ne cherche à n’être nul autre que l’incarnation d’une jeunesse à la fois vaillante et résignée, d’une manière privilégiant la sincérité à l’emphase. Sa non-perfection l’embellit même, puisqu’à en attendre trop, nous avons fini par apprécier davantage son côté humain et artisanal grâce à ses morceaux plus terre à terre. Le dosage maitrisé entre plusieurs forces démonstratives : une certaine quiétude lancinante (« You Said », « Oh Such a Spring », le magnifique dernier « No ») combinée à une ferveur âpre (l’incroyable « Lucid Dream », « Living in America »…), rend le tout particulièrement subjuguant, comme si le groupe était définitivement parvenu à créer son identité. Au milieu de ce couloir qui se resserre en s’agrandissant tout du long vient se glisser l’étonnant « Love is the Main Thing », une lente et douloureuse course animée par une batterie étouffante et un slogan scandé comme éternellement sur un ton distant et désincarné, à croire que le groupe ne croit déjà plus à grand-chose, même en l’amour, bien que le morceau « A Hero’s Death » nous prouve le contraire. Peut-être veulent-ils simplement retranscrire un état du monde, où tout semble sans saveur sauf l’amour qui perdure avec difficulté. Encore faut-il y croire. Mais Fontaines D.C. n’est pas là pour chanter l’amour à la manière des Beatles et nous fait part d’une certaine vision du monde merveilleusement bien retranscrite. Dans « Televised Mind » par exemple, avec sa guitare et son chant hypnotiques, Grian Chatten parle des esprits dépendants des autres, ceux qui ne savent réfléchir qu’en se confiant à l’approbation générale. Le chanteur dit à propos de cela : « L’opinion des gens est renforcée par un consensus constant, et nous sommes dépouillées de notre capacité à se sentir en faute. On ne nous donne jamais la possibilité d’apprendre notre propre faillibilité ».
Une production à l’identité affirmée
Lorsque nous parlions plus haut d’identité, comme quoi Fontaines D.C. s’affirmait davantage dans ce deuxième album, notamment grâce à la force évidente de ces nouvelles compositions, nous n’avons néanmoins pas mentionné un point primordial qui est celui de la production, sur laquelle le groupe dit s’être longuement attardé. De fait, cela saute aux oreilles. « A Hero’s Death »sonne juste. A la frontière entre fantasme et réalité, la rêverie soulevée par une vague ambiance psychédélique se trouve vite rattrapée par des sons aiguisés. La production va droit au but, sans manquer sa cible : amoureux du son, cet album vous est destiné. A la fois sèche et onirique, elle est tout droit inspirée de l’esprit des Beach Boys, leur principale influence sur cet album selon les propres dires du groupe. On y décèle également un amour pour le Velvet Underground(« Sunny ») ou encore Suicide dans son obsession pour la répétition.
Ainsi, « A Hero’s Death », à l’image de sa magnifique pochette, profite de la maturité d’un groupe qui, libéré de leur irlandicité, s’émancipe enfin en parvenant à explorer davantage. Le bond flagrant entre « Dogrel » et ce nouvel album est d’ailleurs la preuve définitive permettant d’affirmer, avec plus de croyance aujourd’hui que l’année dernière, que Fontaines D.C. a de quoi devenir un des groupes phares de la décennie. Le troisième album nous le dira.