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Penelope Bonneau Rouis

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Pistol de Danny Boyle (de gauche à droite : Anson Boon, Louis Partridge, Toby Wallace, Jacob Slater)

En juillet 2022, la nouvelle série de Danny Boyle, Pistol, sortait sur la plateforme Disney +. Si elle est passée à la trappe en France, elle  retrace de manière romancée le parcours des tantôt décriés tantôt légendaires, Sex Pistols. Est-ce qu’elle vaut le coup ? On vous dit ça avec un peu de retard. 

Pistol : de quoi ça parle ?

Même si le groupe le plus scandaleux et le plus destroy n’a pas duré bien longtemps (trois ans tout au plus), leur héritage persiste toujours, près de quarante ans plus tard. God Save The Queen, encore aujourd’hui est utilisé à tort et à travers. Il n’y a qu’à voir tous les tee-shirts, les mugs, les sacs en bandoulière et les pins sur la veste en jean d’un jeune en manque de sensations fortes, désireux de mener une révolution déjà faite. Tout cela a-t-il perdu un peu de sa valeur? Devenu une marque déposée comme la Joconde et Mickey Mouse? Peut-être, mais nous ne sommes pas là pour décaper le capitalisme.

Pistol est donc l’exemple parfait de l’héritage du groupe -et de la mode des biopics multirécidiviste qui nous attaquent depuis quelques années. La série retrace ainsi les débuts et la fin des Sex Pistols dont les “faits » sont fondés sur les mémoires de Steve Jones (guitariste) sorties en 2011, My Lonely Boy. Ceci explique ainsi la focalisation presque interne qui le place en personnage quasi-principal. Quelques personnages mythiques traversent la série : Vivienne Westwood, Malcolm McLaren, Siouxie Sioux (faut le dire vite), Pamela Rooke (incarnée par la géniale Maisie Williams) ou encore l’ombre d’un Bowie mentor et demi-dieu.

Pistol de Danny Boyle (2022)

Est-ce que c’est bien ?

Somme toute, la série se regarde vraiment bien et assez vite. Dès les premières scènes, l’imaginaire sombre de Danny Boyle (Trainspotting, 28 Jours Plus Tard…) apparait à l’écran. Des images d’archive d’une Angleterre pauvre inscrivent la série dans un contexte social au bord de la révolution. Les filtres utilisés créent une atmosphère fumeuse et rétro qui entraînent plutôt bien le spectateur dans un univers imaginé des années 70. Je dis « imaginé » parce qu’en soit, cela reste une série, avec des failles autant narratives que techniques.
En effet, le déroulement de la série est peut-être un peu trop linéaire et traditionnel. On aurait espéré une prise de risque un peu plus audacieuse, un saut un peu plus fou dans l’univers punk. Les scènes de concerts peignent davantage un tableau chaotique où se mêlent cris de furie et concours de crachat. Mais ça reste modeste.

Pistol de Danny Boyle (2022)

Mis à part ça et quelques facilités narratives que nous ne relayerons pas ici, les acteurs y sont assez bons. Notamment Thomas Brodie-Sangster (le petit garçon amoureux dans Love Actually) qui joue à la perfection le rôle du manager/escroc. Toby Wallace qui campe Steve Jones s’en est plutôt bien tiré, là où Anson Boon, qui en soit n’est pas mauvais, campe un Johnny Rotten un peu trop excessif, plus pile électrique que mauvais garçon.

Un héritage contesté ?

Johnny Rotten n’a pas été consulté pour la série et il n’a pas hésiter à trainer en justice ses anciens camarades pour « éviter le massacre de changer leur histoire en conte de fées ». En vain. Ce n’est pas la première occurence avec Disney +. On se rappelle de la série Pam and Tommy où Pamela Anderson n’avait jamais été consultée pour la narration. 

Comme souvent dans les histoires de groupe de rock, les femmes sont reléguées au second plan. Ben oui, tout le monde sait bien que c’est une affaire d’hommes le rock. Imaginez donc l’effroi de Chrissie Hynde (la vraie) quand elle se voit représentée à l’écran comme la maitresse revêche de Steve Jones plutôt que comme une musicienne à part entière. De son côté, Vivienne Westwood (disparue en décembre dernier) apparait ici déterminée et pourtant effacée par son compagnon McLaren. On aurait aimé un développement plus approfondi et plus logique de LA figure majeure du punk.

Il faut regarder cette série comme une œuvre de fiction partiale, une tentative de biopic vraiment sympa à regarder mais n’espérez pas y trouver un documentaire véridique. On est chez Disney là, n’oubliez pas comment se termine leur version de La petite Sirène.


Ethel Cain à la Bellevilloise par Thalia Gajicic

Le 4 Décembre dernier, l’artiste américaine Ethel Cain se produisait pour la première fois à Paris dans la salle de la Bellevilloise (Paris 20). Pour sa toute première tournée, en promotion de son excellent album Preacher’s Daughter, Ethel Cain fait salle comble sur toutes les dates. 

Qui es-tu Ethel Cain ?

Preacher’s Daughter retrace la vie d’Ethel Cain, fille d’un prêtre décédé. Tout au long de l’album, les péripéties s’enchaînent. Après avoir fui sa famille et traversé le pays, elle se retrouve dans l’estomac de son amant cannibale. Pour le dire proprement.

Aujourd’hui, Ethel Cain est morte et sa première tournée européenne est sold-out. Hayden Anhedönia, alter-ego d’Ethel y chantera sa vie, ses peines et -surtout- sa mort. Il est difficile visuellement de séparer les deux femmes et il faut avouer que cette intro d’article est trouble. Mais pour citer Hayden dans son interview pour Vogue US d’Aout 2022 : « Nous sommes très différentes : j’aime m’amuser et Ethel est morte. »

Les thèmes majeurs de l’album sont la religion et l’hérédité. L’idée de famille semble prendre une place primordiale dans l’univers de Preacher’s Daughter. Et Hayden semble d’ailleurs s’être inspirée de son propre passé pour écrire celui d’Ethel. Elle-même étant fille d’un diacre dans une église baptiste de Floride, elle fuira son héritage pour mieux l’expier en chanson plus tard.

Preacher’s Daughter – Ethel Cain (2022)

Family Tree (intro)

Sorti en mai dernier, Preacher’s Daughter a suscité l’intérêt de nombreux nouveaux fans. Surnommée Mother ou Meemaw par ses fidèles, Ethel a déjà obtenu le titre de Prêtresse du Mal. Avec son esthétique qui est à la croisée du religieux et du blasphématoire, de l’austère et du burlesque, Ethel propose un univers unique, au coeur du Sud pieux des États-Unis.

Maintenant qu’Ethel est morte et digérée, Hayden a d’autres projets en tête. La suite de Preacher’s Daughter se concentrera cette fois-ci sur la mère du personnage d’Ethel Cain, de sa grossesse et de sa vie antérieure. Un cycle se crée. 

Pogo sur chants grégoriens

Bien qu’encore relativement anonyme, Ethel Cain installe peu à peu son mythe. D’abord programmée pour jouer à la Boule Noire, l’engouement est tel que deux mois avant le concert, elle a dû changer de salle, pour accueillir ses fidèles. C’est ainsi qu’à 19h30, le 4 décembre dernier, une foule compacte fait la queue rue Boyer, attendant patiemment de passer les portes de la Bellevilloise

À 21h, après un DJ set en première partie, Ethel Cain monte sur scène avec un sourire presque timide. Dès son arrivée, les cris fusent et les téléphones se brandissent dans cette marée humaine. On croirait presque à l’apparition de monstres du Loch Ness, épars et multiples.

Puis ça s’enchaîne bien vite, le set débute avec « Strangers » soit le dernier morceau de l’album. Drôle d’illusion que de commencer ce moment hors-du-temps par la fin, sa mort. Les yeux brillent au premier rang, des coeurs battent la chamade et des mains se tendent en espérant attraper celle tatouée de leur idole venue les gracier de sa présence.

Ethel Cain à la Bellevilloise par Thalia Gajicic

L’étoile ethel

Dans la salle, tout le monde a revêtu son habit du dimanche, ou de Sabbat (de sorcières, hein). Du blanc, du noir, du rose pâle, du brun. De la dentelle, du velours (tantôt côtelé tantôt feutre), de la mousseline, du polyester. Les chemises à jabots rencontrent les jupes longues et plissées : entre vampires et évangélistes.

L’aspect presque cérémonial de ce concert est extraordinaire. On assiste à la naissance d’une étoile. Il est impossible d’en détourner le regard. Ethel est hypnotisante et nous arrache quelques larmes. Sa voix est riche, pure et profonde. La lumière embrasse les contours de son visage de manière divine. Ses longs cheveux lisses tombent sur ses épaules comme un lourd voile de velours brun.

Ethel Cain à la Bellevilloise par Thalia Gajicic

Un album hybride et hétéroclite

Au moment de « Thoroughfare », morceau de quand même 9 minutes, Ethel sortira d’ailleurs un harmonica, qui viendra donner un côté un peu americana au set. Car il faut le dire, la musique d’Ethel Cain alterne entre l’alt country, le stadium rock, du chant grégorien et même sur certains morceaux de la bedroom pop. Le mélange est parfaitement dosé, et en live, sa musique se déploie avec aisance et offre un instant de partage d’une beauté rare. Sa communion avec le public est si pure qu’elle donne l’impression de regarder une à une les personnes présentes dans la salle.

La courte durée du concert (58 minutes à peine) n’apaisera peut-être pas entièrement la soif du public, mais il ira vite se consoler au stand de merch près de la sortie, pensant déjà à revoir Ethel Cain, cette fois-ci dans une salle encore plus grande.

Ethel Cain à la Bellevilloise par Thalia Gajicic

Le lundi 21 novembre 2022, Tamino jouait la première de ses deux dates au Trianon. Une première date d’une tournée européenne complète pour un artiste prodige sur lequel on ne se lasse pas d’écrire…

Le 14 Juin dernier, nous avions laissé Tamino dans la salle plus modeste du Café de la Danse. Ce soir, il est boulevard Rochechouart, dans la jolie salle du Trianon, avec ses moulures aux balcons, au plafond, et son velours rouge. La soirée s’annonce magique.

Il est 19h50 et la foule est déjà compacte. Certains essayent de se coller à la scène. Il y a une certaine électricité dans l’air, les gens discutent gaiement de leurs souvenirs de concerts (Tamino et pas Tamino).

Come along for the ride…

Mais avant d’enfin apercevoir le grand belge, un autre belge un peu plus petit – en taille uniquement – monte sur scène. Seul avec sa guitare, il chante un blues folk d’une belle voix grave et habitée. Call me your loverman, chante-t-il et c’est ce que nous faisons, car Loverman, c’est son nom de scène. Il alterne entre des morceaux acoustiques mélancoliques et des morceaux carrément possédés où il gesticule sur la scène, emporté par son art. Avec son look de pirate, il entraîne la foule qui se cambre comme une vague qui ferait tanguer son navire. Le public est médusé, conscient déjà d’assister aux débuts d’un grand artiste en devenir.

Au bout d’une demie heure tristement courte, son set touche à sa fin. Pour le dernier morceau, il demande à la foule de chanter ces quelques mots : Come along for the ride, sing a song tonight. Le public s’enflamme et Loverman descend finir le morceau dans la foule pour un moment de partage assez rare pour une première partie.

Les retrouvailles

À 21h, Tamino apparaît à son tour sur scène. Les cris d’admiration fusent, la Beatlemania nous parait bien pâle en comparaison. Il est, dans un premier temps, seul sur scène, un peu comme au Café de la Danse ou à la Cigale en 2019 pour les plus anciens. Oud à la main, il commence les premières notes de « A Drop Of Blood ». Le silence se fait quasi-instantanément. Les gens le regardent, admiratifs (on pourrait d’ailleurs se demander si certains ne le regarderaient pas plus qu’ils ne l’écouteraient). Le morceau se termine et son groupe le rejoint sur scène. Il les présentera plus tard dans son français un peu cassé, les qualifiant de « mecs ».  Le public hurlera de joie à l’évocation d’un terme aussi familier.

Les quelques premiers morceaux de la setlist sont des nouvelles compositions, présentes sur l’album Sahar, sorti en septembre dernier. Le public est excessivement silencieux, hypnotisé. Peut-être se sent-il intrusif face à ce grand brun qui entonne de sa belle voix, tantôt aiguë, tantôt grave, toujours profonde, ses maux et ses peines.

PHANTASMAGORIA IN TWO

Le troisième morceau n’est pas discernable tout de suite. Il commence avec une longue introduction, hantée et entêtante où Tamino fait des vocalises dont les échos se réverbèrent dans toute la salle. « The Flame ».

Les concerts de Tamino ont quelque chose d’assez méditatif. Chose rare. Comme mentionné précédemment, les gens sont silencieux et attentifs à ses concerts. C’est son moment, on l’écoute. Même si parfois, certains se pourfendent de « ON T’AIME GROS » ou dans un français plus correct : « Putain, c’est une expérience religieuse, re-li-gieuse ! » Et c’est vrai, il y a même une bonne sœur dans la salle.

On est trop chauds !

Cependant, une chose est sûre, à mesure que Tamino joue et se produit, il gagne en assurance. Là où il nous paraissait statique à l’Olympia ou à la Cigale en 2019, le voilà qui occupe l’espace, ondule, prend ses aises sur la scène du Trianon. Son français aussi s’affirme et il dira même d’un ton à peine hésitant : « Paris… Vous êtes trop…chauds…? » qui fera sauter de joie les plus bouillonnants.

Le public osera finalement l’accompagner une première fois sur « Tummy » puis sur « Indigo Night », ses morceaux phares, présents sur Amir. Peu après, le public se lâche et l’applaudit longuement. Le célébré rougit, main sur le cœur et peut-être une larme au coin de l’œil. Il voudrait parler, mais les applaudissements continuent de plus bel chaque fois qu’il essaye de se rapprocher du micro. Au bout d’une bonne minute où nos mains sont rouges à force de s’entrechoquer, il reprend la parole. Il considère cette ouverture de tournée formidable et nous précise qu’il repasse à Paris en Mars… au Zénith de la Villette cette fois. « C’est complètement fou » qu’il dira, à bout de souffle.

Un final d’une grande émotion 

Lors du rappel, il chantera « Cigar » puis « Only Our Love » qui finiront d’achever certains qui s’écrieront « J’ai tellement pleuré que j’en ai perdu mes faux-cils!! »

Tamino quittera la scène avec une discrétion et une élégance qui lui sont propre. À tous ceux (et il y en a beaucoup) qui n’ont pu assister à l’un des concerts du Trianon, je le rappelle, Tamino repasse au Zénith de Paris le 24 mars prochain.


Lemonriver – Lynda (2022)

Le 4 novembre dernier, le groupe Lynda a sorti son EP Lemonriver. Sur fond de synthpop et de dream pop, le groupe offre une musique acidulée aux tonalités à la fois sombres et colorées. La veille, le groupe s’était produit sur la scène du 1999. 

C’est en 2017 au Sud de Londres que Lynda se forme. Composé de Russ Harley et de Youcef Khelil, le duo a déjà sorti une compilation de chansons depuis sa création, Lynda Tapes (2021).

Avec ce nouvel EP, Lemonriver, Lynda atteint finalement le point culminant de leur projet. Il s’agit de leur premier véritable EP, et composé avec le producteur Alan Braxe. L’univers un peu psychédélique (il n’y a qu’à voir la pochette!) se déploie progressivement sur chacun des morceaux. Notamment sur la chanson-titre dont l’instrumental invite presque à un voyage spatial.

Sur scène, Lynda exploite tout son potentiel. Lunettes noires sur le bout du nez, costume un peu oversize et baskets aux pieds, hanté par la musique, le groupe communie avec un public enthousiaste et manifestement connaisseur. Sur la scène du 1999, le duo s’exprime en anglais, principalement Youcef qui se présente un peu en frontman comique tandis que Russ est plus en retrait et concentré sur son synthé. Un peu les Men in Black de la Synthpop…

Ainsi, Lynda commence doucement mais sûrement à se faire une place sur la scène de la synthpop française. Avec leur univers un peu rétro-futuriste, le duo n’a pas fini de nous surprendre. Et on a un peu hâte de voir ça.