Author

Léonard Pottier

Browsing
Diego Philips

 

Il y a deux ans paraissait sur Pop & Shot une chronique d’un album ici très apprécié : Tides de Diego Philips, que nous réécoutons encore avec attention. Si nous reparlons aujourd’hui de Diego, c’est qu’il vient de dévoiler un nouveau projet il y a quelques semaines de cela : I am Yuki : the Hiroshima Project. Et encore une fois, nous n’avions pas d’autres choix que de vous inciter à l’écouter.

 

 

CONTEXTE ET CONCEPT

La catastrophe d’Hiroshima. Tout le monde connait son histoire. Ce n’est pourtant pas ça qui a freiné Diego Philips dans son envie de réaliser un album concept autour de ce tragique épisode survenu il y a bientôt 80 ans, en 1945. I am Yuki : the Hiroshima Project explore le point de vue d’un enfant brutalement confronté à la destruction soudaine de sa ville natale, et dont la vie paisible se retrouve fauchée par l’horreur.

C’est depuis 2018 que Diego Philips travaille sur ce projet, qui sortira donc en tant qu’album quatre ans plus tard, après une période de pandémie peu favorable à la sortie d’une œuvre autour d’un tel sujet. Le choix de ce dernier, et l’envie de créer quelque chose à partir de lui, ne viennent d’ailleurs pas de nulle part, puisque Diego Philips a passé plusieurs mois de sa vie au Japon en 2007 quand il était encore étudiant, et y est revenu plus tard en 2013 durant un séjour où la visite de la ville d’Hiroshima l’a profondément ému et marqué. De cette empreinte laissée en lui, Diego s’en est servi pour raconter les évènements d’une manière originale et intime : par la musique et le récit fictionnel à base de faits réels. Pour ce projet, il est accompagné des musiciens Vincent Cudet à la batterie, Jamie Moggridge à la guitare, Michael Jones à la basse et Madga Skyllback au chant.

« I am Yuki – The Hiroshima Project » de Diego Philips

 

varier les ambiances avec cohérence

Comme son nom l’indique, I am Yuki : the Hiroshima Project, est avant tout l’histoire d’un jeune garçon, Yuki, dans toute son innocence et son allégresse juvénile. En sept morceaux d’une durée totale de 23 minutes environ, l’album dépeint un quotidien prêt à être bouleversé, loin de tout pathos. Ce qui fait la particularité de cette histoire est de connaître son dénouement avant même qu’elle ne débute. En ce sens, le premier morceau prélude fait rôle d’annonciateur à travers une ambiance menaçante qui, dans l’esprit, pourrait rappeler certaines expérimentations du Neil Young de Dead Man. Rien ne peut échapper à ce qui s’apprête à venir. Pourtant, malgré cette fatalité, l’album ne s’impose aucunement un ton sinistre, et débute d’ailleurs sur un morceau plein de vitalité. C’est la présentation à la première personne du petit Yuki. « Come Home Yuki » vous restera très certainement dans la tête pendant de longues semaines tant son air respire la gaieté.

L’album se poursuit en variant merveilleusement bien les humeurs. Tantôt allègre, tantôt rêveur, tantôt bousculant, I am Yuki est une œuvre qui, en l’espace de 23 minutes, fait don de couleurs et d’ambiances tout à fait variées mais non pour autant hétéroclites. L’ensemble est d’une forte cohérence. Les trois derniers morceaux se concentrent sur l’explosion, dans une construction pré / explosion / post. Rien qu’à travers ce triptyque, les variations sont nombreuses. Si la Pt. 2 est celle que l’on attend le plus, car elle est celle qui illustre assez justement l’explosion en tant que telle (« creating the bomb » entend t-on dans le court documentaire sur l’album réalisé par Laura Eb), dans un morceau progressif aux airs de jazz rock se clôturant dans un cataclysme musical et une peur panique palpable, elle n’en constitue pas pour autant le centre inévitable de l’album. C’est-à-dire qu’elle ne prend pas forcément toute l’attention, et que l’œuvre ne cherche pas à en faire un paroxysme forcé. Non, I am Yuki s’attache davantage à autre chose, à l’histoire de ce gamin qui, comme il le dit dans la Pt. 1 de cette fin du monde à deux doigts de survenir : « I have the feeling that it’s gonna be a beautiful day ». Sa bonne humeur, ses interrogations et ses aspirations, voilà ce qui fait la force du projet. Pour preuve, « In my Room », le morceau le plus long de l’album, constitue tout autant un sommet, avec un soin apporté à son final explosif et grandiose. Tout est là, dans la chambre du petit Yuki, dans son intimité prête à être brisée mais qui, tant que l’heure n’est pas arrivée, a le pouvoir de nous transporter vers un ailleurs plein de promesses.

 

Soin des sonorités

La progression de l’histoire et de l’album tient également en ses variations sonores. Si l’humeur de chaque morceau est relativement différente, c’est aussi qu’un réel soin est apporté aux sonorités et à la place de chaque instrument. La guitare par exemple, peut autant refléter un sentiment d’apaisement sur « In My Room » et « Goodnight Little Boy » qu’une impression de terreur soudaine, comme les cris étouffés d’une population sur qui s’abat le malheur dans « End of the world pt. 2 ». Dans chacun de ses morceaux, qu’elle soit acoustique ou électrique, la guitare dessine une atmosphère bien particulière. Le travail de recherche sonore à ce niveau montre à quel point l’album a été pensé dans son ensemble pour créer un récit musical garni de surprises et d’émotions. Entre la folk d’un Kevin Morby, le rock enjoué des Beatles et le rock plus sombre du Velvet, I am Yuki passe par diverses ambiances sonores. Ambiances qui, sur chaque morceau sinon celui instrumental de l’explosion, sont enrichies par deux très belles voix. D’abord celle de Diego Philips, toujours aussi envoutante et incarnée. Sur « Come Home Yuki » et « In My Room », elle nous transporte directement dans l’histoire avec une justesse de ton agréable. Tendre, assumée, intense quand il faut l’être, sa voix est en plus de cela élevée par un très bon mixage et une production réussie, que l’on doit à James Yates.

La deuxième voix est celle de Magda Skyllback, qui, sur les morceaux « Goodnight Little Boy » et « End of the world, Pt. 3 », introduit quelque chose de plus abstrait, de plus songeur. A travers les ruines du sublime dernier morceau, après la destruction, elle raconte la mort de manière relativement détachée, et invite à ne pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé, pour que tous les petits Yuki, promis à une belle journée, où qu’ils soient, puissent la terminer avec paix et sérénité.


 

Il est de ces lundis que l’on arrive à surpasser uniquement dans l’attente d’un concert désiré le soir même. C’est encore plus vrai quand le lundi en question tombe le lendemain d’un jour férié dont le super pouvoir s’est vu considérablement étréci  à cause d’un agenda merdique cette année. Heureusement, le groupe américain LOW était à Paris pour entamer la semaine comme il se doit. A l’Alhambra près de République, ils ont livré un concert plein d’élégance et de frémissements.

Depuis leur dernier album en date, l’excellent HEY WHAT (2021) que l’on écoute régulièrement pour sa production coupée comme un rasoir et ses morceaux minimaloniriques (minimalistes et oniriques), LOW ne cesse de gagner du terrain dans notre cœur. 27 ans de carrière et plus de 15 albums à leur compteur. Cela nous a un peu échappé, même si leur nom nous a toujours été familier. Voilà pourquoi nous comptions rattraper notre retard avec ce concert parisien. LOW, c’est trois lettres, mais aussi trois personnes, dont un couple fondateur : Alan Sparhawk (chant, guitare) et Mimi Parker (batterie, chant). Avec eux, plusieurs bassistes se sont succédés. C’est aujourd’hui Liz Draper qui accompagne le couple. Leur rock alternatif sorti tout droit du Minnesota développe depuis 1994, année de leur premier album, un sentiment de contemplation auditive grâce à des morceaux lents, souvent étirés, et envoutants. La production, devenue plus rude et mécanique ces dernières années, ajoute une pincée de mystère à cette identité malléable dont la base reste toutefois solide, si ce n’est renforcée. Maitres du studio où leurs textures sonores gagnent toute leur puissance d’expression, qu’en est-il de LOW sur scène ? Aussi percutants ?

Low à l’Alhambra – Crédit : Léonard Pottier

 

(S)low : lenteur divine

C’est la caractéristique même de leur musique, d’être à l’inverse de toute précipitation. Alors bien évidemment que le concert ne sera pas d’une grande agitation dans le public. Non, LOW mise tout sur son hypnotisme. Toute personne présente est de mèche. On ne va pas voir ce groupe par hasard, sans savoir à quoi s’attendre. Nous voilà donc embarqués pour un voyage dense, de 2h environ, où l’apesanteur est reine. Le trio sur scène échappe à toute starification, mais semble davantage acclamé pour leurs créations, c’est-à-dire des morceaux à l’évidence folle. Ce soir-là, il y a dans l’enchainement de ces derniers une magie certaine. L’envoûtement est progressif, jusqu’à nous faire réaliser toute la cohérence d’une carrière dont l’humilité est proportionnelle à son étendue. Après 27 ans, LOW ne montre aucun signe de prétention. Il est presque encore un jeune groupe dans sa manière de faire. A quelques morceaux de la fin du concert, Alan Sparhawk ira même jusqu’à avouer avoir fait au moins une erreur sur chaque chansons jusque-là. Classe le type. Honnête révélation qui n’aura, on le rassure, pas été remarquée, à part peut-être par les grands fans au guet de chaque note. Et autant dire que les notes ont le temps d’être savourées dans leur profondeur, puisque, comme en studio, le rythme prête à la divagation spirituelle. Une lenteur toutefois pourvue d’accroches, symbolisées par la beauté saisissante de la majorité des morceaux. Plus d’une vingtaine seront joués, tout en douceur et en retenue, permettant au public de s’imprégner de chacune de leurs spécifiés, mais aussi de bien appréhender le mouvement global en perpétuelle construction. Prisonniers d’un délicat ensorcellement. Faut-il alors simplement rester les yeux fermés et se laisser porter ? Non. Puisque dans ce cas-là, on aurait opter pour l’écoute des albums à la maison. Si nous étions là, c’était aussi pour y trouver une certaine ampleur et envolée. De ce côté-là, faim non totalement rassasiée.

 

(B)low : souffle un peu maigre

Manque de tension et de précision. C’est ce qui nous vient d’abord, au-delà de la lenteur précédemment évoquée. La salle de l’Alhambra a du mal à décoller totalement ce lundi soir. Plusieurs raisons à cela. Premièrement un niveau sonore trop faible, qui ne fait pas honneur comme il se devrait au voyage musico sensuel proposé par LOW. Certains morceaux restent en retrait, sans parvenir à venir nous bousculer. Ça n’est heureusement pas le cas de tous, et on pourrait tout aussi bien rejeter le tort sur la construction particulière du concert, la première moitié étant consacrée à leur dernier album HEY WHAT joué dans l’ordre, puis la seconde moitié à un best-of de leur carrière. Bon. Pas sûr que ça soit la meilleure formule. Elle n’a en tout cas pas fait ses preuves ni chez Ty Segall au moment de son album First Taste, ni chez Patti Smith pour la reprise du mythique Horses il y a maintenant plusieurs années. LOW ne déroge pas à la règle : la première partie du concert manque de quelque chose, malgré certaines interprétations tout à fait remarquables, comme celle de « Hey » et du dernier morceau « The Price You Pay (It Must Be Wearing Off) ».

Il ne faudra d’ailleurs pas attendre plus tard que le morceau d’ouverture « White Horses », génial dans sa version studio, pour s’en rendre compte. Où est donc passée cette impression de lame tranchante fabriquée par la production si particulière et par le rythme hyper soutenu du morceau ? En concert, la guitare perd son effet électronique. En concert, le rythme est moins bien tenu. En concert « White Horses » abandonne la tension et la rigueur pour lesquelles il nous touchait tant. On retrouvera ce sentiment sur d’autres morceaux.

Low - White Horses

L’abandon du contraste entre ambiance en apesanteur et dureté sonore, comme il se manifeste sur les derniers albums studios, en est aussi la cause. Manque d’affirmation et d’ancrage dans le son… Pas tellement abrasif. Le souffle reste un souffle et ne se transforme jamais en bourrasque. On aime pourtant que nos rêveries soient parfois secouées. Il aurait fallu une meilleure tension d’ensemble. Tant pis, on se contentera de planer et de côtoyer la beauté. C’est déjà beaucoup.

 

(G)low : lueur constante

Sur scène, aucun chichi. L’éclairage est assuré par trois colonnes de néon disposés à l’horizontal derrière les musiciens. L’ombre les submerge. D’un peu loin, on ne discerne pas les visages mais simplement des silhouettes. L’ambiance sombre et minimaliste colle parfaitement à la musique, de quoi donner l’impression que le chant étiré du couple, comme dans un mouvement ralenti, est de source inconnue. Mystère maintenu. C’est particulièrement marquant sur les passages vocaux de Mimi Parker, beaucoup plus rares que ceux de son mari, leader au chant. Ces moments sont d’une extrême poésie, puisque la voix trop souvent absente atteint des sommets dès lors qu’elle décide de se manifester. On tomberait presque à la renverse. Le jeu d’ombre et de lumière vocal devient alors tout aussi fascinant que celui plus évident de l’éclairage.

Cette lueur de plus en plus élargie au fil du concert prend également appui sur la qualité sonore qui, malgré un niveau trop faible, réussit à être fidèle à l’identité sonore du couple. Cela se remarque davantage sur la deuxième partie best-of du concert, notamment sur les géniaux « Monkey » et « Plastic Cup ». LOW regagne là notre admiration. Le son a quand même la classe, surtout cette guitare à laquelle on aimerait s’accrocher indéfiniment, tant son rendu sonore est scotchant. Nous nous y pendrons finalement jusqu’à la dernière note. Et quand le moment vient de s’en aller,  il est difficile de se résigner à quitter cette ambiance magnétique… On ne manquera pas le rendez-vous du prochain album.


Le week-end du 23/24 avril dernier se tenait un peu dans toute la France et ailleurs le Disquaire Day ! L’occasion pour les disquaires indépendants de proposer à leur clientèle tout un tas de vinyles inédits sortis spécialement pour l’évènement. De quoi offrir à ces boutiques indépendantes dont nous avons tant besoin une scène sous projecteurs.

A Montmartre, au point culminant de notre cœur, dans la nouvelle boutique associée à notre média Pop & Shot : The Mixtape, située au 32 rue des Trois Frères, y a logé durant ce week-end l’effervescence musicale. Pour rendre honneur au large choix de vinyles inédits à disposition, entre le sublime album de SON OF que l’on attendait depuis 7 ans, l’étonnant mais implacable EP de Metronomy sorti l’année dernière et le best-of double vinyle d’une Patti Smith toujours plus importante pour l’histoire, The Mixtape a fait appel au duo musical HUNKYZ, deux bons potes d’enfance chargés d’animer les 15 heures de week-end.

Baignés dans la musique comme Obélix dans la marmite, HUNKYZ ont divisé leur immense set comme plusieurs petites sélections d’une heure chacune, toutes faites de morceaux piochés çà et là dans ce qui les anime depuis le début de leur amitié jusqu’à aujourd’hui. Pas de catégories spécifiques qui puissent renseigner sur ce qui allait être joué, mais des thèmes parfois loufoques et abstraits, pour mieux brouiller les pistes et se contraindre dans l’amusement.

 

PLAYLIST JAUNE

Pop & Shot vous dévoile une partie de ces playlists crées pour l’occasion.

La première est la playlist JAUNE. Le principe est simple : chacun des morceaux la constituant sont issus d’albums dont la couleur dominante de leur pochette est le jaune.

Bonne écoute ! Et à bientôt à la boutique The Mixtape (métro Abesses), venez nous rencontrer et farfouiller parmi notre sélection de vinyles ainsi que tout un tas de produits dérivés autour de l’univers musical. Venez également découvrir en ce moment à la boutique l’exposition de notre photographe Louis Comar.


Imaginez une nuit d’errance new-yorkaise dans des dédales de rues désertes. Imaginez craindre pour votre vie à l’approche de quelques rares passants louches que vous croisez çà et là. Imaginez vous enfoncer dans un paysage toujours plus noir et désœuvré, où deux comportements semblent habiter la ville : la fuite bruyante ou l’effacement par le silence. Ce bout d’histoire convoquant un imaginaire connu aux allures gothiques a récemment trouvé son narrateur le plus convaincant : il s’appelle BAMBARA et parle le rock. Préparez-vous pour une marche de longue haleine, qui risque de durer jusqu’au soleil levant, s’il ose un jour se montrer…

De passage à la Boule Noire (Paris) le 30 mars dernier après une première partie à l’Elysée Montmartre au début du même mois pour le concert d’Idles, BAMBARA nous a donné envie de parler d’eux : de leur musique haletante, de leurs albums  distingués et de leur frénésie scénique. Plongée dans un groupe au charme irrésistible.

débuts dans l’ombre

Bambara à la boule noire
Bambara à la Boule Noire photo by Kévin Gombert

Deux frères (Reid et Blaze Bateh : voix/guitare pour le premier et batterie pour le second) et un ami rencontré en primaire (William Brookshire : basse) se mettent un jour d’accord pour monter un groupe. Ils sont originaires d’Athens en Géorgie et résident aujourd’hui à Brooklyn. Ils s’accordent sur le nom BAMBARA, en référence au personne principal d’une série télévisée américaine de science-fiction : Æon Flux. On est en 2010 quand sort leur premier EP Dog Ear Days et en 2013 quand ils donnent naissance à Dreamviolence, leur premier album. Au départ, leur approche est assez expérimentale, dans des productions primaires et rugueuses. A la recherche d’un style mais surtout de textures sonores, BAMBARA fait petit à petit ses armes. Peu remarqué jusque-là, les premiers signes de reconnaissance viendront en 2018, après la sortie de l’album Shadow on Everything. Comment expliquer ce lever de rideau soudain ?

Light on everything

Avec ce troisième album, BAMBARA hausse le niveau en proposant une musique franche, moins éparpillée et mieux produite. La patte sonore est cette fois bien là, plus reconnaissable qu’auparavant. A l’image de sa pochette percutante d’obscurité, Shadow On Everything surprend par des morceaux tout de noir vêtus, comme un sinistre personnage s’avançant au travers d’une brume épaisse, et dont la marche est soutenue par une basse menaçante. La voix du chanteur y est plus profonde que jamais, lui donnant des airs de crooner nocturne. Mots étirés, ton désinvolte… C’est déjà l’assurance d’un style qui permettra au groupe dès lors de marquer sa différence. Derrière, les compositions ont gagné en impact, comme on peut le remarquer chez « Dark Circles » ou encore le génial « José Tries to Leave ». Moins de fioritures, les gars vont droit au but avec un son saillant. Celui-ci inaugure une nouvelle élégance dans cette musique non plus seulement sulfureuse, mais désormais conquise par une certaine sensualité. Là où leur précédent album Swarm (2016) sonnait encore trop renfermé, Shadow on Everything bouscule par son ampleur. Cour des grands ouverte, Bambara n’a plus qu’à s’y engouffrer.

Ils ne manqueront pas de le faire deux ans plus tard avec la sortie de leur quatrième album Stray, lequel marquera l’affirmation de leur identité austère. Le premier morceau « Miracle » en est l’un des symboles les plus frappants. Plongée sans préambule dans une atmosphère glauque d’où surgit un certain romantisme. Bambara n’est plus dans l’essai, ils ont assurément trouvé leur esthétique sonore. Ce quatrième album s’inscrit dans la continuité du précédent : élégant, soigné, torturé. La pochette, aussi dans les mêmes tons, parle d’elle-même.

MINI ALBUM POUR GRAND IMPACT

C’est cependant moins le cas de celle de leur nouvel album révélé il y a seulement quelques semaines, qui rompt soudainement avec la touche obscure de leurs visuels. Cette fois, on y voit un portrait du chanteur. Belle photo promo certes, mais assez atypique pour en faire un visuel d’album ? A vrai dire, Love on my mind est un projet un peu particulier, puisqu’il ne comporte que 6 titres. On pourrait le qualifier d’EP, mais le groupe préfère parler de mini album. Quelque chose d’assez peu répandu chez les artistes installés dans le milieu. Le fait que BAMBARA le propose mérite donc que l’on s’y attarde. Qu’est-ce que leur apporte cette forme ?

Plus d’efficacité certainement, avec un condensé de ce qu’ils savent faire le mieux. Là, on ne perd pas le fil, comme on pouvait avoir tendance sur les précédents projets du fait de leur longueur, source d’un certain essoufflement sur la durée. Love on my mind met en scène six morceaux blindés, avec un BAMBARA pur jus, un brin plus pop que d’habitude, mais toujours aussi aiguisé. « Mythic Love » et « Birds » constituent sûrement ce qu’ils ont fait de plus percutant. La dernière, « Little Wars », balade toute en intensité, clôt ce mini album en beauté. Pari réussi pour le groupe que de poursuivre leur ascension avec cette nouvelle œuvre originale, en dehors des règles habituelles. Plus rentre-dedans, elle est une nouvelle porte d’entrée à cette musique de prime abord hostile.

Ce que nous rappelle cette dernière en terme d’influence démarre de Nick Cave et s’étend jusqu’au cinéma de Lynch, Jarmusch et Wong Kar Wai, dont ils sont très fans. Chez leurs voisins du même âge, ils font le pont entre Murder Capital, pour leur rock sombre, et Iceage, pour leur côté plus pop. Côté littérature, BAMBARA s’inspire du genre Southern Ghotic , représentée par des auteurs comme Harry Crews.

IDENTITé LIVE

Présentations approfondies faites. Allons maintenant trainer dans leurs concerts. Qu’en est-il de leur chair live ? Parviennent-ils à convoquer sur scène ce qui les caractérise, autant au niveau du son que de l’atmosphère globale ? Puisque nous étions à leurs deux récentes prestations parisiennes, dont une Boule Noire complète spécialement à leur nom, voici ce que nous pouvons en dire.

Les garçons sont d’abord fidèles à l’image renvoyée par leur musique enregistrée : quelque chose d’à la fois classe (le chanteur était en pull Kashmir à l’Elysée Montmartre et en belle chemise rouge, celle du visuel de Love on my mind, à la Boule Noire) et de sinistre. Y pèse un voile de mystère, favorisé par l’attitude comme possédée de Reid Bateh au chant. Lui est assez impressionnant, en parvenant à garder un certain ancrage au sol malgré ses incessantes courses et gesticulations. Il tient la scène d’une main de maître et attirent tous les regards. Rarement un chanteur n’a été aussi élégant dans son déchainement (un guitariste accompagne le groupe en live). C’est d’ailleurs sur ce dernier point qu’un contraste se fait sentir par rapport aux versions studios : BAMBARA est en live animé d’une fureur beaucoup plus ravageuse. Tout y est décuplé dans une folle énergie, au point de rendre chacun de leurs morceaux une petite copie du précédent en terme d’agitation. On regrette alors un manque de subtilité et de nuances. L’ensemble est traité sur le même plan, comme une course qui ne termine jamais. Cela crée évidemment une tension, mais surement trop dans l’excès. Au bout de quelques morceaux, et après des débuts déjà transpirants, l’énergie continue de plus belle, mais vient quelque peu à bout de notre seuil de tolérance. Pourquoi est-ce donc épuisant à répétitions ? Le son est écorché vif, et n’a pas grand-chose de confortable à l’écoute. Il en devient parfois même trop agressif, avec des guitares comme du fil de fer à faire grincer les dents. Même si cet aspect est galvanisant pendant un temps, il a du mal à surprendre durant un concert entier.

La performance du groupe reste toutefois de qualité, avec un investissement démentiel de la part des trois garçons, notamment de la section rythmique qui s’en donne à cœur joie. C’est d’ailleurs en live qu’elle prend toute son ampleur. On comprend là à quel point les morceaux de BAMBARA sont aussi habités par une vivacité, plus effacée en studio, ce dernier privilégiant l’aspect sensuel et mystérieux. Leur musique parvient alors à s’adapter selon les contextes d’écoute. A la Boule Noire, nous avons redécouvert le groupe. Attendons maintenant de voir ce qu’ils peuvent donner dans de plus grandes salles comme ses voisins de Pigalle. La France n’est peut-être pas encore tout à fait prête, mais avec quelques efforts de la part de BAMBARA pour nuancer ses concerts et avec l’aide d’un prochain album qui ne pourra qu’être de haute voltige, nous avons énormément d’espoir.