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Falling Viggo MortenserDans le cadre du Club 300, Falling nous a été présenté en avant première au Forum des Images. Le premier long métrage mis en scène par Viggo Mortensen sortira en salles le 4 novembre 2020. S’attaquer à la problématique o combien universelle mais peu vendeuse du vieillissement au sein de la cellule familiale pour un premier film, est ce un pari réussi ? Critique.

Falling : De quoi ça parle ?

falling lance heriksenJohn (Viggo Mortensen, Le Seigneur des Anneaux,  La Route) vit en Californie avec son compagnon Eric (Terry Chen , House of Cards, The Expanse)et leur fille adoptive Mónica (Gaby Vellis pour sa première apparition au cinéma), loin de la vie rurale conservatrice qu’il a quittée voilà des années. Son père, Willis (Lance Henriksen, Aliens, Millenium), un homme obstiné issu d’une époque révolue, vit désormais seul dans la ferme isolée où a grandi John. L’esprit de Willis déclinant, John l’emmène avec lui dans l’Ouest, dans l’espoir que sa sœur Sarah ( Laura Linney, Ozark, L’exorcisme d’Emily Rose) et lui pourront trouver au vieil homme un foyer plus proche de chez eux. Mais leurs bonnes intentions se heurtent au refus absolu de Willis, qui ne veut rien changer à son mode de vie…

Falling : Est ce que c’est bien?

falling afficheViggo Mortensen est vraiment à part dans l’industrie du cinéma. Auréolé de la gloire du Seigneur des Anneaux, il enchaina avec la grosse production sympathique et surannée Hidalgo ( deux adjectifs allant très bien au cinéma du réalisateur Joe Johnston) avant de se consacrer à des œuvres beaucoup plus exigeantes comme « ses « Cronenberg ( A History of Violence, Les promesses de l’ombre et A Dangerous Method), La Route ou bien encore Captain Fantastic. Aussi bien acteur que poète, peintre ( les œuvres de son personnage dans Meurtre parfait étaient de lui) ou bien encore musicien ( il est le compositeur de Falling), c’était somme toute logique qu’il finisse par passer à la réalisation. Et que, pour cela, il ne choisisse pas un sujet facile!

Falling a deux qualités particulièrement notables qu’il met au service de son récit. Tout d’abord, il est formellement beau. Le rapport à la nature, constant dans les rêveries/errements du personnage de Willis est très malickien. Ce personnage de vieux réac’ qui ne sait plus trop ce qu’il dit, ou peut être qu’il se moque bien de ce qu’on pensera de ce qu’il dit, jamais la caméra de Mortensen ne le jugera. Au contraire, elle l’accompagne, chaque moment de déconnexion du monde réel du personnage de Lance Henriksen étant accompagné d’un souvenir expliquant au fur et à mesure les relations entre les personnages du passé et du présent. Comme si, pour Willis, le Républicain octogénaire exécrant tout et tout le monde, il lui fallait se reconnecter à ce monde pour pouvoir de nouveau accéder à sa mémoire, à ce qu’il fut.

Ensuite, Falling est extrêmement bien interprété. Henriksen, tantôt odieux, tantôt touchant est tout sauf manichéen. Mortensen, essayant de faire bonne figure et de contenir diverses pulsions  tout au long du film. Laura Linney qui n’a besoin que d’une poignée de scènes pour faire exister son personnage de sœur, profondément blessée par les agissements passés du père mais tentant de conserver malgré tout un équilibre familial auquel elle veut croire envers et contre tout. Ou bien encore Sverrir Gudnason, très impressionnant en Willis « jeune ». C’est l’intégralité du casting qui est au diapason du premier long métrage de Viggo Mortensen.

Mais si Falling impressionne techniquement, est ce au service et pour le bien du sujet qu’il traite ? Certes, le film semble tourner un peu à vide aux environs de sa moitié  ( Willis est odieux puis charmant, John prend sur lui, Willis est de nouveau odieux, etc…), c’est pour mieux se retrouver dans sa dernière partie. Willis et John se retrouvant seul à seul dans la ferme familiale. Plus de souvenirs plus ou moins biaisés, plus de convenances, les sentiments peuvent éclater…  Et John, pour reprendre la citation de Goethe ( « Etre adulte c’est avoir pardonné à ses parents« ) de si ce n’est comprendre, accepter le choix de son père.

Falling profite d’un grand nombre de scènes fortes dont le personnage de Willis est l’épicentre. Sa relation avec son fils d’ailleurs prend finalement corps dès les premières minutes de l’oeuvre alors qu’il s’excuse auprès d’un John encore nourrison de l’avoir fait naître dans ce monde dans lequel il devra également mourir. Si la noirceur de cette relation conflictuelle est au coeur de l’intrigue, c’est pourtant la mère de John, bien qu’absente du temps présent qui apporte la lumière du métrage. Il faut rappeler que Viggo Mortensen qui espèrait réaliser le métrage depuis des années, mais c’était heurté à des problèmatiques financières , avait à coeur d’écrire sur sa mère lors de la création de son histoire. C’est en revenant de l’enterrement de cette dernière qu’il a eu l’idée de parler de cette relation père/ fils et du père qui se perd dans sa vieillesse. Désireux de rappeler que son public est intelligent, Mortenser prend le pari de ne jamais orienter ses pensées sur ses personnages, les laissant vivre et être eux-mêmes. Deux Amériques se confrontent également dans ce film celle du père conservateur, républicain et profondément macho et intolérant et celle de son fils démocrate, homosexuel et marié à l’homme qu’il aime. Ces deux visions se cherchent et se confrontent et pour autant elles cohabitent, laissant place sous les insultes à la forme d’amour la plus puissante : celle qui aime malgré tout.

Sensible, à fleur de peau, intelligent, Mortensen signe un premier film à voir absolument, qui mérite sa place à la cérémonie des Oscars.


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   Drame conjugal bouleversant sur toile de fond politique, Un fils est le premier long-métrage…

Green Book 2018 film

Green Book, Viggo Mortensen et Mahershala Ali percutants dans un road-trip drôle et émouvant.

Premier film écrit et réalisé sans son frère Bobby, Peter Farelly, le réalisateur de Four…

Image extraite de l’introduction du film Les Misérables

Dans le cadre du Club 300 d’Allociné, était projeté au Forum des Images, Les Misérables, le premier film de Ladj Ly (du collectif Kourtrajmé) qui avait fait l’ouverture du 72ème Festival de Cannes. Sortant dans les salles le 20 novembre 2019, que vaut le film qui fait tant parler de lui depuis sa présentation sur la Croisette? Critique.

Il y a des films que personne n’attend et qui font tout de suite office de rouleau compresseur, emportant l’adhésion générale sur son passage. Avant de le découvrir, Les Misérables semblait être de ceux là. Ouverture du festival de Cannes et Prix du Jury de ce dernier en mai. Annonce en septembre qu’il sera le représentant de la France lors de la sélection pour les nominations pour l’Oscar 2020 du meilleur film étranger en février prochain. Une véritable success story pour Les Misérables qui a fait beaucoup parler. A tort ou à raison pour le film qui ambitionne de succéder au Indochine de Régis Wargnier, dernier lauréat français de la catégorie en 1993 ?

Les Misérables : De quoi ça parle ?

Copyright SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly films

Stéphane (Damien Bonnard, Rester vertical, En liberté!), tout juste arrivé de Cherbourg, intègre la Brigade Anti-Criminalité de Montfermeil, dans le 93. Il va faire la rencontre de ses nouveaux coéquipiers, Chris (Alexis Manenti) et Gwada (Djebril Didier Zonga), deux « Bacqueux » d’expérience. Il découvre rapidement les tensions entre les différents groupes du quartier. Alors qu’ils se trouvent débordés lors d’une interpellation, un drone appartenant au jeune Buzz (Al Hassan Ly) filme leurs moindres faits et gestes…

Les Misérables : Est ce que c’est bien ?

Copyright SRAB Films – Rectangle Productions – Lyly films

Les Misérables est un film génial. Voilà. Comme ça c’est dit. Les Misérables est un film génial parce que c’est un film intelligent. La scène d’introduction, qui donne sa très belle affiche au film, nous présente une bande de jeunes préados quittant la banlieue pour aller assister à la finale de la Coupe du Monde 2018 de foot sur un des nombreux écrans présents dans Paris. Moment de liesse populaire, de rassemblement et de ferveur. Le spectateur ne peut être « qu’accroché » émotionnellement, il est à la fois marquant et récent, et un lien va donc se créer avec ce groupe de jeunes avec qui, d’ou qu’il vienne, il partage donc quelque chose. Pourtant à y regarder de plus près, les jeunes ne voient pas vraiment la télévision qui diffuse le match. Ils assistent, en spectateurs, à un mouvement de foule qui s’anime. Dans cette première scène, les enjeux à venir du film sont posés, mais Ladj Ly a fait en sorte de détourner l’attention du spectateur en l’incluant dans un souvenir collectif plaisant.

Venant du documentaire, le réalisateur du film Les Misérables nous pose le cadre de son histoire de manière quasi chirurgicale. Nous débutons donc le film à travers les premiers pas de Stéphane à la BAC de Montfermeil, fraîchement muté de Normandie. Si le personnage est volontairement montré comme ayant de l’expérience, afin de désamorcer le stéréotype du jeune débutant, il lui faut néanmoins appréhender son nouvel environnement. Ce que vont se charger de faire son supérieur, Chris et son collègue, Gwada. L’autre personnage du film par lequel est posé le cadre est celui Buzz est un jeune collégien de Montfermeil. Incarné par Al Hassan Ly, fils du réalisateur, véritable mise en abyme de Ladj Ly lui même, ce dernier ayant  débuté derrière la caméra en filmant les violences policières dans sa cité.  Passionné de technologie mais probablement timide, il se sert de son drone pour observer son entourage à distance. La présentation de Montfermeil se fait donc à distance, le « training day » de Stephane et les survols en drone de Buzz étant là pour nous poser un cadre objectif de la cité.

Une grande partie du film est donc passé à présenter ce qu’est Montfermeil et les différents groupes la composant. Sans jugement mais avec truculence (la découverte du personnage du « Maire », l’arrivée des propriétaires d’un lionceau qui a été volé), une bonne partie de Les Misérables nous dépeint donc un cadre se maintenant avec un statu quo imparfait ( tout le monde compose avec tout le monde contre mauvaise fortune bon cœur) mais qui existe et semble tenir. Mais nous sommes dans un film et non un documentaire. Le ressort dramaturgique de la bavure, dont le contexte ne sera pas dévoilé afin de ne pas divulgacher Les Misérables, intervient pour dynamiser le récit. Les trois flics vont se déchirer et s’échiner à « rattraper le coup », non pas de la bavure en elle-même mais du fait que celle-ci ait été filmée (par le drone de Buzz) et pourrait être publiée.

La deuxième partie est donc consacré à voir comment s’agitent en période de crise les différents groupes présentés au début du film : BAC, religieux, trafiquants. Certains cherchent à maintenir le statu quo, d’autres à le modifier… Et quand cette intrigue finit par se résoudre à la fin de cette première journée de Stéphane à la BAC de Montfermeil, on peut rester sur sa faim. Comme lui dit un de ses collègues : «  Tu es là depuis une journée et tu te permets de nous juger?« . Mais (évidemment) tout n’est pas si simple…

Car le véritable tour de force du film Les Misérables se situe dans sa toute dernière partie. Après le premier jour de présentation vient le moment des explications. Car Ladj Ly ne se contente pas d’un état des lieux de la banlieue de 2019 comme, en leur temps avaient pu le faire La Haine ou Ma 6-T va crack-er. Non le réalisateur sonne véritablement l’alarme sur ce qui ne manquera pas d’advenir si la situation reste en l’état. La banlieue ne supportera plus très longtemps le statu quo actuel qui tient vaille que vaille et l’ordre établi risque de voler en éclats sous les coups de butoir d’une génération ne se satisfaisant plus des accords tacites du passé. Pour illustration le personnage d’Issa, blessé au cours d’une bavure, figure métaphorique de la victime des agissements de la société en place, brinquebalé entre les différents acteurs de la cité et utilisés en fonction de leurs intérêts sans que jamais il ne soit véritablement pris en compte. Comme dans Le Bûcher des Vanités, le drame n’est bon qu’à être exploité au lieu d’être considéré.

Et tout va finir par voler littéralement en éclats dans un épilogue sur fond d’émeute de banlieue menée par Issa ou la jeunesse balaye sans distinction les différentes figures d’autorité régissant la cité. Les deux personnages que l’on nous présentait si ce n’est comme innocents, au moins vierges, et qui nous ont servis de guides au début du film sont à jamais changés (Stéphane n’a cessé de monter en pression tout au long du film et démontré qu’il n’est pas si éloigné d’un Chris finalement et Buzz fermera les yeux à un moment fatidique). Avec un final en sorte de huis clos carpenterien ou l’action, la tension et le danger sont parfaitement retranscrites, Ladj Ly démontre avec assurance que le Rubicon est franchi… Et le plan final confrontant deux personnages dans une fin ouverte qui ne peut qu’être bien sombre finit d’asséner ce qui est le véritable coup de poing de l’année cinématographique 2019.

Véritable cri du cœur, Les Misérables fait plus que dresser un constat sur l’état des banlieues en France. Alors, Monsieur le Président, vous en avez pensé quoi vous, des Misérables ?

Image extraite de Hors Normes, film de Toledano et Nakache

Dans le cadre du Club 300 d’Allociné était projeté au Forum des Images le dernier film d’Eric Toledano et Olivier Nakache. Hors Normes, qui avait fait la clôture du dernier Festival de Cannes et qui sortira dans les salles le 23 octobre 2019, rejoint-il la liste des succès du duo de réalisateurs français? Critique.

Hors Normes : De quoi ça parle ?

Image extraite de Hors Normes, film de Toledano et Nakache

Bruno et Malik vivent depuis 20 ans dans un monde à part, celui des enfants et adolescents autistes. Au sein de leurs deux associations respectives, ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas qualifiés « d’hyper complexes ». Une alliance hors du commun pour des personnalités hors normes.

Septième film en une petite quinzaine d’années de la carrière de Toledano et Nakache, Hors Normes a l’ambition de parler du quotidien des associations d’insertion et d’aide aux enfants handicapés et notamment autistes. Après le rapport au handicap dans Intouchables, les demandeurs d’asile avec Samba ou bien encore le monde de l’animation dans Nos jours heureux, c’est un nouvel univers que nous propose de découvrir Eric Toledano et Olivier Nakache avec Hors Normes, aidé par un solide duo en tete d’affiche : Vincent Cassel et Reda Kateb.

Hors Normes : Est ce que c’est bien ?

Image extraite de Hors Normes, film de Toledano et Nakache

Il y a des films qui sont précieux et Hors Normes en fait partie. Avec son sujet, en dehors des sentiers battus, le film de Toledano et Nakache aurait pu facilement tomber les grands et bons sentiments. Il n’en est rien. Hors Normes aurait pu aussi tomber dans la facilité en enfonçant les portes ouvertes en dénonçant les institutions, le manque de budget et verser dans le manichéisme. Il n’en est rien. Restant à hauteur d’hommes tout au long du récit, le film nous fait vivre le quotidien des deux principaux dirigeants des associations incarnés par Vincent Cassel et Reda Kateb. Leur quotidien consacré à l’accompagnement et à l’aide de ces jeunes qu’on ne peut ou veut mettre dans des cases, de ces jeunes qui sont souvent laissés de coté.

Il y a des films qui font naître une vocation et Hors Normes en fait partie. En montrant tout les aspects de ces métiers de dévotion et d’humanité, sans fard, dans les aspects les plus durs comme les plus beaux, Hors Normes présente univers peu montré au grand public. Déjà abordé au cours d’un documentaire réalisé pour Canal il y a quelques années ( « On devrait en faire un film« ), le duo de réalisateurs a décidé de passer par la fiction pour mieux parler de cet environnement qui a pu les bouleverser. En cherchant à démonter les clichés en présentant ces héros du quotidien, Hors Normes a l’ambition de capter quelque chose d’authentique et de saisir des moments volés de délicatesse et d’humanité.

Porté par un casting excellent, notamment Hélène Vincent dans un monologue impressionnant, Hors Normes est un film drôle, humain et vraiment touchant qui aborde un sujet de société méconnu avec pertinence et intelligence. Un vrai coup de cœur pour débuter cette nouvelle saison du Club 300 !

Grace au Club300 d’Allociné, El Reino, le dernier film de Rodrigo Sorogoyen a pu être présenté au Forum des Images, précédé de son succès retentissant aux derniers Goyas (7 trophées pour 13 nominations!). Un thriller politique dans l’Espagne du milieu des années 2000 comme nouveau projet porté par Sorogoyen et de la Torre, respectivement réalisateur et tète d’affiche de l’excellent Que Dieu nous pardonne sorti en 2017 : Pour un même résultat? Critique.

Affiche d’El Reino
Copyright Tornasol Films

De l’autre coté des Pyrénées, pour peu de s’intéresser un peu à l’actualité, il n’est pas rare depuis plusieurs années d’entendre parler de scandales politico-financiers impliquant tel ou tel grand parti espagnol, au pouvoir ou dans l’opposition. Un peu comme dans notre beau pays en somme. Du coup, le synopsis de El Reino peut interroger sur son originalité, mais il suffit de se rappeler du précédent film de Sorogoyen pour clairement se laisser tenter et accepter de sortir de sa zone de confort.

El Reino : De quoi ça parle ? 

Copyright Tornasol Films

Manuel López-Vidal est un homme politique influent dans sa région. Alors qu’il doit entrer à la direction nationale de son parti, il se retrouve impliqué dans une affaire de corruption qui menace un de ses amis les plus proches. Pris au piège, il plonge dans un engrenage infernal…

C’est l’un des grands avantages du film de Sorogoyen que de toujours nous faire suivre l’intrigue à travers les yeux de Lopez-Vidal, personnage introduit comme quelqu’un d’important qui se verra bien assez vite tombé dans la nasse d’un scandale politique qui va finir par le dépasser. Instinct de survie ? Volonté de liberté? C’est bien pour la première option que le personnage principal, efficacement interprété par Antonio de la Torre va poursuivre une véritable (en)quête pour découvrir les tenants et les aboutissants du scandale dans lequel il n’était au départ qu’un pion. On est loin des « Hommes du Président » dans « El Reino« , car si on finira par en apprendre un peu plus sur le scandale, ce n’est pas dans une optique de rédemption ou d’un idéalisme quelconque. Non, le personnage de Lopez-Vidal est un politicien pourri, avide de pouvoir, qui veut le garder et cherche juste à sauver, d’abord sa place puis sa peau.  A travers cette quête, Sorogoyen se charge de nous livrer un portrait au vitriol de l’Espagne contemporaine.

El Reino : Est ce que c’est bien? 

Copyright Tornasol Films

Passé la scène d’introduction d’El Reino exposant finement les liens et caractéristiques des principaux  personnages au cours d’un repas, les minutes suivantes paraissent bien longues et peuvent laisser perplexes. Va t-on assister tout au long du film, au parcours de Lopez-Vidal, politicien expert en coup bas dénouant intrigues et complications pour le bien de son mentor et de son parti? On se dit alors qu’El Reino va être une sorte de « House of Cards » espagnol et si le quatrième mur ne sera pas brisé, on suivra caméra chevillé au corps du personnage de de la Torre évoluer dans les méandres de la politique espagnole. Musique techno entêtante en fond sonore à chaque franchissement de couloirs, on finit dans un premier temps par se perdre dans ce quotidien mouvementé d’un homme politique ambitieux parlant à mots couverts avec ses interlocuteurs de sujets dont le spectateur ne sait (encore) rien.  Et c’est bien là, qu’est le premier coup de maître de Rodrigo Sorogoyen.

Convaincu de ce à quoi il assiste, dans ses petits souliers, le spectateur suit donc le premier tiers du métrage en se croyant en terrain conquis. Jusqu’à ce que … Ses convictions en même temps que celles du personnage principal commencent à vaciller… Et la mise en scène de continuer à entretenir cet état d’incertitude de dont il va être question pour le reste du film. Tentant de se sauver comme il peut, Lopez-Vidal cherche à dissimuler pendant de longues minutes un objet…qui finira par être découvert par la police. Le salut du personnage principal passe par l’enregistrement de la confession d’un de ses amis? Cela ne se passera pas comme prévu… Sorogoyen joue et déjoue les attentes du spectateur en faisant monter efficacement la tension lors d’une poignée de scènes au suspense palpable et efficace pour mieux les désamorcer en quelques secondes. De l’art du contrepied permanent pour brouiller les attentes du spectateur.

El Reino : La forme au service du fond

Copyright Tornasol Films

D’un point de vue technique, la succession de contrepieds proposés par le metteur en scène madrilène permet de capter et de garder l’attention du spectateur. Il s’agit aussi de tenir un propos, bien sombre au demeurant, sur l’Espagne du début du XXIème siècle. Car si Lopez Vidal semble en mesure de révéler le fin fond du scandale dans lequel il était partiellement impliqué dans les dernières minutes du film, cette attente du spectateur est encore une fois déjoué. Après une scène de course poursuite vraiment prenante et impressionnante dans sa mise en scène toute en tension, Lopez-Vidal se présente à un personnage qui peut révéler la vérité et lui sauver la mise. Sauf que…

Un monologue final va conclure El Reino en prenant pour la dernière fois le spectateur à contrepied. Non, il ne s’agit pas d’une version espagnole de « La Firme« . Non, il ne s’agit pas de rédemption ni de vérité triomphante. Ce à quoi nous a fait assister Sorogoyen, avec son quatrième film, c’est à un véritable cri du cœur désabusé sur l’état de son pays. Un pays dont le système politique est corrompu jusqu’à la moelle, ou aucune solution ne semble poindre à l’horizon ( le personnage principal et son interlocuteur final se renvoient la balle comme s’ils ne se comprenaient pas). Un constat puissamment asséné avec un monologue final qui fait réfléchir bien après le générique de fin…