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Penelope Bonneau Rouis

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Du 21 au 28 Juin dernier, s’est déroulé le Champs-Élysées Film Festival, et notre équipe s’y est rendue et a sélectionné quelques très jolis films issus du cinéma indépendant franco-américain à voir. On vous prend par la main pour mieux vous raconter nos coups de cœur.

ATLANTIC Bar – fanny Molins

Atlantic Bar – Fanny Molins (2022)

Le premier long-métrage a avoir été projeté dans le cadre de la compétition est Atlantic Bar de Fanny Molins.

Ce documentaire suit le quotidien de Nathalie, Jean-Jacques et des habitués de leur bar Atlantic, à Arles avant sa fermeture en 2022. S’il apparaît de premier abord comme un portrait intimiste et amusant, grâce aux nombreuses répliques (ou plutôt paroles) de Nathalie, ce documentaire cache de nombreuses facettes. Il mêle assez brillamment l’humour, la légèreté et les drames qui ponctuent leur quotidien. C’est avant tout ce petit ton bien franchouillard qui lui donne son charme particulier. Il donne une voix à ceux que l’on croise, à qui l’on ne parle pas forcément mais que l’on a pourtant l’impression de déjà connaître.

QUANTUM COWBOYS – GEOFF MARSLETT

 Quantum Cowboys, second film de notre sélection, est un western psychédélique ambitieux et très expérimental. Le réalisateur originaire d’Arizona, Geoff Marslett, a fait appel à 12 illustrateurs différents pour créer un film d’animation des plus inédits. Les deux personnages principaux, Franck (Kiowa Gordon) et Bruno (John Way) explorent le désert américain des années 1870, y rencontrant des personnages étranges les menant vers de nouvelles quêtes, comme Linde (Lily Gladstone). Sorte d’Odyssée revisitée mais sans cyclope et des multiverses à la place. Ce film fiévreux est le premier d’une trilogie dont les prochains opus se concentreront tour à tour sur des personnages présents dès le premier. Cependant, ce film exigeant n’est pas « facile d’accès pour tous ». Film d’animation, certes mais pas film pour enfant. Comme le disait d’ailleurs le réalisateur à la fin de la projection : il faut savoir se laisser porter par l’incompréhension du visionnage. C’est fait.

ASCENSION – JESSICA KINGDON

Ascension est très certainement le long-métrage le plus glaçant de cette sélection, le plus perturbant. Il s’agit d’un documentaire, retraçant les différentes classes sociales chinoises. Ce long-métrage – dont la bande-son est signé Dan Deacon, invité d’honneur du festival –  est très structuré, souple dans sa progression et esthétiquement saisissant. La réalisatrice offre aux spectateurs la possibilité de grimper l’échelle sociale chinoise, inspectant chacune des catégories. Cela commence dans les usines de production et se termine à un diner de l’élite chinoise. Ce qui est frappant, c’est que malgré l’écart social, les discours servis et avalés y sont les mêmes. Comme le dit la productrice, Kira Simon-Kennedy, présente lors de la projection, si ce film peut nous mettre mal à l’aise, il est aussi préventif. Un pareil système ne serait pas impossible en France et ailleurs.

Happer’s Comet – Tyler taormina 

Happer’s Comet – Tyler Taormina

Hanté, éthéré, intrigant, mystérieux. Tels sont les adjectifs qui nous viennent après le visionnage de ce petit ovni qu’est Happer’s Comet. Pour son deuxième film, le réalisateur Tyler Taormina est revenu là où il a grandi, la banlieue de Long Island, où il a filmé ses habitants, tenus éveillés par une frénésie silencieuse. Aucune musique n’habite ce film. Il n’est illustré que par les bruits de la nuit, ceux de ces personnages solitaires, désireux de quelque chose d’inextricable. Et dans la froideur de la nuit, tout est exacerbé. Un spectateur ne sachant à quoi s’attendre peut cependant facilement se retrouver déboussolé face à ce film.

strawberry mansion – Kentucker audley et albert Birney 

Strawberry Mansion – Kentucker Audley et Albert Birney

Deuxième collaboration entre Kentucker Audley (qui s’octroie aussi le premier rôle) et Albert Birney, Strawberry Mansion aura fait indéniablement voyager le spectateur. Il était précédé du court métrage Skin of man dont le compositeur, Dan Deacon est l’un des deux invités d’honneur du festival cette année avec Ari Aster. Ce que l’on peut dire de Skin of man c’est qu’il n’aura pas franchement réussi à instaurer l’ambiance glauque qu’il visait, la faute à une saturation de l’image pour le moins exagérée et ne servant pas le propos. Strawberry Mansion réussit le pari sur lequel beaucoup de cinéastes ont pu échouer par le passé, à savoir réussir à retranscrire l’univers des rêves. Dans un monde où le gouvernement enregistre et taxe les rêves, un modeste contrôleur fiscal de rêves est entraîné dans un voyage cosmique à travers la vie et les rêves d’une vieille dame excentrique. Si le sens final du film peut sembler nébuleux, indubitablement le duo Audley-Birney aura réussi à émerveiller le spectateur et à rendre un message positif sur l’amour tout en se permettant une charge (qui aurait pu être un poil plus élaborée) sur la société de consommation. Un agréable film.

the integrity of joseph chambers – robert machoian 

The Integrity of Joseph Chambers, deuxième long métrage de Robert Machoian nous parle d’aliénation dans laquelle le diktat de la masculinité peut pousser. Craignant l’apocalypse, un vendeur  d’assurances part dans les bois pour une expérience solitaire. Clayne Crawford, révélé par le bijou Rectify, il y a quelques années et dont l’ascension avait été freinée suite à son éviction de la série L’Arme Fatale (il retrouve sa partenaire du show, Jordanna Brewster pour l’occasion) porte le film – sans surprise pour qui le connaît – de façon impressionnante. il n’a aucun mal à montrer les doutes, les contradictions, les rêveries d’un homme dont la journée de chasse va le conduire de plus en plus à découvrir les parties les plus insoupçonnées de lui-même. Excellemment filmé avec un travail sur l’ambiance sonore impressionnant The Integrity of Joseph Chambers captive de bout en bout jusqu’à un final assez déconcertant où l’on finit par se demander quel message Machoian voulait vraiment passer.

But I’m a cheerleader – Jamie Babbit 

But I’m A Cheerleader – Jamie Babbit

Autre film des plus agréables la projection de But I’m A Cheerleader dans le cadre de Freed From Desire, quatre films des années 90 dépeignant le female gaze. L’histoire est simple : Megan est pom pom girl et a un petit ami. Seulement voilà, il se pourrait qu’elle soit lesbienne. Ses parents décident donc de l’envoyer en école de « réorientation sexuelle » afin qu’elle réapprenne l’hétérosexualité. Là-bas, elle rencontre la belle Graham… Coup de nostalgie de revoir sur grand écran à leurs débuts, Clea DuVall, Natasha Lyonne ou bien encore Michelle Williams au service d’une comédie romantique des plus sympathiques malgré son sujet qui aurait pu donner quelque chose de plus grave comme The Miseducation of Cameron Post diffusé il y a quelques années au Champs Elysées Film Festival. Mais le film de Jamie Babbit sait faire passer ses messages en ridiculisant ce à quoi il s’oppose tout en faisant passer un bon moment au spectateur.

écrit par Pénélope Bonneau-Rouis et Alexandre Bertrand

Olivier Maillet - 35 Minutes
Crédits photo : Simone Perolari

Trois ans après sa mort, Olivier Maillet monte sur la petite scène de l’Essaïon pour présenter ce qu’il aime appeler « son autobiographie posthume ».  Après avoir survécu à un arrêt cardiaque en 2019, le comédien se confie avec humour et légèreté sur le jour où il a vu la mort en face. Il présentera de nouveau son spectacle lors du Festival OFF d’Avignon à partir du 7 Juillet 2022 dans la salle de la Luna. 

Olivier Maillet est mort, vive Olivier Maillet.

Olivier Maillet est comédien, auteur, chanteur, prof de théâtre, metteur en scène. Bref, il est plein de choses. Mais ce qui le singularise un peu, je dis bien un peu, c’est qu’il a claqué une bise à la mort et en est revenu. Vivant.

Le 4 Juin 2019, à 50 ans, le comédien se retrouve à l’Hôpital Bichat en service réanimation. Victime d’un arrêt cardio-respiratoire, son cœur s’arrête pendant 35 minutes. Les médecins, disons-le, ne sont pas spécialement optimistes pour son cas. Même s’il revient, ce sera dans quel état? Seul 0,1% des victimes de ce genre d’attaques en ressortent indemnes. Et lui, il fait partie de ce petit pourcentage. Après des mois de réanimation, d’hallucinations, de coma, de rééducation, Olivier Maillet – Super Maillet comme il aimait se présenter enfant – sort de l’hôpital. Relativement indemne, il décide de raconter son plus long voyage dans un spectacle, 35 Minutes. 

Rendez-vous en terre inconnue

Il est 19h quand on entre dans la petite salle de l’Essaïon située en plein cœur du Marais, dans  le 4ème arrondissement. Cette cave aménagée en théâtre est pittoresque. Les vieilles pierres, typiques du 4ème, se croisent, s’empilent, entourent la scène et le public. Le peu de luminosité rend le cadre encore plus intimiste, l’odeur d’humidité aussi.

Olivier Maillet arrive sur scène. Il n’y monte pas puisque la scène n’a pas d’estrade, à hauteur du public. Les bruitages d’hôpitaux, de bips-bips incessants, de pas précipités, de voix alarmées et d’appels téléphoniques catastrophés rythment son entrée. Illusion comique plutôt tragique.

Crédits photo : Simone Perolari

Aède accordéonné

Il récite ensuite – non, il vit- son texte, savamment écrit. Cette expérience est une épopée et il l’a rédigée comme telle. Cette épopée mêle comédie, tragédie et burlesque d’une manière touchante, émouvante. L’auto-dérision et le recul dont fait preuve le comédien à l’égard d’un sujet aussi lourd sont admirables, pouvant sûrement choquer certains spectateurs peu sûrs de ce qu’ils étaient venus voir.

Mais comme le dira lui-même l’auteur à la sortie du spectacle, dans la brasserie du Chat Zen, rue Saint-Merri: « J’aime le mélange des genres, surtout des mauvais genres ».

Son spectacle se termine en musique, avec une chanson de Jacques Higelin, jouée à l’accordéon.

En dire plus sur le contenu de la pièce serait gâcher le plaisir de la découverte de futurs spectateurs. Olivier Maillet se produit tous les lundis et les mardis à l’Essaïon, jusqu’au 28 Juin et à partir du 7 Juillet au Festival d’Avignon OFF.


Incroyable mais vrai - Quentin Dupieux 2022
Incroyable mais vrai – Quentin Dupieux 2022

En salle le 15 juin prochain, le nouveau film de Quentin Dupieux, Incroyable mais vrai, promet de vous mettre la tête à l’envers. Notre équipe s’est rendue il y a peu au Forum des Images où le film a été projeté en avant-première par le Club 300 Allociné, en présence du réalisateur et de trois des acteurs principaux : Alain Chabat, Léa Drucker et Benoît Magimel. 

C’est peut-être se plier à leur technique de promo que de ne rien dévoiler sur le prochain film de Quentin Dupieux. Mais qu’importe, il faut savoir parfois se taire pour mieux conserver certaines surprises, certains plot-twist.

Pour son dixième long-métrage -onze si l’on compte Fumer fait tousser, récemment présenté en séance de minuit au Festival de Cannes 2022- Quentin Dupieux fait de nouveau appel à certains de ses acteurs fétiches dont Anaïs Demoustier et Alain Chabat et collabore pour la première fois avec Léa Drucker et Benoît Magimel.

Incroyable, ok, mais de quoi ça parle ?

Dans ce film, Alain (A. Chabat) et Marie (L. Drucker) sont un couple tranquille, sans enfant, ayant tout juste acheté leur première maison. Dans la cave de cette maison -serait-ce un pavillon?- se trouve une trappe. Cette trappe, bien qu’aucun acteur ou actrice ne l’incarne, va jouer le rôle presque principal dans le déroulement du film. Pour y descendre et percer le mystère, il faut attendre le 15 juin prochain… Mais un peu de patience, il n’y en a plus pour très longtemps maintenant.

Incroyable mais vrai - Quentin Dupieux 2022
Incroyable mais vrai – Quentin Dupieux 2022

Et c’est bien ?

Ce film, dans sa structure, est typique de l’univers de Quentin Dupieux (Steak, Le Daim…). Fidèle à ses principes et à ses préférences, le film est rapide au sens propre comme au sens figuré. Durant à peine 1h15, les péripéties s’enchaînent de manière souple à travers une direction plus ou moins linéaire (quelques prolepses et analepses parsèment une narration très bien ficelée) et un montage abrupte qui donne au film une tonalité comique indéniable.

Si le réalisateur dit se laisser aller à raconter une histoire, sans inspiration particulière, force est de constater le clin-d’oeil (aussi involontaire soit-il) à  La Peau de Chagrin, célèbre roman d’Honoré de Balzac. Sans spoiler, ça brûle la chandelle par les deux bouts par ici. Mais plusieurs thèmes se battent et s’entrelacent au sein de ce film : la peur de vieillir, du temps qui passe, de l’être aimé qui s’échappe et disparaît, de la virilité et de la performance censée l’accompagner.

Incroyable mais vrai - Quentin Dupieux 2022
Incroyable mais vrai – Quentin Dupieux 2022

La performance des acteurs est à saluer. Malgré des dialogues très construits, le jeu des quatre comédiens est si naturel qu’il paraît improvisé. La scène du diner est l’une des scènes les plus remarquables sur ce plan-là.  Alain Chabat, fidèle à lui-même dans ce rôle de gentil, presque sur-mesure donne la réplique à une Léa Drucker plus pessimiste et butée sur ses idées fantasques de jeunesse. Gérard, campé par Benoît Magimel, est savoureux : gros beauf machiste et grossier, qu’on adore détester (ou déteste adorer). Son couple avec Jeanne,  vendeuse de sous-vêtements féminins un poil lubrique – Anaïs Demoustier – est hilarant.

Ainsi, afin d’éviter de trop en dire, ma critique s’arrête ici. Si quelque chose dans cet article a su attirer votre attention, n’hésitez pas, dès le 15 juin prochain, à vous arrêter dans le cinéma le plus proche pour 1h15 de blagues incroyables… mais vraies.


Ralph Of London
Ralph Of London by Pénélope Bonneau Rouis

À l’occasion de leur passage au NOPI (Paris 17) le 13 mai dernier pour promouvoir leur dernier EP sorti le 8 avril 2022, Yellow Sky Highway, le groupe franco-anglais Ralph of London a accordé une interview à Pop & Shot. Entre militantisme politique, jeu vidéo et « shitpop », voici toutes les choses à ne pas manquer pour découvrir ce groupe. 

Vous avez un nouvel EP, Yellow Sky Highway sorti le 8 avril dernier, en quelques mots comment le décririez vous? 

Ralph : Un mélange parfait de chacun de nos propres décors et intentions musicales. Une sorte de projection de notre futur en tant que groupe.

Vous avez déclaré que cet EP était une introduction à votre prochain album. Pourquoi avoir choisi cette direction ? 

Ralph : On a choisi cette direction afin de poser de nouvelles fondations. On est vraiment passés par une transition par rapport à ce que nous faisions avant dans le sens où les précédents projets du groupe étaient surtout des adaptations de chansons que j’avais enregistrées en solo. L’album précédent (The Potato Kingdom, sorti en mars 2020) en comportait 99% tandis que pour ce nouvel EP, c’était totalement le contraire et chacun a vraiment apporté sa pierre à l’édifice en terme d’arrangements, etc. J’ai envie de dire 25% chacun. Donc j’ai écrit quelques unes des chansons, Diane en a écrit quelques unes aussi et ensuite nous nous sommes demandés où nous voulions aller avec tout ça, ce que nous voulions mettre sur cet EP, ce que nous voulions entendre et comment nous voulions travailler ces prochaines années. 

C’était quelque chose de vraiment nouveau pour nous alors sur les 18 chansons que nous avons enregistrées pour cet album, durant la période de confinement, on a décidé d’en choisir 5 et de les sortir d’abord sous la forme d’un EP pour montrer au public notre nouvelle direction.

Quand pensez-vous sortir cet album? 

Ralph : Le plus tôt possible. Diane ? 

Diane : En étant réaliste, ce serait plutôt aux alentours de 2023, début d’année 2023. On devrait d’abord laisser l’EP se diffuser un peu, voir les réactions (bien qu’elles soient très bonnes), et ensuite s’en servir pour sortir l’album. C’est quelque chose qui se prépare et début 2023 me parait être un bon moment. 

Ralph : Diane retient un peu les reines, tandis que j’ai plus tendance à foncer comme un cheval fou, à créer de nouvelles choses et recommencer plusieurs fois. Diane est forte à calmer le jeu et à me ralentir donc c’est un peu un compromis pour nous deux. 

Quelle est l’inspiration derrière le nom de l’EP ? 

Ralph : C’est une réflexion sur la direction que l’on prend en tant que société. Le ciel jaune est un peu comme le feu de Prométhée sauf que cette fois, il représente l’industrie, la pollution et cet obscurantisme planétaire qui nous hantent. Ce ciel jaune est une paroi symbolique entre nous et notre nature autant en tant que société qu’en tant qu’espèce. Et le chemin vers ce ciel jaune est un peu celui que nous empruntons.

On trouve de l’amusement dans cette dystopie 

Donc c’est un titre un peu pessimiste ? 

Ralph : C’est pas pessimiste, mais plutôt dystopique mais on trouve de l’amusement dans cette dystopie.

François : Funtopia 

Ralph : C’est aussi conceptuel, parce que nous avons aussi un jeu video qui sort avec l’EP, qui s’appelle Yellow Sky. L’idée du jeu c’est qu’il y a une trainée de débris de l’espace qui entoure la terre. C’est ce qui forme ce chemin jaune. Donc le principe de ce jeu est de renverser la contamination et la destruction, de nettoyer la planète en soit.

L’une des principales inspirations derrière l’EP est l’univers du jeu-vidéo.

D’où vous est venue l’idée pour le jeu-vidéo ? 

Ralph : Mon frère est développeur 3D et l’une des principales inspirations derrière l’EP est l’univers du jeu-vidéo. En fait, il y a trois inspirations pour cet album. La première : les jeux-vidéos, la deuxième, l’Afrobeat et la dernière tourne plutôt autour de mon propre parcours musical, l’évolution de la pop britannique. 

Donc faire un jeu vidéo nous paraissait cohérent avec cette esthétique du jeu vidéo que nous avions en tête. Alors en le développant, on s’est demandé « qu’est-ce qu’on pourrait bien faire ? » C’est ce qui arrive quand on est dans un état désespéré de créer à un moment où on veut juste que le monde ait accès à notre musique. 

François : La musique de notre jeu-vidéo est inspirée par la musique de l’EP et on avait vraiment en tête de s’amuser du début à la fin, de prendre le temps de créer, de recycler nos anciens projets et avoir la force de passer à une nouvelle forme d’inspiration. À chaque fois, on se disait : « et si on faisait un jeu-vidéo, inspiré par notre musique, elle-même inspirée par un jeu-vidéo », etc etc. On trouvait que c’était une dynamique intéressante. 

Vous avez récemment sorti un clip pour votre chanson White Bred Blues, dans lequel nous rencontrons Mark Shepps, ancien sans-abri. Comment l’avez-vous rencontré et comment vous est venue l’idée ? 

Diane : On a une amie qui vit à Bristol, Sheherazade Bodin qui a réalisé le clip. On lui avait demandé si elle serait intéressée de tourner une vidéo pour nous. On lui a montré la chanson que nous avions choisie, on lui a proposé de nous dire ce qu’elle en pensait, et si ça l’inspirait. Elle est revenue vers nous avec cette idée de suivre des sans-abris dans leur quotidien. Par le biais d’amis, elle a rencontré Mark. On a ensuite fait le déplacement jusqu’à Bristol pour le rencontrer. C’était très intéressant d’entendre son histoire. On pense même aller un peu plus loin avec cette idée et peut-être faire un vrai documentaire sur lui. Mais l’idée principale de suivre Mark n’était pas la nôtre mais celle de Sheherazade. 

Ralph : Elle nous a présenté plusieurs idées qui avaient vaguement à voir avec des questions sociales qu’elle avait interprétées en écoutant les paroles. On a décidé de choisir cette idée-là, parce que ça parlait de quelque chose qui est dans le thème du « nettoyage de la planète et du cosmos » et cette idée de nettoyer la société, pas comme les nazis le faisaient mais juste cette manière de gérer nous-mêmes nos problèmes. Montrer quelqu’un qui a vécu dans la rue pendant 20 ans et a survécu nous paraissait être une direction assez audacieuse pour ce single. On voulait faire quelque chose « d’inconfortable » et peu représenté en pop. Pour briser la glace en soit. Pour nous, tout ça s’imbriquait parfaitement.

On voulait faire quelque chose « d’inconfortable » et peu représenté en pop.

Votre dernier album, The Potato Kingdom, est sorti quelques jours avant le confinement. En ayant ça en tête, comment avez-vous appréhendé la sortie de Yellow Sky Highway?

Ralph : C’est bien que l’on ait dépassé cette mésaventure aussi vite. On a eu la chance de profiter de cette opportunité et avec toute la société se mettant sur pause pendant deux ans, on s’est dit que c’était notre moment et que l’on ne devait pas perdre de temps. Nous n’avons pas eu l’opportunité de promouvoir cet album, cela a été décidé pour nous et maintenant, il fait partie des archives, relégué au rang de postérité. Si les gens nous parlent de cet album un jour, il n’est pas évident que nous voulions le revisiter étant donné qu’il est définitivement derrière nous maintenant. 

François : Notre manière de créer et de faire la musique est surtout guidée par cette idée de ne pas trop regarder derrière nous, sinon on serait coincés et on commencerait à avoir des regrets. Alors pour continuer sur notre lancée, on recrée à chaque fois, un peu comme un phoenix qui renait de ses cendres encore et encore. Alors même si sur le moment, ne pas pouvoir promouvoir cet album a été décevant, symboliquement nous avons atteint un nouveau lieu de création. 

Vous définissez votre musique comme de la « shitpop ». D’où vous vient le terme ? 

Ralph : J’ai choisi ce terme là pour aller un peu à contre-courant de toutes ces variations de pop. S’il y a de la bedroom pop, autant faire de la trousers pop. De la pop pour les pantalons… ou slippers pop ! Pour les chaussons. Donc oui, si on a choisi ce terme de shitpop c’est parce qu’on a  pas spécialement envie de mettre notre musique dans une catégorie particulière. On veut juste que les gens écoutent notre musique. Mais comme beaucoup de gens ont besoin de tout étiqueter, alors on est partis avec ce terme. C’est de la shitpop, n’en attendez rien d’autre que ça. Mais ce ne sont pas deux mots séparés, shit pop (= pop merdique) non c’est shitpop. On trouvait que ça définissait bien notre musique. 

Diane : C’est avant tout de l’auto-dérision. On fait de la pop, mais les chansons que l’on produit ont des sujets un peu lourds et ne rentrent pas forcément dans une catégorie particulière. On s’amuse quand même et on essaye de ne pas trop se prendre au sérieux. C’est aussi de cette démarche que nous est venu le nom. 

Ralph, tu es le seul membre anglais du groupe. Et vous avez toujours exprimé, en tant que groupe, le souhait de garder une connection entre la France et l’Angleterre. Avec le Brexit, comment avez-vous conservé ce lien? 

Ralph : Le jour où le référendum a été annoncé, j’étais à Berlin. Dès que quelqu’un me parlait, on me demandait ce que j’en pensais et je disais juste que c’était la merde. Mais bon, que faire ? Je suis dépendant du continent, la culture britannique dépend fortement de sa place dans ce système. Quand l’idée du Brexit est venue, c’était pour moi le début d’une vague fasciste qui allait s’abattre sur le monde, pas qu’en Europe. Et ça n’a pas manqué. Le peuple britannique a essayé de minimiser l’affaire, comme si ce n’était pas un signe de fascisme. Mais c’est mauvais pour l’économie. Ceux qui ont voté pour le Brexit ne vont pas en bénéficier du tout, ils sont même en train de perdre.
Notre manière d’y faire face a juste été de refuser d’être entravés et ça nous a été très douloureux. Pas pour nous faire plaindre mais Diane et moi avons traversé les frontières sans arrêt depuis et ça devient de plus en plus compliqué, et de plus en plus brutal. Les policiers aux frontières ont obtenu plus d’autorité pour rendre notre vie encore plus difficile. C’est horrible, dur et plus cher. On ne peut qu’en être défiants. Depuis le Brexit, je me suis retrouvé ici et je suis bien mieux de ce côté-là. Je suis européen, ce groupe est européen et c’est ce que nous représentons. Pour moi le Royaume Uni est européen. C’est juste qu’il se retrouve pris dans un piège politique horrible et dieu sait quand ça se terminera. 

Diane : Et puis, c’est beaucoup plus difficile de jouer au Royaume Uni parce qu’on a pas de visa. C’est même plus facile pour les groupes en venant jouer en Europe que l’inverse parce que les pays européens sont plus souples. En Angleterre, il faut remplir tellement de documents et de contraintes que c’est épuisant. 

Ralph : On doit garder ce pont invisible entre la France et l’Angleterre intact. Si nous devions avoir une mission politique, ce serait celle-ci.