Mercredi 9 janvier 2019 est sorti en salles le deuxième opus de la saga « Creed« , spin-off des célébrissimes « Rocky« . Porté par Michael B. Jordan et Sylvester Stallone, ce dernier en profitant pour faire ses adieux au personnage/alter ego qui l’aura fait connaitre, et auréolé de bons retours outre Atlantique, le film de Steven Caple Jr vient nous raconter les nouvelles aventures d’Adonis Creed et de son célèbre mentor Rocky Balboa. Pour quel résultat ? Critique.
Creed 2 : A l’origine… (Là ou le bas blesse)
En 2015, le jeune cinéaste Ryan Coogler (porté aux nues depuis grâce au succès de Black Panther), réalisait Creed : L’héritage de Rocky Balboa, vendu sous l’angle du très à la mode concept du requel et prolongeant ainsi une saga entamée avec le magnifique premier opus qui s’était pourtant vue offrir une conclusion aussi touchante que réussie avec Rocky Balboa en 2005. Mais qu’est ce qu’un requel me direz vous? C’est un terme hybride désignant une sorte de mélange entre le principe du remake et celui de la sequel. Ce nouveau concept, très à la mode au cours de notre décennie a donné dernièrement naissance par exemple aux Jurassic World, à la dernière trilogie Star Wars, aux Animaux Fantastiques, Halloween ou bien encore au prochain Men In Black International.
Surfant sur la vague de nostalgie actuelle, tout en essayant d’apporter un souffle nouveau pour séduire les jeunes consommateurs un public plus jeune, la plupart des requels ont tendance à se perdre dans le fan service le plus stérile. Ainsi, le Retour de la Force et le premier Jurassic World apparaissaient comme des quasi copies carbones lorgnant de façon très gênantes sur leurs illustres prédécesseurs. De même, si le premier Les Animaux Fantastiques avait pour lui une certaine fraîcheur dans sa manière d’appréhender l’univers potterien, sa suite, Les Crimes de Grindelwald, sortie récemment, est tombé tout entier dans le travers du biscuit pour fans (beaucoup trop de Dumbledore et de Poudlard pour être honnête).
Creed, premier du nom, n’échappait pas à la règle. Sorte de « Retour de la Force » de la saga Rocky, Ryan Coogler prenait le même parti pris de J.J Abrams, incapable de transcender son matériel de travail et préférant miser sur la fibre nostalgique du spectateur en singeant l’oeuvre originelle plutôt que de tenter une réelle prise de risque. De même, le personnage d’Adonis Creed, voulu comme le Rocky Balboa des années 2010 ne parvenait pas vraiment à exister. En effet, son postulat de base, à savoir fils bâtard de Creed plaquant une existence dorée pour se faire cogner comme son boxeur de père étant à mille lieux, à tout point de vue, du loubard italo-américain de Philadelphie parvenant aux sommets à force d’abnégation et de volonté. Néanmoins, se collant dans le sillon du chef d’oeuvre qu’est le premier Rocky, sans originalité mais jouant du concept de passage de flambeau, Creed premier du nom ( titré, comme un symbole, en France « L’héritage de Rocky Balboa« ) avait obtenu un certain succès tant commercial que critique. Assez pour justifier une suite…
Creed 2 : De quoi ça parle ?
Quelques années après les événements du premier film, Adonis Creed ( Michael B. Jordan : Black Panther, Chronicle) finit par devenir champion du monde des poids lourds, toujours sous le patronage bienveillant d’un Rocky Balboa ( Sylvester Stallone), remis de son cancer. C’est alors que venu d’Europe de l’Est, un boxeur au physique imposant (Florian Munteanu) du nom de Viktor Drago le défie. Un nom lourd de sens tant pour Balboa que pour Creed…
En effet, trente ans auparavant, Apollo Creed est mort sur le ring suite à un combat face à Ivan Drago ( Dolph Lundgren, le seul vrai Punisher, Universal Soldier ou bien encore The Expendables). Pour venger la mort de son meilleur ami et ancien adversaire, Rocky Balboa est alors venu défier le boxeur soviétique jusqu’à Moscou en pleine Guerre Froide. Combat qui aura marqué Rocky à plus d’un titre, puisque souffrant de lésions cérébrales, il est déclaré inapte pour la boxe et finira ruiné.
Après un premier opus parlant de passage de flambeau entre deux générations de boxeurs ( et d’acteurs), le début idéal de Creed 2 aurait du être un plan sur la pierre tombale de Rocky. Le premier Creed lui collant un cancer (après les liaisons cérébrales du 5, dont on a jamais plus entendu parler dans le reste de la saga, ça commence à faire beaucoup), cela aurait pu être une évolution logique et une bonne transition pour passer à une nouvelle histoire, celle d’Adonis Creed. Sauf que… La nostalgie est à la mode en ce moment et les producteurs ont décidé d’y aller à fond en liant ce Creed 2 au Rocky 4.
Comme dit précédemment, ce quatrième opus voyait la mort d’Apollo Creed et le combat Rocky/Drago. Au lieu d’aller de l’avant, la saga Creed regarde donc encore une fois en direction d’un passé censément glorieux. Sauf que copier , s’inspirer fortement, d’un classique comme le premier Rocky peut s’entendre ( au delà de la vacuité de la démarche), quand on commence à vouloir lorgner vers le plaisir coupable qu’est Rocky 4, cela peut être plus problématique…
En effet, imprégné des années Reagan jusqu’au bout des ongles, cet opus est une succession de séquences servant d’illustration visuelle à des tubes du moment sous fond d’affrontement USA/URSS d’une finesse quelque peu pachydermique. Guerre Froide, ambiance MTV, brushing impeccable de Stallone et signes extérieurs de richesse ( cf la scène de la Lamborghini qui aura inspiré probablement le gag de la Safrane dans la Cité de la Peur). So 80’s… Mais un plaisir coupable de vidéoclub peut-il donner lieu à des prolongations qui en vaillent la peine, passé l’effet Madeleine de Proust?
Creed 2 : Est ce que c’est bien ?
Cette partie contient des spoilers du premier quart d’heure du film.
Creed/Drago. Dès le début, le ton est posé, les trajectoires des deux fils de étant mêlés. En introduction, Viktor Drago émergeant de la banquette d’un appartement miteux de Kiev (parce qu’en Europe de l’Est tout est miteux c’est bien connu), surveillé de près par son entraîneur de père, pour aller livrer un combat qu’il va gagner sans mal. Titre : Creed II. Enchaînement cette fois sur Creed se préparant à livrer combat pour la couronne mondiale. Intervention du vieux mentor Rocky Balboa pour le motiver à base de deux ou trois phrases de grand sage. Combat gagné sans mal. Adonis Creed est parvenu à être champion du monde des poids lourds. Consécration du jeune héros qu’on laissait battu de peu à la fin du premier opus. Dix minutes de métrage seulement se sont écoulés et pourtant, c’est comme si tout le reste du film était déjà résumé.
Commencer le film en présentant Viktor Drago , nouvel Némésis de nos deux héros trente ans après les ravages causés par son père, est en soi une bonne idée. La menace est là, présente, à mille lieux pour le moment du quotidien de nos héros et ils n’en savent rien. Aux deux bouts du globe, deux fils se battent pour la mémoire de leurs pères. Si elle peut faire tiquer de prime abord, l’idée de faire de faire de Creed 2 une sorte de Rocky 4 : Trente après, croiser de nouveau un Creed, un Drago et un Balboa, avait largement de quoi faire au niveau symbolique et dramaturgie quasi shakespearien.
Pourtant dès le début, il n’en est rien et l’impression de danger ou tout du moins de puissance que devrait dégager Viktor Drago est totalement annihilé par une mise en scène du combat sur-découpée rendant peu lisible l’action qui se déroule. De cet incipit, ne subsiste donc l’information que Drago est le nouveau méchant du film et… c’est tout! En même temps, vu qu’il est russe on aurait du se douter aussi… De son coté, aux Etats Unis, Adonis Creed se prépare à combattre pour le titre des poids lourds. La tension est à son comble dans le vestiaire. Enfin… Adonis exhibe ses abdos, sa copine lui demande en langage des signes s’il a bien fait caca et l’apparition de Rocky est iconisé à mort en terme de mise en scène avec un jeu de miroir et un début de speech, du niveau des mantras qu’on trouve sur le mur Facebook d’un préado, lancé depuis la pénombre. La tension est à son comble on vous dit.
Vu qu’on est à dix minutes-un quart d’heure de métrage et que la promo entière du film a été faite sur le duel Creed/Drago, l’issue du combat laisse chancelant le spectateur qui voit donc Adonis Creed remporter son combat. Sans avoir vraiment pu vibrer pour lui, le cadrage et le montage de ce dernier étant du même niveau que celui du fils Drago quelques minutes auparavant. Pas possible de rejeter la faute sur le réal’ de seconde équipe ou d’un éventuel accroc sans conséquence. Houston, ou plutôt Philadelphie, on a un problème.
Car dès lors, le réalisateur Steven Caple Jr va s’échiner à ne pas insuffler un zeste d’émotion, de tension ou de quoi que ce soit de sensitif durant les différentes scènes clés de ce début de métrage. Retrouvailles Rocky Balboa/Ivan Drago dans une configuration qui aurait du être un mini Heat et qui est expédié comme on abrégerait la visite d’un vieux relou. Adonis Creed passe son temps à dire qu’il ne fait pas ce combat pour Apollo. Rocky expédie la conversation avec Adonis quand il veut le mettre en garde de ne pas combattre le fils Drago avec une émotion dans la voix, en parlant de celui qui a tué son meilleur ami et qui a ruiné sa vie, proche de celle d’un neurasthénique. Adonis révèle à sa mère adoptive, femme d’Apollo et donc veuve Creed depuis Rocky 4, qu’il va combattre un Drago et a tout juste droit à une remontrance plus proche du « ben fais comme tu veux » plutôt que de la colère froide et de la douleur que devrait ressentir celle qui a perdu l’homme de sa vie sur le ring et qui aura tout fait pour que son enfant adoptif ne monte jamais sur un ring.
Peu d’émotions, pas de tension ou de montée dramatique. A un point tel, qu’on finit par se demander ce que le film veut raconter. Entre une demande en mariage maladroite qui aurait du être touchante et qui finit par une mise en scène aux fraises par être gênante et une tentative de reprise de contact de la part de Rocky avec son fils expédié. Nombreux sont les exemples de scènes qui s’accumulent, ne menant à pas grand chose et semblant être là que pour jouer les passages obligés d’un film qui n’a pas grand chose à dire…
Ou plutôt qui pense qu’il n’a pas grand chose à dire, tant la donne change au milieu du métrage. En effet, quand naissent les doutes d’Adonis et de Bianca ( Tessa Thompson, impeccable de bout en bout), que deux événements, l’un sportif et l’autre plus intime, viennent ébranler jusque dans leur vie de couple, le film de Steven Caple Jr arrête les approximations et se met enfin à raconter une histoire avec une certaine conviction. La partie du rebond, tout en sensibilité, arrive enfin à faire passer de l’émotion. Un sursaut bienvenu alors que se profile l’entrainement du fils Creed puis le combat final contre le fils Drago.
Meme si le combat n’est pas en soi à la hauteur, un passage chanté et un martèlement de poings sur le ring avec la frénésie d’un hyperactif de 5 ans 1/2 n’aidant pas vraiment à se plonger entièrement dans la tension de ce qui devrait être un climax final. Mais c’est encore une fois par l’émotion ( comme depuis les tout premiers Rocky?) que viendra malgré tout le salut du film, la toute dernière scène de l’un des personnages les plus marquants du cinéma du dernier demi siècle finissant par enlever une petite larme…
Creed 2 : K.O technique ou T’as rien dans le ventre ?
Le problème de Creed 2 vient-il donc uniquement de la mise en scène et de la direction d’acteurs de Steven Caple Jr? Non mais elle n’aide vraiment pas, il est vrai. Comme il a déjà été dit, la plupart des scènes qui auraient du marquer le début du film et faire monter la tension avec le retour de Drago dans la vie des Creed et de Balboa est au mieux expédié, au pire raté, comme autant de boulets que Caple Jr et sa star Michael B. Jordan voudraient se débarrasser.
Pourtant des bonnes idées ou surprises, le film n’en manque pas. Le fameux « passage du rebond », sorte de parenthèse d’un quart d’heure-vingt minutes annonçant le derniers tiers du film, qui a déjà été évoque. Ivan Drago, incarné par l’inusable Dolph Lundgren et dont le personnage acquiert en quelques scènes une profondeur insoupçonnable par rapport à ce qu’il incarnait dans Rocky 4. La bonne surprise du film alors que son retour pouvait faire peur. Des échos- assez fins- de la mort d’Apollo Creed sur le ring se retrouvent à deux moments. Tout d’abord, quand son fils Adonis est en difficulté face au fils Drago et qu’il refuse, comme son père, qu’on jette l’éponge. Enfin, quand Ivan Drago hésite à jeter l’éponge pour protéger son fils en difficulté sur le ring, effet miroir de Rocky qui, hésita, en son temps lui aussi pour protéger Apollo…
Mais malheureusement, chaque bon moment est contrebalancé par quelque chose de plus négatif, comme si Caple Jr n’avait pas bien compris ce qu’il racontait. Au retour agréable, car travaillé, d’un Ivan Drago, la mode du fan service nous met dans les pattes une Brigitte Nielsen de retour dans le rôle de Ludmila Drago, là juste pour faire une apparition clin d’œil d’une finesse J.J Abrams-ienne. Ou bien encore le combat final dont la dramaturgie entamée par la mise en scène est sublimée par les notes du thème du tout premier Rocky et donnant un regain d’émotion….pour voir le combat se terminer une poignée de secondes plus tard….
Au final, Creed 2 s’avère donc être une belle déception. Suite d’une saga dont la justification et la raison d’être pouvaient déjà interroger sur sa sincérité, elle n’aura jamais réussi à se transcender, ne sachant vraiment jamais ni d’ou elle venait ni ou elle allait. La façon dont un Rocky Balboa aura été mis en avant dans le premier Creed (au point d’en faire une sorte de Rocky 7) pour finalement le laisser de coté une grande partie du métrage et voir la relation s’achever par un bref hochement de tète et un au revoir méta-lourdingue. La façon dont Adonis aura passé son temps à dire qu’il ne combattait pas pour son père. Passé donc deux films ou on aura oscillé entre le trop et le trop peu, la saga Creed, porté dorénavant par les seules épaules de Michael B. Jordan, sera obligé d’aller de l’avant si un troisième volet devait voir le jour.
En effet, après avoir fait son Rocky 1 ( et un peu 5) avec le premier Creed et revisité Rocky 4 ( et un peu 3), il ne reste plus rien de la saga originelle dont on puisse s’inspirer. Alors qu’aucune note de Bill Conti ne se fait entendre tout au long du générique de fin de ce Creed 2, n’est ce pas là le symbole qu’une page s’est définitivement tournée? Tout au long des deux films qui lui sont consacré, Adonis Creed est un personnage qui n’aura jamais existé qu’en réaction, que ce soit à son père Apollo ( et son héritage), à Rocky (et son mentorat pesant), à sa femme Bianca (et ses problèmes de santé) ou bien au poids du nom qu’il s’est battu pour mériter de porter. Alors à quoi ressemblera un futur film Creed ? Gageons que l’on n’attendra pas très longtemps pour le savoir, l’étoile montante d’Hollywood, Michael B.Jordan, n’allant probablement pas se priver du rutilant « véhicule à star » sur lequel il vient de mettre la main avec la franchise Creed…