Comme pour célébrer ses 30 ans de carrière qu’il n’a pas eu l’occasion de fêter comme il se doit, le chanteur français Dominique A dévoile un double album divisé en deux temps : 14 de ses morceaux revisités avec l’orchestre de chambre de Genève et 14 autres revisités en formule trio avec Julien Noel au piano et Sébastien Boisseau à la contrebasse. Une œuvre rétrospective scintillante aux deux parties communicantes qui nous aide à mieux saisir cette poésie musicale qui nous obsède depuis tant d’années. Nous avons eu la chance de l’interroger sur ce nouveau projet.

Dominique A @Richard Dumas
Dominique A @Richard Dumas

 

Pop & Shot : Vous avez récemment fêté vos 30 ans de carrière, vous avez sorti une quinzaine d’albums, comment est-ce qu’au fil du temps, vous avez su garder intactes la passion et l’envie d’écrire des choses, de sortir des albums et de composer de la musique ?

Dominique A : C’est assez simple : je dépéris si je ne fais rien. Cette envie découle de ça. Quand je n’ai pas un projet en cours, je me fane *rires*.

Après, il y a deux types de projets, ceux que je lance et ceux vers lesquels on m’aiguille, comme là avec ce double disque rétrospectif qui, au départ, est lié à une commande de l’orchestre de chambre de Genève. De cette commande est née l’envie de faire un disque, puis l’envie d’en faire un double *rires*. A un moment donné, je voulais même que ça soit un triple album mais ça voulait dire quintuple vinyle.

Après, il y a plusieurs périodes. Quand j’ai commencé, c’était les années 90 donc un contexte quand même très différent dans le monde de la musique. Là je ne faisais pas du tout de plans sur la comète. Je n’avais pas de perspectives autres à chaque fois que celles de faire un disque. Et pour les quatre premiers, je me disais que c’était le dernier. Et puis à partir du moment où il y a eu la décision consciente et assumée de continuer et de faire toute ma vie avec ça, je me suis rendu compte que je ne pouvais tout simplement pas m’en passer. Et puis tout est aussi dépendant d’un contexte qui est l’entourage professionnel. Des gens qui réagissent quand vous leur proposez quelque chose, ou des gens qui vous proposent des choses, et après des gens qui vous suivent, des gens qui viennent vous voir ou qui achètent des disques. C’est aussi ce qui entretient la machine. C’est à dire que s’il n’y avait pas ces gens-là, comment je vivrais les choses ? Je n’en sais rien.

Parfois, je suis beaucoup plus admiratif des gens qui s’accrochent alors qu’il n’y a rien, personne… Pas de gens pour les épauler et un public peau de chagrin. Dans mon cas, c’est plus confortable, j’ai cette chance.

 

Pop & Shot : Et vous avez toujours le même plaisir à sortir des choses ?

Dominique A : Oui carrément ! Ce qui m’épate, c’est que ce sont toujours des objets physiques. C’est sûr qu’on en vend moins qu’avant mais on travaille toujours sur ça. Parce que les gens qui me suivent, c’est des vieux barbons comme moi qui sont attachés à ça. Même si le streaming s’est généralisé, je m’adresse beaucoup à des gens qui ont un rapport à l’objet, qui ont envie d’écouter un disque dans son intégralité, qui ont envie d’une espèce de fil narratif avec les chansons. Je suis quasi persuadé que l’objet existera encore à la fin de ma vie, même si c’est devenu une création marginale.

 

Pop & Shot : Ce nouvel album que vous venez de sortir est divisé en deux, 14 morceaux avec l’orchestre de chambre de Genève et 14 autres en formule trio. Pourquoi l’avoir construit comme ça ?

Dominique A : De façon un peu étrange. Déjà, le projet du trio, je l’avais en tête depuis un bout de temps, pour faire une tournée, mais sans disque à la clé. L’idée de faire un enregistrement m’est venu parce que je voulais garder une trace de ma collaboration avec l’orchestre symphonique. Parce que bon, c’est pas tous les jours que ça arrive ! Sauf que quand ça m’est venu à l’esprit, je me suis dit : si c’est rétrospectif, 14 morceaux, ça va faire court, ça va être un drôle d’objet.

Je savais que défendre un disque, ou en tout cas le porter sur un certain nombre de temps, plus que les deux semaines de la sortie, ça passe par la scène, alors je me disais qu’avec le symphonique, ça n’allait pas être possible. Ça se limitera à deux trois concerts, ce qui est le cas – on a fait quatre concerts en Suisse, on va en faire deux en France – puis point barre. Dans cette configuration, le disque allait être un peu mort-né. Il n’y aurait pas de suivi. L’idée du trio permettait d’avoir une tournée derrière qui aurait un effet d’entrainement pour que le disque vive sa vie tranquillement. Ce sont des visions complémentaires, à la fois une envie et puis en même temps, de façon prosaïque, ça permettrait au disque d’exister sur plus de temps.

Après, il y avait autre chose. J’avais enregistré un projet un peu à part avec des copains jazzmen dont Sébastien Boisseau qui joue de la contrebasse dans le studio de la Buissonne qui se trouve près d’Avignon. J’avais adoré travailler dans ce studio, j’avais adoré la façon de travailler de Gérard De Haro, le producteur qui a monté ce studio. Un trio dans cet endroit là avec cette façon de travailler, ça m’excitait. Ce sont donc des envies complémentaires qui m’ont fait aller voir la maison de disques pour leur proposer cet album en deux temps. Avec un point de jonction qui serait le travail sur l’acoustique dans un cadre assez pléthorique d’un côté, avec le symphonique, et puis dans un cadre intime de l’autre, avec le trio. Mais dans les deux, on retrouve l’idée de gens qui jouent ensemble dans un espace où l’électronique est absente, où l’électrique même est quasiment absente puisqu’il y a très peu de sources électriques. C’était une espèce de jeu de piste en deux temps.

 

Pop & Shot : Comment s’est fait le choix des morceaux ?

Dominique A : Pour le symphonique, on en a discuté avec David Euverte, l’arrangeur. C’est un musicien avec lequel je travaille depuis longtemps. Il fallait qu’il soit à l’aise avec les morceaux qu’il allait arranger parce que c’était un gros chantier pour lui. C’était quelque chose d’assez neuf d’orchestrer de cette manière. Il ne l’avait pas fait de façon aussi suivie car ça a représenté un an de travail pour lui. Il y a des morceaux qu’on ne pouvait pas trop écarter. Je pense par exemple à « Courage des oiseaux », « Immortels » ou encore « Au revoir mon amour ». Ceux-là devaient absolument figurer. Pour le reste, c’est beaucoup venu d’envies personnelles en me disant : tiens, tel morceau sur tel album, je lui redonnerais bien une seconde vie parce que je l’aime bien et que j’estime qu’il n’a pas eu le parcours qu’il méritait.

Pour le trio, c’était plus libre. Autant, pour le symphonique, à partir du moment où on commence à travailler sur un morceau, il y a toute une machine qui se met en branle et on ne peut pas changer de fusil d’épaule facilement. Autant pour le trio, c’était plus simple. C’est à dire qu’à partir du moment où l’un d’entre nous avait une idée de morceau – moi j’en ai soumis une trentaine à mes camarades – on pouvait tester, essayer et s’en détacher plus facilement si ça ne convenait pas. D’un côté la rigueur et la contrainte et puis de l’autre quelque chose de beaucoup plus débridé. Je trouvais que c’était intéressant de jouer sur ces deux tableaux et ce contraste entre quelque chose de très écrit qui nécessite un temps de préparation énorme et puis au contraire quelque chose de très immédiat.

 

Pop & Shot : Est-ce que vous avez découvert des choses insoupçonnées dans vos propres morceaux en les revisitant ?

Dominique A : Non, je ne dirais pas ça. Ce qui m’intéressait dans les propositions de David Euverte, l’arrangeur, c’est la façon qu’il avait de les emmener vraiment ailleurs… Je pense à un morceau qui s’appelle « Rue des marais » qui est à la base très introspectif, très très très triste dans sa première version studio. Je ne dirais pas qu’il est devenu joyeux mais David lui a donné une petite coloration chaloupée, cubaine presque, qui était complètement inattendue. Je trouve que l’éclairage sur le morceau est très différent et ça fait partie des choses que j’attendais de ce travail là, que les morceaux soient emmenés ailleurs, que ça soit des versions possibles en fait, comme si je m’étais saisi du répertoire d’un autre. Sans volonté de retrouver l’ambiance initiale du morceau à tout prix. A la limite, ce qui m’intéresse le moins, c’est quand les morceaux sont plus proches de leurs versions premières.

 

Pop & Shot : Qu’est ce qui a été le plus marquant dans votre collaboration avec l’orchestre vous diriez ?

Dominique A : Déjà d’entendre les morceaux joués avec le son de l’orchestre, c’est assez marquant. Sur des morceaux qui ont parfois 25, 30 ans, qui ont été composés par un jeune homme qui n’imaginait pas se retrouver un jour dans cette situation…

Puis après, ce qui m’a marqué c’est l’implication de l’orchestre. Parce que dans le classique, on ne sait jamais trop. Ca peut être des expériences un peu douloureuses où il y a du mépris en quelque sorte. Il y a des gens pour qui ça n’est pas vraiment de la musique à partir du moment où vous même n’êtes pas un musicien avec un cursus… Moi je ne lis pas la musique par exemple. Ma légitimité est assez faible par rapport à des gens qui ont suivi pendant des années des études musicales très poussées.

Mais là, il y a vraiment eu des interactions très chaleureuses entre Raphaël Merlin, le chef-d ‘orchestre, et tout l’orchestre. Je n’ai senti que des bonnes ondes. Une grande chaleur dans l’échange. Ça m’a beaucoup porté de sentir cet intérêt. C’est très motivant. On n’a pas l’impression de forcer la main des gens ni de sentir de l’ennui de leur part.

 

« Quelques Lumières », album disponible depuis le 18 octobre 2024 chez Cinq 7 / Wagram Music

 

 

 

 

 


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