Author

Penelope Bonneau Rouis

Browsing
Kate Stables par Cédric Oberlin

Le 9 Juin prochain sort le sixième album de This Is The Kit, Careful of your Keepers. Nous avons eu l’occasion de discuter avec Kate Stables, la chanteuse.Nous avons ainsi pu en apprendre davantage sur son rapport à l’industrie de la musique,  parler de l’environnement et de pourquoi les dents sont omniprésentes sur cet album.
This Is The Kit passe au Trabendo le 6 octobre prochain. 

P&P : Félicitations pour ton nouvel album ! Est-ce que tu peux nous le décrire en quelques mots ? 

Kate : C’est difficile de le faire sans répéter le titre de l’album parce que ça le décrit vraiment bien. J’imagine que c’est une réflexion sur un voyage solitaire, apprendre à vivre et voyager seule.

P&PC’est ton sixième album, est-ce que tu ressens une évolution dans ta manière d’appréhender la sortie ?

Kate : C’est sûr que ça a changé, oui. En plus, le monde de la musique a beaucoup changé, donc les choses que l’on me demande de faire changent à chaque fois. C’est marrant parce que le dernier album (Off Off On, 2020, ndlr) est sorti pendant le confinement donc c’était vraiment bizarre comme expérience. Pour le stress, je pense que ça dépend. Au début de chaque promo d’album je suis assez stressée et à un moment je finis par me dire « mais oui je me souviens comment je fais, ça se passe comme ça à chaque fois » et je gère mieux mon stress. Il y a toujours le premier moment de stress avant de me détendre. Et pour cet album, j’ai eu cette  épiphanie la semaine dernière. J’étais complètement nerveuse mais c’était aussi à cause de concerts que j’avais qui me mettaient un peu la pression. Mais là, ça va mieux.

P&P : Quand tu parles de cet album, tu dis « This one has teeth », est-ce que tu m’expliquer ton rapport à la symbolique des dents ?

Kate : Je me suis rendue compte qu’il y a beaucoup de thème de « biting », de « chewing », d’avoir les choses dans la bouche dans l’album et je me demande si c’est pas une métaphore inconsciente de la compréhension et du traitement d’informations par le cerveau.

P&P : Food for thoughts ?

Kate : Oui, c’est ça ! (rires) Donc toute la digestion de la vie, les émotions, etc. On est des créatures orales en soit, on met toujours quelque chose dans nos bouches mais ça m’a fait penser aux bébés aussi. Il y a toute une phase de développement où tout passe par la bouche et je me demande si quelque part, il y a une forme de renaissance et de redécouverte du monde en mettant tout dans la bouche (rires).

P&P : Tu dis que cet album est sur le fait d’accepter les erreurs, les difficultés et le passage du temps. C’est quelque chose qui apparait déjà dans tes précédents albums, pourquoi c’est important pour toi de parler du prosaïque ?

Kate : Je suis pas quelqu’un qui a envie de faire passer un message à tout le monde. J’écris les chansons pour moi, pour apprendre et explorer des idées et essayer de démêler des concepts, des idées, des expériences. Voilà, peut-être que c’est mon cerveau qui a besoin de comprendre l’expérience humaine, les relations humaines et encore, c’est ce voyage solitaire. On est tous seuls mais on peut quand même s’aider les uns les autres.

J’écris les chansons pour moi, pour apprendre et explorer des idées et essayer de démêler des concepts, des idées, des expériences.

P&P : Tu as travaillé avec le producteur Gruff Rhys. Tu l’as décrit comme un « tonesetter » (celui qui donne le ton, ndlr).

Kate : Oh, c’est pas moi qui ai dit ça, c’est le mec qui a écrit la bio mais c’est vrai qu’il a dit que c’était moi qui l’avait décrit comme ça (rires). Mais il a raison, il a vraiment su donner le ton, même si moi je n’utilise pas le terme « tonesetter » mais son énergie et sa présence ont été hyper importantes dans le studio.

P&P : Qu’est-ce que ça vous a apporté de collaborer avec lui sur cet album ?

Kate : D’abord, ça nous aidé à être à l’aise dans le studio et de vraiment apprécier sa présence. Il donnait des idées mais il laissait beaucoup de place au moment de l’enregistrement aux gens de donner leur avis, d’enregistrer, de tenter des trucs et de jouer avec leurs instruments. C’est au moment du mixage qu’il proposait ses idées. Ça a été un moment de grande créativité, j’aimais bien. Il ajoutait, il enlevait des trucs. En plus, c’était facile parce que c’était lui, l’ingénieur et moi et c’était plus facile que si on avait été six ou huit à réfléchir sur le mixage.

P&P : Et ce qu’on remarque aussi c’est que depuis deux ou trois albums, il y a une influence jazz sur tes morceaux. D’où te vient cette influence ?

Kate : je pense que c’est les gens avec qui je travaille, qui joue une musique que j’adore et il y en a pleins avec un background assez jazz justement. Et aussi, à force d’avoir les cuivres, ça donne un truc un peu jazz forcément. Je pense que c’est leur influence, c’est pas moi qui ai décidé de faire des morceaux jazz en fait. Je les aies laissés complètement improvisé et c’est là que les sonorités jazz ressortaient.

En fait j’ai l’impression que le fait de voyager et bouger autant, ça me donne des moments de tranquillité.

P&P : tu vas commencer une petite tournée au Royaume-Uni en septembre. Est-ce que ce moment de vie un peu nomade a une influence sur ta manière de concevoir ta musique ? Est-ce que ça te permet de réfléchir à ta vie ?

Kate : Oui, complètement ! C’est marrant, en fait j’ai l’impression que le fait de voyager et bouger autant, ça me donne des moments de tranquillité. Quand tu es dans un train, ou dans une voiture, tu peux rien faire d’autre et tu peux réfléchir sur les choses. C’est pas mal pour l’écriture. Mais c’est vrai que le fait de tourner autant me donne un peu de mal à faire de la musique parce que je ne suis jamais vraiment toute seule. Même si on est tout seul dans nos têtes, on est tout le temps ensemble et j’ai du mal à écrire de la musique. Donc c’est au moment où je rentre que je me pose pour vraiment écrire une chanson. J’aime beaucoup voyager et je pense que ça influence beaucoup mon écriture.

P&P : Et cette tournée au Royaume-Uni, est-ce que ça te fait bizarre de retourner là-bas maintenant que tu habites à Paris ?

Kate : Hmm, non, en fait j’aime bien parce qu’il y a certaines choses qui me manquent en Angleterre mais pas suffisamment pour que je veuille m’y réinstaller. Mais ça fait du bien d’y retourner et d’acheter du Marmite, voir les choses hyper familières. Après j’aime bien rentrer à Paris et faire ma vie. J’ai appris que j’avais besoin de ces deux vies là. Bien-sûr, c’est toujours chouette de retourner en Angleterre, le groupe est là-bas en plus. Et puis on est plus connus là-bas, on joue dans des salles plus grandes qu’ici. Mais j’adore aussi jouer dans des plus petites salles en Europe. J’aime bien pouvoir choisir entre les deux.

P&P : J’ai remarqué dans tes chansons qu’il y a beaucoup de jeux sur les sons (chew chew choose you // hopeless homesick hopelessly stick) et d’où vient cette sensibilité stylistique ?

Kate : J’adore jouer avec les mots et les détails de sons et de sens. C’est là que je trouve le plaisir d’écrire. Je sais pas si c’est moins évident en français mais l’exemple de « I chew chew choose you » c’est une citation des Simpsons (rires). C’est très connu par les gens qui ont grandi avec les Simpsons en anglais mais c’est vrai que pour ceux qui ont grandi avec les versions doublées ça l’est moins. Voilà… c’est une phrase volée aux Simpsons !

Quand je joue dans une salle où je connais pas l’ingé-son,  il me met toujours du reverb, juste parce que je suis une femme

P&P : en tant que femme dans la musique, un milieu dominé par les hommes mais post me too, est-ce que t’as ressenti des changements dans le monde de la musique ?

Kate : Je pense que je vois les changements dans le monde et par logique, dans le milieu musical aussi. Mais les gens font plus attention et je trouve ça bien de ne plus choisir automatiquement un homme. Je pense que la mentalité des gens a changé un petit peu. C’est en perpétuelle évolution tu vois ? À un moment, les femmes ont eu le droit de vote et maintenant, enfin, il est normal de trouver une femme derrière la table de mixage, régisseuse ou des trucs comme ça. Les métiers sont de plus en plus variés. J’ai pas trop vécu de sexisme brutal dans ma carrière, j’ai eu la chance de bosser avec des gens chouettes donc ça va mais il y a certains trucs qui existent toujours et qui m’agacent. Le fait que je sois une femme, ça veut dire que tout le temps, on veut me photographier avec des fleurs, les pieds nus ou du maquillage, des trucs comme ça. Ça m’énerve cette vision très binaire des femmes. Quand je joue dans une salle où je connais pas l’ingé-son, il me met toujours du reverb, juste parce que je suis une femme ! Est-ce que tu ferais ça pour Sleaford Mods ? Ça, c’est toujours assez gênant.

P&P : Comment tu réussis à gérer ta vision artistique avec l’omniprésence des réseaux sociaux ?

Kate : C’est très dur. Il y a pas mal de pression des labels, et je comprends parce qu’ils veulent faire leur travail et ils le font très bien d’ailleurs mais chaque établissement ou personne a leur avis par rapport aux règles. Il faut constamment demander aux gens de liker les trucs, de s’abonner et ça me correspond pas du tout parce que j’ai pas envie de demander aux gens de faire quoi que ce soit. Mais c’est dur parce qu’en même temps, c’est de la pub. Il faut vraiment trouver une manière marrante de le faire et donc d’essayer être honnête avec nos propres valeurs. En plus ça prend beaucoup de temps, tu passes ton temps à réfléchir. T’es plus dans le présent vu que tu recherches tout le temps du contenu. Mais ça fait partie du job.

P&P : On voit qu’il y a de plus en plus d’artistes qui prennent conscience de l’environnement. J’ai vu que ton vinyle serait un « eco-vinyle ». À quel point c’est important pour toi de prioriser l’eco friendly ?

Kate : Oui, c’est important pour moi de prioriser l’environnement parce que je me sens assez affreuse par rapport à mon travail et l’effet sur le Monde. Je suis obligée de voyager beaucoup. Quand tu fais de la musique, tu fabriques pleins de trucs en plastique à vendre dans le merch. Il faut essayer de limiter les dommages. En plus, il y a toujours cet équilibre entre les gens qui veulent faire moins de mal et ceux qui veulent profiter de ces personnes là. Parfois, c’est écrit « éco-vinyle » mais c’est pas vrai.

Careful of Your Keepers

Elle est enfin là… l’édition complète de Dance Fever !

Voilà presque un an que le cinquième (et meilleur) opus de Florence + The Machine est sorti. Dévoilé symboliquement un vendredi 13, Dance Fever avait conquis la critique et les fans avec des morceaux aussi endiablés qu’enfiévrés. De « Dream Girl Evil », « King »,  « Girls Against God » encore « The Bomb »où Florence s’exprime sur cette inspiration qui la dévore et empiète sur sa vie personnelle, cet album est un sublime témoignage de la place de l’art dans la vie d’une femme.
Un album qu’on ne se lasse pas d’écouter… et ça, Florence l’a bien compris… voilà quelques semaines qu’elle tease un nouveau morceau, une nouvelle addition à l’univers de Dance Fever. Confortablement installée dans sa baignoire, sa queue de sirène qui s’agite paisiblement et ses dents pointues qui apparaissent subrepticement… Florence évoque en quelques détails l’imaginaire de The Lure, film d’horreur polonais où deux sirènes s’incrustent dans un cabaret pour étancher leur soif… de sang. Disponible sur Netflix pour les plus intrigué.es.

 

Voir cette publication sur Instagram

 

Une publication partagée par Florence Welch (@florence)

« Mermaids » : Un morceau sombre et Grandiloquent

« Mermaids » est sorti le 21 avril dernier. Les premières secondes du morceau remplissent parfaitement la part du contrat, Florence entonne des notes qui, si l’on avait été marins, nous auraient plongés au fond de l’eau, à la merci de ces créatures aussi fascinantes que terrifiantes. Il y est évidemment question de La Petite Sirène. Mais pas celle de Disney, oh non. Plutôt celle de Hans Christian Andersen, sauf que cette fois, elle ne se transformera pas en écume de mer et n’aura pas peur de sacrifier son prince. Le morceau est sanglant et grandiloquent. Il s’inscrit parfaitement dans la lignée de Dance Fever et dans l’instrumental il ne peut qu’évoquer des morceaux comme « Bedroom Hymns » à (re)découvrir sur Ceremonials (2011).

« Mermaids » est une excellente addition à l’univers de Dance Fever et donne déjà l’envie de se reconvertir dans le ski nautique, au creux des vagues, les cheveux au vent (sans oublier le casque).

Si pour des raisons qui vous regardent, vos jambes ne se transforment pas en queue lorsque vous entrez en contact avec l’eau, courez enfiler vos robes de mousseline et allez danser sous la pleine lune. À vous de voir si vous voulez la rendre sanglante, cette lune.


Portals de Melanie Martinez (2023)

Après cinq ans d’absence, Melanie Martinez revient avec son troisième album, Portals. S’inscrivant directement dans la lignée de ses premiers albums Cry Baby et K-12, Portals représente le troisième chapitre de l’histoire de l’alter ego de Martinez, Cry Baby. Un album discutable. 

Nostalgie rose

Ah… Melanie Martinez… Avoir 14/15 ans et te découvrir… Tomber sur Cry Baby en 2015, dont l’univers horrifique et sucré ne peut faire que penser à l’univers un tantinet plus sombre de Tim Burton… La musique, l’esthétique, le message qui tombe dans les mains au moment de l’adolescence où l’on baigne dans l’idée que que l’on est incompris.e et différent.e. Période bénie d’une renouveau culturel hors du commun et l’impression d’avoir trouvé son mentor.

Découverte avec l’émission The Voice Us avec sa reprise de « Toxic »,  Melanie Martinez est arrivée sur le devant de la scène avec son écart entre les dents et ses cheveux teints en noirs d’un côté et roux de l’autre. Le roux deviendra successivement blanc, bleu, rose, vert… Et très vite, tout s’enchaîne. Cry Baby sort et c’est un franc succès (dans mon souvenir partiel d’ancienne ado), mais Melanie apparait alors comme une artiste à part entière, une génie incomprise qui sort tube sur tube au sein d’un seul et même album concept. Mais de quoi il parle cet album ?

Cry Baby c’est l’histoire d’une petite fille (« CryBaby ») qui grandit dans une famille dysfonctionnelle (« Dollhouse »)  et qui apprend peu à peu à s’échapper de ce carcan, évidemment il lui arrive quelques galères (« Milk and Cookies »; « Tag, You’re It ») mais résilience est clé.

Balance ta melanie

Et puis un jour, c’est le drame. Melanie Martinez est accusée de viol par son ancienne meilleure amie. Les CD sont jetés par les fenêtres, les tee shirts sont brûlés. Celle qui prônait la non violence et l’amour tint alors à peu près (tout à fait) ce langage : « elle n’a jamais dit non » avant de sortir sur Sound Cloud un morceau vengeur produit à l’arrache où elle descend « les gens qui la trahissent ». À ce jour, on a toujours pas eu le fin mot de l’histoire.

Socialement, cette histoire était assez intéressante. N’oublions pas que le public de Melanie Martinez avait entre 10 à 16 ans (et encore). La plupart étant sur les réseaux sociaux un peu trop jeunes, il y avait dans l’air un soupçon d’influence et un léger manque de recul. La réponse de Melanie, trop floue pour que certains d’entre nous arrêtent de l’écouter, fut pour bien d’autres la preuve ultime de son innocence. Et la présumée victime subit alors une vague d’harcèlement facilement comparable (bien que moins relayée) à celle d’Amber Heard lors de son procès contre son ex mari, tellement sympathique, Johnny Depp… de l’idolâtrie à la misogynie il n’y a finalement qu’un pas.

L’histoire est cependant passée assez vite sous le tapis et l’on (ce pronom est ici indéfini pour une raison) criait que tout était faux.

Un retour sans rougir

Mais elle est revenue quand même la Melanie, deux ou trois ans plus tard avec K-12 qui retraçait cette fois-ci les années collège/lycée (l’esthétique faisait plutôt maternelle ou primaire) de son personnage. L’album est parfaitement dans la lignée de Cry Baby, les mêmes métaphores aussi douteuses qui nous avaient faits partir en vrille à l’époqueMais il faut le dire, son message militant disparaissait un peu sous tout ce sucre. Et l’album fut vite retiré de ma bibliothèque virtuelle.

Melanie Martinez – 2023

Björk (usa)

Portals, donc c’est son troisième projet et si Cry Baby meurt à la fin de K12, ça ne l’empêche pas de réapparaitre ici sous une nouvelle forme. Sorte de fée/troll à quatre yeux, la peau rose et mullet vert, Melanie Martinez n’apparait désormais que sous ce déguisement en public. Les performances live doivent en pâtir sous toutes ces prothèses. Mais elle n’a jamais été connue pour avoir une bonne maîtrise de sa respiration.

La couverture, par contre, ressemble à Fossora de Björk et c’est un peu grossier. Le seul effet que ça fait, c’est d’arrêter l’album de Melanie pour aller se réécouter Post.

Portals, est-ce que c’est bien ?

J’avais d’énormes à priori avant d’écouter l’album. Je craignais d’y retrouver ce que j’avais tant aveuglément adoré à 14 ans et tant décrié à 16. Melanie Martinez a réussi l’exploit de ne pas me contredire. Sa musique, qui a pris un tournant plus électro, est datée, dirigée vers un public très (trop) spécifique. Et ces filles-là, elles ont grandi.  Les métaphores et l’esthétique viennent écraser le message qui en devient presque maladroit et attendu. On a compris, la société est capitaliste. Mais quand ça vient d’une chanteuse avec un choix aussi varié de merchandising, ça fait quand même sourire.

Et il ne faut pas être médisant, quelques morceaux valent vraiment l’écoute, notamment Battle of The Larynx qui fait un peu rétro 2000 avec un touche plus electro avec l’autotune (dont elle aurait pu se passer sur à peu près 100% des morceaux). De plus, les compositions instrumentales de certains morceaux comme « Void », « Light Shower », « Moon Cycle » ou « Evil » soulignent une inspiration rock 90s indéniable. L’album fait s’entremêler différents genres musicaux de manière plutôt intéressante et crée ainsi un univers à la fois coloré et éthéré.

En fin de compte, le nouvel album de Melanie Martinez vaut bien une petite écoute. Son univers reste très intéressant, la recherche est là et une réflexion intéressante est faite sur la mort et puis bon, la nostalgie n’a-t-elle pas parfois raison de nous ?


Klara Keller par Juana Wein

Originaire de Suède, Klara Keller est venue enregistrer son EP Bang à Paris, rue d’Enghien pendant un an. Une année riche en rencontres, collaborations et découvertes. Deux ans après son premier EP, Hjärtansfröjd, écrit entièrement en suédois, Bang est son premier EP en anglais tout en douceur et en poésie. Nous nous sommes données rendez-vous chez Jeannette, rue Strasbourg Saint-Denis au milieu des bruits de voix et des tasses qui s’entrechoquent.

Pop&Shot : Klara, bonjour. Comment décrirais-tu ton deuxième EP, Bang ? 

Klara : Ce qui est drôle c’est que j’ai entièrement enregistré mon EP juste à côté, rue d’Enghien. Mon studio est au bout de la rue!  Je venais souvent dans ce café alors être de retour me rappelle tout cette phase de ma vie où je faisais mon album. Parce que, pour moi Bang représente une période très spécifique dans ma vie, très différente de quand j’avais fait mon premier EP en Suède. J’avais besoin de changer ma manière d’écrire et de composer. Bang capture vraiment le temps que j’ai passé ici, à le faire. C’était très intense, j’ai écrit et produit cet EP en trois mois alors que j’ai passé trois ans sur le premier. Le processus était complètement différent donc oui, Bang est très intense, énergique et n’a rien à voir avec ce que j’ai pu faire avant.

P&S : As-tu vu une différence entre le milieu de la musique en France et en Suède ? 

Klara : Oui, l’approche est très différente. Notamment en terme de genres musicaux. J’ai l’impression qu’en France, il y a une égalité entre les genres musicaux qu’il n’y a pas en Suède. En Suède, on est surtout porté sur la pop. C’est le pays d’Abba, Tove Lo, Max Martin… de la musique d’export. Le milieu de la musique là bas tourne beaucoup autour de ce paramètre et quand tu explores d’autres genres, il y a un peu cette vision de sous-culture. On est bon en musique, mais la mentalité est complètement différente. Il y a vraiment ce rapport à l’argent et à la musique d’export.

P&S : C’est ton premier EP en anglais, qu’est-ce qui t’a fait changer de langue ? 

Klara : J’ai commencé en Suède parce que j’étais vraiment une « Stockholm Girl »,  je n’écoutais que de la musique suédoise parce qu’en soit c’est un peu une culture isolée, comme une petite bulle dans laquelle tu peux vivre toute ta vie. Mais j’avais besoin d’en sortir et de faire quelque chose de plus fou, d’être plus ouverte à de nouvelles influences. C’est pour ça que j’ai changé de langue d’écriture. Enfin, je n’avais pas vraiment prévu que ce deuxième EP soit en anglais. J’étais d’abord venue à Paris pour écrire un autre EP en suédois mais en arrivant, je me suis rendue que le suédois était un peu sans intérêt ici, parce que personne n’aurait compris ce que je disais et le français c’est dur. Je connais tout juste les bases. Je voulais voir plus grand en écrivant en anglais.

Je devais rester qu’un mois, finalement je suis restée un an et je suis encore là.

P&S : Pourquoi est-ce que tu as choisi Paris ? 

Klara : J’avais pas prévu spécifiquement de venir à Paris. Je voulais juste aller quelque part et j’avais d’autres villes en tête au début. Puis, je suis allée voir un astrologue et on a parlé de quelle ville pourrait être bonne pour ma créativité et j’ai su que Paris pourrait être bon pour moi. Je devais rester qu’un mois, finalement je suis restée un an et je suis encore là.

P&S : Donc tu vis toujours ici ?

Klara : Non je fais des allers-retours. Ma tournée suédoise pour Bang a eu lieu en automne donc j’ai dû y retourner.

P&S : Tu dis avoir écrit « Sad Thinking Of You » quand tu es venue vivre à Paris et que tu étais nostalgique de ta vie en Suède. Maintenant que le temps est passé, ce sentiment est toujours là ? 

Klara : Oui mais maintenant je suis nostalgique de Paris. J’ai passé un moment tellement incroyable ici et je croyais vraiment que je pouvais résoudre ce que je traversais en venant ici. J’avais besoin de développer ce sentiment de nostalgie pour Stockholm pour écrire cette chanson. Je ne ressens plus ça pour Stockholm aujourd’hui. C’est juste une ville, c’est pas le centre du monde comme je le pensais avant de déménager. Aujourd’hui je me rends compte qu’il y a des choses bien plus grandes que ça. Donc non, je n’ai plus le même sentiment, mais je reste une personne nostalgique et je suis nostalgique pour autre chose maintenant.

. On marchait dans les rues désertes et comme les bars étaient fermés, on faisait la fête dans le squat.

P&S: Dans tes clips « Hard Rock Café » et « Sad Thinking Of You » on te voit errer seule. Est-ce pour représenter tes premiers temps à Paris ? 

Klara : Oui, c’est ça. C’est marrant que tu le remarques. Surtout dans « Sad Thinking Of You », j’ai un coquillage que mon copain m’a donné. Ça m’a donné l’idée de marcher dans Paris en écoutant mon ancienne vie dans le coquillage en étant ailleurs. Parce que c’est exactement ce que je faisais, je marchais dans Paris. Je vivais dans un squat à Montmatre et j’y ai passé une bonne partie du confinement là bas. Il y avait aucun touriste et c’était super. On marchait dans les rues désertes et comme les bars étaient fermés, on faisait la fête dans le squat. « Hard Rock Café » parle de la période avant que je rencontre tous ces gens, quand j’étais toute seule et que je ne savais pas trop quoi faire.

P&S : Tu as collaboré avec deux membres de Phoenix, comment est-ce que cette collaboration a eu lieu ? 

Klara : Leur studio était juste à côté du mien. Leur batteur est suédois mais je ne le connaissais pas vraiment. Un jour, on s’est écrit, je ne sais plus pourquoi et je lui ai demandé s’il était à Paris et il l’était. C’était un peu une coïncidence en fait. J’ai rencontré Thomas (Hedlund) et Rob (Coudert) et on a collaboré.

P&S : Sur cet EP, ta musique a des influences un peu 70s et 80s, que t’évoquent ces périodes ? 

Klara : Je sais pas, les 70s m’ont toujours beaucoup inspirée, notamment le style vestimentaire. Mais musicalement, il y a tellement de styles qui m’inspirent qu’ils finissent par se mélanger dans le mien. Pendant que je faisais l’EP, j’ai beaucoup écouté McCartney II de Paul McCartney où il a tout produit tout seule et ça m’a beaucoup inspirée. Mais sinon, je ne pense pas vraiment à mes influences, ça vient assez naturellement et parfois ça sort avec un côté un peu 70s.

P&S : Et peux-tu nous parler un peu de la pochette de l’EP? 

Klara : La première fois que je suis allée au squat, j’étais avec un mec qui m’a montré sa chambre. Le squat était un ancien hotel avec ces petites chambres où ils vivaient. Bref, il avait cette peinture, qui est en fait un portrait de moi. Maintenant on est ensemble, mais c’était la première fois où j’ai su que je lui plaisais. Et je savais que ce portrait serait la pochette parce qu’il capturait lui aussi le temps que j’ai passé à Paris.

P&S : Tu as un morceau qui s’appelle Lucky Luke… 

Klara : Oui ! La première fois que j’ai fait la fête au squat, il fallait porter un chapeau, c’était le dress-code. Mon copain, avant que l’on soit ensemble, était là et il portait un chapeau de cowboy. Il m’avait donné une montre pour enfant avec le visage de Lucky Luke dessus et je l’ai associé à lui depuis.

J’ai tendance à vouloir expérimenter un truc, aller au fond des choses

P&S : Ton titre « Wheel of Fortune » est assez rock. Est-ce que c’est un genre que tu aimerais explorer davantage à l’avenir ? 

Klara : J’adorerais. J’écoute souvent Patti Smith en ce moment et son son m’inspire beaucoup ces temps-ci, avec des guitares, etc. J’ai tendance à vouloir expérimenter un truc, aller au fond des choses et ensuite faire quelque chose de complètement différent derrière. J’ai l’impression d’avoir fait ça avec mon dernier EP et je sais déjà que mon prochain projet n’aura aucun rapport. Mais j’adore jouer cette chanson en concert, c’est comme une grosse claque.

Sur ton premier EP, tu as reçu beaucoup de nominations et quelques prix. Est-ce que ce succès a eu un impact sur ton processus créatif. 

Klara : J’étais complètement dans la mouvance suédoise avant mais j’aime toujours développer de nouvelles choses, et trouver de nouveaux morceaux tout le temps. Donc c’était très important pour moi de ne pas faire un autre Hjärtansfröjd. Ça m’a mis un peu de pression et je ne voulais pas me répéter. Je ne veux pas être mise dans une catégorie inventée par les autres.