Author

Léonard Pottier

Browsing

Elle nous avait ensorcelé en 2018 avec son étrange et sublime premier album Crave. Il y a quelques mois, elle dévoilait le deuxième témoignage de son humble talent : Le Cirque de consolation. Et il y a quelques jours, elle célébrait avec émotions la réussite d’en être arrivée à ce niveau de reconnaissance avec un premier Trianon bien rempli. Léonie Pernet mesdames et messieurs.

Nous n’imaginions pas meilleure salle pour entendre la pop sombre et mélancolique portée par Léonie Pernet qui, en deux albums, a su démontrer une identité musicale forte et évolutive. Crave et Le Cirque de Consolation (le premier nous avait particulièrement marqué) ont fait d’elle une artiste confirmée, à l’approche originale. Tantôt dansant, tantôt lancinant, tantôt funéraire, la musique de Léonie Pernet revêt plusieurs visages, autour d’une obscure atmosphère jamais forcée mais habitée par l’humilité et la subtilité. Les influences africaines en hommage à ses origines parsèment sa musique. Une musique aussi novatrice que politique.

 

FrankY GoGOES to Trianon

Franky Gogo au Trianon, crédit : Théophile Le Maitre

Pour ce concert célébrateur d’un début de carrière en perpétuelle expansion, Léonie Pernet a fait appel en première partie à Franky Gogo, un.e artiste non binaire au look tout aussi classe que sa musique. Avec des sonorités électro faisant office de petites décharges, dans une ambiance techno punk à la Peaches, Franky convainc par sa prestance et sa manière de poser sa voix. Trianon oblige, le son est net. Les pulsations sont ressenties. Le public semble transporté.

 

 

 

 

CUCO CUCA CULOT AURA ou n’aura pas

Cuco Cuca au Trianon, photo : léonard Pottier

Alors que logiquement, tout le monde imaginait ensuite Léonie Pernet occuper la scène après la petite demi-heure de battement habituelle entre les deux parties, ce n’est pas elle qui surgit à 21h, mais Cuco Cuca. Forcé de tourner la tête pour s’en apercevoir, puisque le personnage arrive du balcon, et se positionne sur le bord droit, avant de déployer une banderole avec la lettre E à l’envers barrée. Celle-ci fait référence à un club techno situé à Kiev et nommé « Il n’existe pas ». Sur le profil instagram de l’artiste, on peut y lire « aussi longtemps que Kiev sera en guerre et envahie par la Russie, je sortirai ma banderole ». Mais qui est donc Cuco Cuca au juste ? Iel se définit comme « hacker genderfucker transbird, queer activist & performer borned in Mexico in 2011″. Sa performance en préambule du concert de Léonie Pernet consistera à réciter un texte d’engagement et de lutte contre toutes les privations et les injustices de ce monde. Contre qui ? Les accusations manquent peut-être de cibles concrètes. « Vous n’aurez pas nos nuits, vous … [insérer grand méchant loup] ». Sa voix est trafiquée comme Winslow dans Phantom of the Paradise (Brian de Palma, 1974) qui, comme autre point de comparaison, arbore lui aussi un masque qui ne rassure pas tout à fait. Derrière celui-ci néanmoins,  on ne sent pas la personne totalement à l’aise. Au-delà des accusations, la performance qui d’abord intrigue, perd rapidement de son charme et s’éternise au bout de 10 minutes. Derrière passe une musique techno qui, comme l’artiste, semble rencontrer quelques bugs. Le tout est assez maladroit, manque de fluidité et d’accroche. Le discours crache des évidences même s’il n’est jamais vain de les rappeler. Ca n’est pas plus mal quand on en voit le bout.

 

Léonie en cercle !

21H20. Place maintenant à l’artiste principale. Dès son entrée, on sent toute l’humilité et la simplicité qui lui confèrent entre autres son charme si particulier. Léonie Pernet dégage quelque chose de juste, de touchant, qui se retrouve évidemment dans sa musique.

Sur scène trônent deux grandes installations circulaires depuis notre entrée dans la salle. On se doutait qu’elles  serviraient d’éléments d’éclairage pour le concert. En effet, rien d’autre ne sera utilisé pour illuminer la soirée. Par cette ambiance lumineuse étrange et intimiste, Léonie parvient un créer une proximité, et décore son monde musical d’une subtilité visuelle insaisissable. Cet élément de scénographie s’accorde parfaitement à la musique et se révèle être joli tout autant que pertinent pendant la durée du concert.

Ce dernier débute sur « Hard Billy », morceau en anglais du deuxième album. Comme une parfaite introduction, il introduit un ton funeste dans une sorte de flottement nostalgique. Ce morceau dépeint une mélancolie de l’étrange qui, au contraire de lever le voile sur ce à quoi nous assistons enfin, nous rajoute une couche de mystère et d’envoûtement. Léonie Pernet attrape déjà le public de manière différente de celles qu’on a l’habitude de voir en concert. On pourrait penser que ce morceau n’est pas assez de taille pour une ouverture, et pourtant. Il convient par sa répétition, amenant une tension dans un mouvement suspendu.

 

Une brigade de taille à consoler toute une salle malgré un son mitigé

En matière de son, ça pêche niveau clarté et précision, notamment dans la voix. Une déception quand on sait que le Trianon est généralement réputé pour ses qualités sur la question. Le problème persistera jusqu’à la fin du show avec un cruel manque d’ampleur, ce qui aurait fait gagner les interprétations en puissance. Certaines d’entres-elles restent trop en surface, et ne viennent pas nous bousculer comme elles auraient dû le faire.

Léonie Pernet au Trianon, photo : Théophile Le Maitre

Ce n’est pourtant pas faute d’offrir des interprétations de taille. Léonie et sa brigade de consolation, composée de Jean-Syvain Le Gouic (membre du groupe Juvéniles) aux machines et Arthur Simonini au violon, donnent sur scène vie à des versions sophistiquées, non pas tant différentes de celles en studio, mais pensées différemment pour toujours entretenir chez le public cette fascinante sensation de découverte. Lorsque, cerise sur le gâteau, Léonie se met à la batterie (dès la deuxième morceau), on ne peut être qu’émerveillé. A noter qu’elle fut d’abord batteuse avant de lancer sa carrière solo, notamment aux côtés de Yuksek.

Sans jamais tomber dans le sensationnel, le show trouve un juste milieu entre la musique portée fièrement et l’aspect spectacle pour nous tenir en haleine. Sur « À Rebours » par exemple, dans sa deuxième moitié où Léonie se défoule sur un djembe posé en avant-scène à côté d’elle, on est autant captivé par l’image que par le son. Cette gymnastique entre chant et percussions assurera entre autres le renouvellement constant du concert.

 

Léonie permet l’abandon temporaire de nos maux

Une petite déception viendra du faible nombre de morceaux du premier album joués, et du fait que « Butterfly », son premier tube, ne fut aussi prenant que ce que l’on pouvait espérer. Le Cirque de Consolation aurait pu s’agrandir davantage pour laisser entrer les chansons certes un peu plus simples dans la forme, mais habitées par tout autant de force expressive. Voilà malgré tout que ce point est vite mis de côté à la fin du concert lorsque retentit le morceau le plus entraînant de sa discographie : « Les Chants de Maldoror », issu du deuxième album. Sur le côté gauche, certaines personnes sont montées sur scène pour répondre à l’appel forcé de la danse. Quelle autre solution face à une telle évidence maitrisée à la perfection ?

En rappel, « La Mort de Pierre » servira à ne pas oublier que nous sommes là dans un cirque particulier, et que pour être consolé, il s’agit avant cela de ressentir une vive émotion douloureuse. « C’est la mort de Pierre qui nous rapprochera ». Le Trianon a de quoi l’être et repartir vidé de ses maux. Léonie Pernet a franchi un cap et la suite ne peut aller que vers le haut tant on sent derrière une sincérité dans la démarche et un talent dans la mise en œuvre. Quel cirque !


Si la période de fin d’hiver voit naître un retour chaleureux des concerts un peu partout en France – mais cela pour combien de temps ? – il est de ces dates qui nous font frémir un peu plus que d’autres. L’attente du mercredi 09 mars, marqué par la venue de Thurston Moore (Sonic Youth frontman) à Petit Bain, me démangeait d’excitation. Petite salle pour un grand monsieur du rock. Quoi demander de mieux ?

Son dernier album date de 2020 et s’intitule By the Fire. A l’époque de sa sortie, j’avais dit de lui qu’il était une grande œuvre à allure de fresque. Aujourd’hui, je continue à l’écouter régulièrement et mon avis reste inchangé.  Encore davantage, je le considère comme faisant partie de mes albums fétiches, comme doté d’un pouvoir d’ensorcellement. Son précédent album Rock N Roll Consciousness (2017) ne se situe vraiment pas très loin derrière. Au point de faire de leur créateur l’artiste qui me touche très certainement le plus en ces temps. Son évolution remarquable fait de son œuvre actuelle un sommet. Maitrisée et unique en son genre, cette musique est à la fois la plus douce et la plus déchaînée du paysage rock.

Et voilà donc qu’après deux années à l’écouter et à la réécouter sans que jamais la moindre forme de lassitude n’ose faire apparition, Thurston Moore est de retour en France pour la faire vivre en live. Non seulement à Paris, mais aussi dans d’autres villes comme Toulon (12 mars), Grenoble (13 mars) et Lyon (14 mars).

 

LICE ouvre le bal

C’est dans le cadre de sa tournée mais aussi de l’ouverture du premier jour du festival « How to Love » à Petit Bain que Thurston Moore s’est produit dans la capitale. Pour l’accompagner, le groupe Lice ouvrait la soirée. Groupe britannique originaire de Bristol, ils sont cinq jeunes gens à l’allure bien sympathique, fabricants d’une musique quelque peu particulière mais presque toute aussi charmante que leur dégaine. Le chanteur ressemble à un mix entre M le Maudit et Dr. Folamour. Son énergie débordante et les effets sur sa voix le transforment en véritable personnage de film, dont on ne sait pas dans quel camp, celui des gentils ou celui des méchants, il se trouve. Peu importe, le rock que le groupe propose, plutôt bastonneur,  a de nombreuses qualités. D’abord parce qu’il ne tombe dans aucun cliché, surtout pas celui du « qui fera le plus de bruit ? », mais aussi parce qu’il navigue entre plusieurs genres, allant même piocher parfois du côté stoner, au point de ne pas pouvoir définir très clairement ce à quoi on a assisté. Et souvent, c’est bon signe. Un seul petit reproche néanmoins : savoir terminer ses chansons est un art qui se révèle lorsque les artistes ne savent justement pas le faire. Là, ça ressemblait un peu aux chutes des phrases de Valérie Pécresse. A la seule différence que chez Pécresse, il n’y a pas que la fin qui est merdique…

Photo : Léonard Pottier

Thurston Moore, esprit tranquille

Pour Thurston Moore, Petit Bain est plein à craquer. Voir un tel géant dans une si petite salle est un privilège. Il est venu avec son groupe, le Thurston Moore Group, celui avec lequel il a enregistré ses derniers albums, et notamment composé de Debbie Googe, la bassiste de My Bloody Valentine.  C’est tous ensemble qu’ils font des merveilles, doués chacun d’immenses qualités techniques sur leurs instruments respectifs. A coup sûr, cela va être un mélange détonnant.

Quand la troupe arrive sur scène, Moore parait tranquille. Il regarde ses feuilles pendant de longues secondes, comme pour faire durer l’attente. En réalité, il prend simplement son temps, tandis qu’un sample passe derrière. Il se dirige ensuite vers sa guitare. Toujours tranquillement, il la branche. L’attente devient insoutenable, surtout lorsqu’on sait ce qu’il nous prépare. Cette attitude de scène est aux antipodes de celle habituellement associée aux stars. Moore n’est pas dans un jeu, il est lui-même. Sa musique est le reflet de sa personnalité rêveuse. Silence ! Des notes sont enfin jouées.

 

UNE OUVERTURE AUX PORTES DU CIEL

Le concert est entamé avec « Locomotives », longue tirade d’une quinzaine de minutes. Elle est une parfaite introduction, grâce à sa construction évolutive. Comme souvent chez Moore, on part d’un grincement de cordes répété avec vitesse. Rien de forcément fabuleux pour l’instant. Mais on sait très bien que tout est question de temps. Sa musique est en perpétuel édifice. A ces premiers grincements viennent s’ajouter d’autres grincements de cordes répétés de la même façon (un deuxième guitariste est présent), et cela tout en longueur jusqu’à produire une sorte de mur de son. Dès lors ce cap franchi, impossible de dire de dire d’où celui-ci provient, étant donné qu’il semble être tout autour de nous, après avoir empli totalement la pièce. Comme une hypnose, cette pratique sonore perturbe notre rapport à l’écoute. Par couches empilées, le groupe tisse progressivement une toile d’araignée sonore.

Puis tout à coup, au beau milieu de cette transe hallucinatoire ayant eu raison de nos sens, la lumière surgit. Elle prend la forme d’une mélodie, très vite suivie d’une voix, celle de Moore, toujours aussi gracieuse. Cette rupture de ton est l’essence même de l’œuvre actuelle du chanteur. Elle agit comme un retour abrupt au réel, dans une confusion et stimulation des sens. C’est un électrochoc réconfortant puisque soudain vient quelque chose à quoi se raccrocher. L’expérimental laisse place à une musique de repères à laquelle on a davantage l’habitude. Mais bien que faisant office de rupture, elle agit dans la continuité. C’est d’ailleurs dans cet ensemble là que ce morceau d’ouverture prend toute son ampleur. La deuxième partie est alors d’une totale réjouissance, jouant sur les harmonies du chanteur qu’on lui connait si bien, et dont lui seul a la recette. Cela renforcé par une puissante précision sonore. Quand son acolyte guitariste entame le solo, on croirait déjà avoir atteint la perfection. Ce n’est pas donc un mythe : ce qu’arrivent à faire l’artiste et son groupe sur scène relève du génie. Ce début de live est captivant.

 

Savoir-faire d’un maître 

Viennent ensuite plusieurs morceaux du dernier album : les sublimes « Breath » et « Siren », mais aussi les plus pêchus « Hashish » et « Cantaloupe ». Sur scène, By the Fire gagne en éclat. Les versions sont très proches de celles de l’album mais cela ne dérange pas puisque dans cette musique de toute manière, rien n’est vraiment calculé. C’est un rock libre, insoumis, à l’attitude sereine mais attentive, et aux cheveux longs, faisant avant tout appel à l’instinct et l’échappée. Tellement même que sur « Haschich » se fait soudainement sentir une bonne odeur de beuh. Comme si la musique était si puissante qu’elle pouvait modeler le réel.

Moore demande à partager, il semble vouloir fumer un peu. C’est en fait une blague puisqu’il ne fait que prendre sa bouteille d’eau pour s’abreuver, laquelle il lance ensuite à une personne du public : « ça fait des années que j’ai pas jeter de trucs dans la foule ». C’était honnêtement un peu plus drôle en vrai.

Le concert se poursuit avec la même intensité. Le jeu de guitare est digne de celui d’un maître. Pas forcément sensationnel mais assez obsessionnel pour rendre le public halluciné.  Tout est réussite et il est enfin satisfaisant de faire face à quelque chose de plus fort que nous, contre lequel il ne s’agit pas de lutter mais avec lequel il est si bon d’être emporté. Les grands ne sont pas des grands pour rien. Parfois même avec l’âge, ils sont encore meilleurs. Moore réserve pour la fin les « tubes » de son album The Best Day sorti il y a 7 ans déjà. « Speak to the Wild » et « Forevermore » seront joués. Deux grands morceaux à la carrure suffisante pour clôturer le concert en beauté. « Forevermore » est dédié à la journée internationale des droits des femmes nous dit Moore. « I love you forever more ». Il faut avouer que c’est un peu le sentiment qui nous habite en repartant.

 

Après 1h15, je ressors de Petit Bain trempé d’émotions. Prochaine étape : enfin donner à Sonic Youth l’intérêt que j’ai trop souvent eu du mal à lui porter ? Car parfois, faire le chemin à l’envers peut être aussi la bonne solution. Quoi qu’il en soit, à partir de ce jour, je prierai régulièrement pour que ces guitares ne trouvent dans mes oreilles jamais le repos éternel.


      Grand petit retour cette semaine du rappeur français Benjamin Epps qui nous dévoile son deuxième EP Vous êtes pas contents ? Triplé ! Pas de premier album officiel, il faudra attendre encore un peu, mais un nouveau projet assurément bien foutu, venu placer la barre encore plus haut que le précédent. De quoi miser de grands espoirs sur l’autoproclamé meilleur rappeur de sa génération.

Cover « Vous êtes pas contents ? Triplé ! »

Une première tentative déjà exemplaire pour Benjamin EPPS

    On le découvrait l’année dernière avec son premier EP Fantôme avec chauffeur, qui laissait entendre une voix éloignée de tout ce que le rap accouche à l’heure actuelle. Puis une fois passée cette belle surprise, on s’était laissés prendre par l’ensemble. Instrus carrées allant à l’essentiel (signées Le Chroniqueur Sale) dans une ambiance hyper old-school bien appréciée, celle-ci ressentie comme un vent frais, drôle d’ironie. Maitrise d’un flow acerbe également. Epps ne sortait pas de nulle part. Derrière, il transportait une histoire. Celle du rap américain des années 90/2000, ingérée, digérée, puis libérée avec tact et intelligence dans des titres surprenants.

 

Un deuxième essai qui va droit au but

    Vous êtes pas contents ? Triplé !, titre emprunté à Kyllian MBappé qui avait lâché cette phrase dans une interview en 2018 à propos de sa position dans l’équipe de l’AS Monaco (on vous laisse aller chercher par vous-même), confirme tout ce qu’on pensait déjà d’Epps. Plus loin encore, cet EP place le rappeur à un niveau qui force le respect. Loin d’être une copie de son premier projet, celui-ci marque une avancée notable. Plus gros, plus ambitieux, tout aussi cohérent et cela au sein d’un univers pourtant bien démarqué du précédent.

Benjamin Epps dans le clip « Vous êtes pas contents ? C’est pareil » par THE NEW VISION

    Eppsito (son surnom) lâche les fauves. Lui seul les dompte, puisqu’aucun featuring n’apparaît sur ce nouvel EP.  100% Epps. Les prods sur lesquelles il pose ont plus de poigne, avec un côté rétro toujours présent, mais cette fois-ci moins appuyé et un peu plus modernisé. Cela dans l’idée de proposer un rap non pas tellement nostalgique, mais tourné vers une démarche d’emprunt à destinée d’une matière neuve. Le rappeur ne cache pas ses obsessions, et joue avec elles intelligemment. Apparaît ainsi King Jay-Z sur « Encore », Nas au niveau du titre et de l’instru de la deuxième track « Drillmatic »,  et d’autres influences davantage enracinées… Ce socle subtilement présent lui permet de se situer dans un espace singulier, et de laisser apparaître sa touche bien personnelle. Cette touche, c’est toujours sa voix et sa manière de la poser, dont il a déjà une parfaite maitrise, sonnant à la fois comme un caprice enfantin et une rébellion mâture. L’inverse fonctionne aussi : une rébellion enfantine et un caprice mature. Il y a dedans autant d’invectives que de douceur latente, comme en prouve le génial morceau « Marathon ». On y ressent une menace planante dans un rêve tranquille.

    Le reste est presque tout aussi bon, et particulièrement « Drillmatic », notre coup de cœur. Mais nous ne sommes pas surpris, puisque son Colors sorti le mois dernier annonçait déjà la couleur. Benjamin Epps révélait à l’époque le dernier morceau de ce nouveau projet, « Ce que le pips demande » et on y sentait déjà le désir de taper un grand coup, et de dynamiser le talent qu’on lui connaissait déjà. Mission réussie. Son premier album sera grand. C’est une garantie.


Brazzier – Lignes Futures

On en approche de vifs pas, de la fin de cette terrible année forte en émotions et rebondissements. Mais pas si vite ! Avant de plonger la tête baissée dans 2021 qui, pour l’instant, ne s’annonce pas bien meilleure que son aînée, il nous reste des choses à vous faire découvrir. Parmi elles, un album sorti le mois dernier : Lignes Futures. Son créateur répond au nom de Brazzier. C’est le feu me direz-vous. Et pourtant, vous n’avez pas encore entendu son projet !

Qu’est ce qui mérite donc de vous retenir ainsi quelques instants ? La promesse de la découverte d’une œuvre affinée comme un bon comté. Alléchant n’est-ce pas ? Lignes Futures ressemble à beaucoup de choses et vit en même temps à la frange de la norme. Il est le premier projet solo de Max Balquier. Premier premier ? Pas tout à fait, car ce dernier est loin d’être novice dans le milieu. Plusieurs expériences musicales passées lui ont insufflé une force et une rigueur créatrice qui, aujourd’hui, font pleinement leurs preuves. Dès les années 2000, au sortir d’années 90 délirantes en matière rock qui l’auront sans surprises influencé, en particulier la scène indie noise, Max Balquier est d’ores et déjà sensible aux sonorités électro. Il forme alors le groupe FRIGO, qui obtient un certain écho dans le milieu puisqu’ils seront signés par Dernière Bande, le label de notre cher aimé Rodolphe Burger (n’hésitez pas à aller voir notre interview de lui !). Deux albums, plusieurs EP. De quoi se constituer un bien beau bagage, ainsi qu’une bien belle expérience live (plus de 200 concerts). Plus tard en 2015, son penchant vers l’électro se concrétise davantage avec son nouveau groupe You, Vicious !, dans lequel on retrouvera certains membres de Frigo. La guitare, la basse et la batterie soutiennent encore le tout. Mais on sent que bientôt, leur présence ne sera plus que spirituelle. C’est aujourd’hui chose faite avec Lignes Futures. Il aura fallu à Max le mode solo pour pleinement faire vivre son amour des sons électro, garants d’une atmosphère non plus terrestre mais cosmique. 

 

Identité dualiste

« Lignes Futures » de Brazzier

L’album fait régner les boucles électro en maître. « L’instinct », parfaite entrée en matière, dans un mélange de flottement mystique et d’urgence lancinante, pose les bases du projet, à savoir un univers futuriste face auquel la pochette, un peu trop propre à notre goût bien qu’en accord avec le thème, garantit de visuellement nous confronter. Max Balquier enveloppe le tout d’une voix nonchalante pour nous livrer ses états d’âmes. Petit à petit, nous nous déracinons à l’écoute de cette musique portée vers un ailleurs que seul l’électro semble pouvoir approcher. De cela naît deux types de réception : l’épanouissement, souple et volatile, ou bien l’effroi, froid et mystérieux. Le mélange des deux est aussi possible. Car l’album de Brazzier est un point de friction. D’une part, il y a la recherche d’un lissage presque protecteur, naviguant parmi les sonorités et le talent de composition, et d’autre part s’y mêle une ambiance désenchantée, flippante tant elle se vêtit d’un caractère grâcieux, qui nous prend à la gorge et qui ne nous lâche pas jusqu’à la dernière chanson. C’est cette dualité, ce mélange entre soin apporté à la musique et peur de la manière dont ce trop parfait finit par sonner, reflet d’un futur monochrome, qui fait l’intérêt de ce projet.

Une œuvre d’anticipation ?

Avec l’idéalisation des univers de science-fiction qui gouverne depuis plusieurs années, Lignes Futures, consciemment ou non, propose une réflexion musicale sur ce monde en devenir loin de faire l’unanimité. Les sonorités utilisées semblent contenir l’image d’un avenir. A vous d’en décider si cette image vous séduit ou, au contraire, vous fout les jetons. Une chose est sûre : c’est avec force et pertinence que Brazzier construit cet ensemble. « Parachute » est peut-être l’exemple le plus parlant, tant le morceau arrive, grâce à ses sonorités, à capter notre attention, au point de nous faire approcher un paradis matrixé.

L’album parvient donc subtilement à rendre compte d’un futur aux prises avec ses contradictions, dont l’appel vers un monde meilleur va de pair avec l’uniformisation des goûts et des esprits. Brazzier semble jouer de cela grâce à une identité sonore façonnée selon cet imaginaire mais qui, au lieu de tomber dans le piège de l’inconsistance, contourne les dangers pour livrer une œuvre intelligente où la sobriété est de mise. S’y déploie dans l’écoute de l’album une tension constante, mise en musique avec justesse de la part de l’artiste. 

 

Décollage imminent

Les compositions sont bonnes, enivrantes et traversées d’une pudeur poétique. Le trio final « Oublions oublions », « Je suis » et le génial « L’équation » rassemblent et résument la diversité d’humeurs et d’émotions que déploient le projet : entre ivresse onirique et enracinement profond, entre amour et désamour, entre contemplation émotionnelle et réveil spirituel…  Le tout appuyé par une production léchée. 

Max Balquier a ainsi  résussi le pari de s’épanouir musicalement en solo, laissant libre cours à ses affections pour l’électro, tout en gardant une base rock qui continue à se faire ressentir. A l’image de la Lune, ces Lignes Futures, tracés d’un avenir mystérieux, vous promettent d’être captivantes.

By Léonard Pottier