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Léonard Pottier

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Tandis que « Dogrel », premier projet très réussi des talentueux Fontaines D.C., tourne encore régulièrement sur nos platines depuis sa sortie en 2019, le groupe de rock irlandais n’a visiblement pas fini de nous gâter puisqu’il revient aujourd’hui avec « A Hero’s Death », un deuxième album, disons-le d’entrée de jeu, grandiose. Dans une ère où les projets musicaux s’éternisent de plus en plus (deux ans minimum entre chaque album, et encore…), Fontaines D.C. a opté pour la rapidité. Quinze mois seulement séparent « Dogrel » de « A Hero’s Death ». Le groupe a-t-il pour autant négligé la qualité au profit de l’efficacité ? C’est tout l’inverse. Laissez-nous vous dire pourquoi ce nouveau projet des plus aboutis est, parmi tous les scénarios envisageables concernant la suite de « Dogrel », le meilleur.

 

Un avant-goût jouissif

Enregistré très peu de temps après le premier album (certains morceaux furent même composés durant les sessions de « Dogrel »), « A Hero’s Death » a l’immense qualité de se démarquer de son prédécesseur. Moins impulsif mais non moins puissant, ce deuxième album monte la barre d’un cran, voire de dix. A vrai dire, on ne s’y attendait pas, même si nous ne sommes pas surpris. Là où « Dogrel » jouait beaucoup sur son côté new punk, très irlandais, dans une alliance entre fougue et spontanéité, « A Hero’s Death » prend le contrepied en faisant semblant de se restreindre. Il est vrai, rien dans ce nouvel album semble nous sauter aux oreilles à la manière d’un « Liberty Belle », d’un « Boys in the Better Land » ou d’un «  Hurricane Laughter ». Et pourtant, il suffisait de bien s’empreindre des trois morceaux dévoilés en amont de la sortie de l’album : « A Hero’s Death », « Televised Mind » et « I don’t Belong », pour comprendre à quel point ce nouvel opus n’aurait rien à envier à son aîné. On y sentait déjà une profondeur nouvelle, une cible resserrée, un renouveau de leur style… Les terribles tourbillons sonores que sont la chanson éponyme et « Televised Mind » inquiètent aussi bien qu’ils nous font jouir de mille frissons. Jamais le groupe n’avait composé dans une telle maitrise de son style. Toute cette énergie contrôlée, cette ardeur retenue, font de ces titres en particulier la plus belle définition de Fontaines D.C. On y sent une rage nonchalante, portée par l’amour du minimalisme, aussi bien au niveau des textes que des compositions. Lorsque Grian Chatten répète inlassablement « Life ain’t always empty » ou « That’s a Televised Mind », d’un ton distant comme il sait si bien le faire, c’est lui qui porte et subjugue la musique, car il en est en réalité le cœur battant. Grian Chatten est incontestablement la principale force de Fontaines D.C. Et pour les avoir vu en live à la Route du Rock, il va sans dire qu’il tient majestueusement les rênes. Timidement impliqué, son air absent et son chant monotone le rende magnétique.

Ainsi, à l’écoute des trois morceaux dévoilés en amont, nous avions déjà senti la puissance bouillonnante d’un projet plus que prometteur. Pour dire vrai, nous étions tellement enthousiastes que nous les avons écouté en boucle pendant plusieurs semaines, si bien qu’au fil des jours, chacun d’eux grandissaient un peu plus, jusqu’au point de les considérer aujourd’hui parmi les meilleurs morceaux que le rock nous a offert depuis plusieurs années. Il ne restait plus qu’à prier pour que le reste soit du même acabit. Chef-d’œuvre assuré. Pari réussi ? Presque.

Photo : Daniel Topete

 

Incarnation d’une jeunesse aussi vaillante que résignée

On ne va pas se mentir, le groupe a énormément misé sur ces trois titres en particulier qui ne trouvent pas d’adversaire (ou d’alliés) de taille pour se mesurer à eux. Pour autant, nous devons désormais les inscrire dans un album complet, et non plus comme des morceaux indépendants. Et c’est bien à ce niveau-là que « A Hero’s Death » tient particulièrement la route. Dans sa globalité. L’album coule de source sans jamais devenir une évidence. Il n’est ni timide ni explosif, ni fade ni grandiloquent, et ne cherche à n’être nul autre que l’incarnation d’une jeunesse à la fois vaillante et résignée, d’une manière privilégiant la sincérité à l’emphase. Sa non-perfection l’embellit même, puisqu’à en attendre trop, nous avons fini par apprécier davantage son côté humain et artisanal grâce à ses morceaux plus terre à terre. Le dosage maitrisé entre plusieurs forces démonstratives : une certaine quiétude lancinante (« You Said », « Oh Such a Spring », le magnifique dernier « No ») combinée à une ferveur âpre (l’incroyable « Lucid Dream », « Living in America »…), rend le tout particulièrement subjuguant, comme si le groupe était définitivement parvenu à créer son identité. Au milieu de ce couloir qui se resserre en s’agrandissant tout du long vient se glisser l’étonnant « Love is the Main Thing », une lente et douloureuse course animée par une batterie étouffante et un slogan scandé comme éternellement sur un ton distant et désincarné, à croire que le groupe ne croit déjà plus à grand-chose, même en l’amour, bien que le morceau « A Hero’s Death » nous prouve le contraire. Peut-être veulent-ils simplement retranscrire un état du monde, où tout semble sans saveur sauf l’amour qui perdure avec difficulté. Encore faut-il y croire. Mais Fontaines D.C. n’est pas là pour chanter l’amour à la manière des Beatles et nous fait part d’une certaine vision du monde merveilleusement bien retranscrite. Dans « Televised Mind » par exemple, avec sa guitare et son chant hypnotiques, Grian Chatten parle des esprits dépendants des autres, ceux qui ne savent réfléchir qu’en se confiant à l’approbation générale. Le chanteur dit à propos de cela : « L’opinion des gens est renforcée par un consensus constant, et nous sommes dépouillées de notre capacité à se sentir en faute. On ne nous donne jamais la possibilité d’apprendre notre propre faillibilité ».

 

Une production à l’identité affirmée

Lorsque nous parlions plus haut d’identité, comme quoi Fontaines D.C. s’affirmait davantage dans ce deuxième album, notamment grâce à la force évidente de ces nouvelles compositions, nous n’avons néanmoins pas mentionné un point primordial qui est celui de la production, sur laquelle le groupe dit s’être longuement attardé. De fait, cela saute aux oreilles. « A Hero’s Death » sonne juste. A la frontière entre fantasme et réalité, la rêverie soulevée par une vague ambiance psychédélique se trouve vite rattrapée par des sons aiguisés. La production va droit au but, sans manquer sa cible : amoureux du son, cet album vous est destiné. A la fois sèche et onirique, elle est tout droit inspirée de l’esprit des Beach Boys, leur principale influence sur cet album selon les propres dires du groupe. On y décèle également un amour pour le Velvet Underground (« Sunny ») ou encore Suicide dans son obsession pour la répétition.

Ainsi, « A Hero’s Death », à l’image de sa magnifique pochette, profite de la maturité d’un groupe qui, libéré de leur irlandicité, s’émancipe enfin en parvenant à explorer davantage. Le bond flagrant entre « Dogrel » et ce nouvel album est d’ailleurs la preuve définitive permettant d’affirmer, avec plus de croyance aujourd’hui que l’année dernière, que Fontaines D.C. a de quoi devenir un des groupes phares de la décennie. Le troisième album nous le dira.

By Léonard Pottier


 Album après album #5. Quoi de mieux en cette période si particulière que de dédier son temps libre à la découverte ? Certainement l’une des choses les plus stimulantes de notre existence. Chercher… Découvrir… Ne pas s’accommoder à quelconque confort, mais toujours se trouver dans un état d’esprit d’ouverture au monde, d’élargissement culturel, afin de faire jaillir un sentiment de satisfaction donnant l’impression de nous construire en même temps que notre cercle s’élargit. Voilà ce dont nous avons tous besoin, même sans nous en rendre forcément compte. Et quel moment plus adapté que celui que nous vivons en ce moment, confinés, à l’heure où absolument tout est disponible en ligne depuis chez soi ! 

Aujourd’hui, pour le cinquième volet de notre série consacrée à la (re)découverte d’albums géniaux, entre évidence et confidentialité, et pour fêter le premier jour du déconfinement, nous faisons le zoom sur un artiste français que nous apprécions particulièrement, celui qui aura participé à donner ses lettres de noblesses au rock et à la pop française : Jacno. Décédé il y a plus de dix ans maintenant (2009), Denis Quillard, alias Jacno, continue d’exister à travers sa musique intemporelle dont la force et l’excentricité nous impressionne toujours autant. Le tour d’horizon que nous proposons d’entamer n’en est en réalité pas vraiment un, puisque nous allons ici nous concentrer sur deux albums de sa carrière seulement, mais qui, mis bout à bout, semblent constituer une représentation plutôt fidèle du génie de Denis Quillard, sans manquer de lui faire honneur. Pris à des périodes relativement éloignées, ces deux albums révèlent un art au meilleur de sa forme, sorte de quintessence d’un style bien particulier, et différent pour chacun d’eux.

 

ALBUM N°1 : FAUX TEMOIN (Jacno)

Faux Témoin est loin d’être l’album le plus réputé de Jacno. Pourtant, dans ce qu’il révèle du génie de l’artiste, aussi bien au niveau de son écriture que de sa maitrise pour la composition, il sera difficile d’y trouver plus significatif. Loin de moi l’idée d’affirmer que c’est là son œuvre ultime, non, car il est difficile de se prononcer sur des artistes comme Jacno, mais je n’ai en revanche pas de mal à dire que celle-ci est une parfaite démonstration d’un style ici maitrisé sur le bout des doigts. Tellement même que c’en est impressionnant. Il suffit d’écouter « Un hymne à ma mauvaise foi » pour s’en rendre compte. Ce premier titre de l’album a tout d’un… hymne… Oui, faisons confiance aux mots. Il n’y a pas plus belle et directe ouverture. Tout y est. Ce qui saute à l’oreille est d’abord le son soigné de guitares rugissantes dans les règles de l’art. Rien ne dépasse. Tout va droit au but. Le riff est terrible, enjoué, ambitieux, généreux, par-dessus lequel le chanteur fait le récit, dans une symbiose parfaite avec la musique, d’un homme endossant le rôle d’un bon samaritain vite rattrapé par sa mauvaise foi. Jacno fait preuve d’un humour subtil avec des paroles toujours bien trouvées, qu’il marie subtilement avec la musique. Le tout se marie parfaitement. Voilà la première étape d’un album que l’on devine d’ores et déjà percutant. Et en effet, la suite en sera tout aussi géniale.

 La force de l’artiste est celle d’inventer un style unique, frais, porté par une production aussi fine que chaleureuse, et d’une impressionnante rigueur. Par cela, les morceaux prennent de l’ampleur en empruntant aussi bien au rock qu’à la pop, dans une fusion équilibrée. « Mauvaise humeur », « Elle m’a (dans la peau) », « la Communication » sont toutes autant de grandes chansons à leurs manières. Le texte y est toujours pertinent et magnifique. Jacno parvient à y déployer sa justesse d’écriture à travers la description d’émotions primaires, allant de l’amour à l’aigreur.

 Faux Témoin a donc tout d’un grand album. Une sorte de vent frais dans le paysage musical français, sans mauvaise foi ni mauvaise humeur.

 

2° : STINKY TOYS (STINKY TOYS)

Revenons maintenant en arrière, au commencement, là où l’artiste était entouré de ses acolytes, tous regroupés sous le nom de Stinky Toys (les jouets puants, jeu de mot avec Dinky Toys, marque de voitures miniatures), groupe dirigé par Jacno et Ellie Medeiros. Leur premier album (1977), qui porte le nom du groupe, est, autant le dire de suite, une véritable claque dont la qualité n’a aujourd’hui pas perdu une ride. Au contraire, c’est toujours aussi percutant, et pertinent. Il y a la fougue d’une jeunesse saillante, mise sous la forme d’un punk de qualité française, influencé par celui londonien. Mais le groupe n’aimait pas tellement qu’on les qualifie de punk, leur musique était autre. Et en effet, on y sent un caractère plus enjoué et plus étincelant. Moins agressif que les groupes punks de la même époque, peu nombreux en France, Stinky Toys respire tout de même la folie et l’immédiateté. Il y a urgence. On le sent. Il s’agit de faire preuve d’une grande ferveur, mais non sans lucidité. Au contraire, tout y est clair, précis, intelligemment mis en forme.

 L’air respiré au travers de cet album est différent, d’une subtilité nouvelle, d’une qualité presque supérieure. Le côté artisanal est présent, on y sent un son bel et bien fabriqué par des corps transpirants, mais tout est si parfaitement exécuté que l’on a l’impression d’être confronté à une musique qui utilise les bases du punk pour aller chercher ailleurs, plus haut. Il y a une élévation du style, côtoyant ici une certaine grâce d’exécution. Serait-ce la voix d’Ellie Medeiros qui permet d’obtenir cette touche supplémentaire, entre précision et raffinement ? En réalité, c’est elle qui donne le mouvement, qui octroie à la musique ce côté accéléré et rentre dedans. Elle ne fait pas de cadeau, son chant est autoritaire, puissant, sauvage. Dans une danse acharnée, c’est elle qui mène les pas. La musique a intérêt à suivre.

 C’est en réalité dans les compositions ainsi que la production que se dissimule la véritable originalité. Il est rare d’entendre de si bons morceaux. Nés d’une passion acharnée, chacun de ses titres sont des tubes à leurs manières. Le tout se marie si bien ensemble qu’aucun d’eux ne se démarque des autres. La qualité est constante. 10 morceaux. 37 minutes de bonheur. Les guitares y sont pour beaucoup, puisque ce sont elles qui donnent de l’ampleur et de la profondeur à ce tourbillon sonore dans lequel nous sommes plongés et dont nous ne ressortirons pas indemnes. Jacno, plus tard producteur (notamment du premier album d’Etienne Daho), annonce ici d’ores et déjà le génie qu’on lui reconnaitra définitivement par la suite.

Bon déconfinement à tous ! La découverte ne s’arrête pas pour autant ! Notre série s’accorde une petite pause pour mieux revenir par la suite. A bientôt !

By Léonard Pottier

 

Après l’avoir interviewé en février dernier autour de son œuvre et de sa carrière globale, Rodolphe Burger, ex leader de Kat Onoma ayant entamé une carrière solo en 1998 avec à l’heure actuelle plus d’une dizaine d’albums à sa discographie, revient aujourd’hui sur le devant de la scène avec un premier extrait de son nouvel album ENVIRONS, prévu pour le mois de juin prochain. C’est le clip du titre « Bleu Bac » que le chanteur/guitariste a décidé de dévoiler, premier morceau d’un projet qu’il décrit comme étant « le plus libre de sa carrière ». Enregistré comme toujours dans son studio en Alsace, ENVIRONS est un album dont l’artiste est particulièrement fier, né de la volonté de pas s’arrêter en si bon chemin suite au précédent album, déjà excellent : GOOD. Rodolphe Burger nous avait confié être retourné en studio peu de temps après la tournée de GOOD pour enregistrer ce nouvel album accompagné de Sarah Murcia et Chistophe Calpini, une formation avec laquelle il avoue ressentir une alchimie particulière :

  Concernant le nouvel album, je dirais qu’il y a eu l’envie de ne pas s’arrêter en si bon chemin. On a ainsi passé des moments magnifiques dans ce studio. On travaille incroyablement sans s’en rendre compte, c’est un immense plaisir. Le disque s’est fait de cette manière-là, sans que je me pose de questions de cohérence, en m’abandonnant totalement au désir du moment. Je me suis retrouvé avec des morceaux extrêmement disparates (à retrouver dans notre entretien de février juste ici)

 

 Le morceau « Bleu Bac » sonne comme un grand retour, original, différent, et toujours aussi envoûtant. Rodolphe Burger semble n’avoir rien perdu de son indéniable talent, ici entraîné sur un terrain à la fois connu et étranger. Tout de suite nous le devinons, c’est bel et bien Rodolphe Burger que l’on entend là chanter des paroles extravagantes, accompagné d’un son de guitare que l’on reconnaît parmi des centaines dans une mélodie douce et obsédante. Pourtant, le morceau est de couleur nouvelle, il porte avec lui une chaleur, le sentiment d’un bien-être baigné dans la rêverie, une grâce communicative. Le morceau s’élève vers un horizon marqué par la sérénité. Voilà ce que « Bleu Bac » a de si magique : il nous fait entendre un Rodolphe Burger heureux et épanoui, non pas qu’il ne l’était pas auparavant, mais ici encore plus éclatant. Un premier morceau qui nous convainc déjà pleinement tant l’artiste parvient à y déployer tout ce qui le définit, en même temps qu’il se réinvente à travers une élégance sonore des plus belles et maîtrisées, épaulée par une mise en son toujours aussi exigeante.

Cette grâce musicale se transmet à l’écran, à travers un clip qui parvient à capter l’atmosphère délicate et rêveuse. Réalisé par Fred Poulet, le clip de « Bleu Bac » met en scène l’artiste dans les coulisses d’une salle de spectacle avant qu’il ne rejoigne la scène sur laquelle il est à la fois le comédien et musicien. Dans un dédale de couloirs menant à la scène, la caméra suit l’artiste dans un mouvement léger et fluide, avec plusieurs travellings à la limite du plan séquence. C’est la préparation du comédien, encore quelques coups de maquillage avant son entrée, même s’il est déjà en scène via l’objectif de la caméra. Cette dernière passe ensuite de l’autre côté, celui du public spectateur. La scène qui se joue devant nous est une danse en duo, faite de rouge et de blanc, Rodolphe Burger emporté par les mouvements gracieux et voilés de sa partenaire. C’est le rêve qui le tient et le guide, comme un pantin. Un rêve éveillé. De l’autre côté de la scène, en tant que musicien, l’artiste semble plus à l’aise, non plus pantin mais bien maître de la musique. Fred Poulet parvient à mêler une élégance visuelle à celle musicale, dans une esthétique soignée et à travers de magnifiques plans, afin de créer un nouvel espace-temps donnant l’ampleur nécessaire à Rodolphe Burger et à sa musique pour s’exprimer et marquer son retour.

Nous n’avons plus qu’une hâte : découvrir l’album dans son intégralité ! (en réalité nous avons eu la chance de l’écouter en avant-première et nous l’avons trouvé extraordinaire). Soyez patients, cela vaut le coup.

By Léonard Pottier

 Album après album #2. Quoi de mieux en cette période si particulière que de dédier son temps libre à la découverte ? Certainement l’une des choses les plus stimulantes de notre existence. Chercher… Découvrir… Ne pas s’accommoder à quelconque confort, mais toujours se trouver dans un état d’esprit d’ouverture au monde, d’élargissement culturel, afin de faire jaillir un sentiment de satisfaction nous donnant l’impression de nous construire en même temps que notre cercle s’élargit. Voilà ce dont nous avons tous besoin, même sans nous en rendre forcément compte. Et quel moment plus adapté que celui que nous vivons en ce moment, confinés, à l’heure où absolument tout est disponible en ligne depuis chez soi !

 En cette quatrième semaine de confinement, nous revenons aujourd’hui avec le deuxième volume de notre série Album après Album, qui se propose de vous faire découvrir quelques classiques musicaux, non forcément mondialement connus mais tous habités par une magie indescriptible, un génie à toutes épreuves, une force spectaculaire. Ces albums font partie d’un juste milieu, entre évidence et confidentialité. Somme toute des classiques pour tous ceux qui voudront bien les reconnaître comme tel ! Il n’y a rien de mieux à faire en ce moment que de se laisser gagner par la découverte et la nouveauté. Il se peut évidemment que vous connaissiez déjà ces albums, mais ce n’est pas une excuse pour ne pas s’y replonger ! Posez-vous, mettez votre casque sur les oreilles ou branchez vos enceintes et laissez-vous emporter, transporter, transcender… Ce sont cette semaine deux albums dont nous aimerions vous parler :

album n°1 : CONCERT CHEZ HARRY (Nino Ferrer)

 Enregistré en 1995 dans la maison de disque Harry Sun Records, Concert chez Harry est l’un des derniers disques que le chanteur français nous a laissés. Et quel disque ! Fantastique, hallucinant, intimiste en même temps qu’explosif, à la fois triste et rempli d’enthousiasme… Tout y est. Littéralement. L’œuvre ultime d’un immense artiste malheureusement trop vite oublié. Concert de 18 titres (dont un bonus rajouté quelques années plus tard) évidemment long, il n’y a cependant pas une seule seconde qui puisse vous ennuyer ! L’ensemble est maîtrisé de façon à suivre un chemin parfaitement lisse et lumineux, qui, au fur et à mesure de son écoulement, vous fait passer par toutes sortes d’émotions. Les chansons calmes d’une évidente beauté (Trapèze Volant, La Maison près de la fontaine, le Sud…) font chavirer notre cœur avant de laisser place aux morceaux plus dynamiques dont l’intensité nous assène plusieurs claques en bonne et due forme (Les Cornichons, Mirza, Notre Chère Russie, Le Téléfon…). Les arrangements sont stupéfiants et la prise de son plus qu’excellente. Concert chez Harry détient cette magie propre aux grands lives capables de faire ressortir tout le génie d’un artiste de manière condensé : on y fusionne avec la hargne et l’intensité du moment. Cet album témoigne d’un savoir-faire unique ainsi que d’un talent certain pour la scène.

Les versions lives sont d’ailleurs primordiales dans la carrière d’un artiste, parfois même plus intéressantes que les enregistrements studios. Elles permettent de se rendre compte de la capacité d’un chanteur à jouer avec ses morceaux, à les tordre, les malaxer, les étreindre, les embrasser, les lâcher dans la nature… Rien ne pourra jamais être plus authentique qu’un artiste en cohésion totale avec sa musique et son public. C’est le cas sur cet album, où Nino Ferrer interprète ses plus grands morceaux, dont un bon nombre de classiques, d’une épatante justesse, entouré d’un chœur féminin endiablé et de musiciens hors-pair (lui-même en étant un). Le tout dans une orgie musicale aussi intense que jouissive.

L’amour du chanteur pour le jazz se fait ici grandement ressentir dans la manière d’arranger certaines de ses chansons et apporte une touche supplémentaire aux compositions déjà splendides. Avec cette prestation exceptionnelle, Nino Ferrer montre ici à quel point il est un artiste complet, grand chanteur et poète, avant d’être l’amuseur qu’on lui connaît. Concert chez Harry est une démonstration de force devant laquelle il est difficile de ne pas s’agenouiller et qui grave une ultime fois la puissance d’un chanteur et musicien aux morceaux formidables et au talent hors-norme.

 

 

THRAX (King Crimson)

 Démarrage en douceur avec quelques notes de violons bien senties quand soudain : VROOM, le moteur démarre ! On plonge aussitôt dans le vif du sujet. King Crimson revient plus en forme que jamais en 1995, bien décidé à nous surprendre avec de gros riffs et de lourdes guitares dont RED, un de leurs chefs-d’œuvre sorti 20 ans auparavant, s’était proposé d’être l’amorceur. THRAX voit le jour suite à une dizaine d’années d’absence, en plein milieu des années 90 où règne en maître le grunge. Il fallait marquer le coup pour Robert Fripp et son groupe touche à tout, aussi génial que déroutant. On les connaît principalement pour leur premier album monument : In the Court of the Crimson King, un modèle indétrônable de rock progressif. Sans oublier les non moins géniaux Larks’ Tongues in Aspic, Red, Discipline

 THRAX signe donc un retour en trombe du groupe avec des morceaux tonitruants, toujours habités d’une force de composition unique, entre évidence et expérimentation. King Crimson impose son savoir-faire dans un album brouillon mais non moins fascinant. Les premiers morceaux vont droit au but en s’inscrivant dans un style particulier que le groupe se plaît à remanier selon leur identité. Guitares distordues, riffs entêtants… Tout y est. Mais à la sauce King Crimson. La suite s’envole vers d’autres horizons et pousse encore plus fort la recherche structurelle des chansons, toujours accompagnées de lourdes guitares pour la plupart. Mais Robert Fripp a plus d’un tour dans son sac et parvient à allier profondeur et gros son. Ainsi, les guitares semblent être gagnées par une certaine volupté qui leur empêche de tomber dans la caricature. Ce n’est jamais vain avec King Crimson.

Dès lors, quelque chose devient flou, imperceptible. Quelque chose nous échappe… On ne sait pas vraiment quoi mais on se laisse prendre. Les compositions semblent être sorties tout droit d’une boîte à puzzle. Ça ne ressemble à rien d’autre et c’est excitant. Pas de structures classiques mis à part sur le génial morceau « Dinosaur » duquel s’échappe un air à la Alice in Chains. Le tout forme un bon ensemble : 15 morceaux aboutis, mêlant recherche sonore, déstructuration et répétitions. Il n’y pas à dire : King Crimson a un cran d’avance sur les autres et même si leur musique semble moins parlante et évidente que certains de la même époque (que nous admirons également en toute transparence), elle transpire ici de son imposante carrure, forme musicale novatrice et inégalée. Leur musique parle moins, mais rugit tout aussi fort (ça n’a pas la puissance d’un In Utero mais tout de même). THRAX est un colosse qui est prêt à vous marcher dessus, une expérience qui vaut pleinement le coup d’être vécue.

Voilà tout pour cette semaine, en espérant que ces albums puissent conquérir votre coeur. Nous vous donnons rendez-vous la semaine prochaine pour une nouvelle sélection d’albums !

By Léonard Pottier