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Léonard Pottier

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Le groupe de rock strasbourgeois aujourd’hui acclamé d’un peu partout se produisait dans la mythique salle parisienne mardi 22 mars dernier, pour un concert évènement reporté à de multiples reprises. Une attente ayant donné naissance à un tout nouveau single entre temps, dévoilé quelques semaines avant le concert. Sa particularité ? Une longueur de 19 minutes et un film pour l’accompagner. Cet Olympia était notamment l’occasion de le dévoiler en live, mais bien évidemment aussi de déverser toute la puissance qu’on leur connait. Attente soutenue. Espérances comblées ?

Lulu Van Trapp - Olympia - 2022
Olympia – Crédit photo : Louis Comar

Pop & Shot a toujours été un grand soutien et admirateur de Last Train. Depuis le premier article leur était consacré en 2017 à l’occasion de leur concert au Supersonic peu de temps avant la sortie de leur premier album Weathering, nous n’avons pas arrêté de les suivre de près, entre concerts, sorties d’albums et interviews, jusqu’à leur mémorable Trianon il y a de cela déjà trois ans, en 2019.

Nous voilà donc aujourd’hui toujours au poste, galvanisés par la reprise récente des concerts. Pour moi, l’auteur de ces lignes, cet Olympia constituait un premier échange live avec le groupe. Si je prends là le train en marche, c’est pour ne pas rater le dernier métro qui, selon certains échos, constituerait un voyage inoubliable. Alors, direction bar de minuit ou direction couverture et au lit ?

 

LULU ATTRAPE

Les choses sérieuses débutent à 20h avec Lulu Van Trapp. Ils sont français et ont sorti un premier album remarqué l’année dernière : I’m Not Here to Save the World. Mené par Rebecca, dont la voix à la gymnastique impressionnante prend littéralement vie dans sa gestuelle démoniaque, le groupe ne dissimule pas ses influences. A la fois nostalgique et moderne, toujours dans ce revival si apprécié des années 80, ils misent avant tout sur la force de leurs compositions, dont une grande partie sonne comme une évidence. On pense notamment au phénoménal « Brazil » qui ouvre l’album et qui, en live, s’impose déjà comme un vrai tube. On vous donne rendez-vous le 07 avril prochain à la Maroquinerie.

LAST TRAIN ne traine pas la patte en arrivant

Place au show. Il est 21h pile quand Last Train font leur apparition. D’abord une première moitié : le bassiste et le batteur. L’Olympia brûle d’impatience, et les premières notes agissent comme une reprise d’addiction par piqûre instantanée. Le chanteur Jean-Noël Scherrer et le guitariste Julien Peultier suivent de près leurs compagnons. A leur vue, le public déverse déjà une bonne partie de son énergie en cris et applaudissements. Le reste sera foutu dans les pogos bien évidemment. Une bonne partie est là pour ça, et on les comprend.

« Disappointed », morceau du deuxième album, ouvre le concert. Très droit, très direct, très entêtant. On y sent une petite touche Nine Inch Nails dans la compo qui n’est pas pour déplaire. Cette entrée a le mérite de séduire, et de donner un bon premier coup de pied à la foule.

Last Train - Olympia - 2022
Last Train à l’Olympia – Crédit photo : Louis Comar

Le reste sera plus ou moins dans le même registre. Et le public ne semble d’ailleurs pas très docile quand on leur propose autre chose que la recette habituelle. A la fin du show, beaucoup se plaindront du comportement irrespectueux de certains après que Jean-Noël ait entamé quelques notes de piano dérangées par des commentaires et une salle ayant du mal à trouver le silence complet. A tel point que le morceau en question « A Step Further Down » sera interrompu au bout de quelques secondes. « Merci pour votre écoute et votre bienveillance » lance le chanteur. Bon. A qui la faute ? Dur à dire. Cet épisode sera vite oublié par la reprise acclamée des guitares.

 

 

Un souris chat aimanté des émotions

Quoi qu’il en soit ce soir-là, le concert de Last Train aura du mal à prendre son envol. Est-ce la faute d’une attente trop gonflée ? Ou celle d’une salle certes mythique mais qui, pour la grande majorité des concerts, n’est pas foutue de rendre un son à la hauteur ? Un peu des deux certainement et les mecs auront beau se propulser eux-mêmes à l’autre bout de la scène à chaque coup de guitare, ça ne changera pas le sensation d’un son manquant de clarté, de précision et de puissance. Ajouté à cela un micro mal réglé, où la voix est vite bouffé par tout le reste. Classique.

La recette s’épuise malheureusement vite. Les morceaux s’éternisent et répètent sans cesse la même construction à effet, dans une alternance de punchs et de moments plus calmes. Last Train produit une musique purement émotive et ne s’en cache pas. De ce point de vue, une règle est à suivre pour être comblé : adhérer au jeu. Ce jeu, c’est un souris chat aimanté des émotions, où le groupe nous dicte une manière de ressentir et d’appréhender leur musique dans un calcul produit d’avance. Comme absolument tout est offert sur un plateau d’argent, suffit de se servir sans trop se poser de questions. Pour les fidèles, c’est à juste titre un distributeur de sensations fortes hyper rôdé. 

Le morceau le plus représentatif de cette idée est leur tout dernier, « How Did We Get There ? », voisin de leur bons amis Royal Blood et de leur fameux How Did We Get So Dark ?. Sa force réside, au delà de sa durée spectaculaire, dans sa mise en scène parfaite de quelque chose d’attendu mais de bel et bien grandiose dans sa progression. En live, le morceau prend tout son ampleur. Après quelques minutes au piano nous annonçant un boom très proche dont nous ne faisons qu’attendre l’arrivée, c’est ensuite un déferlement jouissif qui s’abat sur le public. Jusqu’à se rendre compte qu' »How Did We Get There ? » est alors la définition même de Last Train dans sa réussite à exprimer au mieux leur démarche : jouer de nos émotions, et nous offrir exactement ce pour quoi tout le monde est là réuni.

Avant cela eut lieu une petite surprise qu’il est bon de souligner : la venue du groupe français Bandit Bandit (première partie du Trianon il y a 3 ans), pour une reprise malheureusement sans envolées notables de leur morceau le plus connu : « Maux ». Le moment est trop court : trois minutes peut-être. On aurait souhaité une suite pour mieux savourer pleinement cette surprise.

potion magique des câlins

Le plus mémorable viendra toutefois lors du rappel, avec l’interprétation de l’ouverture et du final du deuxième album : All Alone et The Big Picture. Là, il se passe quelque chose. Tout le monde sera certainement d’accord. La fin est belle, et peut-être enfin à la hauteur des espérances des fans assidus. Les plus réticents écoutent là attentivement, et, à la vue de ces fameux câlins de fin de concert, saisissent peut-être un peu mieux l’engouement général autour d’un groupe dont la raison d’être est le simple et pur plaisir. De ce point de vue, leur ascension est, il faut le dire, impressionnante. Cet Olympia, bien que mitigé, marque un cap. On ne peut pas leur enlever leur amour et leur soif de le déverser un peu partout. Et tout compte fait, c’est ce qui est le plus probant.

Last Train - Olympia - 2022
Last Train à l’Olympia – Crédit photo : Louis Comar

Pour la reprise progressive des concerts entamée il y a à peine quelques semaines, les deux soirées d’IDLES à l’Élysée Montmartre étaient parmi les plus attendues de la sphère rock. On sait à quel point le groupe anglais de post punk mené par Joe Talbot est taillé pour la scène. On était présent pour la deuxième date. Alors, IDLES en live : still a beautiful thing ?

Un contexte de chaleureuses retrouvailles amorcées par BAMBARA

C’était à Pigalle, dans le quartier foisonnant des salles de concerts, aka l’endroit idéal pour se remettre dans le bain (de sueur). L’Élysée Montmartre, jolie salle refaite à neuf il y a quelques années, accueillait deux soirs de suite, le 28 février et 01 mars, les cinq mecs fous furieux d’IDLES (qui ne l’oublions pas, ont aussi un grand cœur), après des mois et des mois de report. Chanceuse coïncidence, c’était également la première semaine sans masques obligatoires dans les salles.

Heureux du lieu, de l’ambiance, de la bière. De belles retrouvailles. A 20h, Bambara investit la scène. Groupe de post-punk (enfin, de rock quoi) venu de Brooklyn, ils captent l’attention de l’Élysée en un rien de temps. Faut dire qu’ils sont loin d’être des novices. Quatre albums et un EP à leur compteur. Cela donne une première partie pleine de classe et d’agitation. Dans son élégant pull Kashmir, le chanteur étire son wild singing et tient la scène comme un petit prince. Les morceaux défilent dans une force bien mesurée, avec un son plus que correct. De quoi à la fois nous foutre une petite claque et nous laisser le temps d’apprécier le moment. On aura le droit à « José Tries to leave » en bouquet final, histoire de nous asséner le coup fatal. Grand morceau. Groupe à suivre. Rendez-vous le 30 mars 2022 à la Boule Noire.

IDLES prend les commandes 

La suite, vous la connaissez. IDLES est à l’heure. Good point. Les caméras sont prêtes, puisque France Télévisions diffuse le concert en direct. Joe Talbot et ses hommes entrent en scène avec modestie et entament « MTT 420 RR », premier morceau de leur nouvel album Crawler, dont vous pouvez retrouver notre chronique juste ici. Construit comme une belle introduction, faisant écho à « Angel » de Massive Attack, il permet d’ouvrir subtilement le show, et de contraster avec cette image de brute épaisse avec laquelle le groupe aime si bien jouer. Le micro de Joe est réglé pour que sa voix nous tape de pleine face, au point qu’elle écorche presque les oreilles, mais que voulez-vous, c’est IDLES, on est au courant que le chanteur aspire à lui seul une bonne partie de l’identité du groupe. « Are you ready for the storm ? ». Et comment ! Le prédit orage sera instauré par « Car Crash ». Mais bizarrement, ça ne prend que moyennement, surement du fait que le morceau joue sur un rythme assez lourd et particulier, qui fonctionne bien en studio, mais a du mal à s’élancer sur scène. Le moteur ronronne encore.

Le vrai départ se fera sur « Mr. Motivator » qui est une valeur sûre. Ca commence à prendre vraiment et dès lors, ça ne s’arrêtera plus. La suite peut-être facilement imaginée : la salle aura droit à un grand best-of d’1h30 de leur carrière. IDLES pioche dans chaque albums, avec les tubes qui leur appartiennent : « Mother », « Never Fight a man with a perm », « Grounds »… Rien de très surprenant. Le public est friand de cela. Et le groupe a toujours joué avec cette formule. Marché conclu entre les deux.

Crawler préfère la brasse au crawl

Au delà de ce marché pourtant, Crawler donnait l’espoir d’une chose légèrement déviée de ses habitudes. C’est du moins ce que certains pouvaient attendre. Plus fouillé et nuancé, ce dernier album était arrivé à une sorte de paroxysme de leur style, grâce à de jolies compositions et un bon équilibre d’ensemble. Sur scène, on l’attendait beaucoup, avec cette idée que le groupe mettrait l’accent dessus, peut-être pour amener un peu d’inattendu, ou du moins une saveur surprise. Malheureusement, la prestation live entraine IDLES comme un aimant vers l’aspect bourrin et compagnie pour lequel il sont adulés. De ce point de vue, les morceaux de Crawler sont noyés dans l’ensemble, et n’amènent rien de particulier. « When the Lights Come On » et « The Beachland Ballroom » passent au beau milieu comme des étoiles filantes sans que le coup ne soit marqué. Dommage. Et tant pis. Tout est pris au même niveau sans que rien ne se démarque. C’est aux fans de piocher selon leurs goûts personnels. On notera tout de même une sympathique interprétation de « Meds », issu aussi de Crawler, dont les coups fugaces de batterie et de guitare remplissent bien leur rôle. Le morceau éponyme, quant à lui, fait très peu effet. Peut-être parce que Joe Talbot ne tient pas bien son refrain…

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IDLES sous formules mathématiques

Pour le reste, IDLES remplit ni plus ni moins son rôle : énergie boostée, pogos enflammés et morceaux tubesques connus sur le bout des doigts par la salle. Le tout avec un son relativement compressé et très direct, de quoi se foutre les tympans en l’air pour quiconque se trouve dans les axes de réception. Niveau jeu de scène, inutile d’en faire des caisses, Joe Talbot sait y faire en matière de présence, tandis que les fourmis s’agitent beaucoup derrière, au point que le guitariste rejoint la fosse sur un morceau. Rien à redire ici, ambiance et énergie sont menées d’un coup de maître. IDLES détient une belle vitrine à eux cinq. C’est un groupe qui a de la gueule sur scène.

On passe un bon moment certes. Mais quoi de plus ? Tout est mécanique, appris par cœur. Le groupe recrache avec puissance, sans jamais que cette puissance ne prenne aux tripes et n’aille nulle part ailleurs que dans l’attendu. A force, c’est un peu ennuyant, même si on se raccroche toujours aux morceaux les plus revigorants : « Never Fight a man with a perm », « Danny Nedelko », « WAR »… Il faut dire qu’on ne se lassera jamais de ceux-là. Mais dans l’ensemble, IDLES ne décolle jamais tout à fait, et reste dans l’exécution presque minutée des versions studios. Groupe taillé pour la scène qui, à force de taillages, ne laisse plus beaucoup de places ni à la force de l’immédiateté ni à l’excitation de l’inopiné. Nous avons affaire à un bourrinage sous formules mathématiques, c’est à dire l’opposé du chaos. Attention tout de même à ne pas tomber dans les recettes de grand-mère… On ne voudrait pas que Ultra Mono se transforme en Ultra Dodo. Bon, le risque est tout de même faible avec IDLES.

Le dernier morceau, « Rottweiler » laissera toutefois un sentiment positif, grâce à une escalade sonore réussie qui dévie de la version studio. En quelques minutes, les défauts relevés jusque là (c’est lorsqu’on aime que l’on est le plus critique) sont presque pardonnés et revient alors cette folle sensation d’être là au sein d’une foule en transe, devant un groupe qui, somme toute, sera parvenu à s’imposer comme une référence du rock actuel. Finalement, et en y repensant, c’était tout compte fait une belle chose oui…


Pour bien débuter ce mois de février dont on espère qu’il sera aussi satisfaisant que sa disposition visuelle sur le calendrier, même s’il y a peu de chances , le nouveau clip de RoSaWay « Good for you », issu de leur récent EP Dreamer (octobre 2020), est le coup de boost auquel nous devons nous accrocher.

Cover « Dreamer » – RoSaWay

C’est suivant les traces du titre éponyme, présenté il y a un mois sous la forme d’un live session, que le duo musical composé de Rachel et SteF (de leur vrai nom Rachel Ombredane et Stéphane Avellaneda) met en image l’un des titres phares de leur dernier projet : « Good for You ». Dreamer avait retenu notre attention il y a quelques mois : un EP fleuri et coloré à l’image de sa pochette, dont les cinq morceaux qu’il contient, à priori inoffensifs, n’ont pas tardé à révéler des teintes nouvelles et différentes au fil des écoutes. Dans un mélange insolite (mais pas totalement nouveau) de flûte traversière et de batterie (les instruments de prédilection de Rachel et SteF), leur musique hybride et informelle mixe les influences pour le plaisir de nos oreilles.

 

Cette nouvelle live session est menée d’une main de maîtresse par Rachel dont on sent dans le chant vivace et affirmé que nous entrons là sur son terrain de jeu. Elle charme son public, d’un regard transperçant nos écrans, le fait vibrer au rythme de ses élans vocaux avant de l’achever définitivement par l’entrée en matière d’une flûte dont elle seule a la maitrise, quintessence de son aplomb. A côté, SteF trouve aux percussions le bon équilibre entre affirmation personnelle, porteur d’une bonne humeur dont il semble être l’incarnation, et mise en valeur du charme de son acolyte. Soutien principal d’un morceau vitaminé comme il le faut, la batterie donne le rythme avec classe.

« Good for You » surprend en même temps qu’il motive. Son ton pêchu et feel good délivre des sensations diverses et contradictoires, portées par le choc de deux instruments éloignés ici réunis, et si bien entremêlées entre elles que son résultat, une soul pop mis au goût du jour, donne l’impression de voyager à l’écoute. Un vent frais et léger dynamisé par une construction stricte et minutieuse. S’il ne se transforme pas en tempête ni en tornade, n’exagérons pas, ce vent finit tout de même par renverser la morosité ambiante des temps qui courent.

La cohésion dont fait preuve RoSaWay rappelle que le modèle du duo en tant que formation musicale est généralement une réussite, d’autant plus lorsqu’il fait preuve d’originalité comme celui-ci. Pour votre santé mentale, imprégnez-vous de l’humeur de ce clip tout en finesse et en mouvement de « Good for You », et, si ce n’est pas assez pour vous, enchaînez le donc avec l’écoute de leur EP, dose de dépaysement triplement garnie.

 

Photo illustration article : Audrey Wandy

Si la pandémie mondiale encore en cours altère douloureusement le monde de la culture, elle n’aura pas touché à l’ébullition créative du collectif lyonnais l’Animalerie. Nous voilà rassurés.

Urizen de Nedelko (image: Eleonore Wismes)

Après la sortie d’Hôtel sans étoiles du grand Lucio Bukowski en octobre dernier, c’est Nedelko qui revient à la charge ce mois-ci. Avec Edggar, ils font partie des derniers arrivés dans le collectif. Et autant dire qu’ils ont déjà prouvés de quoi ils étaient capables. Rhéologie, le premier album de Nedelko, nous avait retournés lors de sa sortie l’année dernière, à tel point que nous avions rencontré son créateur début 2020, un mois avant le début des emmerdes, pour parler de son projet (à retrouver ici). Un peu plus d’un an après, Urizen débarque. Quel est-il ? Son nouvel album, divisé en deux. Sept titres de chaque côté. Aujourd’hui sort la partie I, que nous avons eu le privilège d’écouter. Il faudra attendre le printemps pour la suite. Une manière d’instaurer un mystère, et de faire durer l’attente. Rhéologie avait tapé très fort pour une entrée en matière. Urizen porte beaucoup sur ses épaules.

 

Un électron libre

Que nous dévoile cette première partie ? Un envol. Disons le franchement. C’est une perle. Sept titres uniques desquels jaillit un sentiment d’adéquation. Nedelko se lâche et semble avoir atteint un nouveau stade : celui du lâcher prise. On y va et on verra bien ce que ça donne. « Or What », titre solitaire paru il y a quelques semaines, avait plus ou moins annoncé la couleur. Il s’agit de d’explorer et de se renouveler. Plus de limites ni de cadres, et place à davantage de liberté. Même si Urizen part I n’a pas grand-chose à voir avec « Or What », les deux dégagent quelque chose de neuf et d’innovant. Car en plus de confirmer son talent sur ce nouveau projet, Nedelko s’aventure sur des chemins sinueux dont il ressort systématiquement plus fort. Son style s’affine et s’élargit à mesure que son élan créatif se consolide, au point de pouvoir aujourd’hui se féliciter d’une identité musicale très marquée. Et si l’on devait qualifier sa musique, on ne saurait le faire précisément tant elle puise dans de multiples inspirations. On sait d’ailleurs Nedelko ouvert à une diversité musicale, adepte d’artistes tels que Julian Casablancas, Odezenne ou encore Courtney Barnett.

En passant de la légèreté à l’agitation, de la mélancolie à l’agressivité, du rap au chant, le chanteur atteste d’un désir de se surpasser et de se détacher de son premier opus. Il n’existe plus seulement qu’au travers de Rhéologie, déjà gravé dans la roche, et réussit le pari de se détacher de ce dernier. C’était là tout le dilemme de ce second projet.

Photo: Matthieu Cattoni

 

L’image du bonheur

Tout commence sur une voix de femme, dont le ton et le phrasé nous apaisent instantanément. On sent que cette voix vient d’ailleurs, qu’elle transporte une forme de sagesse. Rapidement, le texte qu’elle récite évoque une image censée représenter le bonheur : trois enfants sur une route en Islande. Cela pourrait être le début d’un film… En plein dans le mille ! Il s’agit en effet des premières secondes de « Sans Soleil », sublime documentaire de Chris Marker sorti en 1983. Un hommage puissant et pertinent à un des plus grands réalisateurs français aujourd’hui disparu. De quoi commencer l’album en beauté. Odezenne avait fait pareil avec des extraits de La Jetée sur deux de leurs morceaux. Directement, on est plongé dans une ambiance nostalgique et rêveuse. « Eva 001 » frappe déjà fort. C’est un morceau au doux tempérament qui ne se laisse pas saisir facilement. La prod planante d’Hayko offre à Nedelko l’occasion de débuter dans un registre où il excelle déjà, celui d’un texte poétique transporté par une ambiance atmosphérique. « Fast Life », qui s’y apparente, sorti l’année dernière dans la lignée de son premier album, nous avait subjugué.

 

Accompagné du grand oster lapwass

Pour la suite d’Urizen, c’est le fidèle beatmaker de l’Animalerie, la clé de voûte du collectif : Oster Lapwass qui, une nouvelle fois, parvient à s’adapter au style de son interprète afin d’en révéler au mieux les richesses. Sa patte sonore est reconnaissable parmi des milliers et l’effort d’originalité sur les prods est évidemment une des forces de ce nouvel opus. Entre le génial « Acanthaster » plus porté vers le rap, avec backs et gros soutien rythmique, d’une efficacité redoutable, et l’entrainant « Bienvenue à Néopolis » aux sonorités électro, Urizen part I se dévoile de plus en plus riche et abouti. Entre ces deux morceaux se tient le fier « Damoclès », dont l’instru sous forme de boucle entêtante à l’aspect désarticulé permet d’accorder les deux styles uniques de Nedelko et d’Edggar, ce dernier présent en featuring. Probablement une des plus grandes réussites de ce projet permise grâce à l’alchimie des deux amis. D’un côté, un flow très rythmique sous forme d’à-coups génialement maitrisé par Edggar, et de l’autre, un rap moins discontinu aux élans chantés de Nedelko. Comme une version sophistiquée de « Colibri » de Robse, également produit par Oster Lapwass. Un morceau (et un album) que l’on adore ici.

 

Plus qu’une simple confirmation ?

Le clou final du spectacle est assuré par « Troisième Impact », morceau à double facettes, qui, après une première moitié calme et sereine illuminée par un texte somptueux sur le constat d’un monde fêlé, s’élève pour nous prendre aux tripes lorsque l’instru décolle vraiment dans sa seconde moitié. Jamais Nedelko n’était allé aussi loin dans l’émotion. Il prend ici son temps, construit son propos, et le disperse sous forme d’éclat dans un morceau intelligemment construit. Quoi de mieux pour mettre fin à cette partie I, l’haleine à la bouche en pensant déjà à la suite ? Comme le dit lui-même Nedelko, « La transformation, c’était Rhéologie. Urizen c’est la confirmation ». Pour l’instant, on ne peut qu’approuver. A voir si la deuxième pièce du puzzle le fera devenir plus qu’une simple confirmation. C’est très bien parti pour.

By Léonard Pottier