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Troisième séance du Club 300 pour l’équipe Pop&Shot qui assiste, pour l’occasion, à la projection de The Cakemaker, long métrage du réalisateur israélien Ofir Raul Graizer. Un premier film tout en culinarité mais tout en sensibilité.

The Cakemaker affiche film 2018

Thomas, un jeune pâtissier allemand, a une liaison avec Oren, un homme marié israélien qui voyage régulièrement à Berlin pour affaires. Quand Oren meurt dans un accident de voiture, Thomas se rend à Jérusalem à la recherche de réponses concernant sa mort. Sans révéler qui il est, Thomas se plonge dans la vie d’Anat, la veuve de son amant, qui tient un petit café. Il commence alors à travailler pour elle…

Malgré le postulat tel qu’il est présenté par ce synopsis, il est très difficile de rentrer dans The Cakemaker. La liaison évoquée dans la première ligne du paragraphe ci dessus concerne les cinq premières minutes du film! Sans processus d’identification « classique » à une histoire naissante, adultère, il est difficile de s’attacher au deuil de Thomas et à quête en Israël. S’il n’est pas vraiment question de deuil, est-ce un film culinaire, où la nourriture et sa préparation chercheraient à faire passer un message ? S’il est bien montré que la grande qualité des pâtisseries de Thomas donne du plaisir aux différentes personnes les goûtant, assez peu de plans sont consacrés à la préparation des plats, la caméra restant fixée sur Thomas. Si ce n’est pas un film de nourriture, est ce un film « sentimental », ou deux êtres brisés par une perte commune finiraient par se lier l’un à l’autre? Un schéma de dramaturgie somme toute classique mais qui ne s’applique pas à The Cakemaker, tant cette éventualité semble même saugrenue durant la très grande majorité du film.

Est-ce à dire que le film d’Ofir Raul Graizer est raté? Absolument pas, car si cette non maîtrise à illustrer les différentes thématiques que le réalisateur veut aborder, la présence perceptible et suggestive de celles-ci contribue à la richesse du film. Partagés entre l’intérêt suscité par le déroulé du récit et la sensation de ne pas comprendre où le cinéaste  veut en venir, il semble pour nous que ce n’est que dans les dernières minutes, lorsque les émotions contenues de chacun resurgissent, que le le propos de The Cakemaker apparaît enfin.

The Cakemaker : Analyse

( AVEC SPOILERS!!!)

Perplexes en sortant de la salle. Première impression « ce n’était pas bien, c’était beau ». Avec un peu plus de recul et de réflexion, nous vous parlons du tout premier film du réalisateur israélien. Beaucoup de thèmes sont en effet abordés par le cinéaste: le deuil, le déni, l’amour, le plaisir (gustatif et sexuel). Bien évidemment, il va sans dire que la nourriture est perpétuellement assimilée au sexe tout au long du film.
Quelle est la problématique du long métrage? De quoi traite The Cakemaker? Tout simplement d’un refus: celui de dire adieu, de laisser partir l’être aimé. Si Tomas part à Jérusalem, ce n’est pas pour « trouver des réponses » comme l’annonce faussement (et volontairement) le synopsis. Si Tomas, jeune pâtissier berlinois, part à Jérusalem, c’est car il n’accepte pas de dire adieu à l’homme qu’il aime.

Arrivé en Israël, et faisant petit à petit partie de la vie de son amant récemment décédé (rencontre avec son épouse, son fils, sa mère), Tomas le garde psychologiquement près de lui, avec lui. Il le retrouve, en se faisant faussement croire qu’il n’est pas définitivement parti. La souffrance, la colère, la perte de l’être aimé. Toutes ces émotions sont palpables tout au long du film. Elles sont uniquement perceptibles, subtiles. The cakemaker est en effet un film qui suggère les choses, les évoque tout en douceur et lenteur. Le jeu de l’acteur, les gros plans du cinéaste évoquent et retranscrivent à merveille les étapes d’un homme sans ressource, perdu, seul au monde, n’arrivant pas a digérer la mort de l’amour de sa vie.

L’acceptation que le personnage arrive enfin à assumer se fait à la toute fin de The Cakemaker : l’unique scène, d’ailleurs, où Tomas pleure. Il ne pleure pas, en effet, quand il apprend le décès d’Oren. Il pleure lorsqu’il est obligé de quitter Jérusalem, quand son mensonge est enfin dévoilé, quand Anat comprend enfin la vérité.

Extrait de the cakemaker film 2018

Son voyage à Jérusalem (tout le film en fin de compte) est un véritable pèlerinage,une quête spirituelle: seule façon pour lui de dire adieu. Il accepte enfin la mort d’Oren quand la vérité sur son identité est dévoilée. Il dit enfin adieu à l’amour de sa vie en disant adieu à Jérusalem et à Anat.

Pour Anat, la veuve, le deuil se fait d’une façon différente. Elle accepte, selon nous, moins difficilement la perte de son époux. Elle arrive tout au long du film et petit à petit à dire adieu à son mari. Elle se livre progressivement à Tomas (sans savoir au début qu’il était l’amant d’Oren), lui donne ses vêtements, déballe les cartons. Le déni pour elle semble beaucoup moins difficile.
Dans les deux cas, à différents niveaux, Tomas se sert d’Anat et Anat se sert de Tomas pour combler le vide, le manque, le trou béant qui s’est creusé dans leur cœur après le décès d’Oren. Sorte de transfiguration de la personne que l’on a perdue à tout jamais mais que l’on essaie de retrouver sous une autre forme (la pâtisserie) ou un autre visage.

En conclusion, il est clair selon nous que le film traite essentiellement du deuil et des différentes étapes qu’il faut emprunter pour parvenir à dire adieu à quelqu’un que l’on aime. Les deux personnages y arrivent. La mort d’Oren les a liés, leur amour commun pour celui-ci (inconsciemment) leur a permis d’accepter. Tomas et Anat, à la fin du film, arrivent au bout de leur quête. C’est en disant adieu à l’épouse de son amant que Tomas dit adieu à Oren. C’est en disant adieu à l’amant de son mari qu’Anat dit adieu à son époux, à l’amour de sa vie.

Notre avis est personnel, mais il s’agit selon nous d‘un film doux, subtil, prenant, captivant et métaphorique sur l’amour, le deuil, l’acceptation de la perte d’un être cher pour emprunter peu à peu et douloureusement la voie de l’apaisement et de la rédemption.

Critique de Mégane Chiési Alexandre Bertrand