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Penelope Bonneau Rouis

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Hozier- Unreal Unearth
Hozier- Unreal Unearth

Le 18 Août dernier sortait Unreal Unearth, le troisième opus de l’irlandais Hozier. Inspiré par la bibliographie de Dante, l’album nous entraine dans une tourmente au fin fond des enfers. Les amours impossibles hantent les parois terreuses de l’album et construisent un univers sombre un peu plus pop que ce à quoi Hozier nous avait habitués. Critique. 

Hozier et les vers de terre 

Quand Hozier touche le fond, il n’hésite pas à creuser dans la terre, pour aller juste un peu plus loin, dans les enfers de Dante. Unreal Unearth, le troisième album d’Andrew Hozier Byrne est pour le moins métaphorique.  Il fait suite à un EP sorti le 17 mars dernier, Eat Your Young où on avait pu découvrir deux morceaux présents sur l’album : « Eat Your Young » et « All Things End ». « The Flood », troisième morceau de l’EP, semble avoir été évincé du projet final.

De Selby (Part 1) ouvre l’album et installe dès la première écoute une atmosphère omineuse qui nous suivra pour le reste de l’album. Le passage en gaélique irlandais a la qualité d’un hymne sinistre et habité. Puis tout s’accélère. De Selby (part 2) débute et nous entraine dans une valse macabre dont on ne saisit pas forcément la direction. Un bras part à gauche, la tête s’approche du sol, les jambes s’accrochent au plafond. Cette impression nous suivra sur tout l’album.

Un album qui submerge

Cette critique, je l’ai repoussée. Il y a quelque chose d’écrasant à cet album, c’est certain. Ce n’est pas facile de reconnaître que le dernier projet d’un artiste que l’on affectionne particulièrement… n’est pas notre préféré. Dès la première écoute, je me suis sentie trop submergée par l’épaisseur de cet album trop long, trop produit, trop dense, trop.

Certains morceaux nous font l’effet de « déjà-entendu », on pense notamment à « Damage Gets Done » en collaboration avec Brandi Carlisle. L’ensemble est inégal, les seize morceaux qui constituent l’album oscillent entre l’excellent et le moins mémorable. Pour faire court, il y a trop de morceaux moyens par rapports aux excellents pour en faire l’album extraordinaire que l’on voudrait désespérément qu’il soit.

Par ailleurs, l’album balance entre plusieurs genres. Il y a du rock (« Francesca »), de la balade (« Butchered Tongue »), une interlude majestueuse (« Son of Nyx »), du celtique (« De Selby (Part 1) »), du gospel (« All Things End »).  Et c’est peut-être ça qui nous mène à ce sentiment de trop plein. On a été trop gâté.es et on ne sait pas vraiment quoi faire de cette offrande.

UN VOYAGE AU COEUR DE L’ÂME

Malgré ses imperfections, Unreal Unearth est loin d’être un mauvais album. Il offre un voyage captivant au cœur de l’âme humaine, explorant les thèmes de la douleur, de la perte et de la rédemption de la manière poétique et profonde qui est propre à Hozier. Unreal Unearth fait partie de ces albums dont l’écoute doit être proactive, attentive à chaque parole pour y déceler les détails. Les morceaux « Who We Are », « Francesca », « Abstract (Psychopomp) », « First Light » ou « Unknown/Nth » nous rappellent toute l’excellence élégiaque de la plume de Hozier.

Si Unreal Unearth ne m’émeut pas autant que son premier album sorti en 2014, il se hisse tout de même parmi les meilleures sorties musicales de cet été. Son côté ovni le place sur un socle trop instable pour le qualifier de parfait. Mais si la perfection existait, ça se saurait et ce ne serait pas forcément intéressant à commenter.

Hozier passe au Zénith de la Villette le 29 Novembre prochain.


Si le nom Balthazar vous dit quelque chose, peut-être connaissez vous Warhaus, le projet solo de Maarten Devoldere. Résolument rétro et sombre par le passé, le dernier album de Warhaus s’avère plus coloré et chaud, malgré son thème. En effet, Haha, Heartbreak évoque… tout simplement une rupture qui a plongé le chanteur à la fois au fond du trou et au top des charts. Nous avons eu l’opportunité de rencontrer Maarten Devoldere à l’occasion du Fnac Live en juin dernier. Il nous parle de son album, de s’éloigner des forces féminines et trouver sa muse au fond de lui-même.

Warhaus FNAC LIVE
Warhaus – Crédit Julia Escudero

Pop&Shot : Comment décrirais-tu ton dernier album, Haha Heartbreak en quelques mots ? 

Maarten : C’est évidemment un album de rupture, mais il est très romantique en même temps. Je voulais qu’il soit naturel, comme si c’était du live enregistré.  Il n’y a pas eu tant de production que ça, un peu comme les albums des années 70. Mais il est aussi très groovy et glamour parce que je ne voulais pas qu’il soit trop triste étant donné que c’est déjà un album de rupture.

Je voulais déguiser ma tristesse et la rendre jolie.

P&S : Tu as dit que tu voulais avoir l’air séduisant sur cet album… 

Maarten : Non, ce n’est pas tout à fait ça. En fait, je voulais faire une comparaison avec l’image d’une femme qui se maquille pour sortir pour la première fois après sa rupture. Ce que je voulais dire c’est qu’il y a beaucoup de cordes et d’arrangements sur cet album et les paroles sont très vulnérables. Je voulais déguiser ma tristesse et la rendre jolie. C’est comme une fierté qui m’a été prise et que je veux récupérer en en faisant un album.

P&S : Tu l’as fait très rapidement cet album et tu as gardé les démos sur la version finale. Comment tu as fait pour allier déguisement et spontanéité ? 

Maarten : J’ai écrit l’album en trois semaines à Palerme dans une chambre d’hôtel et j’ai enregistré toutes les démos avec une guitare. Quand je suis rentré, j’ai montré les démos à Jasper Maekelberg qui trouvait ça mieux de garder la partie vocale. On a passé un an sur les arrangements ensuite, donc elle est là la partie déguisement. Les chansons étaient très intimes et ça s’entend encore dans ma voix et en même temps, les arrangements et les cordes qui accompagnent sont un peu grandiloquentes. On voulait faire un mélange des deux. Vulnérable, authentique et glamour.

Quand j’étais plus jeune, j’avais tendance à « poursuivre » un peu les morceaux

P&S : L’album est très coloré, plus que les précédents et en contraste avec les paroles. 

Maarten : Quand j’étais plus jeune, j’avais tendance à « poursuivre » un peu les morceaux, tout se passait bien dans ma vie et je me disais que comme j’étais un artiste, je devais me trouver une muse ou quelque chose comme ça. Alors j’ai fait des trucs un peu cons pour trouver l’inspiration et je pense que sur cet album, je suis un peu plus mature. C’est un album sur une rupture, c’est quelque chose d’universel et tout le monde s’y reconnait. Mais c’est aussi différent de d’habitude parce que cette fois-ci, je n’ai pas eu besoin d’aller chercher l’inspiration, elle est venue à moi. Je pense que c’est une approche et c’est plus authentique car sur les albums précédents, je jouais un personnage de film rétro. Cet album est plus humain et ça me paraissait plus logique que l’album ait une esthétique colorée. On passe de la 2D à la 3D !

Un ami m’a dit que mon album était assez passif-agressif.

P&S : Tu y utilises beaucoup de cordes et de nouveaux arrangements. 

Maarten : Quand on était plus jeunes avec Balthazar, on voulait absolument être un groupe indé avec un son cool et edgy. Et ce que j’aime en vieillissant, c’est que je peux davantage me permettre d’essayer des choses, comme des orchestres et il y a plus de profondeur sans pour autant être gnang-gnan. Par exemple, un de mes morceaux préférés de Lou Reed, c’est « Perfect Day ». La manière dont il la chante montre que c’est plus compliqué qu’une simple journée idéale. Il y a quelque chose de sous-jacent, de beaucoup plus sombre que ça a en a l’air. Et sur mon album, c’est un peu la même chose. Un ami m’a dit que mon album était assez passif-agressif. Ça m’a un peu surpris sur le moment mais il n’a pas tort. La romance a beaucoup de facettes et il se passe tant de choses différentes qui font partie de la condition humaine.

P&s : Tu as fait le Conservatoire quand tu étais jeune, la formation devait être plus classique que punk. Est-ce que tu t’es replongé dans ces sources-là ? 

Maarten : Pas vraiment, j’ai eu beaucoup d’aide de la part de Jasper qui a produit l’album et je dois lui donner le crédit pour ça parce que c’était son idée tous ces arrangements. J’ai fait mon boulot d’enregistrer à Palerme et ça m’a fait du bien. Quand on est jeunes, on veut juste tout contrôler et puis avec le temps, c’est bien de collaborer avec d’autres gens, de les laisser faire leur propre magie. Le produit fini est forcément meilleur et j’en suis très content.

Warhaus Fnac Live - crédit Julia Escudero
Warhaus Fnac Live – crédit Julia Escudero

P&S : Pourquoi es-tu retourné vers le projet Warhaus pour cet album ? 

Maarten : Depuis le dernier projet avec Warhaus, on a sorti deux albums avec Balthazar. On avait besoin d’un nouvelle pause. Si on reste dans le même projet trop longtemps, ça devient ennuyeux. C’est toujours intéressant de jongler entre les deux. Et puis, dans un projet solo, je peux parler de choses plus intimes et personnelles. Avec Balthazar, les chansons sont aussi honnêtes mais ce sont des collections de deux paroliers, de deux chanteurs et avec Warhaus, je peux aller plus loin dans mon écriture.  On peut pas faire un album de rupture avec Balthazar, à moins de se séparer en même temps et ce serait quand même bizarre parce qu’on a des approches différentes de la séparation.

Warhaus Fnac Live
Warhaus Fnac Live – crédit Julia Escudero

P&S : Tu dis que cet album fait partie de la pop culture. Qu’est-ce que ça implique la pop culture pour toi ?

Maarten : Il y a beaucoup de références très 70s, comme Serge Gainsbourg dans sa période Melody Nelson et même Joe Dassin. J’ai été très inspiré par la chanson française de ces années-là. L’ouverture de « Open Window » me fait penser à « L’Été Indien » par exemple. Et puis parce que je l’ai écrit à Palerme, une ville très romantique, avec des murs où la peinture s’effritait comme le souvenir d’une gloire passée.

La rupture est intemporelle et je voulais faire quelque chose d’intemporel.

P&S : L’influence 70s vient des albums que tu écoutais pendant la conception de l’album? 

Maarten : Pas vraiment, je n’ai pas écouté beaucoup de musique pendant que je le faisais mais je pense que c’est plutôt une influence qui m’habite depuis plusieurs années et si je suis d’humeur romantique, c’est une musique qui résonne pas mal avec moi. Sûrement parce que la rupture est intemporelle et je voulais faire quelque chose d’intemporel.

P&S : Donc tu n’as pas écouté de musique du tout pendant que tu travaillais sur cet album ? 

Maarten : Je travaillais tout le temps, donc je n’avais pas l’opportunité d’écouter quoique ce soit. Ce n’est pas vraiment un choix, c’est juste que je prends pas le temps. Ça parait bizarre je sais, mais tous mes amis qui ne travaillent pas dans la musique, ils vont travailler et ils peuvent écouter de la musique toute la journée mais mon travail c’est de faire de la musique.

J’ai pas besoin de vivre une vie de débauche, de sexe, drogue et rock and roll pour trouver quoi dire.

P&S : On parle souvent de l’important de la Muse en art, et cet album parle de laisser de côté les forces féminines de ta vie, et de te concentrer sur ton propre côté féminin. Comment en es-tu venu à cette réalisation ? 

Maarten : La réalisation s’est un peu imposée à moi disons. C’était la première fois de ma vie que je me retrouvais seul de ma vie. Toute ma vie, j’ai été gâté par l’amour d’une femme. D’abord par ma mère puis par mes copines successives. Ce n’est pas sain pour un homme de s’appuyer constamment sur une femme. C’était nécessaire et surtout j’ai réalisé que toutes les chansons que j’avais écrites dans le passé sur mes anciennes copines, c’était une projection d’un fantasme masculin alors on utilise juste les femmes de notre vie pour créer quelque chose. Cela vient de notre propre anima, c’est à dure notre côté féminin. Maintenant, par exemple, j’ai une copine et je l’aime mais ce n’est plus ma muse, parce que la muse est en moi, elle vit en moi. Je sais que ça a l’air un peu spirituel mais c’est très intéressant parce que ça m’a appris que je n’avais pas besoin d’aller chercher l’inspiration et que mon subconscient est là pour ça. J’ai pas besoin de vivre une vie de débauche, de sexe, drogue et rock and roll pour trouver quoi dire. Si tu vas chercher dans ton imagination, tu peux vivre une vie heureuse et quand même écrire des chansons sombres et mystiques.

P&S : Tu as collaboré avec Sylvie Kreusch sur les albums précédents, on l’entend à peine sur celui-ci. Est-ce une autre manière de montrer que tu deviens plus autonome par rapport aux femmes de ta vie? 

Maarten : Oui, ça me paraissait un peu bête de faire un album de rupture où je m’éloigne des forces féminines qui m’entourent et que l’on entende une voix de femme. C’est Sylvie qui m’a fait la remarque, elle trouvait l’album trop personnel pour qu’elle y pose sa voix. Elle est très intelligente. On verra sur de prochains sujets si on continue de collaborer.


Alma Jodorowsky et Jehnny Beth dans Split (2023)

Lors du Champs-Élysées Film Festival qui se déroule actuellement du 20 au 27 Juin 2023, le cinéma des femmes est à l’honneur. Avec la catégorie Girl Power, le festival propose la projection de nombreux films et de tables rondes centrés autour de la question de la femme à l’écran (et derrière la caméra). Pour sa série, Split, la journaliste et autrice Iris Brey a fait appel à Paloma Garcia Martens, une coordinatrice d’intimité dont le travail a été montré dans le documentaire réalisé par Édith Chapin, Sex is Comedy. 

Split, une série progressiste

Avec Alma Jodorowsky et Jehnny Beth, la série retrace l’histoire d’Anna et Eve. Anna est cascadeuse et Eve est actrice et musicienne et elles se rencontrent sur le tournage d’un film sur Musidora, icône Vamp du cinéma muet. Dès les premières scènes, on voit l’attirance entre les deux femmes. Si Eve a fait son coming out très jeune, il n’en est pas le cas pour Anna, alors en couple avec un homme au début de la série.

Une romance nait très vite entre elles et des scènes d’amour sont montrées. Si nous n’avons pu voir que deux épisodes, le documentaire s’attarde sur ces scènes d’amour et sur la coordination de celles-ci.

La série se veut politique, progressiste et bienveillante à l’égard de ses actrices, chose qui, n’est pas aussi répandue qu’on le croit. À travers des scènes subtiles, on voit Eve être poussée à bout par la réalisatrice (du film tourné dans la série), qui la force à une intimité à laquelle elle ne consent pas avec son partenaire de jeu. Cela montre les prémices et les enjeux du documentaire Sex is Comedy réalisé par Édith Chapin.

Une première réalisation remarquable

Split est la première réalisation d’Iris Brey et c’est très prometteur. Le projet s’inscrit directement dans la lignée des précédents écrits de la journaliste (Sex and the Series, Le Regard féminin : Une révolution à l’écran…) qui ont l’objectif de déconstruire et de poser un regard neuf sur la perception du corps de la femme au cinéma.

Au sein de Split, la sexualité féminine est joliment mise en lumière, les plans sont beaux, poétiques et laissent entrevoir toute la sensibilité de la réalisatrice. Malgré les quelques scènes d’amour qui parcourent la série, il n’y a aucune scène de nue, mais des gros plans, des focus sur une bouche, une main, un regard. La sensualité y est subtile et délicate, plaçant la femme non plus en objet de désir mais en pleine possession de ses envies. La série réfléchit sur le schéma hétérosexuel et sa place dans l’émancipation d’une femme : « Être lesbienne, c’est devenir inexistante et menaçante; c’est quitter un système où tu as de la valeur ».

Sex is comedy : un documentaire nécessaire 

Pour les scènes d’amour dans Split, Iris Brey a fait appel à Paloma Garcia Martens, coordinatrice d’intimité. Si le concept est encore un peu étranger sur nos lèvres en France, la coordination d’intimité a fait son apparition aux États-Unis il y a un peu plus de dix ans. Un.e coordinateur.rice d’intimité est sur le plateau pour accompagner les acteur.rices lors de scènes d’amour et de nudité. Cela inclut donc des séances de respiration entre deux acteur.rices et d’apprendre à connaitre le corps de son partenaire, avant de commencer le tournage.

Tout ça nous est expliqué dans le documentaire Sex is Comedy d’Edith Chapin, projeté juste après le visionnage des deux premiers épisodes de Split. Il s’agit ainsi d’un projet double entre la série et le documentaire. Le documentaire se concentre sur la place de la coordinatrice d’intimité dans le tournage de Split, et du renouveau que cela apporte sur les tournages. Pour citer Iris Brey, il ne s’agit pas de rectifier mais de montrer ce qui lui a manqué, en tant que femme, dans les médias. Avec ce nouveau métier, il y a volonté de rendre le cinéma meilleur, plus bienveillant et respectueux des acteur.rices.

Pour d’autres visionnages Girl Power, rendez-vous sur la plus belle avenue du monde jusqu’au 27 juin prochain.


Kate Stables par Cédric Oberlin

Le 9 Juin prochain sort le sixième album de This Is The Kit, Careful of your Keepers. Nous avons eu l’occasion de discuter avec Kate Stables, la chanteuse.Nous avons ainsi pu en apprendre davantage sur son rapport à l’industrie de la musique,  parler de l’environnement et de pourquoi les dents sont omniprésentes sur cet album.
This Is The Kit passe au Trabendo le 6 octobre prochain. 

P&P : Félicitations pour ton nouvel album ! Est-ce que tu peux nous le décrire en quelques mots ? 

Kate : C’est difficile de le faire sans répéter le titre de l’album parce que ça le décrit vraiment bien. J’imagine que c’est une réflexion sur un voyage solitaire, apprendre à vivre et voyager seule.

P&PC’est ton sixième album, est-ce que tu ressens une évolution dans ta manière d’appréhender la sortie ?

Kate : C’est sûr que ça a changé, oui. En plus, le monde de la musique a beaucoup changé, donc les choses que l’on me demande de faire changent à chaque fois. C’est marrant parce que le dernier album (Off Off On, 2020, ndlr) est sorti pendant le confinement donc c’était vraiment bizarre comme expérience. Pour le stress, je pense que ça dépend. Au début de chaque promo d’album je suis assez stressée et à un moment je finis par me dire « mais oui je me souviens comment je fais, ça se passe comme ça à chaque fois » et je gère mieux mon stress. Il y a toujours le premier moment de stress avant de me détendre. Et pour cet album, j’ai eu cette  épiphanie la semaine dernière. J’étais complètement nerveuse mais c’était aussi à cause de concerts que j’avais qui me mettaient un peu la pression. Mais là, ça va mieux.

P&P : Quand tu parles de cet album, tu dis « This one has teeth », est-ce que tu m’expliquer ton rapport à la symbolique des dents ?

Kate : Je me suis rendue compte qu’il y a beaucoup de thème de « biting », de « chewing », d’avoir les choses dans la bouche dans l’album et je me demande si c’est pas une métaphore inconsciente de la compréhension et du traitement d’informations par le cerveau.

P&P : Food for thoughts ?

Kate : Oui, c’est ça ! (rires) Donc toute la digestion de la vie, les émotions, etc. On est des créatures orales en soit, on met toujours quelque chose dans nos bouches mais ça m’a fait penser aux bébés aussi. Il y a toute une phase de développement où tout passe par la bouche et je me demande si quelque part, il y a une forme de renaissance et de redécouverte du monde en mettant tout dans la bouche (rires).

P&P : Tu dis que cet album est sur le fait d’accepter les erreurs, les difficultés et le passage du temps. C’est quelque chose qui apparait déjà dans tes précédents albums, pourquoi c’est important pour toi de parler du prosaïque ?

Kate : Je suis pas quelqu’un qui a envie de faire passer un message à tout le monde. J’écris les chansons pour moi, pour apprendre et explorer des idées et essayer de démêler des concepts, des idées, des expériences. Voilà, peut-être que c’est mon cerveau qui a besoin de comprendre l’expérience humaine, les relations humaines et encore, c’est ce voyage solitaire. On est tous seuls mais on peut quand même s’aider les uns les autres.

J’écris les chansons pour moi, pour apprendre et explorer des idées et essayer de démêler des concepts, des idées, des expériences.

P&P : Tu as travaillé avec le producteur Gruff Rhys. Tu l’as décrit comme un « tonesetter » (celui qui donne le ton, ndlr).

Kate : Oh, c’est pas moi qui ai dit ça, c’est le mec qui a écrit la bio mais c’est vrai qu’il a dit que c’était moi qui l’avait décrit comme ça (rires). Mais il a raison, il a vraiment su donner le ton, même si moi je n’utilise pas le terme « tonesetter » mais son énergie et sa présence ont été hyper importantes dans le studio.

P&P : Qu’est-ce que ça vous a apporté de collaborer avec lui sur cet album ?

Kate : D’abord, ça nous aidé à être à l’aise dans le studio et de vraiment apprécier sa présence. Il donnait des idées mais il laissait beaucoup de place au moment de l’enregistrement aux gens de donner leur avis, d’enregistrer, de tenter des trucs et de jouer avec leurs instruments. C’est au moment du mixage qu’il proposait ses idées. Ça a été un moment de grande créativité, j’aimais bien. Il ajoutait, il enlevait des trucs. En plus, c’était facile parce que c’était lui, l’ingénieur et moi et c’était plus facile que si on avait été six ou huit à réfléchir sur le mixage.

P&P : Et ce qu’on remarque aussi c’est que depuis deux ou trois albums, il y a une influence jazz sur tes morceaux. D’où te vient cette influence ?

Kate : je pense que c’est les gens avec qui je travaille, qui joue une musique que j’adore et il y en a pleins avec un background assez jazz justement. Et aussi, à force d’avoir les cuivres, ça donne un truc un peu jazz forcément. Je pense que c’est leur influence, c’est pas moi qui ai décidé de faire des morceaux jazz en fait. Je les aies laissés complètement improvisé et c’est là que les sonorités jazz ressortaient.

En fait j’ai l’impression que le fait de voyager et bouger autant, ça me donne des moments de tranquillité.

P&P : tu vas commencer une petite tournée au Royaume-Uni en septembre. Est-ce que ce moment de vie un peu nomade a une influence sur ta manière de concevoir ta musique ? Est-ce que ça te permet de réfléchir à ta vie ?

Kate : Oui, complètement ! C’est marrant, en fait j’ai l’impression que le fait de voyager et bouger autant, ça me donne des moments de tranquillité. Quand tu es dans un train, ou dans une voiture, tu peux rien faire d’autre et tu peux réfléchir sur les choses. C’est pas mal pour l’écriture. Mais c’est vrai que le fait de tourner autant me donne un peu de mal à faire de la musique parce que je ne suis jamais vraiment toute seule. Même si on est tout seul dans nos têtes, on est tout le temps ensemble et j’ai du mal à écrire de la musique. Donc c’est au moment où je rentre que je me pose pour vraiment écrire une chanson. J’aime beaucoup voyager et je pense que ça influence beaucoup mon écriture.

P&P : Et cette tournée au Royaume-Uni, est-ce que ça te fait bizarre de retourner là-bas maintenant que tu habites à Paris ?

Kate : Hmm, non, en fait j’aime bien parce qu’il y a certaines choses qui me manquent en Angleterre mais pas suffisamment pour que je veuille m’y réinstaller. Mais ça fait du bien d’y retourner et d’acheter du Marmite, voir les choses hyper familières. Après j’aime bien rentrer à Paris et faire ma vie. J’ai appris que j’avais besoin de ces deux vies là. Bien-sûr, c’est toujours chouette de retourner en Angleterre, le groupe est là-bas en plus. Et puis on est plus connus là-bas, on joue dans des salles plus grandes qu’ici. Mais j’adore aussi jouer dans des plus petites salles en Europe. J’aime bien pouvoir choisir entre les deux.

P&P : J’ai remarqué dans tes chansons qu’il y a beaucoup de jeux sur les sons (chew chew choose you // hopeless homesick hopelessly stick) et d’où vient cette sensibilité stylistique ?

Kate : J’adore jouer avec les mots et les détails de sons et de sens. C’est là que je trouve le plaisir d’écrire. Je sais pas si c’est moins évident en français mais l’exemple de « I chew chew choose you » c’est une citation des Simpsons (rires). C’est très connu par les gens qui ont grandi avec les Simpsons en anglais mais c’est vrai que pour ceux qui ont grandi avec les versions doublées ça l’est moins. Voilà… c’est une phrase volée aux Simpsons !

Quand je joue dans une salle où je connais pas l’ingé-son,  il me met toujours du reverb, juste parce que je suis une femme

P&P : en tant que femme dans la musique, un milieu dominé par les hommes mais post me too, est-ce que t’as ressenti des changements dans le monde de la musique ?

Kate : Je pense que je vois les changements dans le monde et par logique, dans le milieu musical aussi. Mais les gens font plus attention et je trouve ça bien de ne plus choisir automatiquement un homme. Je pense que la mentalité des gens a changé un petit peu. C’est en perpétuelle évolution tu vois ? À un moment, les femmes ont eu le droit de vote et maintenant, enfin, il est normal de trouver une femme derrière la table de mixage, régisseuse ou des trucs comme ça. Les métiers sont de plus en plus variés. J’ai pas trop vécu de sexisme brutal dans ma carrière, j’ai eu la chance de bosser avec des gens chouettes donc ça va mais il y a certains trucs qui existent toujours et qui m’agacent. Le fait que je sois une femme, ça veut dire que tout le temps, on veut me photographier avec des fleurs, les pieds nus ou du maquillage, des trucs comme ça. Ça m’énerve cette vision très binaire des femmes. Quand je joue dans une salle où je connais pas l’ingé-son, il me met toujours du reverb, juste parce que je suis une femme ! Est-ce que tu ferais ça pour Sleaford Mods ? Ça, c’est toujours assez gênant.

P&P : Comment tu réussis à gérer ta vision artistique avec l’omniprésence des réseaux sociaux ?

Kate : C’est très dur. Il y a pas mal de pression des labels, et je comprends parce qu’ils veulent faire leur travail et ils le font très bien d’ailleurs mais chaque établissement ou personne a leur avis par rapport aux règles. Il faut constamment demander aux gens de liker les trucs, de s’abonner et ça me correspond pas du tout parce que j’ai pas envie de demander aux gens de faire quoi que ce soit. Mais c’est dur parce qu’en même temps, c’est de la pub. Il faut vraiment trouver une manière marrante de le faire et donc d’essayer être honnête avec nos propres valeurs. En plus ça prend beaucoup de temps, tu passes ton temps à réfléchir. T’es plus dans le présent vu que tu recherches tout le temps du contenu. Mais ça fait partie du job.

P&P : On voit qu’il y a de plus en plus d’artistes qui prennent conscience de l’environnement. J’ai vu que ton vinyle serait un « eco-vinyle ». À quel point c’est important pour toi de prioriser l’eco friendly ?

Kate : Oui, c’est important pour moi de prioriser l’environnement parce que je me sens assez affreuse par rapport à mon travail et l’effet sur le Monde. Je suis obligée de voyager beaucoup. Quand tu fais de la musique, tu fabriques pleins de trucs en plastique à vendre dans le merch. Il faut essayer de limiter les dommages. En plus, il y a toujours cet équilibre entre les gens qui veulent faire moins de mal et ceux qui veulent profiter de ces personnes là. Parfois, c’est écrit « éco-vinyle » mais c’est pas vrai.

Careful of Your Keepers