Author

Penelope Bonneau Rouis

Browsing
Pénélope Bagieu par Pénélope Bonneau Rouis

Jury du Champs-Élysées Film Festival cette année, l’autrice et illustratrice Pénélope Bagieu nous parle de son intérêt pour le cinéma indépendant, de la place des femmes dans la BD, de savoir si on est auteur et de l’envie de tout cramer. Rencontre.

P&S : Bonjour Pénélope, tu fais partie du jury du CEFF cette année, est-ce qu’il y a un film que tu attends de voir particulièrement ? 

Pénélope : J’ai fait exprès de ne pas trop lire quoique ce soit sur les films que j’allais voir. Je voulais pas me faire de pré-idée, je savais même pas de quoi ça parle et même pendant les speechs d’intro, j’essaye de pas trop écouter, je veux pas savoir si ça a été un film qui a été long à monter. Mais tous ceux que j’ai vu pour l’instant étaient supers.

P&S : Ça représente quoi pour toi le cinéma indépendant ? 

Pénélope : J’ai l’impression que le cinéma indépendant, c’est le cousin le plus proche de la BD dans le cinéma. Parce qu’on a un peu le même genre de moyen et on se concentre sur la même chose. C’est à dire de parler de l’histoire de gens en essayant de créer de l’empathie. On parle de choses du réel, avec parfois un twist un peu fou mais en tout cas, notre objectif c’est de créer des liens avec des personnages qui sont forts et qui sont réels. C’est ce sur quoi on se concentre dans l’écriture et c’est pour ça que tous les films que je vois là, il y a un petit clic en moi. Je me dis que c’est super cette façon de tourner le dialogue, le soin apporté à ça, je pense que c’est le même questionnement que celui qu’on apporte en BD. Ça marche bien avec nous. Enfin je dis « nous » comme si on était pleins d’auteurs de BD à être là mais même en tant qu’auteur.

P&S : Et pourquoi tu as accepté d’être jury pour ce festival là ? 

Pénélope : Je trouve ça super que ce soit une sélection française et américaine et que tout soit mélangé. Je regarde même pas la nationalité du film que je vais voir. Et j’aime bien que ce soit doc et fiction, c’est deux aspects du réel qui sont vraiment complémentaires et c’est quand même une très très bonne sélection. J’ai l’impression que c’est un peu la crème du cinéma indépendant. C’est aussi des films, qu’à priori, j’aurais pas pu voir en salle de ciné ou du moins très difficilement. Je me sens assez chanceuse de les voir.

J’ai l’impression que le cinéma indépendant, c’est le cousin le plus proche de la BD dans le cinéma.

P&S : Cette année, le cinéma des femmes est à l’honneur avec la catégorie Girl Power. Comment tu vois cette place grandissante au sein des festivals de cinéma ? 

Pénélope : J’ai pas vraiment d’expertise là-dessus parce que je suis pas hyper calée en festival de cinéma et d’ailleurs en cinéma non plus mais je pense qu’au moment où en BD, on a mis en place le collectif des créateur.ices de bande-dessinées, il y a 50/50 qui s’est dessiné dans le cinéma. Le fait de se dire qu’il est temps que ça reflète la diversité dans la création, il faut que les institutions prennent des positions fortes de parité, de mise en avant et qu’elles jouent le jeu. Donc c’est un moment décisif.

P&S : D’ailleurs, il y a plusieurs de tes œuvres qui ont été adaptées au cinéma, Joséphine, La Page blanche, et même Les Culottées en série.  Quel a été ton rôle dans ces projets ? 

Pénélope : Il y a une formule différente par projet on va dire. Joséphine, j’ai eu aucun rapport avec la réalisatrice. Elle avait envie de faire son truc. Pour La Page Blanche, c’était un peu différent parce que j’ai pas écrit le scénario mais j’étais plus intriguée par ce qu’il se passait et j’ai beaucoup aimé le film donc j’étais contente de voir ça. Les Culottées, c’était un peu particulier. Il y avait plusieurs productions qui avaient envie de l’adapter et il fallait choisir. Quand j’ai rencontré les productrices de Silex, les idées qu’elles avaient m’ont fait me dire que c’étaient elles qu’il fallait pour ce projet. J’étais tellement en confiance et elles ont confié le projet à deux réalisatrices dont c’était le premier grand projet juste parce qu’elles leur faisaient confiance. Ça a été scénarisé par deux femmes scénaristes. Je me disais « qui mieux qu’elles peut comprendre l’enjeu de ça? »  Pas juste parce que c’étaient des femmes mais parce que leur discours était très engagé. Je les voyais pas dépolitiser le truc.

P&S : En parlant des Culottées, tu as récemment annoncé qu’il y allait y avoir une adaptation à la Comédie Française qui affiche déjà complet. Comment le projet a vu le jour ?

Pénélope : Alors là, pour le coup, 100% sans moi. J’ai appris que les droits étaient auctionnés et un jour j’ai appris que la pièce était faite. Mais j’ai très hâte de la voir.

 Je mets des personnages féminins par défaut, c’est vraiment mon neutre.

P&S : Dans chacune de tes oeuvres, tu mets toujours en scène des femmes. Des héroïnes, des personnages banals. Est-ce que c’est important pour toi de parler de personnages féminins dans le milieu de la BD qui reste encore très masculin ? 

Pénélope : Je me pose pas la question en me demandant si c’est important ou s’il y a une responsabilité. C’est très égoïste le travail en bande-dessinée.  Je mets des personnages féminins par défaut, c’est vraiment mon neutre. Je me dis pas « Je vais mettre une femme. » Je me dis que ce sera l’histoire de quelqu’un qui fait tel truc et pour moi quelqu’un c’est une femme en fait. Ce qui serait l’inverse ce serait de me dire « peut-être pour changer je vais mettre un mec » et là ce serait méga artificiel et ce serait une posture fausse qui m’intéresse pas. Et puis, il existe déjà quelques livres dont les personnages principaux sont des mecs donc ça va. Il se trouve aussi que dans ce que je lis, ce que je regarde, c’est les histoires de femmes qui m’intéressent. J’ai passé les trente premières années de ma vie à entendre que des histoires d’hommes et c’est pas un acte militant, c’est inconscient. J’ai une faim de rattrapage de tous ces récits que j’ai pas entendu, qui ne sont pas que ceux des femmes mais aussi ceux qu’on a tenu à l’écart de la narration. J’ai juste envie d’écrire et d’entendre les histoires de ceux qu’on a moins entendu.

J’ai passé les trente premières années de ma vie à entendre que des histoires d’hommes

P&S : Est-ce que tu as ressenti une évolution des mœurs entre tes débuts et maintenant dans le monde de la BD ? 

Pénélope : Alors, oui j’ai senti une évolution extraordinaire entre quand j’ai commencé il y quinze ans et maintenant. J’aurais pas du tout fait la même chose aujourd’hui et les livres que je fais aujourd’hui j’aurais pas pu les faire il y a quinze ans. Je pense que le changement est venue des très jeunes autrices, arrivées après moi. Je pense qu’on a toutes un peu un rôle à jouer dans la chaine, à toutes les générations. Mais je pense que celles qui ont vraiment mis un coup de pied dans la porte et qui ont enclenché l’accélération, c’est les plus jeunes, de moins de trente ans. Celles qui ont fait toute leur éducation de BD sans s’excuser d’être des filles, ce qui n’était pas encore le cas pour ma génération. Quand j’ai commencé la BD, je me suis beaucoup excusée d’être une fille et je faisais très attention aux sujets que je choisissais pour que ce soit pas trop clivant, ou qui plairaient aux mecs et derrière moi, t’as eu une génération qui s’est dit « J’en ai plus rien à secouer ». C’est elles qui ont fait les choses, c’est elles qui ont mis les vieux mecs du métier au pas. Même si j’ai conscience que ma génération et les précédentes ont chacune servi à quelque chose dans l’histoire. Moi j’ai l’impression que quand j’ai commencé à faire de la BD et que j’étais très médiatisée, c’est parce que j’étais une femme. Et il y avait un peu le truc curiosité médiatique de se dire « une fille dans la BD?! » alors que j’étais pas du tout la seule. Mais avant moi il y avait que trois exemples qu’on citait tout le temps genre Claire Brétecher. On a ouvert la porte et cette nouvelle génération l’a juste défoncée quoi ! Et ça s’engouffre avec une richesse et une force incroyables.

On a ouvert la porte et cette nouvelle génération l’a juste défoncée quoi !

P&S : Tu es autrice, illustratrice, militante et tu participes justement à cette idée de transmission et de rôle à jouer dans la chaine. Est-ce que tu as connu quelqu’un, une femme, qui t’a offert cette transmission ? 

Pénélope : Peut-être pas en la connaissant en direct mais parmi les artistes femmes dont je lis le travail, il y a celles dont je me dis « c’est exactement ça que je pense ». Il y en a plusieurs. En premier, Louise Bourgeois. Son parcours devrait être plus mis en avant, que les jeunes artistes soient plus au courant. Elle a quand même vécu cent ans, et a attendu très tard pour pouvoir créer parce qu’elle était contrainte par une vie de femme, qui l’empêchait de créer et elle a pu vivre de son art ensuite. J’ai lu une anecdote merveilleuse sur elle. Quand ses enfants sont partis de la maison, elle a transformé la cuisine en atelier. Elle aura plus à faire à manger à des gens et elle va pouvoir créer en fait. Je pense que même si on est plus à cette époque là et que les femmes ne sont plus aussi enchainées à ça, on est quand même enchainées à toutes les injonctions que l’on ressent en tant que femme et je trouve que c’est très éclairant de se dire que l’on finit toujours par trouver un chemin parce que le besoin de créer nous dévore, il nous submerge. Et cette femme qui a eu le gros de sa carrière -et quelle carrière!- entre ses 50 et 100 ans, moi qui en ai 41, je trouve ça incroyable. Et pour l’étincelle plus jeune, ça reste Tove Jansson qui a exactement la carrière que je veux. J’aimerais me calquer dans ses pas et dans ses choix de carrière. Pour moi, c’est la femme qui vit par l’idée de faire ce que l’on aime. Si ça ne lui plait pas, elle le fait pas. Il n’y a que quand on dessine par plaisir que l’on fait dans des bonnes choses. La joie ne peut venir que de choses sincères. Les Moomins ça cartonnait et un jour elle s’est dit « ça ne m’amuse plus, j’arrête » et elle a arrêté et elle est partie dans sa petite baraque sans électricité sur une ile avec sa meuf. Je me dis toujours « N’oublie pas! Que ferait Tove? » Si ça t’amuse pas il faut pas le faire. C’est un mantra pour moi. Il ne faut faire que les projets qui me font plaisir et ça paye vraiment.

 C’est très éclairant de se dire que l’on finit toujours par trouver un chemin parce que le besoin de créer nous dévore.

P&S : Dans une interview, tu parles de légitimer la colère féminine. Est-ce que c’est un moteur principal pour toi, la colère ? 

Pénélope : Ça l’est un peu moins maintenant. Je vais être très honnête, depuis un an, ma colère se transforme en angoisse. J’arrive plus à avancer en me disant juste que l’on va y arriver en pétant tout. Le climat s’est tellement durci depuis un an en terme de fascisme, de privation de liberté. Je commence à me décourager. Mais le militantisme reste collectif, joyeux. Il reste la seule source d’espoir. Oui, il faut continuer de puiser dans sa colère en tant que femme, c’est une source infinie vu que l’on aura toujours des raisons d’être en colère. Je pense que de mon vivant, je ne verrai pas l’égalité. Toute ma vie, quand je commencerai à me dire que je suis bien dans mon petit fauteuil, je me redresserai et « putain, c’est vrai j’avais oublié, faut tout cramer ». Je serai toujours ramenée à l’envie de tout cramer mais je trouve que c’est dur en ce moment. On a l’impression de vraiment perdre du terrain et que ce retour de baton, il est vraiment plus violent que prévu. Il y a beaucoup de moments où ça me démoralise mais justement, je suis un peu vivifiée par l’engagement de la jeunesse, des jeunes femmes. Je trouve que les visages qu’on voit en ce moment, de celles qui osent aller mettre des pavés dans la mare, c’est des meufs de moins de trente ans et qui s’en prennent plein la gueule et qui y retournent. Peut-être que c’est moi qui vieillis et qu’il faut que je me laisse gagner par cette colère toujours intacte des jeunes. C’est marrant parce que Gloria Steinem, elle dit l’inverse. « Normalement on fait un travail complémentaire les jeunes et les vieilles féministes parce que les jeunes sont enthousiastes et les vieilles sont vertes de haine ». Et maintenant j’ai l’impression qu’il faut que je m’inspire de la colère des jeunes.

P&S : Ton dernier livre, Les Strates, est sorti il y a deux ans. Ce n’est pas ton premier projet autobiographique, il y avait eu ton blog Ma Vie est tout à fait fascinante. Pourquoi c’est important pour toi de puiser dans tes expériences personnelles ? 

Pénélope : Je l’ai fait parce que ça me fait plaisir. Il y a rien de plus facile que de faire de l’autobiographie. C’est presque de l’écriture automatique. C’est des histoires que j’ai raconté quinze mille fois à l’oral à des amis et c’est agréable à dessiner et c’est cool de faire des grimaces pas possible à ma propre gueule. J’aurais pu en faire huit cents pages, vraiment ! C’est la récré. C’est ce que je fais depuis toujours mais c’est dur de se dire que c’est suffisamment intéressant pour être dans un livre. Il n’y a pas que les mémoires d’un auteur de cinquante ans qui se pose des questions pas possibles qui sont intéressantes. Ce qui est dur, c’est de transformer ce truc qu’on fait intuitivement et joyeusement quand on est une femme, ce petit vivier de trucs qu’on connait, et d’admettre que c’est une histoire légitime. C’est ma façon de le raconter qui va faire que c’est une bonne histoire. Même si je raconte que je vais acheter du pain et que j’ai oublié ma monnaie et que je le raconte bien, eh ben c’est une bonne histoire donc il faut arrêter de se dire qu’on est pas à la hauteur et toutes les histoires valent la peine d’être racontées.

P&S : Quand est-ce qu’on devient auteur selon toi ? 

Pénélope : Si tu aimes écrire et qu’il y a une personne qui aime ce que tu écris, t’es auteur. J’ai affiné au fur et à mesure du temps parce que j’attendais qu’on me donne mon pin’s d’autrice. Je disais que « je faisais mes petites BD » et j’admirais trop les gens qui se disaient auteurs. J’aurais trop aimé être capable de le dire avec aplomb et puis je me suis  dit : « J’aime écrire, je peux y passer la journée et il y a au moins une personne sur terre qui aime ce que j’écris… c’est bon je suis autrice ». Il faut enlever la considération économique je pense. Que tant que t’en vis pas, t’es pas auteur… C’est archi faux, de tous temps, les auteurs ont crevé la dalle. Si quelqu’un a hâte de lire ce que tu as écrit, t’es auteur. Voilà.

P&S : Dernière question, parce qu’on est à un festival de cinéma.  C’est quoi tes films cultes  ? 

Pénélope : Ouhla c’est dur. Bon pour moi la pierre angulaire de tout dans la vie, c’est Jurassic Park. Je pense que c’est le film que j’ai le plus vu de ma vie. J’aime énormément le cinéma de Wes Anderson, comme beaucoup d’auteurs de BD, il me donne des frissons en terme de cadrage. Et j’ai un rapport émotionnel très fort avec La Famille Tenenbaum, j’ai envie de vivre dedans. C’est le point commun de toutes les oeuvres que j’aime : quand j’ai envie de vivre dedans plus que dans la vraie vie. Récemment j’ai regardé Salade Grecque. ll y a des choses que j’aime, des choses que j’aime moins, mais je suis admirative d’un truc chez Klapisch, il est l’auteur qui perd jamais le fil de la jeunesse. J’aimerais comprendre quel est son secret pour comprendre à ce point la jeunesse. C’est l’anti-boomer. J’adore ses personnages féminins qui sont supers, il a pas attendu que ce soit cool pour le faire et il est jamais à côté de la plaque. Il choisit un quartier de Paris et on y est, les gens qui parlent on les connait. Dans Salade Grecque, l’épisode de Noël, qui sait mieux faire une scène de repas de famille que lui ? Quel maestro quoi. J’adore Cédric Klapisch, je suis vraiment originale…C’est un boss.


Cette année a lieu la douzième édition du Champs-Élysées Film Festival qui se tiendra du 20 au 27 juin 2023. La programmation complète a été annoncée sur  le site officiel de l’événement.

Tout est dans le titre, le festival aura lieu sur la plus belle avenue du monde. Et les quelques cinémas restants de l’avenue accueilleront l’évènement pour célébrer le cinéma franco-américain comme à son habitude.

Les invités sont prestigieux :  Les réalisateur.rices Ira Sachs et Eliza Hittman sont les invité.es d’honneur de cette édition. Parmi les autres invité.es, on retrouve notamment Ben Wishaw, Claire Simon et Elvire Duvelle-Charles. Côté jury, on retrouve Bertrand Bonello en président du jury et qui était déjà présent l’an dernier pour présenter son film Coma. La bédéiste Pénélope Bagieu et le comédien Rabah Nait Oufella (Grave) feront eux-aussi partie du jury.

En compétition cette année :

Passages d’Ira Sachs avec Adèle Exarchopoulos sera le film présenté lors de la cérémonie d’ouverture. Dans la catégorie long métrage français on retrouve :

  • État limite de Nicolas Peduzzi
  • Il pleut pans la maison de Paloma Sermon Daï
  • Vincent doit mourir de Stéphane Castang
  • Parmi nous de Sofia Alaoui
  • La Sirène de Sepideh Farsi
  • La bête dans la jungle de Patric Chiha

Dans la catégorie long-métrages américains :

  • Another body de Sophie Compton et Reuben Hamlin
  • Kokomo City de D. Smith
  • Mutt de Vuk Lungulov-Klotz
  • Sometimes I think about dying de Rachel Lambert
  • This Closeness de Kit Zauhar
  • Rotting in the sun de Sebastián Silva

Cette année, les moyens-métrages ont eux aussi droit à leur propre compétition !

  • Eurydice, Eurydice de Lora Mure-Ravaud
  • La Lutte est une fin d’Arthur Thomas-Pavlowski
  • Tornade d’Annabelle Amoros
  • Rue Philippe Ferrières de Maxence Stamatiadis
  • Mimi de Douarnenez de Sébastien Betbeder
  • Les Chenilles de Michel et Noel Keserwany

L’autrice-compositrice et productrice de musique Rebeka Warrior présidera le jury des formats courts et sera accompagnée de Dimitri Doré, Charlotte Abramow, Simon Rieth et Lina Soualem.

Le film présenté lors de la cérémonie de clôture est un film de Raphaël Balboni et Ann Sirot, Le Syndrome des amours passées qui sera projeté le 27 juin au Publicis Cinéma.

Comme chaque année, le Champs Elysées Film Festival accueillera des musicien.nes pour des showcases sur le rooftop du Publicis. Parmi les artistes cette année on retrouve Silly Boy Blue, Léonie Pernet, Jenny Beth et Nathalie Duchene.

Le festival débute le 20 juin prochain, sur la plus belle avenue du monde.

Découvrez le teaser officiel


Grand Blanc par Romain Ruiz

À peine un mois après la sortie de leur troisième album, Halo, nous avons eu l’occasion de discuter avec Camille et Benoît de Grand Blanc. Ce fut l’occasion d’en apprendre davantage sur la nouvelle direction musicale du groupe, de leur nouveau label Parages et de leurs voyages qui ont inspiré ce troisième opus d’une grande douceur. 

P&P : Bonjour Camille et Benoît, comment ça va ? 

Benoît : Ça va bien, on répète pour les premiers lives et c’est cool franchement, on a bien travaillé, on est contents !

P&P : Félicitations pour Halo. C’est quoi l’inspiration principale derrière l’album ? 

Camille : Je pense que c’était notre vie ensemble pendant ces quelques années. Ça a duré trois, quatre ans, je pense ? Enfin depuis la fin de notre dernier album, on a passé pas mal de temps ensemble, on a vécu dans une maison, dans laquelle on se trouve actuellement et on a construit un studio, on a monté un label et on a pris le temps de vivre ensemble et je pense que cet album parle de ça.

BenoîtEt puis en vivant dans une maison, notre rythme de vie et notre manière de faire de la musique ensemble a pas mal changé. On avait plus de label, on était en train de monter le nôtre, donc on avait plus forcément d’agenda. Le studio, c’est plus genre la journée et puis le soir tu rentres chez toi. On vivait un peu à l’intérieur de notre album. L’inspiration, ça a aussi été ça, cette espèce de rythme super lent, voir les saisons passer, tout ça.

CamilleEt aussi l’extérieur, les alentours de la maison dans laquelle on vivait qu’on a appelé « Parages » qui est le nom de notre label aussi. On avait un peu cette map autour de la maison qu’on explorait et qu’on a apprivoisé avec le temps et l’extérieur se retrouve pas mal dans le disque.

P&P : Et d’ailleurs cet album est beaucoup plus organique que les précédents. Est-ce que ça vous est justement venu de cette cohabitation, cette volonté de changer de style ? 

BenoîtOui, effectivement tu parles d’organique et c’est marrant parce que vivre ensemble en communauté, c’est quelque chose d’organique en soit. On travaille avec Adrien Pallot qui nous aide à réaliser nos disques depuis le premier. Il a été pas mal à la maison aussi et parfois on dit qu’Adrien c’est la personne qui nous a appris que faire à manger et tenir une maison quand tu fais de la musique dans une maison, c’est presque aussi important que faire de la musique pour faire un disque. Donc je pense que le côté organique, littéralement, il vient aussi du bon fonctionnement de notre communauté. Enfin, c’était comme ça qu’on allait faire un bon disque et après ça répond à organique dans le sens plus esthétique du terme, comme on était dans une maison, on travaillait pas forcément les chansons sur ordi mais parfois dans le jardin avec une guitare acoustique. C’était plus light, on avait pas besoin de se brancher. Et ce mode de vie a fait que dans cet endroit, c’était hyper adapté d’avoir des instruments acoustiques, d’enregistrer des choses dans les alentours, ça a fait le son de Halo. Et c’était à la fois un choix artistiques et à la fois on s’est adaptés à ce qu’on avait sous les yeux.

On a pris le temps de vivre ensemble et je pense que cet album parle de ça.

P&P : Dans l’album, on entend beaucoup de field-recordings, est-ce que c’est une manière de laisser entrer les gens dans votre cocon ? 

CamilleHmm oui. C’est trop bien si ça te fait ressentir ça. On s’est pas forcément dit que les auditeurs étaient avec nous, c’était pas par égoïsme, c’est parce qu’on savait pas si l’album allait sortir un jour et comment il allait sortir. On était en train de faire notre label en même temps et on était plein d’incertitudes, de joie, de sentiments mélangés dans tous les sens et je pense que c’est un peu pour ça que cet album ressemble à ça. On s’est finalement octroyés pleins de libertés, c’est parce qu’on était vraiment entre nous. Tous ces sons qui sont organiques, ça vient du fait qu’on a fait ça avec les moyens du bord et au lieu de camoufler ces bruits extérieurs et ces bruits ambiants, on a décidé d’en faire quelque chose de musicalement intéressant. Si par exemple, sur un enregistrement, on entend la pluie, on va la mettre encore plus fort.

Benoît : Donc si on l’avait mise moins fort, de toute façon elle aurait été là et dans certains courants créatifs, il y a des artistes qui s’imposent des contraintes pour être créatifs, et c’est devenu ça à un moment pour nous. On n’a pas choisi, mais c’est devenu un contrainte créative. C’est trop bien parce que parfois t’es perdu dans le morceau et si tu mets la pluie plus fort et ça donne une idée qu’on avait pas prévu. Ça nous laisse aller dans le sens du courant. Essayer d’être un peu réaliste. Comme disait Camille, c’était un peu notre vie ensemble dans la maison notre source d’inspiration donc il y avait un peu un côté documentaire avec ces sons directs et essayer de rester fidèle à ce que c’était.

CamilleEt puis il y a aussi ce truc de « macro ». Notre musique est liée à des lieux depuis le début. Je sais pas, c’est comme ça, on a toujours bien aimé parler des lieux dans lesquels on vivait, avec lesquels on interagissait, que ce soit quand on partait en voyage ou notre ville… Et là, la façon dont ça s’est manifesté sur ce disque c’est avec la présence du son direct. C’est un peu comme avoir un microscope et de se dire « ce petit son-là, il pourrait avoir du sens avec ces mots-là ». S’attarder un peu sur les choses du réel.

P&P : Et vous avez voyagé en Roumanie juste avant. Est-ce que ça a eu un impact sur la conception de l’album ? Parce que vous parlez beaucoup de voyages, d’évasion dans votre musique. 

CamilleOn est partis en Roumanie, parce qu’on avait deux dates là bas. C’était la fin de la tournée du précédent album et on a décidé de faire un road trip dans le delta du Danube. C’était l’idée de Benoît et ça nous a séduits aussitôt. Le delta du Danube, c’est un énorme marécage, on va dire, où d’un côté on a le Danube et de l’autre côté la mer sur une centaine de kilomètres avec des méandres, des roseaux, des oiseaux, des grenouilles… et au milieu t’as vraiment rien. Nous, on était dans une auberge et c’étaient des maisons sur pilotis. C’est à ce moment-là qu’on s’est dit que ce paysage était vraiment beau et qu’on devrait peut-être se remettre à faire de la musique et en fait, j’avais mon enregistreur et le premier son du disque qu’on entend, c’est le son de cette soirée. Enfin c’est les grenouilles du delta du Danube. Et je trouve ça trop bien de commencer par là sur l’album parce que c’est un peu là où tout a débuté pour Halo. 

Benoît : Cet endroit a aussi posé un doute, il est très vaste, mais comme il y a beaucoup de roseaux au niveau de l’eau, il n’y a pas de relief donc tu ne peux jamais vraiment saisir l’immensité qu’il y autour de toi, tu la pressens et ça s’est mis à ressembler un peu à ce qu’on vivait à la maison où on voit le ciel par le vélux et c’est tout. Et c’est pas non plus un paysage très vaste ou très exotique notre maison mais on a dû voir au travers. Ce voyage est raconté dans « Loon » et c’est l’un des premiers morceaux du disque. Ce voyage, il fallait qu’on le raconte et on a un peu travaillé sur ce récit tout au long du disque. On répétait cette histoire et c’est devenu notre légende.

CamilleOui, une petite chanson de départ sur la quête.

P&P : Vous avez commencé à travailler sur cet album en 2019. Est-ce que vous pensé que le covid et le confinement ont eu un impact sur la conception de l’album ? 

CamilleNon, je pense pas. Évidemment, tout ce qui nous entoure a une incidence sur nos actions et la pandémie a eu une incidence, pour le coup, sur toute la planète. Mais nous, on était déjà dans la maison au moment de la pandémie, on commençait déjà à faire ce travail ensemble et en fait c’est arrivé à un moment où on était déjà un peu installés. Ça faisait peut-être déjà deux semaines qu’on était là et puis on est restés coincés, comme tout le monde, et on a juste continué à faire ce qu’on avait prévu de faire.

BenoîtEn plus, si on avait enregistré l’album comme les précédents à Paris, ça aurait été un facteur énorme mais là, on était déjà entre nous, on sortait pas trop de la maison, on avait tout ce qu’il fallait. Par exemple, il y a une chanson « dans le jardin, la nuit » sur le disque sur un moment qu’on a vécu ensemble où on a vu un truc bizarre dans le ciel la nuit. En fait, la boite d’Elon Musk lançait des satellites pour faire des réseaux de 5G et en fait ça faisait une espèce de colonne d’étoiles bizarres. Et puis on a fait une chanson dessus.

P&P : Parlez-nous de la pochette de l’album, est-ce que c’est une photo du ciel vu depuis votre maison ? Les fameux parages ? 

CamilleLa pochette a été réalisée par un collectif qui s’appelle « C’est Ainsi » et en fait Labex fait partie de ce collectif. Il fait des photos passées dans la moulinette de ses ordinateurs on va dire. Il fait un peu de l’impressionnisme numérique et on adore ce qu’il fait. on lui a demandé de faire la pochette et il est venu faire des photos à la maison pendant deux jours. Et cette pochette c’est probablement le résultat de quelques photos mélangées. C’est en quelque sorte une vue du jardin et c’est très parlant pour nous.

P&P : Tous vos textes sont écrits en français. Est-ce que vous voyez ça comme une prise de risque ou comme une évidence, quand on voit des artistes non-anglophones écrire en anglais malgré tout ? 

BenoîtC’est pas une évidence, non. Ça fait trois albums qu’on écrit comme ça.

CamilleAprès notre rapport à la langue, il est différent pour chaque personne. On pourrait jamais s’imaginer écrire dans une langue qu’on maitrise pas intrinsèquement. Si on parlait couramment d’autres langues, on écrirait dans d’autres langues oui. J’ai grandi en chantant des chansons en anglais, c’est une langue hyper ronde avec des diphtongues, des longues voyelles et c’est super pratique mais bon, quand je chante des textes en français, j’ai plutôt tendance à étirer les mots pour les faire sonner comme les chansons que j’avais appris à chanter. L’idée c’est d’essayer de proposer quelque chose qui ressemble vraiment à qui on est, d’essayer d’avoir sa patte.

BenoîtMais c’est de moins en moins une prise de risque et puis on essaye d’être honnêtes les uns avec les autres et on a fait comme ça, parce que ça nous paraissait évident. Le français peut être aussi musical que l’anglais et on y travaille beaucoup à cette musicalité.

CamilleOn n’est pas des pop stars, on se sent pas trop concernés par l’accessibilité, on sait très bien qu’on ira pas à Coachella (rires). Et si un jour, on passe à Coachella, on chantera nos textes en français.

On s’est battus pour qu’il existe ce disque et ça lui donne plus de valeur.

P&P : Vous avez créé un label, « Parages » il y a un an. On voit de plus en plus d’artistes créer leur label, pour faire fi des contraintes imposées par les gros labels, peut-être. Qu’est-ce qui vous a poussé à créer ce label ? 

CamilleÇa coûte très très cher de faire un film. Alors qu’un album, ça coûte presque rien, notamment électro, tu peux tout faire tout seul, l’enregistrer, le produire, le sortir sur Spotify. Donc à partir de ce moment-là, pourquoi s’embarrasser d’un label ? Le label peut interagir dans la création d’un disque et quand tu veux être indépendant financièrement et artistiquement, autant créer son label. Tout dépend de la musique que tu veux faire bien sûr. Nous, on a décidé de faire un label parce que c’était le moment. Ça fait deux albums qu’on sort, avant on y connaissait rien à l’industrie de la musique mais maintenant si, on a un peu plus compris comment ça se passait. On va être peinards, on fait de la musique quand on veut, la sortir comme on veut et sortir absolument ce qu’on veut. Si demain, on fait une chanson toute seule et que je l’adore, je peux la sortir sur Spotify et ça s’arrête à peu près là.

BenoîtBon bien sûr, ça rajoute du boulot mais le rapport au produit fini n’est pas du tout le même. On est passionnés par ce qu’on fait et on essaye de s’investir au maximum dans nos disques et là, comme on fait absolument tout, c’est vrai que tenir le vinyle dans nos mains, il y a un rapport à ta musique qui est plus intense et complet. Donc il y a une pression qui s’ajoute mais à la fois quand tu es content, tu sais pourquoi tu l’es.

CamilleC’est un sentiment vraiment d’accomplissement quand tu fais tout de A à Z. On l’a pas fait entièrement tous seuls parce qu’on s’est entourés de personnes qui nous ont aidés pour le faire mais on était au centre de la production. C’est nous qui avons instigué l’idée de faire un album seuls et ça n’a pas de prix. C’est fou quand tu te dis que tout est passé par nous. On s’est battus pour qu’il existe ce disque et ça lui donne plus de valeur.

Halo (2023)

Daisy Jones and The Six disponible sur Prime Video

Sortie progressivement au cours de ces dernières semaines depuis le 3 mars 2023 sur la plateforme Prime Video, la série Daisy Jones and The Six retrace l’histoire du plus grand groupe de rock de tous les temps et de leur mystérieuse dissolution en 1977. Racontée vingt ans plus tard par les membres eux-mêmes, la série se présente ainsi en documentaire fictif avec un casting (très) engageant. 

première adaptation

Fondée sur le livre Daisy Jones and The Six, la série éponyme est la première adaptation d’une des œuvres de son autrice, Taylor Jenkins Reid. Mais précisons le tout de suite : je n’ai pas lu le livre. Sa couverture m’avait toujours paru suffisamment cheap pour que la qualité de l’écriture et de la trame en pâtissent. L’article se concentrera donc que sur la série et sa production.

Billy Dunne (Sam Claflin) et Daisy Jones (Riley Keough)

Dans les années 70, le groupe The Six se forme dans la garage de la famille Dunne. À la guitare, Graham Dunne, à la basse Eddie Roundtree, à la batterie Warren Rojas et finalement, le grand frère charismatique, Billy Dunne rejoint la bande au chant. Quelques années plus tard, ils rencontrent Daisy Jones, une chanteuse ambitieuse et rebelle qui va changer leur trajectoire et les propulser au rang des plus grands groupes de l’époque.

En 1977, le groupe mythique se sépare après quelques années foudroyantes et un album, Aurora. Personne n’a jamais su pourquoi. Un mystère qui a ajouté à la légende du groupe. Est-ce à cause de la potentielle liaison entre les deux leaders du groupe, Daisy Jones et Billy Dunne ? Trop de drogues ? D’alcool ? De débauche ? Vingt ans plus tard,  les membres du groupes acceptent enfin de s’exprimer, face caméra dans un documentaire avec des « images d’archive ».

Fontaine de jouvence ?

Sur ce point, la série est intéressante. Cela crée un effet de suspens d’autant plus intéressant et moins linéaire, qui peut nous faire penser à How I Met Your Mother. De plus, l’amertume et le regret qui planent dans ces passages donnent aux spectateurs l’envie de découvrir la suite. Seul aspect dérangeant, les acteurs ne paraissent pas assez vieillis dans leur passage de 1997. On pense notamment à Sam Claflin (très bel homme nonobstant) qui est à la fois trop vieux pour jouer un rocker de 25/30 ans et trop jeune pour jouer un rocker qui a vingt ans de plus. Même si les maquilleurs lui ont lissé les cheveux dans les passages récents, on n’est vraiment pas dupe. Les personnages de Daisy, Karen (Suki Waterhouse) et Camila (Camila Morrone) n’ont pas pris une ride non plus. Cela brise un peu l’illusion…

Daisy Jones (Riley Keough)

Les passages dans les années 70, par contre, sont très jolis à regarder. Le décor y est bien reconstitué (pour quelqu’un qui n’a pas connu cette période bien sûr). Évidemment, l’intrigue nous fait penser à l’histoire de Fleetwood Mac, en particulier la relation tumultueuse de Stevie Nicks et de Lindsey Buckingham. Notamment, dans la passion inavouée mais destructrice quand même des deux leaders. Il n’y a qu’à voir les scènes de concerts qui ressemblent à s’y méprendre aux shows de Fleetwood Mac dans les années 70. L’un des morceaux de l’album, « The River » ne peut nous faire penser qu’au génialissime morceau « Silver Spring » de Fleetwood Mac avec la sauvagerie de « Rhiannon » (version live 1977).

Aurora

L’album, Aurora est réellement sorti et enregistré par les acteurs fraichement reconvertis en musiciens pour la série. Daisy Jones and The Six est un projet long. En effet, les acteurs se sont entraînés et ont appris à jouer de leurs instruments respectifs depuis 2020. Notons quand même, que l’actrice qui joue Daisy Jones, Riley Keough, possède un héritage plutôt sympathique : elle est la petite-fille d’Elvis. 

La pochette d’Aurora

Aurora n’est en soit pas franchement un bon album. Enfin, il ne fait pas très 70s. Mais on joue le jeu pour mieux profiter de la série. Car cela reste une série avec des personnages fictifs. Si, comme nous l’avions écrit plus tôt, le décor est très joli à regarder, la reconstitution du sex, drugs, rock and roll reste très gentillet et bon enfant. Les choses sont plus suggérées que montrées, peut-être est-ce à cause de la politique de bienséance de Prime Video. Ou parce que le livre dont est tiré la série est adressé aux young adults. À déterminer. Dans le même genre, la série sortie sur HBO il y a quelques années, Vinyl  représentait davantage l’esprit fou et excessif du monde de la musique des années 70.

détails à demi-mots 

Si Billy Dunne est très agaçant (mais Sam Claflin, superbe), le reste du groupe est très intéressant… mais peu exploités. Comme dans bon nombre de groupes de rock -fictif comme réel- le reste de la bande est relégué au second plan pour mieux illuminer le leader. Avec Billy, ça ne manque pas et les autres membres du groupe ne semblent s’exprimer qu’à demi-mots. Ça nous laisse un peu sur notre faim.

Ainsi, cette bonne petite mini-série est disponible sur Prime Video et se regarde… sans modération. Pour les plus carré.es d’entre nous, un second visionnage pourra leur permettre d’effectuer une double lecture sur les faits énoncés dans la série…