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Penelope Bonneau Rouis

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Après deux concerts dans la capitale plus tôt cette année, Hozier est allé crescendo. L’Alhambra, puis l’Olympia… pour atteindre le Zénith. Celui qui réinvente le mythe d’Icare dans son dernier album, Unreal Unearth n’a pas peur de s’approcher du soleil. Et on l’en remercie, car le 29 novembre dernier, son public a touché les étoiles. Retour sur un moment chargé d’émotions tout en piété, lune rousse et revendications poétiques. 

Le 18 Juillet dernier, nous avions laissé Hozier tout en haut du Mont Olympia, loin d’être redescendu, il a continué son ascension. Ce soir, c’est entre les murs rougeoyants du Zénith que nous le retrouvons. À l’intérieur, ça bourdonne, ça grouille, ça tressaute, ça s’empresse. Les fidèles se rassemblent pour la (s)cène qui se dresse devant eux.

The Last Dinner Party : Queentette en dentelle

C’est The Last Dinner Party qui ouvre le bal. Le groupe féminin (lassitude que de se sentir le besoin de le préciser) a déjà tout ce qu’il faut du sensationnel. Robes longues, dentelle, une féminité rageuse et débordante qui fait du bien, des instrus à la Queen, des prestations vocales à la Kate Bush et des paroles à la Florence + The Machine. Rien que ça. C’est beau, c’est frais, c’est énervé et ça fout un coup à la Catholic Guilt qui semble pas mal sévir en Angleterre encore. Il suffit juste d’écouter leur morceau « Sinner » pour s’en rendre compte!

Confiantes de leur richesse musicale et esthétique, le groupe a tout misé sur la théâtralité de leur performance. Leur bonne humeur est contagieuse et rameute tout le Zénith qui chante en choeur des morceaux qui feront bientôt office de cosmogonie pour le groupe.
C’est au bout d’une demie heure tristement courte que le quintette tire sa révérence. Mais pas de panique, The Last Dinner Party repasse pour son premier concert en tête d’affiche le 20 février prochain, à la Maroquinerie. Leur premier album, Prelude To Ecstasy sortira en début d’année prochaine. Marie-Madeleine n’a qu’à bien se tenir.

To Noise Making (sing)!

À 21h, Hozier arrive à son tour sur scène. On a beau l’avoir vu trois fois cette année, on ne s’y fait jamais vraiment. Vêtu de gris, plutôt statique, et une masse capillaire plutôt enviable, il dégage une énergie magnétique assez contradictoire. Sa présence est à la fois puissante et désinvolte, un romantisme et un prosaïsme liés par la terre, élément prédominant de son dernier album. Terre des aïeux, enfers de Dante, les amants condamnés.

Il débute le set avec De Selby (part 1 & 2). Les écrans géants derrière lui montre des cieux étoilés qui peu à peu descendent sous terre, auprès des vers et des racines. Véritable épopée digne de celle d’Orphée que nous sert ici Hozier dont la voix puissante nous exorcise de nos peines.

Unreal unearth à l’honneur

Si la setlist reprenait beaucoup des tournées d’avril et juillet, Hozier a incorporé de nouveaux morceaux issus de son dernier album, Unreal Unearth. L’album sorti en août, a pu se déployer sur scène et se confirmer comme l’un des meilleurs albums de l’été. Petit moment cynique lorsqu’Hozier déclare « Time to lift our spirits up with a song about a dog being hit by a car! » avant que les notes d' »Abstract (Psychopomp) » ne s’entendent dans la salle.

Plus bavard que sur les précédentes dates, il n’hésite pas à s’adresser au public, un sourire radieux où les dents étaient de sortie. Difficile de s’imaginer que celles-ci ont croqué la terre.

À la belle étoile

L’un des moments forts des concerts d’Hozier c’est lorsque seul sur scène, il joue « Cherry Wine » issu de son premier album. Cette fois-ci, l’expérience est immersive. Entouré d’un halo rouge, une pleine lune rousse se lève derrière lui. Dans la salle, les gens l’accompagnent en choeur, tranquillement, tendrement, amoureusement. Si la scène n’était pas aussi haute, on se serait imaginé au beau milieu d’un champ, un soir de pleine lune avec sa voix comme seule guide sous la pâleur douce de la lune.

La nuit paisible passe au soir d’orage quand les premières notes de « Take Me To Church » débutent. Soudain, la messe passe à la manie, la sérénité à la frénésie. Dans la salle, ça s’empoigne, ça se dresse, ça pleure et surtout ça hurle. L’irlandais brandit fièrement un drapeau LGBTQIA+ donné par un des fidèles du premier rang. Le moment est d’une telle force que l’on s’oublie complètement. On se laisse entrer dans la danse, hypnotisé par la communion qui est train de se produire. Hozier pasteur qui guide son public vers le soleil. Le soirée est à son zénith.

People have the power

L’apogée n’est pas finie puisqu’au moment du rappel, Hozier parlera de Mavis Staples, présente sur l’excellentissime « Nina Cried Power ». Pour lui, le mouvement social aux États-Unis des années 60 a directement inspiré celui d’Irlande. C’est au peuple que revient le pouvoir. C’est le peuple qui fait bouger les choses. Une révolution ne peut être complète sans son expression poétique. C’est ce qu’Hozier célèbre dans ce morceau. Sur les écrans géants où apparait son visage, on semble voir des larmes perler au coin de ses yeux.

Comme à chaque date, il nommera et remerciera toute son équipe. Chose rare pour un artiste que de prendre le temps de remercier tout le monde, de son guitariste à l’ingé-son.

Après une performance émouvante de « Unknown/nth » et de « Work Song », Hozier quitte la scène sous les clameurs d’un public dont les joues et les mains sont aussi rouges que les murs de la salle. On ressort de là avec un début de coup de chaud et un soupçon de syndrome de Stendhal. Hozier a encore frappé et s’impose ainsi comme le seul homme capable de me faire crier Amen. En public.


Loverman @ Pénélope Bonneau Rouis
Loverman @ Pénélope Bonneau Rouis

Lors du MaMA Music & Convention, nous avons eu l’occasion de discuter avec Loverman. Doué d’une qualité scénique rare, il révolutionne presque l’idée du concert classique. À une ère de téléphones et de post covid, notre génération a de plus en plus le besoin de se sentir actif et ce jusque dans les concerts. Le monde de la culture lui-même est en pleine expansion. En moins d’une heure sur scène, Loverman nous amène à réfléchir sur notre manière de concevoir un concert, et d’y assister. En sautant dans la foule, parfois dès le deuxième morceau, regardant d’un oeil presque fou chaque personne une à une, Loverman brise le quatrième mur, la hiérarchie entre l’artiste et le public et crée un moment de partage inédit. Le spectateur peut être mal à l’aise face à cette effusion, cette rage, cette joie, à la manière d’un Platon sortant de la Caverne. On ne sait pas bien où donner de la tête. Surtout quand, après cette effusion, vient le calme, puis l’effusion à nouveau, rythme effréné qui ne laisse au spectateur aucun repère et répit. Le 27 octobre prochain sort son premier album avec ce projet, Lovesongs, une collection riche de chansons d’amour que l’on a hâte de découvrir sur scène… On a retrouvé Loverman dans les loges de l’Élysée Montmartre où il nous parle de son premier album, de sa collaboration avec Daisy Ray et de Simone de Beauvoir.

P&S : Ton premier album, Lovesongs, sort le 27 octobre prochain. Est-ce que tu peux nous le décrire en quelques mots ?

Loverman : L’album tourne autour du thème de l’amour, de mon amour. Je l’ai enregistré avec ma guitare, ma voix pendant le confinement dans ma chambre. Ce sera un peu low-fi parce qu’il n’y a pas de technique de « qualité ». Il y a beaucoup de bruits autour parce que j’aime bien cet effet. Ouais… C’était déjà trop de mots, désolé !

P&S : Tu as sorti 4 clips et on y voit toujours une créature aux mains longues. Ça symbolise quoi pour toi ?

Loverman : La main, c’est une créature magique, mystique qui te montre des trucs. C’est une femme, c’est Daisy en fait. Elle te montre une réalité alternative et t’ouvre les yeux. C’est aussi mon amoureuse en même temps. On pourrait dire « muse » mais j’aime pas ce mot.

P&S : Inspiratrice ?

Loverman : Oui, tout à fait. Elle te montre un chemin. Dans le dernier clip, elle apparait vraiment et devient un vrai personnage. Donc, c’est un peu entre la créature mystique et la personnification de mon amour, l’amour de Loverman.

P&S : En parlant de Daisy, ta compagne. La chanson d’amour est peut-être ce qu’il y a de plus universel. Qu’est-ce que ça t’apporte de collaborer avec la femme que tu aimes en terme d’inspiration ?

Loverman : Oh aucune idée, c’est un processus de huit ans et on a collaboré sur pleins de projets. On avait un groupe ensemble, Partners, les partenaires. Et après ça, on a continué à collaborer même après l’arrêt du groupe. C’est pas un processus facile en fait, mais au bout de huit ans, on est très forts ensemble. Ça donne beaucoup d’avantages mais c’est pas non plus facile de travailler avec ton amoureuse. C’est beaucoup de confrontations, tu te disputes sur des trucs sur lesquels tu ne te disputerais pas avec quelqu’un d’autre. Ça joue beaucoup, c’est un échange d’énergie. Tu partages beaucoup de choses très spécifiques. Tu es amoureux, mais aussi quand tu travailles sur un projet comme une vidéo, ça peut être comme des vacances. Comme on travaille que tous les deux, ça nous donne beaucoup de possibilités de DIY. J’adore cette manière de travailler.

P&S : Le nom « Loverman », c’est justement pour signifier que c’est un projet d’amoureux ? Est-ce que tu considères ce projet, même si tu es seul sur scène,  avec la collaboration de Daisy, comme un groupe ?

Loverman : C’est vraiment mon projet solo. Mais c’est un peu une continuation de notre projet précédent, Partners. Et à un moment, Daisy avait besoin de faire quelque chose d’elle-même. Et j’ai ressenti la même chose. On a commencé nos projets à peu près même moment, donc elle comme Daisy Ray et moi avec Loverman. Pour moi, c’est une continuation de Partners donc, une saga. C’est un peu sa mythologie. C’est une collaboration parce que les projets sont très passionnels. Il y a beaucoup de moi dans son projet et il y a beaucoup d’elle dans mon projet. C’est vraiment un échange, mais elle a sa vision et j’ai la mienne.

Une performance sur scène, ça doit avoir un truc imprévu. Il y a des choses qui sont propres au moment.

P&S : Tu avais un autre projet avant, Shht, qui est très différent de Loverman. Comment tu as fait la transition entre les deux projets ? 

Loverman : La transition a été graduelle mais en fait j’ai toujours fait beaucoup de choses différentes en même temps. J’ai toujours combiné, donc la transition s’est faite assez naturellement, j’avais besoin d’avoir un focus parce que c’était dur de faire ce que je faisais avec Shht en même temps que Loverman. C’était très physique, je criais beaucoup  et j’avais pas de technique. Je voulais pas avoir de technique pour crier donc j’ai cassé ma voix, mais je me suis reposé.

P&S : Avec Loverman, tu cries aussi beaucoup, mais c’est un cri beaucoup plus maitrisé et travaillé. Comment tu doses ça, notamment par rapport à ta voix ? 

Loverman : Je suis en train de crier pour des années. J’aime trop crier, c’est un truc physique. C’est très satisfaisant. Si tu le fais pas trop souvent, c’est bon. Bien sûr si tu hurles pendant une heure sans t’arrêter c’est pas bon. Juste avant, je fais toujours un warm-up, il y a beaucoup de techniques en fait.

P&S : Il y a une grande différence entre les versions studios de tes morceaux et la manière dont tu les interprètes sur scène. Est-ce que c’est quelque chose auquel tu penses quand tu les composes ? 

Loverman : Non, pas vraiment, c’est très spontané et instinctif. Pour moi le live et l’enregistré, c’est deux mondes très différents. Je les approche donc aussi très différemment. Une performance sur scène, ça doit avoir un truc imprévu. Il y a des choses qui sont propres au moment. J’aime pas trop la musique qui sonne comme si c’était sur scène. J’aime bien la musique que l’on peut écouter, qui n’est pas trop intense.  Je trouve ça très difficile de faire des morceaux énergiques sur scène et de traduire ça en version studio. C’est pour ça que je préfère enregistrer et de voir après comment je les joue sur scène.

P&S : Et tu aimerais enregistrer tes lives ? 

Loverman : Ouais, j’aimerais bien faire ça à un moment, mais quand je joue avec d’autres musiciens. Je veux intégrer plus de piano aussi, et des improvisations, de jazz. Et à partir de ce moment-là, j’aimerais bien faire un enregistrement du live.

Avoir une vraie connexion humaine et pas cette hiérarchie du podium et de la salle.

P&S : Quand tu joues, tu descends beaucoup dans la foule. C’est quoi la part de spontanéité et de performance ? 

Loverman : Même si c’est plus trop spontané parce que c’est le truc que je fais à chaque concert, c’est toujours différent. C’est jamais le même public et je peux faire ce que je veux. Si j’ai envie de crier, je le fais et on peut aller loin. Je suis plutôt à l’aise, on peut toujours aller plus loin, mais j’ai pas trop de temps pour jouer en ce moment. C’est plutôt des sets de 30 minutes et c’est court.

P&S : Il y a une grande notion de partage dans tes concerts, justement. D’où ça te vient cette envie de briser le quatrième mur ? Qu’est-ce que ça t’apporte en tant qu’artiste ? 

Loverman : Comme je disais, pendant un live, je veux de l’imprévu. Et la manière de l’atteindre, c’est juste de trouver l’élément variable et ça c’est le public. J’aime trop avoir une connexion avec le public, je trouve ça très important. Avoir une vraie connexion humaine et pas cette hiérarchie du podium et de la salle. Ça met les gens trop à l’aise en fait, artiste comme public. J’aime bien que les gens soient mal à l’aise à mes concerts et qu’ils ne sachent pas à quoi s’attendre.

P&S : Tu as fait quelques concerts en France maintenant. Quelle est la différence la plus frappante, selon toi, entre la scène belge et la scène française ? 

Loverman : Oui, je sens beaucoup de différences. Je trouve que les français sont très enthousiastes, très accueillants. J’ai déjà entendu qu’on disait l’inverse, notamment des parisiens mais j’ai jamais ressenti ça. Quand j’ai fait mon premier concert à Paris, je me suis dit « oh putain, j’adore ici, je m’y attendais pas ». Vraiment, j’avais pas prévu une telle énergie. Mais en terme de différence, je trouve que le public belge plus réservé, plus sérieux…. plus boring ouais… Et les français ont plus de joie de vivre. Les femmes ici sont plus libérées dans leur esprit, dans leur énergie. Elles osent plus facilement s’exprimer.

P&S : On a eu Simone de Beauvoir… 

Loverman : Tout à fait ! Mais c’est ça ! On a vraiment de développer plusieurs manières de parler de l’amour en français, qu’on a pas développé en néerlandais. Par exemple, Simone de Beauvoir, Sartre et leur relation triangulaire sont des choses que tu apprends assez jeune quand tu grandis à Paris ou en France. Ça fait partie de votre culture. Je trouve ça fascinant.

Les femmes ici sont plus libérées dans leur esprit, dans leur énergie. Elles osent plus facilement s’exprimer.

P&S : Tu es chez Pias, un beau label. Est-ce que ça a une influence inconsciente sur ta manière de concevoir ta musique ? 

Loverman : Non, je crois que ça va. C’est surtout un échange entre nous. J’ai l’impression que j’ai beaucoup à donner à Pias. Je viens d’un milieu un peu atypique, un peu expérimental et ça les met un peu mal à l’aise d’une façon, mais dans le bon sens du terme. Il y a pas de hiérarchie où Pias est au-dessus et je suis en-dessous et vice versa. On cohabite et ça marche bien. Et Pias France a une super équipe, j’ai une très bonne relation avec les gens ici.

P&S : Allez dernière question, pourquoi le tambourin ? 

Loverman : Parce que c’est un peu ridicule. Il y a de l’humour et c’est facile à jouer. Je peux le transporter partout, il y a pas besoin de micro parce que c’est tellement fort ! Le tambourin, si t’en joues pour une salle comme le Trianon, t’as rien pour l’amplifier et pourtant tu l’entends partout ! C’est un instrument dingue en fait.


Ethan P. Flynn par Danny Lowe
Ethan P. Flynn par Danny Lowe

Vous ne connaissez peut-être pas encore son nom mais Ethan P. Flynn a déjà une carrière bien lancée. Collaborateur de David Byrne ou encore FKA Twigs, il sort le 6 octobre prochain son premier album, Abandon All Hope. Il s’agit de son premier projet solo. Il nous parle ici de la conception de son album, de son nouveau label et de ses collaborations.

Pop&Shot : Félicitations pour ton premier album, Abandon All Hope. Peux-tu nous le décrire en quelques mots?

Ethan P. Flynn : Alors, en quelques mots… Il… est… Fini (rires).  C’est difficile, je connais tous les aspects de cet album dans les détails que de décrire le projet final en devient compliqué. Quand je l’ai écouté avec des gens que je ne connaissais pas lors d’une listening party, c’est là que j’ai compris ce qu’il en était. C’est l’album le plus bizarre avec l’air le plus ordinaire que je pouvais faire. Je veux dire, c’est que du guitare-batterie, mais avant je jouais avec le reverb, les effets, les samples et là j’ai réussi à dire ce que j’avais à dire avec les ingrédients d’un rock plus classique.

P&S : Cet album est un mélange de rock des années 70 et de thèmes plus « modernes » comme l’anxiété, les angoisses.  Comment l’inspiration t’es venue?

Ethan P. Flynn : J’écris que de ma propre perspective, et j’ai de l’anxiété, comme beaucoup de gens de nos jours parce qu’on a grandi avec beaucoup de trucs angoissants. Je n’écris pas sur l’anxiété en tant que telle, c’est juste que ça traverse mon écriture. Si j’essaye de transmettre une certaine humeur, ça se ressent dans la mélodie ou les paroles donc c’est peut-être pour ça que ça ressort autant. J’ai écouté beaucoup d’albums des années 70 pendant que je faisais mon album comme Neil Young, Bob Dylan, etc. Je pense que c’est pour ça que mon album ressemble à ça. Mais c’est difficile de refaire des albums comme à cette époque là, parce qu’ils coutent très cher. J’ai signé mon contrat d’enregistrement en 2018 et j’ai décidé de dépenser cet argent sur cet album. Je n’aurais pas pu lui donner ce son tout seul.

Il y a beaucoup de réflexion sur cet album, sur le fait de grandir notamment et c’est très poétique.

P&S : Est-ce que tu vois cet album comme un hommage à l’âge adulte et l’anxiété et la solitude qui peuvent venir avec?

Ethan P. Flynn  : Il y a beaucoup de réflexion sur cet album, sur le fait de grandir notamment et c’est très poétique. Mes parents se sont séparés cette année et ils ont dû vendre la maison où j’ai grandi, au moment où je finissais l’album. C’est tout un chapitre de ma vie que j’ai placé dans cet album, mais c’est pas forcément sur l’idée de grandir, c’est plutôt sur une période spécifique de ma vie.

P&S : Il y a beaucoup de recul dans les paroles. C’est important pour toi de prendre du recul sur tes émotions quand tu écris ou c’est plutôt spontané?

Ethan P. Flynn : Je pense que prendre du recul fait surtout partie de ma personnalité et je suis très « self-conscious » donc ça apporte sa dose de recul aussi. Et l’imaginaire dans les paroles, c’est un aspect très important pour moi. Par exemple si tu écoutes After The Gold Rush de Neil Young, il y a tellement d’images très fortes et j’essayais de faire ça aussi.

P&S : Tu as enregistré cet album en 12 jours.

Ethan P. Flynn : Oui ! C’était une session de 5 jours, une autre de 4 jours et une autre de 3 jours. Et j’ai passé des mois à le retravailler ensuite, monter l’album et déterminer les transitions. Mais c’est surtout l’écriture qui a pris du temps parce que je travaille surtout en parolier ces temps-ci et quand je dois écrire pour moi, je perds un peu mes moyens. C’est plus facile pour les autres.

P&S : Tu as produit cet album tout seul. Tu préfères collaborer ou travailler seul ?

Ethan P. Flynn : J’aime les deux, ce sont deux processus très différents. Travailler tout seul, c’est comme écrire un livre et travailler en collaboration, c’est comme faire un film. Il y a eu des éléments de collaboration sur cet album, je ne joue pas très bien de la batterie alors c’est trois batteurs différents, mais j’écrivais quand même leur partie. Mais Ben Baptie, l’ingé-son et producteur de l’album, s’est occupé de tout ça, enfin on l’a fait ensemble, mais je m’appuyais sur quelqu’un qui savait faire tout ça parfaitement. Je le fais aussi mais pour ce projet, ça aurait été une trop grande tâche.

Il y a une liste au dos de l’album où je donne tous les instruments dont j’ai joué. Je crois qu’il y en a une vingtaine.

P&S : Tu es multi-instrumentiste, quelles parties as-tu joué sur cet album?

Ethan P. Flynn : J’ai joué de la mandola sur un des morceaux, j’avais réglé chaque corde sur une note différente pour donner cet effet au morceau. Il y a une liste au dos de l’album où je donne tous les instruments dont j’ai joué. Je crois qu’il y en a une vingtaine. Je joue un peu de clarinette mais j’ai pas réussi à l’incorporer sur cet album, c’était hors-sujet.

il y a une forme de désespoir presque positive, comme si l’espoir était notre chute et que l’abandonner pouvait être bénéfique.

P&S : Tu as dit dans une interview que « lâcher prise était un aspect très important de l’album ».

Ethan P. Flynn : Oui, il y a une forme de désespoir presque positive, comme si l’espoir était notre chute et que l’abandonner pouvait être bénéfique. C’est ce que j’ai essayé de mettre en avant sur l’album, d’où son titre. Par exemple, si tu espères devenir le roi du monde, tu es pétri de désillusions et ce n’est pas un bon espoir. J’essayais de me séparer de ce mauvais espoir et j’ai un peu ce sens de désespoir après le Covid et tout ça… C’est pas un album concept mais que c’est une bonne chose de lâcher prise.

P&S : Tu as récemment sorti le morceau « Clutching Your Pearls » dont tu as réalisé le clip.

Ethan P. Flynn : Oui à peu près. C’était mon idée de nous habiller en tenue un peu médiévale et de faire la fête mais j’ose pas considérer ça de la réalisation. J’aimerais vraiment m’y mettre mais c’est une forme d’art très sérieuse et précise. Ma tentative est très simple, sur du 16mm.  Je préfère prendre le temps de rechercher et de m’informer avant de diriger vraiment. Mais j’ai aussi dirigé la vidéo de « Bad Weather ». Elles ont été tournées le même jour.

P&S : Il y a deux clips où on te voit au volant d’une voiture. Il y a un symbolisme derrière ça ?

Ethan P. Flynn : La couverture de l’album montre un mec au volant aussi. C’était l’idée de Tim Brawner (qui a fait la pochette). J’avais vu un tableau de lui avec une voiture et je voulais qu’il le reproduise en bleu et en gros plan. Quand il l’a fait, je m’apprêtais à faire les clips. La vidéo de « Abandon All Hope », je voulais faire l’inverse de la pochette, donc une voiture rouge où tout le monde s’amuse et dans « Bad Weather » j’ai essayé de reproduire la pochette. Ma meilleure manière d’écouter de la musique, c’est quand je conduis, parce que je ne peux me concentrer sur rien d’autre que ça. Tu peux faire ça nulle part ailleurs.

P&S : « Crude Oil » est un morceau de seize minutes, quel a été le processus de création ?

Ethan P. Flynn : Je trouve ça toujours intéressant d’avoir une chanson long format comme ça sur un album de rock. La plupart des albums avec de longs morceaux étaient des albums qui marchaient très bien et c’est pas si étrange d’avoir de longues compositions en pop. Même Taylor Swift a sorti une version de 10 minutes d’un de ses morceaux. C’est toujours dans l’ère du temps. Mais si dans les années 50, quelqu’un avait sorti un morceau très long, personne n’aurait apprécié, alors que dans les années 60… Enfin, j’ai écrit ce morceau pour qu’il dure 6 minutes et je me suis laissé aller. Je me souviens pas très bien de l’enregistrement, tout a été tellement rapide. C’est mon morceau préféré.

P&S : Le dernier morceau est comme un dernier cri et il est très différent des autres morceaux de l’album.

Ethan P. Flynn : « Crude Oil » devait être le dernier morceau et puis j’ai enregistré « Demolition » sur les trois derniers jours au studio qu’on a rajoutés en dernière minute. Je trouvais que l’album n’allait pas exactement où je voulais qu’il soit. Je voulais réfléchir à l’album en lui-même. J’avais enregistré ma voix et ça rendait bien mais ce n’était pas aussi expressif que je l’aurais voulu alors je voulais un dernier cri pour boucler tout ça. Et sur ce morceau, je chante dans le registre le plus bas que je suis puisse faire et à la fin je chante le plus aigu et le plus fort possible. Je voulais montrer tout un pan d’émotion. C’était un morceau très métaphorique et lyrique. Je voulais créer un contraste avec le reste de l’album, oui. En plus il s’appelle « Demolition », j’aime bien l’idée de la destruction de tout ce qu’il y avait avant.

P&S : Tu as récemment annoncé la création de ton label « Cruel Oil Records ». Pourquoi ce nom ?

Ethan P. Flynn : Je trouvais que ça sonnait bien. L’huile et le pétrole (« crude oil »), ça vient du sol, c’est brut et j’ai écrit la chanson avant. En fait, j’avais un groupe de musique que je voulais appeler Crude Oil mais ça ne s’est pas fait. Je ne suis pas ce genre de mec à être contre l’industrie de la musique, mais dans le futur, le monde des labels sera complètement différent et j’aimerais faire partie de ce changement. Si quelqu’un que je connais veut sortir sa musique et ne veut pas donner son intégrité ou ses droits, je veux l’aider avec le mien. Ce serait cool de pouvoir sortir pleins d’albums sans pour autant faire signer des contrats sur des années. Mon idée serait de se concentrer sur la musique essentiellement. Et puis, je fais beaucoup de collaboration, et ce serait le bon endroit pour les sortir.

P&S : En parlant de collaboration, tu as travaillé avec David Byrne (Talking Heads) ou FKA Twigs. Quelle a été l’influence de ces collaborations, surtout à un si jeune âge ? 

Ethan P. Flynn : Chaque collaboration est différente. Je travaille beaucoup avec FKA Twigs, j’étais encore avec elle hier et ça fait six ans que l’on se connait. Donc c’est très facile avec elle, je sais exactement ce qu’elle veut, comment elle le veut mais parfois quand j’aide à produire un morceau pour quelqu’un d’autre, ça va être surtout mes idées que je vais mettre en avant. Quand je travaille sur ma propre musique, tout ce que je fais est tiré de l’idée d’origine de la chanson. Par exemple, les émotions, la mélodie, etc. Mais quand je travaille avec d’autres personnes, je n’ai pas l’idée d’origine, ni la motivation derrière toutes les décisions. Je dois me concentrer sur ce qu’ils m’en disent. Ce qui est très différent. Mais je veux pouvoir faire les deux pour toujours.

P&S : On peut entendre la voix d’Ava Gore sur certains morceaux de ton album. Qu’est-ce que ça t’a fait de l’avoir sur ton album? 

Ethan P. Flynn : C’est une chanteuse très douée et on vit ensemble, ce serait bizarre de collaborer avec quelqu’un d’autre. J’aime bien le contraste entre une voix masculine et une voix féminine. Sur « Abandon All Hope », chaque voix représente une émotion différente. Elle représente presque un personnage dans cette chanson. J’ai travaillé avec de nombreux chanteurs dans ma vie et il y avait pleins de gens avec qui j’aurais pu collaborer, mais je préférais le faire avec elle, avec une seule personne. « 25 meters », sa chanson, est la première qu’on a sorti sur Crude Oil Records. À la base, on s’est juste dit qu’on allait faire une chanson et on l’a beaucoup aimée alors on l’a sortie.


PJ-Harvey
PJ Harvey par Steve Gullick

Sorti le 7 juillet dernier, le dixième album de PJ Harvey est un bijou de poésie. Dans la lignée  de White Chalk (2007) et de son recueil Orlam (2022), I Inside the Old Year Dying est une collection riche de poèmes et d’odes à son Dorset natal.

It’s a perfect day, POlly

Elle nous parait bien loin la Polly Jean de Dry ou de To Bring You My Love.  Celle qui a inspiré le sublime morceau « Into My Arms » de Nick Cave. Amante idéalisée, la romance a duré quatre mois, elle l’a quitté au téléphone. Énième « muse » qui dépasse le créateur et s’impose comme créatrice véritable.

Voilà un peu plus d’une décennie que le son de PJ Harvey s’est apaisé, tourné maintenant vers les auto-harpes, les pianos et son Dorset natal. Après The Hope Six Demolition Project, sorti en 2016, PJ Harvey avait traversé une phase de doutes face au rythme sempiternel du album-promo-tournée. Elle prend une pause, allongée par le confinement en 2020, qui lui permet de concevoir son deuxième recueil de poésie, Orlam, publié en 2022. Dans ce recueil, elle y évoque l’histoire d’une jeune enfant Ira-Abel Rawleset de sa vie dans le Dorset. Tout s’y mêle avec un lyrisme bien différent de ce à quoi PJ nous avait habitué. C’est pourtant une réussite.

L’ALBUM ET SON DOUBLE

Cet album arrive comme un miracle pour les fidèles de Polly Jean. Celle qui pensait avoir tiré un trait sur la musique, effectuant quelques bandes-son (Peaky Blinders, All About Eve, Bad Sisters…), revient ici avec un recueil de poèmes aux mélodies entêtantes, hantées. Sorti un an après son dernier recueil, l’album comprend certains de ses poèmes mis en chanson. Très imagé, il nous évoque une forêt, des animaux sauvages, une jeune fille à la recherche de l’amour pur.

L’album surprend cependant sur sa composition, plus apaisé que les précédents, on y décèle une inspiration presque électro sur certains morceaux, notamment « Prayer at the Gate » qui ouvre le bal (où on ne danserait que peu, chaque participant assis dans son coin). D’autres morceaux comme « Seem an I » nous évoque très timidement ses précédents opus.

Un album difficile et audacieux

Il faut le dire, I Inside The Old Year Dying est un album difficile à cerner. Il ne se dévoile pas en une écoute, ni même en deux. Il fait partie de ces compositions dont l’écoute n’est appréciable que d’une seule traite. Chaque morceau complète le précédent. Il est d’autant plus difficile à cerner lorsqu’à la lecture des paroles, certains mots, à nous, les non-anglophones, paraissent plus mastiqués que d’autres. En effet, comme dans Orlam, PJ  y mêle langue anglaise et dialecte du Dorset.

Bien loin de sa voix rauque de ses débuts, PJ Harvey met en avant une voix plus haut perchée, déjà étendue sur le très bon White Chalk (2007). La gracilité élastique de sa voix souligne la vulnérabilité émouvante de l’album.  PJ Harvey nous y apparait plus sensible et intime et impose sa vision de l’amour. « Love Me Tender » qu’elle déclame dans « Lwonesome Tonight« . Cette référence à Elvis n’est pas la seule au sein de l’album. Directement emprunté à Orlam, PJ Harvey fait référence à un certain Wyman-Elvis, fantôme de la forêt où la jeune fille s’enfonce toujours plus en quête de l’amour véritable et pur.

Un sans faute

Ce dixième opus est un brillant ajout à sa discographie jusqu’ici immaculée et qui, on l’espère pour elle et pour nous, le sera encore pour les années à venir.

Elle nous paraissait bien loin la Polly Jean de Dry ou de To Bring You My Love. Ou peut-être que non. Peut-être se cache-t-elle, tapie dans les mélodies de certains morceaux, prête à bondir et à rugir cette voix rauque et mélodieuse que nous aimons tant.

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I Inside The Old Year Dying, sorti le 7 Juillet 2023