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Penelope Bonneau Rouis

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Nor Belgraad Tanguy Beurdeuley
Nor Belgraad par Tanguy Beurdeuley

Lors de leur concert à l’Olympic Café (Paris 18), les membres de Nor Belgraad se sont confiés à nous sur leur folle traversée des routes françaises (et belges), des studios d’enregistrements et des bureaux de labels.

 

Si l’idée de « post-punk » apparait beaucoup lorsqu’on les présente, les membres de Nor Belgraad ne s’embêtent pas à se définir par un genre musical précis. Non non, le groupe originaire du nord de la France n’a qu’un mantra en tête quand il en vient à la musique : « Il faut jouer. » pendant des heures et des heures, et se laisser aller à la liberté de l’inattendu.

Venant tous de planètes musicales différentes, Clem, Theo, Tigrou, Leo (comme ils se sont nommés sur BandCamp) se sont retrouvés sur ce projet un peu par hasard, après « une grosse blague ». Un soir, alors que les quatre potes se retrouvent pour boire un verre à Paris, voilà que leur vienne l’idée de créer un groupe fictif, dont le nom serait Noir Belgraad (parce qu’un cinquième ami à la table était serbe, et « noir » parce que ça claque).

Plus tard, lorsque l’idée d’un vrai groupe, de vraies chansons, d’un vrai projet commença à se former, ils réalisèrent qu’il leur manquait une chose assez importante; un nom de groupe. En enlevant le -i de « Noir », est né Nor Belgraad : parce qu’ils viennent du nord de la France, et qu’ils ont un ami serbe.

L’autre soir, en discutant avec Clément -chanteur et bassiste du groupe- après leur concert à l’Olympic café (Paris 18), les mêmes thèmes revinrent comme des refrains ; « il faut jouer » et le reste avance tout seul. Il faut jouer parce que « faire de la musique, c’est comme tomber amoureux, ça se contrôle pas. » Il faut jouer parce que « la musique, c’est se confronter. »

Et c’est vrai. Le planning est chargé pour le groupe. En tournée depuis début septembre, celle-ci continuera jusqu’à décembre. C’est d’ailleurs leur toute première tournée officielle, puisque celle d’avant avait été annulée (ou simplement reportée) à cause de l’épidémie de covid.

Il s’agit du premier « gros »  projet personnel de Clément, qui le précise, n’est absolument pas bassiste normalement (dont il joue « mal » selon lui) mais guitariste, plutôt porté sur la soul. Théo, qui a fait le Conservatoire, s’intéresse davantage au jazz et Thibaut à l’électro. Ce mélange assez hétéroclite offre ainsi toute l’originalité du projet Nor Belgraad. Ça et l’acharnement passionné de chaque membre à jouer « 4 à 6h par jour ».

Leur prochain album sort le 10 mars prochain chez Howlin’ Bananas records et on attend avec impatience la release party. D’ici là, vous pouvez déjà retrouver le groupe en concert le 21 novembre prochain au Pop Up du Label à l’occasion de la Nuit Rock aux côtés de Ravage Club et Vénus d’argent.


Tropical Fuck Storm (Crédits Photo : Théophile Le Maitre)

À l’occasion d’une tournée française d’à peine dix dates, le groupe australien Tropical Fuck Storm s’est produit sur la petite scène du Trabendo, le 13 septembre 2022.  En 1h30, le quatuor délirant a servi un show aussi explosif que discordant. 

19h30, Trabendo. La chaleur de cette mi-septembre est pesante, moite. Sans même avoir franchi les portes rouges de la salle, on ne pense déjà qu’à une chose : une pinte, un rosé, un verre d’eau… bref n’importe quoi pour pallier à ce que l’on aime qualifier « d’été indien » les chaleurs aberrantes de cette période. La terrasse est bien investie, et fait l’impression d’un bourdonnement continu.

20h sonnent et le duo, également australien, Party Dozen, monte sur scène. Armés d’un saxophone et de baguettes (et manifestement d’une clé USB où se trouvent des riffs de guitares préenregistrés), Kristy Tickle et Jonathan Boulet offrent un rock bien gras à la Slift, qui chauffe bien le public avant l’arrivée de Tropical Fuck Storm.

Party Dozen (Crédits Photo : Théophile Lemaitre)

Un show (très) chaud

Vers 21h, Gareth Liddiard et sa bande, Fiona Kitschin, Lauren Hammel et Erica Dunn débarquent sur scène et entament le set avec Braindrops, issu de leur deuxième album éponyme. Ce groupe majoritairement féminin (et ça fait plaisir) se prépare lentement, chauffe le public déjà tiédi par Party Dozen. 

Dans une quasi-obscurité, le public se laisse transporter dans une transe discordante et profondément punk.  Si au début, ce dernier semble relativement calme et attentif, une montée en tension (et en puissance) se fait très nette dès le milieu du concert. Ça commence à pogoter vers les premiers rangs. On observe cependant un certain décalage entre les premiers rangs qui crient et se jettent les uns contre les autres et les derniers rangs plus clairsemés et plus statiques.

Tropical Fuck Storm (Crédits Photo : Théophile Le Maitre)

Un moment électrique

Si des morceaux plus calmes viennent ponctuer le set, d’autres créent de véritable moment d’euphorie dans la salle; certains spectateurs se jetteront dans la foule comme un sac en plastique embarquerait dans une traversée de l’Océan Pacifique. La setlist ne contient d’ailleurs qu’un morceau de leur dernier album, Deep States, « Legal Ghost » et se composera essentiellement de leurs deux premiers albums, A Laughing Death in Meatspace et Brainstorms. 

Mais la surprise se fera véritablement quand Erica Dunn (guitare, synthé, voix) commence à reprendre le plus disco des morceaux qui existe, « Stayin’ Alive » des Bee Gees avec une énergie affolante. Ce n’est pas la seule reprise qu’ils ont fait puisque peu après retentissent les notes d' »Ann » des Stooges.

 

Tropical Fuck Storm (Crédits Photo : Théophile Le Maitre)

Un final discordant

Vers 22h20, le groupe quitte la scène sous les clameurs d’un public luisant de sueur et de béatitude. Pas d’inquiétude, ils reviennent très vite, et Lauren Hammel apparait sur les épaules d’un Gareth Liddiard occupé par un solo de guitare et la précaution de ne pas tomber. Chose faite, il s’agenouille et Lauren Hammel se laisse glisser en arrière. S’ensuit alors une quinzaine de minutes (un poil trop long, pour certains)  de composition musicale dissonante et délirante qui n’aura pour seul effet que d’enthousiasmer davantage la foule transie. Malgré les quelques trous dans la fosse, car le concert n’était pas sold-out,  la foule de fidèles et de nouvellement convaincu.es ressort de ce concert, avec dans le coeur, un soupçon de la folie et l’électricité d’un moment fédérateur comme celui-ci.


Maggie Rogers – Surrender (Crédits photo : Kelly Jeffrey)

Trois ans après la sortie de Heard It in a Past Life (2019), la chanteuse américaine Maggie Rogers revient en très grande forme avec Surrender, sorti le 29 juillet dernier. Cet album, plus fier que le précédent, présente Maggie Rogers plus libre que jamais. Elle y allie brillamment plusieurs influences musicales telles que l’electro, la folk et du rock saturé, le tout mêlé à une fureur de vivre et une frénésie déconcertante aux intonations très 90s/2000. 

UN OPTIMISME TEINTÉ DE FRUSTRATION

Il y a quelque chose d’exaltant, disons-le, à observer certains artistes grandir et trouver leur style. C’est le cas avec Maggie Rogers qui, le 29 juillet dernier, a sorti son deuxième et -pour le moment- meilleur album. Ne crions pas là au fameux « album de la maturité » dont la formulation est aussi trouble que lorsqu’il y a présence de CO2. Mais il y a bien là une évolution certaine qui se dessine. Avec Surrender, Maggie Rogers signe probablement son œuvre la plus aboutie. Si les trois premiers singles (That’s Where I Am, Horses, Want Want) sortis en préparation de l’album laissaient présager une certaine qualité, le reste de l’opus s’est avéré encore mieux qu’escompté.

Sur Surrender (notez l’assonance), Maggie Rogers se livre, pousse autant des cris de rage que de joie. Elle célèbre son émancipation, sa liberté avec une assurance rafraîchissante. Car c’est ce dont est question l’album; une assurance nouvellement acquise pourtant teintée parfois d’inquiétude et de frustration. Cette dualité des émotions et des sentiments est retranscrite notamment sur la chanson, Shatter, où les chœurs sont chantés par Florence Welch (Florence + The Machine).

Une ode à ses proches et… à elle-même?

Comme bon nombre d’artistes, Maggie Rogers s’est servi du confinement pour se réinventer et composer. Elle a troqué ses longs cheveux blonds pour une coupe garçonne lui donnant une allure de rock star des années 90 et s’affirme davantage musicalement. Sur le morceau Be Cool, Maggie s’adresse directement aux ami.es qui sont resté.es à ses côtés durant la pandémie. Il ne s’agit pas de la seule chanson où elle exprime sa reconnaissance pour ses proches : I’ve Got A Friend, balade touchante où l’on entend tout au long de la chanson des dialogues joués par les musicien.nes Clairo et Claud.

Cependant certains morceaux sont plus ambigus, mais pas dénués d’espoir pour autant. En effet, si les chansons sus-nommées laissent clairement entendre qu’elle s’adresse à des proches, d’autres pourrait tout aussi bien s’adresser à ces mêmes proches, un.e amant.e ou (et c’est très plausible) à elle-même. Si, Maggie Rogers a explicité la signification derrière le son Horses (véritable coup de coeur personnel) qui justement était une chanson qu’elle avait écrite pour elle-même, enregistrée en une prise, il est moins évident de déterminer le destinataire d’Anywhere With You. 

Maggie rogers, une fureur de vivre

Enfin, que serait cette critique si je ne mentionnais pas Want Want, véritable hymne pop à la priorité du plaisir dans la vie qu’elle décrit avec cette frénésie qui semble lui être désormais propre.

En somme, Maggie Rogers a réussi l’exploit de réunir dans un album d’à peine 45 minutes tant d’émotions multiples et complexes que l’on se croirait en face d’un  petit-déjeuner continental. S’il fallait résumer cet album en quelques ingrédients essentiels, je dirais : de la colère, de l’optimisme, de l’émancipation et en ingrédient secret, de la rage de vaincre. En espérant que l’album plaira à quiconque lira ceci, si c’est le cas, l’américaine passe par la Salle Pleyel le 17 novembre 2022.


 

ST. VINCENT live @ Philharmonie de Paris – © Joachim BERTRAND / Philharmonie de Paris

Mardi 5 Juillet 2022, pour le quatrième soir du festival Days Off, St Vincent s’est produite sur la scène de la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. Entre jazz new-yorkais et funk délirant, la virtuose américaine a offert pendant près d’une heure et demie, un show d’une qualité exceptionnelle.

Il est 19h50 quand j’entre dans la salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. La salle est vaste, blanche avec des formes géométriques qui n’ont pour seul effet que de nous faire tourner la tête et nous faire sentir tout petit. Elle se remplit peu à peu, comme un poumon se remplirait d’air, et chacun ressent ce petit vertige – sauf ceux qui étaient déjà venus- en y entrant. En plus, la clime est à fond et ne fait qu’amplifier cette sensation.

Cate le Bon, féale galloise

À 20h précise, Cate Le Bon monte sur scène coiffée d’une camaille de chevalier. Les plus férus d’Histoire crieraient à un hommage à Jeanne d’Arc mais je ne mange pas de ce pain-là. Après tout, c’était peut-être une référence à Isabel de Conches.

La chanteuse galloise instaure dès son entrée une atmosphère rétro, de sorcière, un peu psychédélique. Son style de chevaleresse des temps modernes et sa voix éthérée ne pouvaient que – sans mauvais jeu de mot- conquérir un public un poil trop sage si le son avait été mieux réglé. Peu bavarde, elle quitte la scène à 20h50.

une attente agitée

Les techniciens préparent désormais la scène pour St Vincent. Des nuages sont installés, un décor de ville ressemblant à New-York s’abaisse lentement en arrière plan.

À 21h08, la lumière s’éteint, une femme pas loin de moi hurle « Woooooooo ». La lumière se rallume, c’était juste un test et son pote siffle : « putain tu m’as pété le tympan… » avant de rajouter à l’intention d’un public majoritairement français : « sorry guys » (en phonétique approximative, cela donne « sauri gaïze »).

De l’autre côté, des commentaires plus cassants se font entendre : « bon il faut se l’avouer, son dernier album s’avère pas terrible. » En espérant qu’ils parlaient du dernier album photo confectionné par la grand-mère de l’un des deux bonhommes. Mais ça reste pas très gentil.

une entrée en scène burlesque

Puis, à 21h22. Daddy’s Home de Shep & The Limelites retentit dans la salle. Le groupe et les choristes se mettent en place. Quelques secondes plus tard, St Vincent, vêtue d’un imper et de hauts talons avance avec langueur vers le micro, s’arrête un instant devant et repart. C’était un prank, c’était pas elle en fait. La vraie St Vincent fait enfin son entrée peu après. Elle porte un blazer blanc cintré, un short assorti et des bottes qui semblent être en vinyle (très Courrèges).

Dès cette double entrée, St Vincent instaure directement le côté théâtral et burlesque qui suivra tout au long du concert, que l’on trouve d’ailleurs sur chacun de ses albums. Et si le spectacle est assis, elle réussit tout de même l’exploit, dès la troisième chanson, à avoir tout le parterre se lever et se précipiter vers la scène.

ST. VINCENT live @ Philharmonie de Paris – © Joachim BERTRAND / Philharmonie de Paris

Divine et théâtrale

St Vincent, de son vrai nom Annie Clarke, a cette qualité que peu d’artistes ont; d’allier le calcul à l’inattendu. Si le show paraît parfaitement millimétré, elle joue avec le public en faisant preuve d’une aisance et d’un amusement spontané. Notamment lorsque ceux venus se précipiter au premier rang la filme, voulant immortaliser ce moment de grâce, et que celle-ci prend quelques téléphones et capture elle-même l’expérience. Le moment est si hors-du-temps que le public se croirait presque plongé dans un diner à New York (je dis bien presque, parce que quand même, ne nous laissons pas berner aussi facilement).

ST. VINCENT live @ Philharmonie de Paris – © Joachim BERTRAND / Philharmonie de Paris

St Vincent a une musicalité et une voix exceptionnelles. Elle susurre autant qu’elle rugit (un peu à la Prince sur  Darling Nikki) et chaque fois qu’elle hurle des petits frissons parcourent les bras et le dos de chacun – à moins qu’il ne s’agisse de la clime. Entre deux solos de guitare, se place un petit solo de thérémine et c’est quand même très stylé.

Au bout d’1h30, le concert touche à sa fin. Le temps est passé à une vitesse… La setlist était remarquable : autant de chansons de son dernier album Daddy’s Home (The Melting Of The Sun, Pay Your Way In Pain…) que de ses précédents comme Masseduction, ou Marry Me. Le public ressort de cette salle où se tiennent généralement des concerts classiques en constatant une chose :  pour l’amour de la musique, à la Philharmonie, que ce soit de la funk ou de l’opéra, tous y trouvent leur place.