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Penelope Bonneau Rouis

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Florence + The Machine - Accor Arena Paris

Lundi 14 novembre 2022, Florence + The Machine s’est produit sur la scène de l’Accor Arena. Au programme : résurrection, expiation, exorcisme et sacrifices humains. On vous raconte de manière (presque) objective cette messe païenne. 

Le vendredi 13 mai dernier sortait ce que l’on peut qualifier du meilleur album de l’année (de la décennie ? non, elle commence à peine mais il sera déjà  bien difficile de le dépasser à moins qu’Elle n’en sorte un autre), Dance Fever. Sur fond de mythe, sorcellerie et films d’horreur, Florence avait commencé avec cet album un tourbillon qui prit une toute autre dimension sur scène.

Attente interminable

Devant l’Accor Arena, les gens sont habillés Florence style, couverts de faux sang, de paillettes et de fleurs. De gros pulls recouvrent les longues robes en dentelle et en velours. Il fait déjà nuit. Les morts se réveillent peu à peu sous la lumière de la lune.

Vers 18h30, les portes de l’Arena ouvrent et celle-ci comme une ruche qui attendrait sa reine se remplit, s’affaire, bourdonne. L’excitation monte car ce soir Florence et sa troupe reviennent à Paris après trois ans d’absence. Leur dernier concert à l’Accor Arena pour la tournée de l’excellent (mais moins bien salué par la critique) High As Hope affichait déjà lui aussi complet. Mais ce soir, il y a une certaine folie dans l’air, une certaine soif encore inédite ; trois ans d’attente.

À 20h, le très bon Willie J Healey tiédit un peu la salle. Le son n’est pas très bien réglé mais sa musique envoie quand même. Vêtu d’un costume cintré noir un peu rétro, il joue un blues rock d’une jolie voix un peu cassée. Le set se termine au bout d’une demie-heure, les plus grands fans du groupe d’après n’ont pas forcément été les plus attentifs (respectueusement), ils n’ont qu’une chose en tête ; Florence (et peut-être un peu soif?).

DEUS EX MACHINA

À 21h15, après que « Jubilee Street » de Nick Cave eut résonné dans la salle, le silence se fait. Il n’est que de courte durée puisque la foule hurle comme une banshee dès que la lumière s’éteint. Les chandeliers au-dessus de la scène descendent doucement, suivi d’un gigantesque cadre blanc qui remonte peu de temps après. Décor de maison hanté au sein d’un Bercy bondé.  Ce petit jeu continue pendant quelques minutes, puis enfin. Florence apparait, vêtu d’une robe blanche et d’un voile sur les épaules qu’elle fera voleter toute la soirée. Dans sa chevelure rousse, une tiare de diamant trône fièrement. Elle ne restera pas longtemps.

Puis tout s’enchaîne, on a pas le temps de reprendre notre souffle, et ce jusqu’à la fin du concert. « Heaven is Here » ouvre ce bal enfiévré, puis « King ». Florence est sur scène depuis à peine 6 minutes et pourtant le moment est déjà fédérateur. Après « Ship to Wreck », vient « Dog Days (Are Over) ». Au beau milieu du morceau (c’est calculé), Florence s’adresse enfin au public dans un discours déjà entonné par le passé, cette fois un peu mis au goût du jour : Après deux ans de covid, de cours en ligne, de télétravail, etc, on vit enfin un moment magique, unique alors ce soir, pas besoin de téléphone, pas besoin de partager le moment sur les réseaux. Communions tous ensemble. Et d’un coup, elle crie : « PUT YOUR FUCKING PHONE AWAY » avant de reprendre sur le refrain de « Dog Days » pendant que tout le monde bondit de joie.

Church of Florence 

Parce que c’est ça, un concert de Florence + The Machine. Un moment unique, magique et de partage. Sorte de messe mystique où on ne prierait pas un dieu, ni même une déesse (ne surestimons pas non plus Florence au point de la diviniser complètement) mais un instant, une expiation.

Il y a quelque chose de très cathartique à chialer sur « What Kind of Man », danser jusqu’à s’en déboiter l’épaule sur « Hunger » et hurler à en perdre sa voix (et surtout son souffle) sur « Kiss With A Fist » si bien qu’on en arrive au moment phare… Après une version semi-acoustique de « Girls Against God », Florence comme possédée, descend avec langueur vers le premier rang. Les plus chanceux ne respirent plus, car Florence se penche sur eux. Sur les grands écrans, leurs yeux brillent d’un éclat si particulier, on croirait à la reconstitution de L’Extase de Sainte-Thérèse.  « Dream Girl Evil » (coup de cœur personnel) retentit. Les cheveux de la grande rousse -toujours penchée sur ses adorateurs et adoratrices- recouvrent entièrement son visage. Elle restera avec eux jusqu’à la fin de la chanson. Puis « Prayer Factory » l’une des interludes de Dance Fever débute et elle s’éloigne, marche lentement le long de la barrière, avant de retourner sur scène. De longs voiles noirs descendent, enveloppant ainsi la scène et les premières notes de « Big God » résonnent. Le moment est presque intime… devant quelques 20 000 personnes.

CHOREOMANIAc

Florence ne restera pas longtemps sur scène et pour « Choreomania », elle se précipitera à travers la foule à une vitesse telle que les bodyguards et la caméra peinent à la suivre, celle-ci sondera la fosse quelques secondes, la confondant sûrement avec les nombreuses rousses présentes dans la salle. 

 

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Après presque 2h de show, Florence et ses machines quittent la scène avant le rappel. Pendant ces quelques minutes apparaissent sur les écrans les mots de la fondation CHOOSE LOVE. Une association non-gouvernementale à qui est reversé 1€ de chaque billet pour aider les réfugiés et victimes de crise notamment en Ukraine et en Iran.

Une fois le message passé, Florence + The Machine remontent sur scène et présentent la prochaine chanson. Une chanson qu’elle n’a pas été capable de chanter pendant presque dix ans. Elle représente une période de sa vie où elle était trop « boulay » (bourrée, ndlr) . Ce soir, elle est fin prête pour la chanter de nouveau (et, je présume, aux dates précédentes de la tournée). Il s’agit de « Never Let Me Go » présente sur l’album (excellentissime!) Ceremonials. Le morceau est suivi du tout aussi extraordinaire « Shake it Out », présent sur le même album.

Raise it up, raise it up !

Lors de l’ultime morceau, « Rabbit Heart (Raise it up) », Florence nous demande de réveiller les morts. En langage courant, elle demande aux gens de monter sur les épaules de leur ami.es, parents, etc. Peu le font. Mais ça ne l’empêche pas d’achever ce concert avec un final explosif et ensorcelant. Un régal pour les yeux, les oreilles et le coeur.

Et on ressort de là, avec l’impression d’avoir des clous sous les pieds tellement on a piétiné, sauté et dansé. Presque comme Jésus sur sa croix, si le bourreau n’avait pas su viser.


 

Lundi 7 Novembre, le groupe américain Future Islands a enflammé la scène de l’Olympia pendant un show de presque 2h. Entre pas de danse possédés, rugissements mélodieux et un public bondissant et transpirant, le groupe laissera très certainement une marque indélébile sur les planches de Bruno Coquatrix.

Un peu de surf rock pour commencer

Il est 19h passées quand les portes de l’illustre salle du 9ème arrondissement de Paris s’ouvrent à un public déjà survolté. Certains se dirigent vers la boutique du merch, les autres -les pragmatiques- vers le bar. Il ne faut pas attendre longtemps – 20h donc – pour que Laundromat, la première partie, monte sur scène. La musique fait pas mal penser à du rock progressif un peu saturé des années 90/2000, voire à du surf rock. Souffle de nostalgie pour les jeunes de 20 ans qui n’ont pas connu cette ère. Si leur performance scénique est plus sage que ce qui nous attend, leur présence sur scène commence à déjà à chauffer un public qui s’embrasera véritablement quelque demie-heure plus tard. 

Possession

Et effectivement, quand 21h sonnent et que Future Islands fait son entrée sur scène, le public commence déjà à hurler comme un seul homme (ou femme). Les premières notes de For Sure se font entendre et la foule hurle de plus belle. Mais elle n’est pas la seule à s’emporter, puisqu’à peine arrivé sur scène, Samuel Herring (chant, rugissement et danse) se déchaîne déjà comme un possédé. Comme dans un film de Charlot, sa bouche se tord, ses sourcils se haussent il et mime chaque personnage cité dans ses morceaux. Parfois, il semble même au bord des larmes.  Mais il ne semble pas enfermé dans une boite invisible à part peut-être celle de son corps trop petit pour ses gestes trop grands.

Et juste comme ça une vague de sueur brulante s’abat sur la salle. Les visages luisent mais les yeux brillent d’autant plus.

Dance fever

La setlist se compose autant de morceaux du dernier album que d’albums plus anciens. Et, un peu malheureusement, comme pour beaucoup de groupes, les gens semblent un poil moins enthousiastes au moment des titres du dernier album. Une situation un peu, disons, « normale » pour un groupe qui existe depuis 17 ans. Sans que l’atmosphère se refroidisse réellement, elle s’apaise quelques instants avant de se raviver sur la chanson d’après. C’est bien simple, le public semble tellement transporté, tournoyant que l’on se croirait au bout milieu d’une épidémie de manie dansante. Les gens s’accrochent les uns aux autres, amis comme inconnus, bondissent, exultent en quelque sorte. D’autres plus réservés font des signes polis, intimant gentiment l’ordre à ceux qui bougent un poil trop de ralentir, ou même carrément d’arrêter.

Si Samuel Herring, est déchaîné, limite dépassé par sa propre force vitale, le reste du groupe en comparaison est d’un statique remarquable. Je dis « remarquable » car ce sont bien les seuls dans la salle. Le chanteur semble être un pantin de bois dont une force occulte invisible tirerait les ficelles. Son jeu de jambes en ferait pâlir de jalousie les danseuses du Moulin Rouge. Si quelques unes étaient présentes dans la salle, mesdames, je suis navrée.

Mélancolique malgré la fougue

Musicalement parlant, il y a quelque chose de profondément nostalgique et mélancolique chez Future Islands. En effet, si Samuel Herring n’est pas très bavard sur scène, chacune de ses interventions mentionne tel ou tel souvenir de sa jeunesse, telle ou telle relation terminée. Lors du rappel, il présentera le dernier morceau, Little Dreamer, du set en évoquant ses amours passées et douloureuses. À chanteur possédé musique exorcisante. 

Les spectateurs quittent la salle avec dix litres de sueur en moins, mais avec une certaine euphorie et un certain éclat qu’ils n’avaient pas en entrant. Et dans la lueur de la lune, on ne peut qu’attendre que les saisons passent pour espérer un jour, les voir à nouveau.


Tamino – Sahar (Crédits photo : Jan Philipzen)

Quatre ans après la sortie fracassante de son premier album, Amir, Tamino revient avec son deuxième (et très attendu) album, Sahar le 23 septembre 2022. Sur fond oriental, flamenco et résolument folk, Tamino se livre et se délivre comme il ne l’avait probablement encore jamais fait. 

Disons les choses, présenter Tamino ici serait une tâche bien inutile. Sa notoriété grandit de jour en jour et l’attente autour de son album est électrique. Personnage relativement secret, il attise une curiosité et une fascination sans borne. Et avec Sahar, ça ne manque pas. Tamino se hisse au rang des plus grands virtuoses de ces dernières décennies, tout en apportant une petite touche, un petit éclat qui lui sera à jamais sienne et que personne, je dis bien personne, ne sera capable d’imiter.

Un album Marqué par l’éveil et la découverte

Un peu comme son grand frère, Amir, Sahar conserve cette veine mélancolique et nostalgique. Mais Tamino semble ici plus apaisé; là où Amir nous apparaissait spectaculaire et écrasant par son côté « ovni », Sahar apparait comme une suite logique et où pourtant une évolution nette  se fait sentir. Le jeune belge semble plus en phase avec ses inspirations qu’il mêle brillamment. En effet, aux parfums orientaux et à la folk européenne  bien significatifs de sa musique s’associent des intonations de Flamenco -« The Flame »– et d’autres un peu plus pop -« Cinnamon »– qui prennent leur place au sein de ce recueil avec une aisance remarquable.

De plus, cet album semble représenter pour Tamino un renouveau, une redécouverte et une exploration des différentes influences qui constituent le patrimoine culturel de ses ancêtres et de ses origines. Petit-fils de Muharram Fouad, chanteur très renommé en Égypte, Tamino apprend le oud avec l’aide d’un réfugié syrien, Tarek Alsayed, et partagera son nouveau savoir sur plusieurs morceaux de Sahar. C’est le cas notamment sur « A Drop of Blood » ou « The Good Disciple »premier single sorti au printemps dernier et dont les paroles sont inspirées par les écrits de Khalil Gibran, poète libanais aux qualités mystiques.

Quelques collaborations prestigieuses viennent d’ailleurs ponctuer cet album : Colin Greenwood (Radiohead) l’accompagne à la basse sur plusieurs morceaux, mais également Angèle qui l’accompagne au chant sur le cinquième morceau, « Sunflower »

Un album intimiste

Cette collection de chansons, écrites et composées dans le confort de son petit appartement d’Anvers, sont partagées entre une déclaration d’adoration pour sa compagne et une quête de l’individualité. En effet, autant sur « Fascination » où il s’extasie sur toutes les qualités qu’elle possède et lui, manifestement, non, que sur « The Longing » où il est question d’accepter son individualité, Tamino se confie et se dévoile.

La grande qualité de cet album se trouve dans l’unicité et l’union de chaque morceau. La progression de ces dix morceaux est brillante et guide l’auditeur dans un cocon aux parois à la fois angoissantes et rassurantes. L’ultime morceau « My Dearest Friend and Enemy » coup de coeur personnel- signe un final éblouissant et particulièrement émouvant.

Ainsi, avec cet album Tamino offre à son auditeur l’occasion d’entrer dans son univers de merveilles pendant 45 minutes. Ou 90, si toutefois vous décidez de l’écouter deux fois de suite. Ses deux prochaines dates au Trianon les 21 et 22 novembre prochains affichent déjà complet. Le culte s’installe.


L’équipe du film de Quantum Cowboys par Théophile Le Maitre

À l’occasion du Champs-Élysées Film Festival 2022,  notre équipe a eu l’immense plaisir d’interviewer l’équipe de la petite pépite psychédélique (que de -P), Quantum Cowboys;  Geoff Marslett, Lily Gladstone et John Way. Après avoir eu l’occasion de passer une soirée avec eux sur le rooftop du Publicis, les revoir afin de leur poser des questions sur leur film ne pouvait qu’être fait dans la bonne humeur. 

Quantum Cowboys est un western, mais ne le définir que par ce terme serait le dénuer de toute les spécificités qui le constituent. Le film est tellement riche que le réalisateur chapeauté, Geoff Marslett a décidé d’en faire une trilogie, je n’en dis pas plus, toutes les réponses à vos questions se trouvent ci-dessous!  

Geoff, Lily, John, bonjour ! Le festival vous plaît? 

John : C’est fantastique ! Il y a une fête tous les soirs, sur un rooftop juste en face de l’Arc de Triomphe, je pense pas que l’on puisse avoir une expérience plus française que celle-ci… vraiment fantastique. 

Geoff : Et non seulement la vue depuis le rooftop est incroyable mais le public français est formidable. Le cliché des français cinéphiles, selon le microcosme de ce festival, s’est confirmé à mes yeux 

C’était la question crash-test, pour vous mettre dans l’ambiance. Pourriez vous  décrire le film en quelques mots ? 

John : Wow, c’est difficile à décrire en si peu de mots… Quantum Cowboys… Ça irait comme description ? (Rires) Non? Bon alors… fou, aventure, amitié et changement. 

Geoff : Pour faire ce film je me suis inspiré de la période où j’étudiais la physique, un peu avant tout ça et de la théorie des multivers. Ce film est très expérimental; c’est une tentative de mise en place d’une version de multivers un peu plus scientifiquement correcte que ce que nous avons l’habitude de voir. On a tous un souvenir différent de chaque événement que l’on passe ensemble. Par exemple, toi et moi, on s’est rencontrés jeudi soir, on est allés sur le rooftop et on s’en souvient tous les deux. Mais si nos souvenirs sont similaires, toutes les émotions ressenties sont toujours internes à un seul individu. Donc tu as un souvenir, j’ai un souvenir. Chaque souvenir que quelqu’un a de n’importe quelle expérience, de n’importe quel moment crée son propre univers, à l’intérieur de nous. On recrée continuellement cet univers de manière chimique dans notre propre tête. Tous ces souvenirs sont en nous, et on essaye de les raconter aux autres dans un but de se présenter à eux, pour qu’ils nous connaissent. C’est pour ça que l’on crée, que l’on raconte des histoires et des anecdotes, que l’on se dispute, que l’on donne des interviews, que l’on écrit des choses et finalement, tout cela se mélange dans l’univers autour de nous jusqu’à ce que l’on se mette d’accord sur ce qu’on décide d’appeler Histoire. Et cette décision éteint tous les autres souvenirs et dans cinq ans, la version de notre rencontre à cette fête sera celle que l’on aura décidé, en tant que société, à conserver comme la bonne et l’unique. C’est une idée un peu folle et bizarre mais c’était ma tentative de mettre cette théorie au centre de l’intrigue sans en dire : « C’est ce que je veux que vous reteniez de ce film. » mais plutôt, en essayant de vous faire vivre ça,  de forcer quelqu’un à regarder 94 minutes d’un film qui te fait ressentir ce que c’est que d’avoir plusieurs points de vue coexister. C’est ce dont parle le film pour moi… en quelques mots. 

John : J’ai respecté la consigne, moi (rires) 

Lily : Je dirais que c’est pas un western révisionniste mais plutôt un western visionnaire. 

John (en claquant des doigts, ndlr) : C’est ça, c’est exactement ça! C’est bon vous l’avez votre titre pour l’interview ! 

Étant donné que beaucoup de créateurs et d’animateurs ont participé à ce projet, quel a été le processus de tournage et de montage pour ce film ? (Fond vert? Les différentes techniques employées?) 

Geoff :  C’était compliqué. Dès le début, j’avais noté sur mon scénario – pas celui des acteurs, juste le mien – où les animations changeraient. Donc je savais dès le début quand le style changerait. Quand on a commencé à tourner, je devais maintenant décider quelles seraient ces animations, parce qu’en fonction de ça, le tournage des scènes n’était pas le même. Mais c’est là que ça s’est gâté, pour le monde entier. Le Covid a commencé au moment où on a fini les tournages. Mon plan initial était de réunir tous les animateurs dans la même ville et travailler tous ensemble. Ça aurait été déjà compliqué comme ça mais avec le Covid, on avait des animateurs au Japon, en France, en Amérique du Sud, d’autres éparpillés aux États-Unis et ils n’ont jamais pu travailler tous ensemble. Chaque fois que l’un d’entre eux avait une question, il se tournait toujours vers moi alors ça a très vite été mon rôle de retravailler chacune des séquences une à une. Tout ça m’a rajouté beaucoup de travail mais comme on dit, l’adversité offre des diamants spéciaux. Bon… je ne réponds qu’avec des phrases bizarres qui n’ont aucun sens (rires confus ndlr) Ce que je veux dire c’est que même si cette situation offrait des avantages d’un point de vue créatif, ça augmentait quand même pas mal les difficultés. 

Pourquoi as-tu décidé d’utiliser tous ces styles d’animation différents? Est-ce que ça avait un rapport avec le script ? 

Geoff :  Chaque style d’animation représente le souvenir d’un des personnages présents dans la scène, donc à chaque fois que le style change, le spectateur se retrouve propulsé dans une nouvelle perspective de ce qu’il s’est passé. Quand j’ai dû choisir à quoi devait ressembler ces animations, je savais qu’on aurait besoin de suffisamment d’animations différentes pour que le spectateur assis sentirait l’univers changer autour de lui. Mais elles devaient être suffisamment similaires pour que le personnage qui passe par différents styles soit facile à reconnaître. 

Une question pour Lily et John : quelles ont été vos premières réactions en recevant le script ? 

Lily : La première page disait « Tout le monde, partout, tout le temps ne le comprend jamais bien » (Everybody, everywhere always never gets it right) et en lisant ça je me suis dit que je voulais absolument faire partie de ce projet. J’avais vu Mars et j’ai juste plongé dans le script vu que j’avais déjà une idée de la vision de Geoff. Je voulais le voir en tant que réalisateur, étant donné qu’on est amis depuis plus de dix ans maintenant. Cette formulation avec toutes ces doubles négations m’a vraiment plu. Ce que j’aimais vraiment dans Mars, c’est qu’il y parle d’un concept assez spirituel qui est devenu très populaire : se casser pour aller vivre sur Mars. Geoff a toujours été en avance sur son temps, sur la société, mais d’une manière où tu ne le prends pas autant au sérieux que tu le devrais. Les humains sont très étranges, des petites marionnettes de viandes avec la folie des grandeurs. Je pense que c’est une menace contre la société quand les gens commencent à être un peu trop détachés du fait que nous sommes des animaux, avec des failles. Et c’est ce que j’aime chez Geoff, il pose un regard tellement drôle et bienveillant à la fois sur le ridicule et la beauté de l’humanité et sur notre manière de conceptualiser et d’examiner tout. Ça me paraissait si évident dès la première lecture du script. En plus, le premier titre du film était Cowboy on a Zebra. Rien que le titre m’a donné envie de sauter sur l’opportunité, suivi de ma première réplique quand je fais tomber Franck : « Je voulais juste pas te voir mourir à nouveau ». En à peine quelques pages j’ai adoré. 

John : Sacrée réponse, je vais essayer d’être à la hauteur… Quand j’ai reçu le script, je venais juste d’apprendre la Théorie des Fentes de Young et la différence entre une particule et une onde, et comment tout cela évolue en fonction de certaines ouvertures. Donc je commençais tout juste de comprendre ce monde de la physique quantique, de la mécanique quantique donc j’étais déjà un peu époustouflé par tout ça quand j’ai lu le script. Certaines paraboles me sautaient aux yeux, notamment cette idée de rechercher Blackie, comme une allégorie du chat de Schrödinger. Ensuite, j’ai vu comment tous ces personnages en quête étaient tous des personnifications de ces idées quantiques entêtantes et ça m’a beaucoup parlé. En plus, c’était un western et j’adore les films qui parlent de l’ouest des États-Unis d’une nouvelle façon. Ma première expérience américaine était le sud-ouest (John Way est né à Londres, ndlr) alors cette région a une place très spéciale dans mon coeur. Bon ! Ma réponse n’a pas été aussi mauvaise que ça ! 

Comment vous êtes vous préparés pour ce film étant donné que le tournage était un peu différent de ce à quoi vous êtes habitués?

Lily : J’ai regardé quelques vidéos de behind-the-scenes de fond verts et de motion capture, particulièrement celles de Benedict Cumberbatch pour Smaug dans Le Hobbit. Je voulais briser mon propre paradigme dans ce film, parce que jusqu’à présent, mon jeu était très minimaliste. Le minimalisme à l’écran de petites salles de cinéma est ce qui m’attire le plus. Mais, en sachant qu’il y aurait des animations, il y avait ce challenge où je devais la dépasser. Ça m’a donné la permission d’être un peu plus théâtrale que d’habitude. Pour les autres films que je fais, d’un point de vue stylistique, le minimalisme fonctionne avec eux. J’avais l’impression que si j’avais sorti de mon chapeau tous mes tours habituels, ça n’aurait pas été suffisant, donc j’ai un peu observé comment les autres acteurs appréhendaient leurs personnages animés, leurs manières de plonger dans la théatralité et la physicalité de l’expérience. C’était très libérateur de travailler devant un fond vert, c’est comme un théâtre « boîte noire » : tu débutes à peine, tu n’as quasiment aucun accessoire sur scène à part ton imagination et l’intrigue de la pièce. C’était sympa de revenir aux origines comme ça. Soudainement, je suis un cowboy et j’ai l’impression que pour accéder à un thème aussi touffu que celui de la physique quantique tu as besoin de te remettre en phase avec l’enfant en toi, celui qui reçoit la connaissance. Ce film me rappelle aussi le livre Codex, qu’un artiste italien avait publié. Le langage et les symboles sont inventés et ne veulent pas dire grand chose. L’auteur voulait juste recréer ce sentiment que l’on avait, enfant, quand on regardait des livres avec des images pour la première fois, sans savoir ce que ça voulait dire mais d’essayer de comprendre quand même. C’est quelque chose qui est difficile de ressentir en tant qu’adulte. C’est comme ça que je vois le travail de Geoff. Comme un puzzle que je vais résoudre. C’est très intéressant dans un film. 

Je voulais briser mon propre paradigme dans ce film

John : C’était quoi la question déjà ? (rires, répétition de la question, ndlr) Je pense que Lily a vraiment bien résumé l’expérience en parlant de théâtre « boite noire ». Ça nous a permis d’être dans la tête de nos partenaires de jeu, on a dû créer ce monde ensemble et être les personnages qui occupaient ce monde, alors c’était une expérience de collaboration très intéressante. 

Geoff : En plus, tu as dû jouer avec un accent étranger. 

John : Oui ! Et c’était très amusant ! De manière un peu égoïste, c’était très intéressant pour moi, ces explorations de mon passé génétique. Je suis né à Londres et j’ai grandi à l’étranger pour une grande partie de ma vie, donc je suis arrivé en Amérique comme un étranger, un peu comme mon personnage Bruno. J’ai un peu canalisé mes expériences avec celles de Bruno parce que c’est suffisamment familier pour me sentir chez moi et suffisamment différent pour que je me sente un peu apeuré, j’ai essayé de revivre ça. Mes ancêtres venus s’installer aux États-Unis étaient Danois et ils se sont installés dans le Sud-Ouest alors j’ai vu ça comme un grand privilège de jouer ce personnage. C’était pas la réponse à votre question mais c’était la réponse à la nouvelle question ! (rires, ndlr) 

Pourquoi vouloir faire une trilogie ? 

Geoff : Surtout parce qu’il y a trop d’idées fourrées dans ce premier film et il ne présente qu’un tiers de l’iceberg pour le moment. Je voulais donner aux spectateurs suffisamment de réponses pour qu’ils soient satisfaits pour le moment. Mais il y a encore de nombreuses questions auxquelles on a pas encore répondu, notamment sur les vilains (David Arquette et Frank Mosley) et leur histoire, également sur le personnage de Linde (Lily Gladstone) et son rôle dans l’arc, sa connection à l’équipe de tournage. Qui est l’équipe de tournage aussi ? Qui sont les immortels? Des personnages comme Esteban, un vétéran du Vietnam et éleveur de bétail, Anna la viking, Père John le fantôme qui est aussi prêtre. C’est surtout des questions plus vastes auxquelles on ne pouvait pas répondre dès le premier film, donc j’espère que les gens ont suffisamment apprécié pour vouloir les réponses et que je puisse leur donner un deuxième film et dans le troisième, peut-être que toutes les pièces se connecteront. 

L’équipe de tournage apparaît souvent dans le film, pourquoi avoir décidé de briser le quatrième mur? 

Geoff : Le quatrième mur n’est pas vraiment brisé puisqu’il s’agit de vrais personnages. Une fois arrivé au troisième film, on a l’impression qu’il y a un narrateur et que la caméra brise le quatrième mur. C’est ce que n’importe qui pourrait penser en regardant le film. Mais, sans trop spoiler, j’ai fait ça parce que ces personnages participent réellement au film, c’est pas juste l’équipe de tournage. Ils travaillent pour Linde. Ce sont de vrais personnages dans l’univers de ce film. 

Je pense que j’ai fait quelque chose de suffisamment bizarre pour ne pas avoir d’attente.

Ce projet est très ambitieux. Quelles sont vos attentes face à la réaction du public ? 

Geoff : J’ai pas vraiment d’attente, dans le sens de prédiction. Prédire insulte le futur, donc je ne sais pas, je pense que j’ai fait quelque chose de suffisamment bizarre pour ne pas avoir d’attente. En revanche, je pense vraiment qu’il y a un public quelque part qui veut voir un film comme ça, résoudre ses énigmes. J’adorerais trouver un distributeur qui ait le courage de m’aider à entrer en contact avec ce public. Donc j’imagine que mon espoir pour ce film c’est qu’il se trouve une place, aussi modeste soit-elle. Même s’il ne soulève pas de foule, au moins qu’il trouve un petit groupe de personnes qui donneraient un peu de leur temps pour comprendre mon travail. 

Lily : J’ai l’impression qu’ils sont déjà un peu là. Quand on était au Festival International d’Animation d’Annecy, on a rencontré un groupe d’étudiants qui ont vu toutes les séances là-bas et sont venus à Paris pour le revoir. Je pense que ce film ne plaira pas forcément aux exécutifs et ceux qui font les décisions, mais plutôt le public lui-même, notamment de la génération Z. 

Geoff : John veut juste son chèque.