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Léonard Pottier

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#1 Bob Dylan

 

Seul dans une chambre. Les enceintes branchées. Le volume à haut niveau. Il faut bien se lancer. Pourquoi cet album ? Je n’en sais rien. C’est celui qui m’ait tombé sous la main. La pochette est amusante. Etrange surtout. Je ne m’attends à rien. Mais je dois bien sauter le pas. C’est une peur que j’avais, et que j’ai toujours d’ailleurs, de me lancer dans l’univers d’un artiste adoubé et à l’immense carrière. Peur de me noyer, de me tromper, ou d’être déçu… Quoi d’autre sinon ? Peur d’y découvrir quelque chose de trop grand peut-être ? De ne pas être à la hauteur, de ne pas comprendre ni de saisir l’importance… Voilà, c’est cela dont il s’agit je crois : la peur de passer à côté de la chose, comme un enfant passe à côté d’un.e grand.e écrivain.e lorsqu’il le/la découvre trop jeune. Combien de personnes ne supportent pas Proust sans le connaitre ne serait-ce qu’un minimum, basant leur jugement hâtif sur un vague souvenir d’adolescence ? Il en est de même pour les géants de la musique. On ne peut les prendre à la légère sous peine que leur immensité nous passe sous le nez.

 Je n’y pense plus. Je presse le bouton play. 42 minutes après, je suis le même. J’ai beaucoup aimé l’album mais je ne dirais pas que j’ai été bouleversé. Non, le choc arrivera bien après. Après une plongée véritable. Il ne suffit pas d’un album. Ce n’est pas le but d’ailleurs. Ce qui est saisissant chez les artistes de ce genre, c’est leur œuvre globale, laquelle, en s’enfonçant de plus en plus profondément à l’intérieur, vous impacte à mesure que vous vous imprégnez d’elle, et qu’elle agit sur vous de manière inconsciente. Chaque album est une sorte d’étape venant agrandir et étoffer un ensemble à prendre en considération et à ne jamais perdre de vue. Il se peut que vous trouviez superbe une de ses étapes prise séparément. Pourtant, mise au regard de l’ensemble, elle vous sera dès lors phénoménale et extraordinaire. Aussi grandioses que sont par exemple Heroes de Bowie, et Berlin de Lou Reed, ils ne seraient pas d’une telle ampleur sans tout ce qui a été construit avant et, même si de manière moins directe, tout ce qui le sera ensuite.

 

Par étapes

Planet Waves fut donc la toute première étape de mon parcours. Je n’avais à ce moment-là aucun soupçon de ce qui allait plus tard m’arriver. L’important est qu’il m’a donné envie d’aller chercher plus loin, ce que j’ai fait. C’est une étape primordiale : développer l’envie de creuser, ne serait-ce que de quelques centimètres, sans forcément un plaisir immédiat au départ. Non, le plaisir se construit. L’envie est tout ce qui importe en début de parcours. S’en est suivi la découverte d’autres albums qui, au fur et à mesure, résonnèrent en moi avec un peu plus d’intensité et de hargne. Plus j’en découvrais, plus je devenais fou. Une sorte de drogue finalement. Blood on the Tracks, Street Legal, Nashville Skyline, Slow Train Coming… Presque aucun n’y a échappé. Je les écoutais au hasard, sans ordre particulier, naviguant parmi les époques et les styles. Refuser l’ordre chronologique était aussi une façon de mieux cerner les évidences, les similarités, les obsessions récurrentes, les différences entre chacun de ses albums. Tout cela formait un ensemble cohérent. Je me rendis compte que tous étaient habités par une force singulière que je retrouvais presque systématiquement, empreints de la même obstination, faits d’une semblable identité unique. Je n’avais aucun mal à passer des années 90 aux années 60, pour ensuite faire un tour dans les années 70. De toute façon, j’avais commencé par Planet Waves, sorti en 1974, et il est ce genre d’artistes avec lequel il faut savoir choisir l’œuvre par laquelle commencer. Je vous déconseille par exemple de le faire avec The Times they are A-Changin’, même si toutes les qualités qu’on lui reconnait sont évidemment véridiques. Mon conseil se portera plutôt sur Slow Train Coming, aussi génial que facilement abordable.

Deux ans après donc, je n’étais plus le même. Je ne connaissais pas encore tout (je n’en suis pas loin aujourd’hui), mais je savais pertinemment qu’il était devenu l’artiste le plus important de mon existence. Puis-je l’expliquer ? Pas vraiment, cela m’a gagné au fur et à mesure des écoutes, mais c’est un fait que j’ai appris à accepter et avec lequel je vis chacune de mes journées. Il est désormais toujours là, comme un meilleur ami fantôme, un amour spirituel. Depuis, je fais appel à lui dès lors que j’ai un souci, une peine mais également dès lors que je suis gagné par de bons sentiments. Il les amplifie. A la fois mon remède et ma main droite. C’est une émotion bénéfique que d’avoir une épaule sur laquelle se reposer, et que celle épaule soit non seulement lointaine et immatérielle, mais également omniprésente et plus réconfortante que quoi que ce soit d’autre. C’est un drôle de ressenti. Il suffit d’écouter un album pour que le monde autour, soit disparaisse, soit se transforme, se malaxe et se colore. Quoi qu’il en soit, la réalité change et se déforme dans ces moments-là.

 

 

Impérissable

Mais alors, comment tenir le lien ? Ne pas se lasser ? Ne pas perdre la tête ? Somme toute, comme entretenir la relation ? C’est tout simple : c’est impérissable. Nul besoin d’y revenir à rythme régulier. Je pourrais le retrouver dans dix ans sans l’avoir écouté une seule fois que mes sentiments seraient exactement les mêmes. Et que, j’en suis certain, personne n’aurait entre temps pris sa place. Non, elle est réservée pour le reste de mon existence. Il m’a changé à tel point que jamais plus je ne pourrais revenir en arrière. C’est désormais là, en moi, à chaque instant. Comme un membre supplémentaire. En me demandant si, plus tard, je ne regretterais pas le tatouage que je me suis fait de lui (pas son visage je vous rassure, quelque chose de plus subtil et personnel), c’est presque me faire offense. « Et si, dans 50 ans, tu ne l’aimais plus ? ». Cela revient à dire « et si, dans 50 ans, tu reniais qui tu es ? ». Dans ce cas, plus rien n’aurait de sens et la vie serait à refaire. C’est impossible. Il y a des choses impérissables, si profondément ancrées. C’est comme ça. Oui, avec l’âge, nous changeons. C’est une évidence. Mais Bob Dylan est justement celui qui m’apprend à changer. Il n’est pas l’acrobate marchant sur le fil, prêt à tomber à tout moment. Il est le fil. C’est bien là toute la différence.

Je sais quand je dois l’écouter, c’est une sorte d’appel, de besoin. A l’inverse, je sais aussi que je peux facilement écouter autre chose –heureusement ! – et que je n’ai pas besoin de lui à tout moment. Il me guide certes, mais je peux très bien m’en passer. L’important est de savoir sa présence à tout instant nécessaire. Parfois aussi, il me sert à reprendre confiance en moi, quand je suis perdu. Cela est arrivé à beaucoup de monde je suppose, de ne pas savoir quoi écouter, de ne se satisfaire de rien, d’être dans un état de recherche qui ne mène nulle part, vous laissant les bras ballants, triste de ne pas savoir vers quoi vous tourner… C’est là que je fais appel à lui, même promptement, juste pour retrouver cette sensation de cohésion et d’épanouissement ultime. Si un jour je m’égare, ce qui n’est pas en mal en soit, je sais où retrouver non pas le droit chemin – ce n’est pas un amour religieux que j’entretiens, je ne lui ai pas encore vendu mon âme – mais plutôt mon identité, mes désirs, mes passions et ma jouissance. Somme toute, retrouver la musique qui me correspond le mieux, celle avec laquelle j’entre en symbiose par je ne sais quel mécanisme mystérieux. Si mystérieux que cela ? Je m’obstine à penser que tout cela n’est que le produit d’une logique découlant d’un parcours personnel. J’en fais peut-être trop, mais l’excès n’est-il pas la meilleure vertu d’une passion obsessionnelle ?

 

Inépuisable

37 albums. Voilà qui est beaucoup. Cela vous paraît immense ? La discographie de Bob Dylan s’élève bel et bien à ce nombre. Sans compter les albums lives ni les inépuisables bootlegs qui, aujourd’hui encore, sortent au rythme d’au moins un par an, toujours aussi riches et pertinents. Bob Dylan semble de cette manière inépuisable, en offrant à ses admirateurs toujours plus de contenu dont l’exploit le plus impressionnant est celui d’une constante qualité. Il est extrêmement rare que l’artiste américain sorte quelque chose dénué d’intérêt. Bien sûr, il y eut des périodes de sa carrière moins excitantes que d’autres artistiquement parlant (principalement les années 80, comme tout bon génie qui se respecte), où l’inspiration manquait quelque peu à l’appel, mais peut-on reprocher cela à un artiste ayant eu un tel impact sur la musique, aussi bien traditionnelle que moderne ? Avec autant d’albums, les ratés sont évidemment excusables et même plus, ils sont normaux et légitimes, preuve qu’il s’agit bien d’un homme derrière la création et non d’une machine. Cela renforce le mythe.

Au-delà d’être un musicien génial et un chanteur extraordinaire (si, si, vous avez bien lu, et si vous n’y croyez pas, je vous répondrais même qu’il est l’un des plus grands chanteurs que la musique ait connu), Bob Dylan réunit toutes les qualités de l’artiste inatteignable : une gueule marquante, une attitude désinvolte, un charme incroyable, une intelligence rare, une existence entièrement dédiée à l’art qu’il crée sans jamais s’essouffler… Mais alors pourquoi, me demanderez-vous peut-être, est-il plus important que les autres génies de son genre ? Pour la simple et bonne raison que jamais un artiste n’a chanté la vie de cette manière, aussi réelle et poignante, s’adressant à son public par le biais de tout ce qui fait de nous des êtres humains doués de conscience. Jamais personne n’a été aussi juste et sincère dans sa manière de créer. Son chant est un cri de vérité constant venant du cœur et des tripes à la fois, qui va bien au-delà des paroles prononcées, car en lui se dissimule une émotion véritable, aussi fantastique que tangible. Si sa voix peut vous paraître énervante, elle est en réalité la chose la plus authentique et magnifique que la musique ait transportée depuis des siècles. Rodolphe Burger, chanteur français ex leader de Kat Onoma, en parle d’ailleurs très bien :

 « Il a inventé une façon de chanter. On a beaucoup décrié sa voix, encore aujourd’hui, il est obligé de se défendre parce que l’on dit qu’il chante mal, qu’il a des paroles merveilleuses mais qu’il ne chante pas très bien. Je trouve que c’est le contraire. Il a vraiment réussi à tirer la voix du côté de quelque chose d’inouï, qui n’existait pas. Ça ressemble à du fil électrique. Il y a quelque chose de brûlé dans sa voix, qui est extrêmement fort et émouvant » (Bob Dylan, prix nobel de littérature : « la musique récompensée », vidéo mise en ligne sur youtube le 17 octobre 2016)

 

Sauvé par Bob Dylan

Par la force et la beauté des morceaux qu’il compose, dont au moins la moitié sont de purs chefs-d’œuvre, Bob Dylan transmet avec lui une profonde sincérité marquée par la justesse de son écriture et de ses mélodies. Touche à tout, baigné dans divers styles, l’artiste américain élève tout ce qu’il caresse, transcende tous les genres, laisse son influence indélébile partout où il met les pieds, fait de tout le monde ses semblables, empoigne chacune des obsessions de la planète Terre en y répondant par sa voix non pas tombée du ciel mais bel et bien apparue de la terre féconde et palpable de l’Amérique. Chacun de ses albums est une démonstration de plus, une nouvelle exploration… Encore aujourd’hui avec les nouveaux morceaux qu’il a sortis récemment, il touche le sublime. Il est le seul, avec Neil Young et Lou Reed, à créer un lien solide entre le début et la fin de sa carrière. 60 ans le séparent de son premier album, et pourtant, sa route artistique a démontré qu’il avait fait peu de pas de travers et que toute son œuvre se répondait plus ou moins. Il a tout exploré sans pour autant bouger d’un poil. Il est allé partout en restant le même. Certains de ses albums des années 90 et 2000 sont presque aussi intéressants que ceux des années 70, même si leur influence est évidemment moindre. Voilà ce qu’est un artiste complet, celui qui crée pendant des dizaines d’années sans perdre son identité ni diminuer en qualité mais qui sait s’adapter selon l’époque, son âge et ses propres capacités. Bob Dylan a su créer une œuvre monstrueuse, regroupant mille et une traversées en un seul chemin logique et lumineux.

Oui, ceci est une déclaration d’amour, un remerciement pour le bien qu’il m’a apporté, pour la force qu’il m’a donnée, pour la réflexion qu’il a provoquée et pour mon existence à qui il a donné sens. She was saved by rock’n’roll disait Lou Reed. Rock’n’roll… Rock’n’Roll… J’y vois personnellement une longue table présidée par celui qui aura révolutionné la musique américaine. La musique tout court. L’art. La vie tout compte fait.

By Léonard Pottier

 On sait à quel point il est plaisant de participer à des challenges faisant appel à notre culture et à nos goûts, sous forme de défi imaginé selon plusieurs règles et contraintes aussi drôles qu’originales. A l’heure où ce genre de challenge fleurissent en masse grâce aux réseaux sociaux, certains se démarquent plus que d’autres, plus aboutis, plus amusants, plus enrichissants… C’est notamment le cas du 30 days songs challenge, dont nous vous avions parlé au début du confinement, qui propose aux participants d’explorer ainsi que de partager l’histoire musicale qu’est la leur en fonction de plusieurs catégories, différentes pendant 30 jours, en choisissant un morceau de leur bibliothèque personnelle qu’ils trouvent le mieux correspondre à la catégorie en question. Ce challenge vous avez plu ? C’est maintenant au tour d’une nouvelle version de faire son apparition.

 

Le 30 days songs challenge revisité !

 Aujourd’hui, la page instagram @albumshunter (qui poste chaque jour un nouvel album qu’elle recommande d’écouter, de toutes époques et de tous genres) propose de revisiter le concept à sa sauce, en partageant non plus des chansons, mais des albums. « La chasse aux albums » ! Ici, le principe est exactement le même, mis à part les catégories renouvelées et imaginées spécialement par le détenteur de la page : il suffit de choisir l’album qui semble, selon vos goûts, le mieux correspondre à la description du jour, puis le partager sur twitter ou instagram. Ce challenge fait appel à votre propre sensibilité ainsi qu’à votre parcours musical, unique à chacun. Il vous permet également de fouiller dans les profondeurs de votre cerveau afin de retrouver quelques perles rares que vous aurez plaisir à mettre en avant. Rien de révolutionnaire bien sûr, mais un bon moyen de s’occuper jusqu’à la fin du confinement ! Et qui sait, peut-être en fouillant dans votre mémoire allez-vous retrouver certains albums que vous aviez injustement délaissés et que vous prendrez aujourd’hui plaisir à redécouvrir.

 Le but est également celui du partage : faire valoir vos goûts et vos connaissances auprès de vos proches qui peuvent se retrouver dans vos choix et ainsi interagir autour de la culture et de la musique ! Donnez du fil à retordre à vos souvenirs et donnez ouïe à travers ce challenge à la meilleure description de vous-même ! Et tout cela en musique ! En guise d’exemple, nous vous partageons quelques catégories : « JOUR 1 : l’album que tu décrirais comme ton premier choc musical » « JOUR 8 : l’album qui te donne envie de lancer des pavés dans une manif’ » « JOUR 24 : un album génial dont la pochette est affreuse » …

 Pour participer au challenge, rien de plus simple que d’enregistrer le tableau ci-dessous et de le partager chaque jour en story instagram ou dans votre fil d’actualité twitter avec les albums qui vous définissent le mieux ! Vous pouvez retrouver toutes les informations directement sur la page instagram @albumshunter en story épinglée.

source : @albumshunter (instagram)

On participe également ! Rejoins nous sur instagram @popnshot

Quoi de mieux en cette période si particulière que de dédier son temps libre à la découverte ? Certainement l’une des choses les plus stimulantes de notre existence. Chercher… Découvrir… Ne pas s’accommoder à quelconque confort, mais toujours se trouver dans un état d’esprit d’ouverture au monde, d’élargissement culturel, afin de faire jaillir un sentiment de satisfaction nous donnant l’impression de nous construire en même temps que notre cercle s’élargit. Voilà ce dont nous avons tous besoin, même sans nous en rendre forcément compte. Et quel moment plus adapté que celui que nous vivons en ce moment, confinés, à l’heure où absolument tout est disponible en ligne depuis chez soi, où chaque album peut être écouté sur les services de streaming (même si nous vous conseillons d’aller les acheter, action malheureusement impossible en ce moment)

 Mais pour cela, je vous l’accorde, il faut savoir où aller chercher, ce qui n’est pas toujours évident à l’heure où la création se multiplie à vitesse grand V.  C’est pour cette raison que je vous propose aujourd’hui d’être une sorte de guide, sans aucune prétention évidemment, mais seulement dans l’objectif de vous donner quelques pistes d’exploration, au travers desquelles vous aurez ensuite tout le temps de creuser vous-même pour y découvrir certaines merveilles dont vous ne soupçonniez peut-être même pas l’existence. Et il se peut très bien que vous ne connaissiez déjà ce que j’ai à vous proposer, mais ce n’est pas une raison valable pour ne pas vous y replonger dedans !

C’est du côté de la musique que j’ai d’abord choisi de m’orienter, avec plusieurs albums, certains plus connus que d’autres, dont vous ne pouvez pas passer à côté ! Ces œuvres ont été choisi au hasard, dans divers horizons, pour que chacun puisse y trouver quelque chose qui l’inspire. Ce ne sont ni des albums totalement inconnus, ni des classiques mondialement réputés. Ils font partie d’un juste milieu, entre évidence et confidentialité. Somme toute, des classiques pour tous ceux qui voudront bien les reconnaître comme tel. Néanmoins, une chose est certaine : ce sont des albums extraordinaires, chacun à sa façon, qui ouvrent des portes immenses vers le genre dans lequel ils s’inscrivent et plus généralement vers une conception de la musique unique. Ma sélection s’appuie évidemment sur des goûts personnels qui, je l’espère, pourront toucher le plus grand nombre. C’est à raison de deux ou trois albums par semaine que je tenterais de vous tracer un chemin qui me ressemble, et dans lequel vous pouvez vous retrouver, et cela jusqu’à la fin du confinement !

Pour cette première semaine, j’ai décidé de vous présenter trois albums qui me tiennent particulièrement à cœur, chacun appartenant à des styles très diverses :

 

album n°1 :Sorcerer (Miles Davis)

 Inutile de le présenter, le nom de Miles Davis se suffit à lui-même, tant il renvoie à une carrière gigantesque et à un génie reconnu dans le monde entier. Pour autant, le connaissez-vous vraiment ? Avez-vous déjà essayé de plonger la tête baissée dans son œuvre ? Vertigineuse je vous l’accorde… Pas facilement accessible… Mais néanmoins indescriptible une fois votre esprit abandonné à sa musique. C’est la raison pour laquelle il semble important de procéder par étapes lorsque que l’on s’attaque à un artiste d’un tel niveau. Avant toute chose, c’est une porte d’entrée qu’il faut chercher, surtout si vous n’êtes pas grand adepte de jazz ou ne serait-ce qu’un minimum réceptif à cette musique (et si vous l’êtes, je n’ai probablement rien à vous apprendre de Miles Davis). Une fois la porte d’entrée trouvée, la suite n’en sera que plus aisée. Peu d’albums de Miles Davis sont évidents, mais certains le sont tout de mêmes plus que d’autres. Alors s’il vous est déjà arrivé de tendre l’oreille sur l’un d’eux et de ne pas y avoir trouver le confort attendu, ou le talent hors norme qu’on lui reconnaît, n’ayez pas peur, cela n’a rien d’anormal. Néanmoins, n’abandonnez pas ! C’était peut-être le mauvais album pour se lancer… Avec les grands artistes, il est parfois difficile d’y trouver un bonheur instantané. C’est souvent dans la durée que leur génie vous étreint progressivement jusqu’à vous étouffez de passion et de sentiments décuplés. La musique de Miles Davis, avant de pouvoir l’écouter passionnément, est un art qui se digère, auquel on réfléchit longuement en attendant qu’il fasse pleinement son effet, comme un travail d’exploration, de recherche et de découverte, au bout duquel se trouve très certainement une satisfaction bien plus intense de celles que beaucoup d’autres musiques peuvent vous apporter sur l’instant. Donc trêve de bavardages et de procrastination, il est temps pour vous de franchir le cap si ce n’est pas déjà fait !

 Kind of Blue, Bitches Brew… Des albums dont le nom résonne très fort encore aujourd’hui. Les classiques de Miles Davis, considérés à juste titre comme des chef-absolus, ne sont très certainement pas les albums les plus faciles à aborder. Commencer par le sommet n’est pas toujours la meilleure idée. La première écoute de Bitches Brew vous laissera probablement déboussolé et ahuri, mais ne vous donnera pas l’envie de vous y replonger une seconde fois, à moins que vous n’y soyez habitués. Dans le cas contraire, il faut préparer le terrain avec des albums plus accessibles. Ce fut en tout cas ma manière d’aborder la chose. C’est pourquoi je vous conseille aujourd’hui Sorcerer, un album sorti en 1967, soit trois années avant Bitches Brew et huit années après Kind of Blue. Cette période fut particulière pour Miles Davis qui ne tarderait l’année suivante à emmener le jazz vers de nouvelles expérimentations en l’orientant vers un style électrique aux envolées rock. Sorcerer reste lui dans une veine très jazz, bien qu’on y devine une légère attirance de l’artiste pour ce vers quoi il se dirigera plus tard. On y sent déjà un saxophone accrocheur, qui sera d’une terrible force et violence sur Bitches Brew. Les compositions géniales de Sorcerer alternent entre moments calmes et moments précipités, grâce à une alliance de plusieurs qualités d’un immense album de jazz : rythme, intensité, jubilation… Tout y est. Sorcerer explore à tâtons autant que nous prenons plaisir à faire part de ce voyage. Il démarre très fort avec Prince of Darkness, puis prend des pauses, s’accélère, se perd volontairement, ré accélère, tente avec succès, ralentit, réussit avec bravoure, et se termine sur un dernier morceau chanté apportant une touche surprenante. 40 minutes de génie. Une œuvre excellente qui vous permettra, je l’espère, de vous lancer dans le grand Miles David si ce n’est pas déjà fait !

 

Album n°2 : L’homme à tête de chou (Serge Gainsbourg)

Tout le monde connaît évidemment Serge Gainsbourg, au moins du nom, dont principalement les titres phares de sa carrière : « Initials BB », « Le poinçonneur des Lilas », « Je suis venu te dire que je m’en vais »… Ainsi que l’album Melody Nelson, souvent considéré comme son grand chef-d’œuvre. Gainsbourg est une légende de la musique et très certainement le plus grand représentant de la chanson française, qu’il a su emmener dans une autre dimension (et ne venez pas me parler de Johnny Halliday s’il vous plaît). Alors que reste-t-il à découvrir de lui si vous ne le connaissez pas sur le bout des doigts ? Pleins de choses ! Love on the Beat par exemple, un album extraordinaire, ou Aux Armes et caetera dans lequel il s’expérimente au reggae avec tout le génie qu’on lui connaît, ou encore son incroyable concert au casino de Paris en 1985. Si vous ne connaissez pas tout cela, n’hésitez pas une seule seconde. Mais aujourd’hui, je souhaitais vous parler d’un album du maître que j’affectionne tout particulièrement : l’Homme à tête de chou. Ni son plus connu, ni son plus secret, cet album révèle l’art de Gainsbourg dans toute sa splendeur et son excentricité. Sorti en 1976, l’album raconte l’histoire d’une tragédie amoureuse entre un homme et une certaine Marilou. Tout est dit dans l’incroyable premier morceau titre, qui se plaît à raconter la triste fin de cette histoire : « du jour où je me mis avec elle, je perdis à peu près tout », avant que le reste des morceaux ne reconstruise tout cela en détails, de la rencontre à l’amour passionnel jusqu’au meurtre final. Ce premier morceau fait l’effet d’une véritable bombe. D’une hallucinante beauté mêlée à une tristesse à vous en faire hérisser les poils, « L’homme à tête de chou » est l’une des plus grandes ouvertures d’albums qu’il soit, et, isolé du reste, un morceau monstrueux. Tout y est intégré en à peine trois minutes comme si, avec une seule chanson, Gainsbourg était parvenu à raconter la vie. Quelques phrases d’une poésie froide et cruelle chantées par cette manière du chanteur si particulière, entre spleen et nonchalance, propre à un orateur hors du commun. La voix de Gainsbourg se fond tellement dans le morceau qu’elle parvient à lui donner la force nécessaire pour l’élever à un niveau encore rarement atteint. Ajouté à cela cette composition si particulière, ovni instrumental, où l’incroyable mélodie (sans Nelson) convoque de manière répétitive deux notes semblables à des coups de poing, entre terreur et magnificence. Le piano, la guitare, la basse et la batterie qui viennent lui donner vie et consistance au fur et à mesure forment entremêlés ainsi une orgie auditive inatteignable depuis.

 La suite de l’album nous entraîne dans un tourbillon d’amour se dégradant au fur et à mesure. Avec des morceaux moins éclatants que le premier mais toujours aussi extraordinaires, Gainsbourg nous enlace de sa voix qui devient peu à peu une drogue pour nous autres auditeurs. Comme accro à cette ardeur sexuelle dont lui seul a le don, nous nous laissons transportés au travers de cette histoire noire, constamment élevée par une incroyable poésie et des compositions d’une terrible efficacité. Variations sur Marilou, ballade funeste de plus de sept minutes bourrée de références en tous genres, et sommet de l’album de par sa beauté sauvage, fait de Gainsbourg le roi définitif du langage en lui donnant l’occasion d’y déposer ses mots d’une justesse profonde ainsi que son parlé d’une volupté intense. Puis arrive le meurtre sur la chanson d’après… que je vous laisser découvrir…

Vous l’aurez compris, L’homme à tête de chou est une pierre précieuse, oui, qui confirme en 12 chansons tout ce que l’on dit de Gainsbourg concernant sa grandeur.

 

Album n°3 : Pound for Pound (Royal Trux)

Un peu plus confidentiel que les deux artistes précédents, Royal Trux a cependant toutes les qualités requises pour vous séduire. Croyez-moi, Pound for Pound est une monstruosité qui, dès lors qu’elle vous empoigne, ne vous lâche pas de sitôt. Ce couple américain de rock indépendant, composé de Neil Hagerty et Jennifer Herrema, actif de la fin des années 80 au début des années 2000, ne ressemble à rien d’autre. Connus pour leur côté jeune et défoncé jusqu’à la surenchère, leur musique est à leur image : abrasive, défoncée, artisanale, éclatante… Royal Trux s’est aventuré sur des terrains risqués, avec généralement une production faite à l’arrache, et des compositions tellement tordues et éclatées dans tous les sens qu’il est difficile de s’y accrocher. Néanmoins, le groupe fut un acteur important des années 90, même si davantage dans l’ombre que les évidents Nirvana, Pixies, Sonic Youth… Royal Trux a exploré, a disséqué les sons et les compositions, a mis au goût du jour un rock sauvage et rudimentaire.

 C’est à la toute fin de leur carrière, en 2000, que sort Pound for Pound, un album surprenant venant du groupe tant il semble s’être appliqué en matière de composition et de production. Moins rugueuse, plus audible mais tout aussi sévère, leur musique semble soudainement gagner en ampleur le temps d’un album. Pound for Pound rugit d’une force nouvelle, élevé par des morceaux incroyables d’une efficacité sans précédent. Les deux voix de Jennifer et Neil s’entrechoquent, s’épousent, se bagarrent, se torturent, s’embrassent… Les morceaux, décapants, sont pour la première fois chez ce groupe aussi évidents et jouissifs, comme si chacun d’entre étaient des classiques. Aucune sortie de voie, le chemin du début jusqu’à la fin est clair et précis. Basse tonitruante, riffs de guitare sauvages, tout est fait pour vous en foutre une claque, comme si le groupe avait tout miser sur cet album afin de donner un grand coup fracassant, d’exploser totalement, d’être reconnu à leur juste valeur. D’ailleurs, leurs voix n’ont jamais aussi bien sonné, un mélange de sexe, de torture, de jouissance et d’espoir… Somme toute, un chant qui transpire la vie. Ecoutez seulement la première chanson, Call out the Lions, et vous comprendrez de suite.

 Voici donc les trois albums à écouter cette semaine si vous ne savez pas quoi faire et si vous avez la motivation de partir en exploration musicale ! Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour une nouvelle sélection d’albums.

Léonard Pottier

 

 Drame conjugal bouleversant sur toile de fond politique, Un fils est le premier long-métrage de Medhi M. Barsaoui, sélectionné au 76e Festival international de Venise dans la section Orizzonti, lors duquel Sami Bouajila a remporté le prix du meilleur acteur. C’est aux côtés de Najla Ben Abdallah que ce dernier incarne le rôle d’un père dévasté après que son fils ait été grièvement blessé lors d’une attaque terroriste en Tunisie. En essayant de sauver à tout prix leur enfant, le couple va se trouver confronté à des secrets et à des dilemmes qui ne manqueront pas de l’altérer directement.

 

 

Un scénario honnête et subtil 

 Intelligemment construit, Un Fils déroule son histoire autour d’un point central : l’enfant. Cependant, plusieurs stades de scénario font leur entrée petit à petit, jusqu’à dérouler un tableau plein de troubles et de malaises, mélangés à un sentiment d’espoir et une angoisse perpétuelle. Jamais le film ne s’essouffle, puisqu’il trouve constamment un ailleurs vers où aller, une brèche dans laquelle s’insérer et nous tenir en haleine. Un Fils parle avant tout des failles d’un couple. Il mêle l’urgence de la survie à une confrontation inattendue des parents, dans un moment où les sentiments sont décuplés et les esprits meurtris. En s’interrogeant sur des thèmes de tous les jours (paternité, amour, valeurs morales…), le film confronte le spectateur à des situations surprenantes, toujours subtilement amenées et disséquées afin d’engager une réelle réflexion. La manière dont Mehdi M. Barsaoui filme ses personnages, d’une neutralité et d’une sobriété remarquable tout du long, nous permet de construire un avis personnel sur les enjeux qu’il aborde. L’homme et la femme jamais jugés dans leur démarche, nous sommes alors amenés à nous interroger sur leur vision et leurs actions sans avis préétablis. On se range aussi bien du côté de la mère que du père, en comprenant les difficultés auxquelles les deux séparément sont confrontés. Le film a le mérite d’être clair sur cela : il délivre toutes les informations de manière neutre et compréhensible pour ne pas pencher la balance d’un côté…

 

Politique et corruption : un climat à en faire grincer les dents

 En déroulant son récit sur le sol tunisien, le réalisateur en profite pour le parsemer d’un regard politique bien dosé. Dans un système en plein bouleversement, quelques mois après la révolution et la chute de Ben Ali et quelques semaines avant celle de Khadafi, ce drame prend d’autant plus d’ampleur, tant les obstacles et épreuves sont nombreuses et ne permettent pas de faciliter les soins et d’apaiser les tensions. Tout est mêlé à une atmosphère oppressante qui ne tarde pas à avoir des répercussions sur le couple : comment régler un épisode si dramatique quand le climat autour est tout sauf favorable ? Dans un pays qui oblige à ne plus faire confiance à ses institutions, dans lequel la justice est capable d’emprisonner ses citoyens pendant cinq ans pour un simple adultère et où le trafic d’organes va de pair avec la corruption, il est primordial de rester lucide et de s’en tenir à ses valeurs. Mais à quelle limite ? L’homme aisé ayant pleinement réussi qu’incarne Sami Bouajila va bientôt être confronté à sa morale et à ses valeurs, prétendant être « un homme moderne » mais dont les actions ne semblent pas refléter cet état d’esprit. A quel point les drames nous changent-ils ? Et jusqu’où sommes-nous prêts à aller ?

 

L’humain révélé

 Grâce à une mise en scène classique et sincère, la réalité qui se joue devant nous est bouleversante. Elle nous confronte à toutes sortes de dualités qui, rassemblées, semblent constituer tous les êtres humains. Avec un fil conducteur qui va droit au but, Un Fils évite le pathos et fait de ses personnages un croquis véritable de l’homme face à l’adversité. Filmés en format scope, les acteurs sont isolés pour que l’on visualise sans artificialité leur état d’esprit. Quoi de plus pénétrant qu’un regard capturé par un gros plan ? Les failles s’ouvrent, les faiblesses surgissent, mais le courage n’est jamais loin pour autant. Sinon, comment faire pour différencier les fonctions sociales qui nous caractérisent, parfois trouées de balles, comme celle du père et du mari, pas forcément compatibles ?

 Avec deux acteurs formidables pour le porter, Un Fils se présente comme une œuvre importante pour réfléchir sur le statut de père et de parent dans les temps qui courent. Les liens du sang sont-ils l’unique preuve de ce statut ? L’enfant, qui passe au second plan pendant tout le film, est pourtant le cœur central de l’histoire, car il est celui qui relie tout, et auquel s’adresse ce regard final entre la femme et son mari, dont on ne saura jamais la signification : espoir ou destruction ?