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Léonard Pottier

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Rodolphe Burger
 Crédit photo: Julien Mignot

 C’est dans son appartement parisien que Rodolphe Burger a accepté de répondre à mes questions. Attablés, nous discutons pendant plus d’une heure, sans voir le temps défiler. Passionné de son œuvre et de sa carrière, je l’écoute avec attention parler de sa vision du rock. C’est avec étonnement et grande satisfaction de ma part qu’il se livre avec jovialité sur des sujets divers et variés. La discussion se construit autour de thèmes sur lesquels j’ai longtemps souhaité l’entendre parler, notamment sur le son, la production, ses influences, sa vision de la musique… Un moment comme il en est rare, qu’une voix de conte, celle d’un éternel passionné, aura mené avec enthousiasme. Plein d’étoiles dans les yeux au moment de m’en aller, je le quitte avec le sentiment d’avoir franchi une étape : celle d’une ouverture et d’un élargissement de mon horizon musical. Voici donc la synthèse écrite de ce qu’il m’a raconté, aussi bien sur son nouvel album prévu pour le mois de juin prochain que sur son amour pour le son.

 Pour rappel, Rodolphe Burger, né en Alsace et leader du groupe Kat Onoma dans les années 80/90, est un artiste important du paysage musical français, ayant collaboré avec les plus grands: Jacques Higelin, Alain Bashung, Rachid Taha… Dans une démarche indépendante depuis ses débuts, il détient son propre label : « Dernière Bande ». En 2001, il crée un festival « C’est dans la Vallée », à travers lequel il fait vivre de musique la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines en Alsace. Sa carrière solo, conséquente, réputée notamment pour ses albums Cheval-Mouvement et Meteor Show, se poursuit encore aujourd’hui sans limites, et dans un perpétuel renouvellement. 

Je souhaite débuter avec une question assez générale, pour essayer d’en apprendre un peu plus sur vous, surtout pour notre audience qui ne vous connaît pas forcément. Je voulais ainsi savoir ce que vous faîtes de vos journées ? Quel est le quotidien de Rodolphe Burger ?

Rodolphe Burger : Du fait de la démultiplication des projets, je suis rarement désœuvré. Je suis même plutôt sur-occupé, notamment par les concerts. Il y a évidemment les tournées mais à côté de cela, je fais aussi des concerts un peu particuliers qui sont des petites créations. Celles-ci sont liées à des évènements qui demandent beaucoup de préparation. J’ai la chance d’être sollicité et d’avoir régulièrement des propositions qui ne se refusent pas. J’adore les commandes, souvent très stimulantes, qui nous permettent d’aller à des endroits que l’on n’aurait pas soupçonnés.

En effet, vous faîtes beaucoup de scène, pas forcément dans le sens commun du terme, à savoir des concerts classiques, mais vous semblez particulièrement attaché au fait de jouer devant un public, quel qu’il soit, pour divers évènements.

Rodolphe Burger : Oui, c’est une dimension de la musique qui me plaît, le fait que cela se pratique évidemment devant un public mais aussi à plusieurs. Comme je suis dans une démarche indépendante, j’ai une petite équipe avec laquelle on organise quelque fois des évènements plus confidentiels, comme par exemple des « thé dansants ». On ne boit pas de thé et on ne danse pas, mais on se retrouve le dimanche après-midi dans des endroits tenus secrets. Ce genre de projets est vraiment à part. C’est hors promo, hors commande.

 Aussi, j’apprécie beaucoup les passages en studio, le fait que l’on essaye d’être dans une sorte d’état et de dynamique proche de celle du live. Quelque chose de l’ordre de la performance.

Ce que j’aime, c’est cette variété de situations.

Donc si je comprends bien, vous dédiez toute votre vie à la musique ?

Rodolphe Burger :  Tout à fait, cela fait longtemps maintenant. Il y a eu des années où j’étais en parallèle sur la musique et d’autres activités, avant de faire le choix de ne faire que ça. J’ai recommencé à faire de la musique au moment où j’ai débuté l’enseignement de la philosophie. Il y eut plusieurs années où j’étais donc à cheval entre ces deux occupations. C’était étrange, assez inconfortable et en même temps intéressant d’être engagé à 100% dans deux choses qui ne sont pas forcément compatibles.

Actualités

« On a eu envie avec Erik Marchand et les musiciens qui nous accompagnent d’écrire un deuxième chapitre à cette collaboration » 

J’ai vu que vous alliez bientôt entamer plusieurs dates avec Erik Marchand, avec qui vous aviez fait un album en 2004. A quoi doit-on ces retrouvailles ?

Rodolphe Burger :  Oui, il y a un projet nouveau. On a eu envie avec Erik Marchand et les musiciens qui nous accompagnent d’écrire un deuxième chapitre à cette collaboration. Nous avons déjà fait un disque du nom de « Before Bach ». C’était assez étonnant et improbable. On doit ce genre de situations à des circonstances particulières, des amis… Ce sont souvent des résultats inattendus, une chose en provoque une autre. J’avais fait ce disque avec Olivier Cadiot, « Hôtel Robinson », sur l’île de Batz en Bretagne. J’ai donc joué à cette occasion à Morlaix, dans un petit théâtre. J’ai proposé à mon ami Joran Le Corre, qui programme le Festival Panorama, de choisir des invités, parmi lesquels figurait Erik Marchand. S’en est suivi une connexion particulière sur un morceau. Il se trouve qu’à ce concert assistait Jacques Blanc du Quartz de Bretz. Il souhaitait à tout prix un prolongement de cette collaboration. Il nous a alors commandé une création, que nous avons fait dans mon studio en Alsace. S’en est suivi un disque, et des concerts… Nous l’avons rejoué il n’y a pas si longtemps en Bretagne. C’était un grand plaisir de le retrouver et on a vu que le public réagissait encore mieux maintenant. On a donc voulu donner une suite à ce projet, suite que nous avons enregistré il y a quelques semaines, qui donne vie à un nouveau répertoire, que nous allons bientôt présenter en concert. L’album n’est pas encore mixé donc nous n’avons pas encore de date de sortie.

A côté de cela, il y a mon nouvel album solo qui est prévu pour juin mais aussi d’autres projets comme celui avec le Couscous Clan, le groupe que j’avais avec Rachid Taha, que l’on a décidé de poursuivre avec des invités, dont un stupéfiant chanteur de raï : Sofiane Saïdi. Il y aura surement un disque à venir autour de ce projet.

Carrière

« Quand tu écoutes le Velvet, tu ne penses pas à Ornette Coleman, mais de savoir qu’ils allaient écouter sa musique en ayant l’intelligence de ne pas vouloir jouer dans la même cour, montrait qu’ils connaissaient leurs limites. Je veux dire, à aucun moment ils ne se sont pris pour des musiciens noirs » 

Et vous avez un public autour de vous qui vous suit dans n’importe quelle nouveauté et épreuve ? Car vous jouez dans des endroits pas forcément réputés et qui bénéficient de très peu de publicité j’imagine.

Rodolphe Burger :  Oui, bien sûr. Nous sommes à beaucoup d’endroits différents. Moi j’aime beaucoup cela. C’est ce que les situationnistes appelaient la dérive sociale : d’être dans un mouvement, de traverser des situations, des lieux, d’être dans une expérimentation permanente et de ne surtout pas être figé dans un fonctionnement unique. Je crains évidemment la routine.

Vous faîtes partie de ceux qui font le plus de choses diverses et variées, et toujours selon un même esprit. Vos projets semblent se répondre entre eux. On ressent un lien solide, un fil conducteur, une colonne vertébrale bien constituée.

Rodolphe Burger : Oui voilà, c’est ce que j’espère. Je ne pensais pas que cette aventure dans la musique m’amènerait à cela. Comme je le disais il y a quelques minutes, il faut tel projet pour m’amener à faire quelque chose que je pensais impossible. Récemment, j’ai fait une création autour du Lenz de Büchner et je me suis retrouvé à chanter du Schubert, ce que je n’aurais jamais imaginé possible. Dans mon prochain album, il y a d’ailleurs deux lieder de Schubert. J’aime être surpris moi-même par ce que la musique m’amène à faire. Tout cela est guidé par la musique elle-même, par les rencontres. Cette dimension est fabuleuse, car elle ne passe pas seulement par le langage. L’intuition est davantage mobilisée, et suit l’idée d’un mouvement rapide et consistant. Ce n’est pas fumeux. C’est quelque chose de très concret.

 

Before Bach, l’album avec Erik Marchand, le montrait très bien. C’est l’exploration d’une langue, le breton, donc la représentation d’un voyage hors de votre monde, adapté à votre propre identité.

Rodolphe Burger : Cela suppose d’être à la fois à sa place, de ne pas se sentir menacé, et d’être en même temps ouvert au langage de l’autre, curieux. C’est quelque chose qui n’est pas immédiat. Les années Kat Onoma étaient des années bien plus centrées sur nous-mêmes, dans notre laboratoire, à fabriquer notre son et à la recherche d’une identité, au détriment parfois de relations extérieures. C’est plus tard que j’ai pris goût à la rencontre et que j’ai réalisé son importance. Un épisode qui m’a permis d’envisager de faire une création avec Erik Marchand par exemple, c’est l’expérience que j’ai eu au préalable avec un groupe afghan, à Strasbourg, une situation ponctuelle de soutien à l’Afghanistan. C’était un groupe en exil. En répétition je marchais sur des œufs, j’étais inquiet, je me demandais ce que j’allais bien pouvoir faire. J’étais ébloui par leur façon d’articuler les thèmes, et je m’aperçois que tout leur concert est en do dièse. Les variations viennent du rythme, de la mélodie elle-même, sans changements harmoniques. Il a fallu que je trouve une façon de me glisser là-dedans. J’y allais à petit pas, j’étais comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, avec ma guitare électrique, au milieu d’un ensemble acoustique. En fait j’ai découvert qu’ils attendaient une seule chose de ma part : que j’envoie le gros son. Lorsque je m’y suis mis, je les ai vu sourire. Cet épisode m’a en quelque sorte désinhibé. Il faut assumer d’être soi-même, avec ses limites et tout ce qui s’en suit, puis trouver un moyen de communiquer.

C’est ce qui est impressionnant avec votre œuvre. Vous avez une base solide, autour de laquelle vous gravitez sans vous répétez. Quoiqu’il y a cette forme de répétition qu’est la reprise constante de vos propres morceaux, chose à laquelle vous êtes attachés depuis toujours. D’où vient cette obsession ?

Rodolphe Burger : La reprise, c’est quand même le béaba. Au début en tout cas. Les groupes de rock commencent généralement par faire des reprises. C’est l’école des autodidactes. Personnellement, j’ai une pratique de la reprise qui n’est pas vraiment celle-là, même s’il m’arrive d’en faire en tant que pur hommage. La plupart du temps, ce sont des reprises très interprétées. Je trouve que cela permet de raconter quelque chose de plus. On est d’emblée dans un contrepoint. Au fond, j’éprouve la même chose avec mes propres morceaux.

Oui, parce que vous reprenez beaucoup de vos morceaux.

Rodolphe Burger : Oh oui, avec Olivier Cadiot, nous avons au moins 50 versions de « Cheval-mouvement ». Avec Kat Onoma, nous avions déjà cette pratique-là. Quand j’ai fait un disque avec Philippe Poirier récemment qui s’appelle « Play Kat Onoma », dans lequel nous avons repris des anciens morceaux, c’était un grand plaisir. Reprendre Kat Onoma comme si on reprenait les morceaux d’un autre groupe. Au fond, c’était un répertoire.

Vous avez traité vos morceaux d’une manière totalement différente, beaucoup plus calmement…

Rodolphe Burger : Oui, en laissant plus de place au français. C’est un album dédié à Jack Spicer, poète américain qui avait déjà inspiré Billy the Kid, l’album de Kat Onoma. A l’époque, je n’imaginais pas donner autant d’importance au français. Là, ce fut possible. C’est beaucoup plus minimaliste. Il y a cet écart intéressant étant donné que c’étaient des morceaux que nous n’avions pas joués depuis quinze ans. Ce fut enrichissant d’aller à l’os de la chose, de tester ce qui tient, sur quoi cela repose, en quoi cela consiste exactement. D’être dans une épure autant que possible, quitte ensuite à lui donner du développement. Cette démarche du minimalisme, Kat Onoma la pratiquait déjà. Par exemple, cette reprise de « Wild Thing » de Jimi Hendrix : elle tenait sur trois accords, on allait jusqu’au silence puis on repartait de ce silence…

Bouleversant… C’est cette reprise qui m’a fait découvrir Kat Onoma. A l’époque d’ailleurs, je pensais que c’était une chanson originale, et elle m’a fait un effet indescriptible.

Rodolphe Burger : Tu n’es pas le seul à avoir pensé que c’était une chanson originale (rires).

Vous avez également dédié un album entier à des reprises du Velvet Underground. Comment est né ce projet ? Par passion ?

Rodolphe Burger : Par passion évidemment, mais à la base, c’est lié à une commande de création que l’on a faite en live au théâtre de Sète. Ça a été guidé par le plaisir. Je me suis demandé avec qui j’avais envie de faire ça, de me plonger dans ce répertoire merveilleux.

Et encore une fois, vous êtes parvenu à l’intégrer à votre univers.

Rodolphe Burger : Surement, mais en déformant beaucoup moins. C’est investi avec énormément de jubilation et de chaleur, alors que le Velvet s’obligeait à être très froid, s’interdisait le groove, la chaleur. C’était un tel bonheur de réactiver ces morceaux et revérifier à quel point c’est vivifiant, vivant… Alors qu’à l’époque, on avait l’image de quelque chose de morbide.

Le Velvet vous a suivi durant toute votre carrière.

Rodolphe Burger : Oui, oui, le Velvet a été très important, comme une influence, mais surtout comme un exemple. On pouvait projeter beaucoup de choses sur ce groupe. Quand j’ai appris qu’ils étaient fan d’Ornette Coleman, j’ai été à la fois surpris et très content. J’aimais aussi beaucoup cet artiste, même si je l’ai découvert après. Quand tu écoutes le Velvet, tu ne penses pas à Ornette Coleman, mais de savoir qu’ils allaient écouter sa musique en ayant l’intelligence de ne pas vouloir jouer dans la même cour, montrait qu’ils connaissaient leurs limites. Je veux dire, à aucun moment ils ne se sont pris pour des musiciens noirs.

Rodolphe Burger
Crédit photo : Julien Mignot

Nouvel album

« Nous avons enregistré quatre morceaux de Kat Onoma, dont un sera sur l’album, dans une version nouvelle et avec un invité » 

Pour revenir à votre nouvel album que vous avez brièvement mentionné, vous n’avez encore rien annoncé. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?

Rodolphe Burger : Le disque est fini. Je réfléchis en ce moment au visuel. Il sortira en juin. Il y aura une tournée en automne qui suivra.

Il a été enregistré dans votre studio en Alsace ?

Rodolphe Burger : Tout à fait. Entièrement là-bas. Ça a été une expérience incroyable, je n’ai jamais fait un disque de cette façon. Ce qui était inhabituel, c’est l’enchaînement de deux albums solos aussi proches dans le temps.

 On rappelle que GOOD est sorti il y a trois ans, en 2017, et que No Sport, le dernier album solo avant GOOD, remonte-lui à 2008.

Rodolphe Burger : Voilà. Il y a eu plusieurs projets entre No Sport et GOOD, dont Play Kat Onoma, l’album dédié au Velvet et l’hommage à Mahmoud Darwish. Mais en effet, pas d’albums solo. Or, j’étais tellement content de la formation live de « GOOD », ce trio que je forme avec Sarah Murcia et Christophe Calpini, que je leur ai proposé de repartir rapidement en studio enregistrer de nouvelles choses, sans volonté particulière de faire un disque. J’avais quelques idées et tout s’est fait incroyablement vite, dans une entente assez étonnante. J’ai adoré toutes les formations avec lesquelles j’ai tourné. Avec le temps, j’ai pris goût à la forme trio. J’avais trouvé géniale celle de No Sport avec Alberto Malo et Julien Perraudeau. Quand je change de formation, c’est surtout par défi de renouvellement, et non par lassitude. D’ailleurs, je continue à collaborer avec plusieurs musiciens avec lesquels j’ai joué. Je pourrais demain jouer avec Kat Onoma. Il y a quelque chose qui, pour moi, reste toujours là. Quand on a rejoué avec Philippe Poirier par exemple, ce fut immédiat, comme si rien n’avait changé.

Mais pour revenir au nouvel album, je dirais qu’il y a eu l’envie de ne pas s’arrêter en si bon chemin. On a ainsi passé des moments magnifiques dans ce studio. On travaille incroyablement sans s’en rendre compte, c’est un immense plaisir. Le disque s’est fait de cette manière-là, sans que je me pose de questions de cohérence, en m’abandonnant totalement au désir du moment. Je me suis retrouvé avec des morceaux extrêmement disparates, au point de me demander si j’allais parvenir à construire un album.

Vous êtes finalement parvenu à assembler les pièces d’une manière qui vous plaît ?

Rodolphe Burger : Oui, j’en suis très content, c’est un disque extrêmement libre.

Un disque dans la continuité de GOOD ?

Rodolphe Burger : Il y a à la fois des choses qui s’en rapprochent fortement, surtout au niveau du son, cette porte qui s’est ouverte et que je souhaite explorer davantage. Il y a même des morceaux qui vont un peu plus loin dans la même direction il me semble. Et d’autres choses qui sont tout à fait différentes. On peut faire une reprise d’un morceau de rocksteady avec à côté un lieder de Schubert.

 Est-ce que vous reprenez des anciens morceaux à vous comme vous en avez l’habitude ?

Rodolphe Burger : Nous avons enregistré quatre morceaux de Kat Onoma, dont un sera sur l’album, dans une version nouvelle et avec un invité. Mais je ne veux pas encore tout dévoiler, à ce rythme il n’y aura plus de surprises (rires).

Clips et art visuel

« Notre album Far From the Pictures attestait plus ou moins de notre distance par rapport à l’image » 

Parlons d’autres choses alors, je ne voudrais pas être trop curieux (rires). J’ai vu sur votre chaîne Youtube plusieurs clips, parfois étranges, autour de votre précédent album. Le morceau « GOOD » bénéficie par exemple de deux clips. J’ai l’impression que l’un d’eux est plus officiel que l’autre, même si les deux en portent le marqueur.

Rodolphe Burger : C’est une histoire qui me tient à cœur, même si je n’ai pas vraiment communiqué là-dessus. Sur « GOOD » j’ai eu envie de proposer à des jeunes vidéastes issus d’école d’art de réaliser des clips totalement libres. C’était à eux de choisir le morceau qui les intéressait, c’était comme un exercice. Eloigné de toute idée de clip promotionnel. Il y a eu en effet une autre proposition de clip sur le morceau « GOOD », différente de celle qu’avait imaginé Patrick-Mario Bernard, le réalisateur du film GOOD.

Quel est votre rapport aux clips ? Personnellement, j’ai toujours beaucoup de mal, je trouve qu’ils dénaturent quelque chose de la musique, je peine souvent à les regarder. Je préfère écouter le son sans visuel.

Rodolphe Burger : Je suis tout à fait de ton avis. A l’époque de Kat Onoma, on a vu naître l’image comme accompagnement indispensable de la musique. On ne connaissait pas cela, et on était quelque peu réticent. On avait beaucoup de mal. C’était le règne de MTV, M6, des boîtes de pubs qui fourguaient leurs réalisateurs aux maisons de disques. Notre album Far From the Pictures attestait plus ou moins de notre distance par rapport à l’image. Mais ce qui était paradoxal, c’est que l’on disait souvent que notre musique stimulait l’imagination, avait un côté presque cinématographique, qui appelait d’une certaine façon l’image. Aussitôt que l’on figeait des images sur la musique, nous étions distants, dans une sorte de déboire, de conflit… Et en même temps, plusieurs clips anglais ou américains me plaisaient beaucoup. Quelques clips français aussi, mais ils étaient bien plus rares. J’avais vu qu’en Angleterre, les groupes indés comme Cure par exemple faisaient leurs clips avec des potes. Il y avait cette connexion dans la musique anglaise entre le rock et les écoles d’art. C’est quelque chose de très important dans l’histoire même de la pop anglaise. Beatles, Stones, Bowie… Il y avait des liens avec les arts visuels, que nous n’avons pas connu en France. C’est ce que j’ai essayé de faire exister à travers ces quelques clips autour de l’album Good (regroupés sous le nom videobox).

 

Clip alternatif du morceau Good de Rodolphe Burger

 

Mouvement et répétition / Vision du rock

« On a découvert que dans le jazz, il y avait par exemple des figures plus rock’n’roll que dans le rock » 

J’aimerais approfondir cette notion de fixation. Vous disiez ne pas apprécier les choses figées, notamment les clips qui emprisonnent en quelque sorte l’imaginaire de la musique. Vous ressentez la même chose vis-à-vis de vos morceaux, que vous ne cessez de disséquez et de malaxer, comme pour empêcher de les figer à travers une seule interprétation, chose très rare chez les artistes ?

Rodolphe Burger : Pour moi, c’est vraiment le signe qu’un morceau n’est pas mort tant qu’on prend plaisir à le redécouvrir sans cesse. On a envie de vérifier quelque chose, d’aller voir si cela tient toujours et comment cela tient. C’est quelque chose que j’ai aimé chez certains musiciens de jazz, très libres. Je me souviens d’un disque d’Archie Shepp où il reprend du Duke Ellington. Magnifique. Archie Shepp a fait partie de cette avant-garde qui s’est affranchie de la tradition, sans pour autant considérer la musique de Duke Ellington comme une musique morte. Surtout pas. Tout à coup, il fait entendre Duke Ellington d’une façon autre, très belle. J’aime ce geste qui consiste à sauver quelque chose du passé, quelque chose qui n’est pas mort. La musique a ce pouvoir. J’aime assez mettre à mal et dialectiser ces partages entre ce que l’on appelle « grande musique » ou « musique savante » et « musique populaire », entre art noble et art vulgaire. Et donc aussi entre musique occidentale et musique modale, entre l’ancien et le neuf par exemple…

Je dois probablement cela au fait que j’ai recommencé à faire du rock dans les années 80, à un moment de reprise, car j’en avais déjà fait dans ma jeunesse. Tous les membres de Kat Onoma avaient d’ailleurs eu des expériences précoces avec le rock. C’était notre point commun. C’est comme si l’on avait évacué le côté un peu juvénile, cette tendance à vouloir à tout prix casser la baraque façon « roll over Beethoven », qui va évidemment de pair avec le rock, mais qui nous importait moins avec les années passées. On savait pouvoir faire un rock différent. C’est ce qui nous a rapprochés au moment où j’étais à la recherche de musiciens sur la même longueur d’ondes que moi : on avait tous écouté d’autres musiques. On ne se limitait évidemment pas au rock. On a découvert que dans le jazz, il y avait par exemple des figures plus rock’n’roll que dans le rock. Quand tu as vu Ornette Coleman ou certaines formations de free dans la grande époque, tu remarques qu’au niveau de l’attitude et de la radicalité, rares sont ceux qui leur arrivent à la cheville.

Oui, tout est dans l’esprit. Il ne suffit pas seulement de guitares pour faire du rock. C’est une attitude, un mode de pensée.

Rodolphe Burger : Et c’est grâce à cela que notre vision s’élargit. C’est ce qui faisait la force de Kat Onoma. On s’entendait là-dessus.

En ce sens, vous perpétuez l’idée d’un rock intemporel et immortel.

Rodolphe Burger : Disons un rock qui sort de cette naïveté-là. Je refuse d’employer les termes comme « rock adulte » ou « rock sérieux » car ce n’est pas cela dont il s’agit. C’est juste un rock qui se veut moins impulsif et rentre dedans. Or, je ne savais pas si c’était possible. La grande question était de déterminer si cette naïveté n’était pas consubstantielle au rock.

Il y a plusieurs manières de voir le rock. Vous vous rangiez plus du côté de Lou Reed et du Velvet.

Rodolphe Burger : Voilà, c’est ici que le Velvet intervient comme exemple, tout à fait. C’est un groupe phare de ce point de vue-là. Les références s’élargissent, les influences également. Le blues pour Lou Reed, la musique répétitive et d’avant-garde pour John Cale… Et la musique classique également. Tout se mélange d’un coup. Le rock ne se réduit pas à ce genre étroit, qui se voudrait inséparable de l’adolescence et du jeune âge. Et je dis cela sans aucun mépris car il y a des propositions d’adolescents quelquefois fulgurantes. Et c’est souvent aussi la jeunesse qui permet cette fulgurance.

Si l’on s’intéresse au punk par exemple, qui a beaucoup joué sur le côté « tabula rasa », on voit très bien que ce n’est pas le cas. Ce sont des gens qui avaient un background et qui se référaient à des choses très précises.

Tout cela pour dire qu’on ne se reconnaissait dans aucune des visions courtes et clichés qui dominaient en France. On se sentait plus à l’aise dans des démarches et des propositions proches de certains groupes indépendants américains ou encore allemands qui étaient exactement dans la même attitude.

Notre période de tâtonnement et de recherche, avant que l’on commence à enregistrer, s’est étendue sur six ans, entre 80 et 86.

A un moment où le rock était comme qui dirait mis à mal…

Rodolphe Burger : Bah les années 80, c’est l’apparition des synthés et d’une façon particulière d’enregistrer la musique.

A laquelle vous vous opposiez j’imagine…

Rodolphe Burger : Complètement. Nous n’étions pas tellement branchés sur cette scène de la cold wave anglaise. On nous a mentionné Joy Division, que j’adore par ailleurs, mais comme influence… Ce n’était pas du tout le cas. Nous étions davantage connectés à l’Amérique qu’à l’Angleterre par exemple. Et finalement, encore plus à l’Allemagne. Le rapport allemand à la musique, c’est ce qui nous attirait réellement.

Tu vois, l’électro, je me rends compte qu’elle est plus allemande qu’autre chose. Ils sont à la fois mélomanes et ils ont été obligés, eux, de faire table rase et d’inventer quelque chose, de manière radicale. Ils ne pouvaient plus s’appuyer sur le passé.

Vous parlez des groupes tel que Can, Neu ! ou encore Kraftwerk ?

Rodolphe Burger : Oui, ce que l’on appelle le Krautrock. Ce sont des groupes qui ont été très importants pour nous. Nous étions aux avant postes, sur la carte de leur tournée. Donc tous ces groupes, je les ai vus en concert, sans que l’on se dise que c’était quelque chose de radicalement différent. C’était une proposition plus large, qui nous parlait. Il faut se rendre compte que les anglais, lorsqu’ils se trouvaient en manque d’inspiration, se sont rendus là-bas afin d’en regagner.

On pense tout de suite à David Bowie et Brian Eno.

Rodolphe Burger : Il y a une radicalité et une invention sonore. Une profondeur par nécessité. L’Angleterre était irriguée par un folklore. Nous, on ne pouvait pas s’appuyer réellement là-dessus. En tant qu’alsacien, il n’y avait rien. Il fallait chercher ailleurs, s’inventer des racines, se fabriquer son monde.

On fait partie de cette génération Wim Wenders, fascinée par l’Amérique, avec un rapport à la musique du même ordre. Je pense que ce qu’il nous a manqué en Europe, ce sont les noirs. Même dans la grande musique du siècle aux Etats-Unis, on peut dire que toute la country vient d’Allemagne par exemple. C’est une manière vivante de réinventer la musique allemande, au niveau de l’instrumentation, de la thématique… Ce qui est fascinant, c’est de voir ce que les juifs, les immigrés allemands, les noirs, les indiens sont parvenus à faire avec les racines, tout en allant vers une transfiguration. Une nécessité de le transfigurer. Hendrix, on entend que c’est à la fois quelqu’un d’enraciné et un être totalement ailleurs, dans l’espace. C’est une obligation historique dans laquelle se trouvaient les américains. En Europe, il y avait d’emblée quelque chose de vieux…

Rodolphe Burger
 Crédit photo: Julien Mignot

Son et Production

« S’il y a un endroit qui donne à penser, à plein de niveaux, c’est bien le studio » 

A côté de votre rôle de compositeur et d’interprète, vous êtes également reconnu comme producteur.

Rodolphe Burger : Oui, mais j’ai du mal à me qualifier moi-même de producteur. Si je l’ai été, c’est en tant que camarade. Je n’en ferais pas mon métier. J’ai partagé mes expériences. Il est vrai que j’ai produit un bon nombre de projets, mais dans lesquels j’étais impliqué aussi ailleurs, du point de vue de la composition par exemple. Cela a commencé avec Françoise Hardy, puis Jeanne Balibar, Alain Bashung… Mais c’est avec Higelin que je me suis retrouvé dans une situation particulière, celle d’être sollicitée comme réalisateur. J’ai longtemps hésité car c’était une lourde responsabilité. C’était à un moment où il doutait beaucoup et il avait besoin d’aide. Il cherchait un allié, ce qui m’a beaucoup touché. De voir Higelin venir te demander de l’aide, ce n’est pas rien. Le studio en Alsace a beaucoup aidé. C’est un lieu réconfortant dans lequel il se sentait à l’abri, à l’opposé des studios cliniques qu’il détestait par-dessus tout.

Vous dîtes ne pas vouloir être qualifié de producteur, mais s’il y a bien une chose qui fascine dans votre œuvre globale, c’est la qualité hallucinante de la production. D’où vous vient cette exigence pour le son ?

Rodolphe Burger : C’est du goût. Du goût et de l’exigence en effet. J’adore cela, c’est fascinant. Cela m’intéresse philosophiquement. S’il y a un endroit qui donne à penser, à plein de niveaux, c’est bien le studio. Comment se fabrique les œuvres ? Quelle est la place de la technique ? Comment s’articulent plusieurs éléments comme le savoir-faire, l’invention, le hasard, le contrôle, le non-contrôle ? Toute cette espèce de chimie complètement extraordinaire. Il suffit de lire les mémoires de l’ingénieur des Beatles à Abbey Road. Il raconte à quel point c’était une sorte de laboratoire, alliant expérimentations et détournements. J’ai travaillé avec des personnes qui, justement, étaient des as du détournement. Cette démarche renvoie presque à l’essence même de ce qu’est le son rock. Par exemple, la distorsion, fondamentale dans le rock, est au départ une faute, transformée ensuite en détournement. En prise acoustique, la saturation est l’ennemie. Et le rock, tout à coup, fait avec la saturation. Hendrix est allé détourner absolument tout, utilisant l’excès. Qu’est-ce que cela fait quand on met tout dans le rouge ? La musique est un domaine où la créativité technique est permanente. C’est le domaine où il y en a d’ailleurs le plus, après l’armée. Il y a d’ailleurs des rapports très étroits entre les progrès militaires et ceux du côté de la musique. Tout ce qui est radiocommunication, les émetteurs, les compresseurs…

En même temps, ce n’est pas un domaine où l’on peut dire qu’il y a du progrès.

Moins de recherche et beaucoup d’uniformisation à l’heure actuelle, du moins dans ce que l’on met en avant aujourd’hui.

Rodolphe Burger : Il y a le risque que cela s’uniformise évidemment. L’ordinateur fait rentrer tout dans un tuyau très étroit. Et en même temps, c’est d’une commodité incroyable. Tout le monde peut enregistrer un album génial chez soi. Ce qui est beau dans un studio, c’est qu’il y a le dernier cri technologique qui cohabite avec des vieilleries que l’on croyait obsolètes. On cherche aujourd’hui des choses que l’on jetait auparavant. Klaus Blasquiz, le chanteur de Magma, a fait une espèce d’entrepôt de SPA pour le matos de son, qu’il ramasse parfois dans la rue. N’importe quelle pédale a une couleur, une qualité… Les progrès, c’est génial, ça permet de compenser les défauts des trucs d’avant. Cela fait remonter le passé.

L’album Meteor Show a été fait en sollicitant grandement les logiciels, en les amenant dans des zones interdites.

Meteor Show est un exemple de production phénoménal. J’ai rarement entendu autant de recherche et d’exigence dans le son que sur cet album, qui fait d’ailleurs partie de mes œuvres musicales préférées de tous les temps. C’est un album qui a marqué la production en France autant que des œuvres comme Homework de Daft Punk ou encore Moon Safari d’Air.

Rodolphe Burger : C’est gentil de le dire, je le pense aussi. En tout cas, en le faisant, nous avions ce sentiment, d’être à un endroit nouveau. C’était tellement exaltant et fort comme sensation, je m’en souviendrai toute ma vie.

Vous aviez dit à l’époque vouloir atteindre une « futurisation » du son. Un bond dans le temps, c’était l’idée ? Bond qui d’ailleurs, est toujours d’actualité. On ressent encore aujourd’hui cette pulsion futuriste.

Rodolphe Burger : Ah oui oui oui, tout à fait. C’était vraiment lié à des configurations techniques. C’est la première fois où l’on pouvait se servir de l’ordinateur comme magnéto, ce qui nous a permis d’appliquer des traitements au son particuliers et novateurs. Cela ne signifiait pas pour autant que l’on rompait avec la console analogique. Au contraire, on utilisait une console avec des clapets qui permettaient de faire à la main des effets de coupure. Chaque piste a été travaillée en live. Il y a donc ce mélange entre son analogique et son numérique. Tu pouvais ralentir de 50, 100, 200%, et voir ce que cela donnait. Tu finis par avoir un son totalement stupéfiant, qui ne sonne comme rien d’autre. On passait au vitriol des pistes entières.

« En France, il y a des bons interprètes d’accord… Mais ces personnes n’ont souvent aucun sens de l’exploration et de la production. Je ne dis pas que tout musicien doit s’engager là-dedans mais je suis toujours étonné que l’on puisse y être totalement insensible » 

 Cette passion du son se perd j’ai l’impression, vous ne trouvez pas ? Les artistes semblent de moins en moins exigeants de ce côté-là.

Rodolphe Burger : Cela dépend. Pas forcément. Par exemple, Christophe a une passion du son incroyable. Il est comme un gamin. C’est ce qui lui a permis de se détacher de cette case « variété » qui est en même temps sa provenance. L’exemple inverse, celui chez qui il n’y avait aucune recherche de son, parce qu’il s’en fichait, c’était Johnny Hallyday. En France, il y a des bons interprètes d’accord… Mais ces personnes n’ont souvent aucun sens de l’exploration et de la production. Je ne dis pas que tout musicien doit s’engager là-dedans mais je suis toujours étonné que l’on puisse y être totalement insensible. C’est artistique de part en part cette affaire. J’aime travailler avec des techniciens qui sont également des artistes. J’attends d’eux une sensibilité. Nous partageons une oreille ensemble.

Je souhaitais également vous parler de la qualité d’enregistrement de vos concerts. Je pense notamment à ceux de Kat Onoma, Happy Birthday Public ou Live at la Chapelle. Des albums live d’aussi bonne qualité, ça n’existe pas normalement (rires). Quel est le secret ?

Rodolphe Burger : C’est vraiment lié aux personnes avec qui l’on travaille, plus qu’au matériel. Ce n’était pas un matosexceptionnel. Rien d’extravagant. On peut faire avec peu des choses qui sonnent formidablement. Il y a de moins en moins de règles par rapport à cela. Des personnes comme Rick Rubin me fascinent, dans ce qu’il a réussi à faire avec Johnny Cash n otamment. C’est sublime. Moi j’aime bien Johnny Cash mais je ne tombe pas de ma chaise à chaque fois que j’entends un de ses morceaux. Avec Rick Rubin, c’est différent. Là tu tombes littéralement de ta chaise. Il est parvenu à enregistrer cette voix comme jamais personne ne l’avait fait. C’est extraordinaire de présence.

J’avoue davantage connaître Bob Dylan…

Rodolphe Burger : Pour Bob Dylan, c’est sur son album Oh Mercy que la magie opère. Ses albums sont souvent variables en terme de production. Avec celui-ci, il atteint un sommet. Je me souviens de l’effet qu’il m’a fait, indescriptible. Et l’on doit cela à Daniel Lanois. Il y a ce morceau… Je ne me souviens plus de son nom…

« Man in the long black coat » ?

Rodolphe Burger : Oui voilà, c’est formidable. La voix, c’est du fil de fer barbelé. Je l’ai fait écouter à l’ingénieur du son avec qui j’ai fait mon premier album « Cheval Mouvement » en guise d’exemple et de modèle. Daniel Lanois est le premier à avoir remis la console au centre du processus d’enregistrement et à rompre avec cette séparation des années 80, complètement clinique, où les studios ressemblaient à des cabinets de dentiste. Les musiciens venaient enregistrer chacun leur tour. Dylan lui-même a été déconcerté par la façon de travailler de Lanois. C’était le retour de l’art du live en studio.

« Lulu, l’album de Lou Reed et Metallica, je le trouve évidemment merveilleux » 

Dans les années 80, donc avant Oh Mercy, la musique de Bob Dylan était au plus mal. On a perdu Bowie à ce moment-là. Lou Reed est le seul à avoir plus ou moins survécu à ces années dévastatrices, bien qu’il eut été impacté également. On l’entend dans le son de ses albums d’ailleurs (The Bells, Growing Up in Public, Legendary Hearts…)

Rodolphe Burger : Il y a quand même cet album… Mistrial, pas très fameux (rires).

C’est vrai, mais Lou Reed a gardé une sorte de constante assez impressionnante. En ce sens, je le rapproche souvent de vous, car j’y vois des parallèles entre son œuvre et la vôtre : cohérence de l’œuvre globale, exploration, passion du son, identité unique. J’imagine que vous avez suivi et admiré la carrière de Lou Reed.

Rodolphe Burger : Enormément. Lou Reed, c’est considérable. J’ai eu un moment l’opportunité de le rencontrer. Mais je n’ai pas voulu, car j’avais trop peur. J’ai lu tellement de récits autour de lui.

J’ai une dernière question qui me tient à cœur, notamment pour connaître l’avis du fan de Lou Reed que vous êtes. J’ai procédé à un classement des meilleurs albums de la décennie en décembre dernier, dans lequel votre album GOOD apparaît d’ailleurs en trentième position, et j’ai pris le risque de mettre Lulu, le projet de Lou Reed en collaboration avec Metallica, en première place. On sait à quel point cet album est controversé. Je voulais savoir votre avis sur cet album.

Rodolphe Burger : Je le trouve évidemment merveilleux. Je ne comprends pas pourquoi il s’est fait lyncher de cette manière. C’est juste super.

Je pense que l’on peut s’arrêter ici. Merci beaucoup Rodolphe Burger, ce fut un immense plaisir.

Rodolphe Burger : Merci !

Voici une sélection personnelle de morceaux de Rodolphe Burger et Kat Onoma, si vous souhaitez (re)découvrir son oeuvre. Cette playlist a été pensée pour être écouté dans l’ordre suivant :

« Petit Vagabond » – Kat Onoma (Live at la Chapelle)
« Le déluge (d’après moi) » – Kat Onoma (Far From the Pictures)
« Ensemble » – Rodolphe Burger (No Sport)
« Cheval-jungle » – Rodolphe Burger (Meteor Show)
« Wild Thing » – Kat Onoma (Cupid)
« C’est dans la vallée » – Rodolphe Burger (Valley Session)
« Old Trouble » – Kat Onoma (Live at la Chapelle)
« Try to understand » – Rodolphe Burger, Olivier Cadiot (Welche)
« John and Mary » – Kat Onoma (Far From the Pictures)
« Happy Hour » – Rodolphe Burger (GOOD)
« House People » – Rodolphe Burger, James Blood Ulmer (Guitar Music
« Passe/donne » Rodolphe Burger (Valley Session)
« B à Batz » – Rodolphe Burger, Olivier Cadiot (Hotel Robinson)
« Be Bop de Beep » – Rodolphe Burger, Philippe Poirier, Julien Perraudeau (Play Kat Onoma)

 

 Denis Lavant n’est plus à présenter. Immense acteur (inséparable de Leos Carax) et comédien, il a maintes fois eu l’occasion de prouver son talent et sa facilité de jeu. Homme du corps et de l’expression physique, il n’en est pas moins un bon orateur, doté d’une voix aux multiples facette qu’il sait manier. On le retrouve en ce moment au Lucernaire aux côtés de trois musiciennes (une pianiste et deux percussionnistes : Mara Dobresco, Elisa Humanes, et Salomé Bonche) dans une pièce intitulée « Il faut donc que vous fassiez un rêve », mise en scène par Volodia Serre et d’après Journal en miettes d’Eugène Ionesco et plusieurs poèmes de Marin Sorescu.

 Dans une ambiance confidentielle à l’atmosphère intime et conviviale, la salle rouge du Lucernaire a sublimé cette semaine un grand moment de théâtre. A taille humaine, elle a accueilli et pris en charge pendant un peu plus d’une heure le charisme bouleversant de Denis Lavant. Un charisme enfantin, dans un corps d’adulte vitaminé.

 

A la recherche du bonheur perdu

 Il fait son entrée sur le bord de la salle, au niveau du public. Tous les visages se tournent et restent figés pendant plus de cinq minutes, émerveillés par le monologue touchant d’un personnage qui avoue avoir perdu le goût de la vie. Denis Lavant le porte avec la plus grande justesse d’interprétation, à se demander si finalement, il ne parlerait pas aussi de lui. La question reste en suspense. Le reste de la pièce se déroulera évidemment sur scène, et tracera la quête du personnage vers la joie et le bonheur. D’un homme laissé sur le bas-côté, il tentera de s’imposer au centre de la scène, à travers un parcours tumultueux, allant de l’insouciance enfantine à l’oppression du temps. « Il faut donc que vous fassiez un rêve », celui qui expliquera tout, et qui sera en mesure de le sortir de son état de congestion…

 Hanté par de perpétuelles angoisses que les musiciennes se proposent de prendre en charge, Denis Lavant incarne de tout son corps et de son esprit la difficulté qu’est de vivre. Questionnements, doutes, peurs, insécurité sont de la partie : des angoisses qu’il ne peut contrôler, propres à la vie et donc communes à tous, dictent son quotidien. Parallèlement, il tente de se sortir de ce cercle vicieux en se replongeant dans le jeune âge, où les choses qui nous entourent n’ont pas encore franchi la barrière de l’insignifiant. On sort de l’enfance lorsque les choses ordinaires de la vie perdent de leur superbe, et deviennent communes, sans attraits nous dit-on.

 

                                     Source: lucernaire.fr

Une décor évolutif

Le décor participe à cette émergence d’une recherche de joie et de vie. Il se construit au fur et à mesure, par l’acteur lui-même qui se charge de déballer devant nos yeux tous les rouages d’une mise en scène bien pensée. Denis Lavant se presse de revenir sur son passé, et l’urgence de la situation nous prend aux tripes. On le suit avec tout autant de peine que de joie dans sa tentative de libération. La pièce centrale qu’est le lit, l’endroit le plus intime de l’être humain, favorise le déroulement de ce récit personnel, grâce à une occupation de l’espace parfaitement maîtrisée : en bas, en haut, en longueur, en largeur… Le personnage aura été vu sous tous les points de vue possibles.

 

Une place de premier choix pour la musique

 La musique en live, qui alterne entre rêverie et retour brusque à la réalité, confère à la mise en scène une part de mystère. Les percussionnistes utilisent des objets du quotidien pour créer une ambiance oppressante, et attaquent de plein fouet un personnage tiraillé, qui n’a pour soutien invisible que le public. A la fois hors et à l’intérieur de la diégèse (l’espace-temps dans lequel se déroule la fiction racontée), les musiciennes évoluent avec Denis Lavant, et finissent même par être enfin dévoilés à sa vue. Il voit enfin la source de son enfermement. Porté par des musiques contemporaines (Philipp Glass, John Cage…), le récit alterne entre narration vacillante et lectures de poèmes, que Denis Lavant soutient avec la plus belle force émotionnelle. Ces poèmes, qui viennent à lui de manière impromptue à chaque instant de sa vie, lui permettent de déchiffrer un peu mieux le monde dans lequel il grandit, et semble être un léger remède à sa souffrance. Lorsqu’il lit un poème à des chaises empilées, dont il dit qu’elles sont la meilleure oreille (quand on les place correctement l’une par-dessus l’autre), on y sent une conviction bénéfique, qui lui permet de trouver un bonheur partiel.

 

L’ambivalence des sentiments

 L’espace qui évolue (on nous dévoile au fur et à mesure mille et un objets) en même temps qu’il reste le même (on ne sort pas de cette chambre de grenier) traduit cette perpétuelle lutte entre un besoin de joie sous forme de feu d’artifice et d’emprisonnement intérieur qui empêche d’atteindre ce bonheur. La pièce semble ainsi construite, sur un modèle de confrontation : un texte empreint de douleur et de fantaisie, un combat entre jeunesse et âge adulte, entre démons et lumières, entre comique et dramatique, lenteur et dynamisme… Denis Lavant joue un personnage qui porte en lui l’ambivalence de l’être humain. C’est avec sincérité et émotion que l’acteur incarne donc ce rôle bouleversant que la mise en scène parvient à sublimer. Sa voix magnétique nous emporte dans les tréfonds d’une âme torturée qui aspire à la plus belle des choses : une émancipation totale.

 Après un calme démarrage (pour l’instant seulement 5 représentations au Lucernaire) On espère que la pièce reviendra rapidement faire ses preuves dans les salles parisiennes. Néanmoins vous pourrez la retrouver le samedi 21 mars 2020 au théâtre Edwige Feuillère à Vesoul (Bourgogne –Franche Comté).

 

Léonard Pottier

 

 Comme chaque année maintenant, Jean-Louis Murat s’apprête à sortir un nouvel album ! Quelle joie et satisfaction pour ses fans et admirateurs que d’être attaché à un artiste aussi prolifique. Ils sont servis, et surtout presque assurés de bénéficier d’une œuvre à la hauteur des espérances. Car Jean-Louis Murat fait partie de ceux qui déçoivent rarement, et surtout qui ne se font pas attendre. Qu’est-ce que cela fait du bien dans cette époque où cinq années de pause entre deux projets sont devenues presque banal, et où les prestations live/tournées s’étendent de plus en plus, laissant aux artistes l’opportunité de ne pas retourner en studio.

Plus rien à prouver, mais toujours aussi présent et intéressant

 Le chanteur auvergnat, qui comptabilise maintenant près de 30 albums studios, est bien au-dessus de tout cela et fait les choses comme il l’entend. Il n’en a pas terminé de nous surprendre. Car l’une de ses particularités est de toujours savoir se renouveler, malgré un style déjà longuement exploré. Rien ne l’arrête, rien ne lui fait peur, et il a surtout le courage et le mérite de ne jamais perdre en créativité.

BABY LOVE

 « Baby Love », son nouvel album qui paraîtra le 06 mars prochain, a tout l’air d’un énième projet aux multiples facettes, facilement abordable mais rempli de mystères intimes. Deux extraits déjà disponibles, ainsi que la pochette au look très kitch et flashi (que l’on apprend à l’apprécier avec le temps), nous prouvent bel et bien que l’artiste est reparti pour une nouvelle exploration ! Son précédent album studio, « Il Francese », lors de tentatives expérimentales alliées à un style toujours aussi maîtrisé, m’avait déjà agréablement surpris. Et je n’ai aucun doute sur la qualité de ce nouveau projet à venir.

 

« Troie » et « Si je m’y attendais », deux titres déjà disponibles

 « Troie » engage des sonorités connues, converties au style Muratien, dont la voix, le ton et les paroles, qui ne perdent jamais de leur force malgré leur éternelle répétition, permettent de se raccrocher à l’identité unique d’un artiste reconnaissable parmi des millions. Il en va de même pour le deuxième extrait « Si je m’y attendais », qui rejoint davantage l’ancien Murat, plus classique, mais toujours aussi plaisant et pertinent.

 En attendant l’album complet, voici d’ores et déjà sa pochette ainsi que sa tracklist, qui ne seront certes pas suffisants jusqu’à la sortie de « Baby love », mais qui on l’espère vous donneront l’envie folle de vous (re)plonger dans l’univers d’un véritable artiste qui a encore tant à donner. Rendez-vous le 06 mars !

Album "Baby Love" Jean Louis Murat

Tracklist:

01 – Troie
02 – Le mec qui se la donne
03 – Le reason why
04 – Réparer maison
05 – Montboudif
06 – La Princesse of the Coco
07 – Rester dans le monde
08 – Xanadu
09 – Ca c’est fait
10 – Si je m’y attendais
11 – Tony Joe

  Le voici, le voilà, notre classement des meilleurs albums de la décennie ! Après dix années intenses de création musicale, nous avons pu faire le tri et vous proposer les 100 projets qui nous ont personnellement marqués. De toutes les années et de tous les genres, ces albums disent chacun quelque chose sur cette époque musicale en particulier et témoignent d’une inventivité moderne propre à cette décennie. Entre anciens et nouveaux artistes, le mélange de générations donne de l’ampleur à ces années de création. Il montre que cette époque artistique a vécu dans la cohésion et le partage, où beaucoup d’artistes, qu’ils soient jeunes ou vieux, rockeurs ou rappeurs, ténébreux ou ensoleillés, violents ou calmes, avaient quelque chose à partager. C’est cette répartition qui a notamment fait la force de cette décennie. Et nous espérons qu’il en sera de même pour celle à venir !

   En attendant, voici notre classement, qui vous fera peut-être découvrir des pépites devant lesquelles vous étiez passés à côté. C’est le moment de vous rattraper !

 

100. DEMOLISHED THOUGHTS  (2011) / Thurston Moore

 

99. IT’S A PLEASURE (2014) / Baxter Dury

 

98. LOUD HAILER (2016) / Jeff Beck

 

97. EVERYTHING IS BORING AND EVERYONE IS A F*****G LIAR(2011) / Spank Rock

 

96. 7 DAYS OF FUNK (2013) / 7 days of funk

 

95. TETRA (2012) / C2C

 

94. HOW TO BE A HUMAN BEING (2016) / Glass Animals

 

93. TAKE CONTROL (2016) / Slaves

 

92. NEKFEU  (2016) / Cyborg

 

91. THE CHURCH (2014) / Mr Oizo

 

90. DAKHLA SAHARA SESSION (2017) / Cheveu, Group Dech

 

89. SKELETON TREE (2016) / Nick Cave and the Bad Seeds

 

88. A DEEPER UNDERSTANDING (2017) / The War on Drugs

 

87. L’OISELEUR  (2018) / Feu! Chatterton

 

86. LE VOYAGE DANS LA LUNE (2012) / Air

 

85. FLIP  (2017) / Lomepal

 

84. THE OOZ (2017) King Krule

 

83. THE GOLDEN AGE (2013) / Woodkid

 

82. COMEDOWN MACHINE / The Strokes

 

81. ALEPH (2013) / Gesaffelstein

 

80. MR WONDERFUL (2015) / Action Bronson

 

79. FREEDOM’S GOBLIN (2018) / Ty Segall and the Freedom band

 

78. THE LIFE OF PABLO (2016) / Kanye West

 

77. BLOOD PRESSURES (2011) / The Kills

 

76. HUNTER (2018) / Anna Calvi

 

75. BLACKSTAR (2016) / David Bowie

 

74. IGOR (2019) / Tyler, the Creator

 

73. NOGANON INFINITY  (2016) / King Gizzard

 

72. THANK ME LATER (2010) / Drake

 

71. CONTRA (2010) / Vampire Weekend

 

70. LES FAUBOURGS DE L’EXIL (2016) / Nicolas Ker

 

69. THIS IS ALL YOURS (2014) / Alt-J

 

68. PHOSPHENE DREAM (2010) / The Black Angels

 

67. 48:13 (2014) / Kasabian

 

66. CHANNEL ORANGE (2012) / Franck Ocean

 

65. TELL ME I’M PRETTY (2015) / Cage the Elephant

 

64. SOMETIMES I SIT AND THINK, AND SOMETIMES I JUST SIT (2015) / Courtney Barnett

 

63. HIP HOP AFTER ALL (2014) / Guts

 

62. THE ENGLISH RIVIERA (2011) / Metronomy

 

61. AWAKEN MY LOVE (2016) / Childish Gambino

 

 

60. RTJ 2 (2014)Run the Jewels

 

59. CRAVE (2018) / Léonie Pernet

 

58. BLIZZARD (2013) / Fauve

 

57. WHAT WENT DOWN (2015) / Foals

 

56. GHOSTEEN (2019) / Nick Cave and the Bad Seeds

 

55. NO HOME RECORD (2019) / Kim Gordon

 

54. BUILT ON GLASS (2014) / Chet Faker

 

53. SMOTE REVERSER  (2018) / Oh Sees

 

52. DOLZIGER STR.2  (2015) / Odezenne

 

51. LIKE CLOCKWORK (2013) / Queens of the Stone Age

 

Nos 50 meilleurs albums !

 

50. TEMPEST (2012) / Bob Dylan

 

49. MODERN VAMPIRES OF THE CITY (2013) / Vampire Weekend

 

48. MUSIC COMPLETE (2015) / New Order

 

47. THREE CHORDS AND THE TRUTH (2019) / Van Morrison

 

46. CURRENTS (2015) / Tame Impala

 

45. VIRTUE (2018) / The Voidz

 

44. SCARIFICATIONS  (2015) / Abd Al Malick

 

43. LET ENGLAND SHAKE (2011) / PJ Harvey

 

42. PHILIPPE KATERINE (2010) / Philippe Katerine

 

41. SOUTH OF REALITY (2019) / The Claypool Lennon Delirium

 

40. BABEL (2014) / Jean-Louis Murat

 

39. MAGNA CARTA HOLY GRAIL (2013) / Jay-Z

 

38. THE PALE EMPEROR (2015) / Marilyn Manson

 

37. BROTHERS  (2010) / The Black Keys

 

36. FALSE IDOLS (2013) / Tricky

 

35. MAN ON THE MOON 2 (2010) / Kid Cudi

 

34. DIFFERENT PULSES (2012) / Asaf Avidan

 

33. HOW I GOT OVER (2010) / The Roots

 

32. FUZZ II (2015) Fuzz

 

31. FLYING MICROTONAL BANANA (2017) / King Gizzard and the Lizard Wizard

 

30. GOOD (2017) / Rodolphe Burger

 

29. REFLEKTOR (2013) / Arcade Fire

 

28. AFTERSHOCK (2013) / Motörhead

 

27. PSYCHEDELIC PILL (2012) Neil Young and Crazy Horse

 

26. THIS IS HAPPENING (2010) / LCD Soundsystem

 

25. LA PLUME ET LE BRISE-GLACE  (2015) / Lucio Bukowski, Anton Serra et Oster Lapwass

24. SNIPER (2012) / Alan Vega, Marc Hurtado

 

23. POPULAR PROBLEMS (2014) / Léonard Cohen

 

22. LA TAILLE DE MON AME (2011) / Daniel Darc

 

21. LULLABY AND… THE CEASELESS ROAR (2014) / Robert Plant

 

20. GOOD KID, M.A.A.D CITY  (2012) / Kendrick Lamar

 

19. TYRANNY  (2014) / Julian Casablancas and The Voidz

 

18. ICI LE JOUR (A TOUT ENSEVELI) [2015] / Feu! Chatterton

 

17. GET TO HEAVEN (2014) / Everything Everything

 

16. FLOWER BOY (2017) / Tyler, the Creator

 

15. MANIPULATOR (2014) / Ty Segall

 

14. AUDIO, VIDEO, DISCO (2011) / Justice

 

13. NOTHING (2010) / N.E.R.D

 

12. THE EPIC (2015) / Kamasi Washington

 

11. SPIRITUAL SONGS FOR LOVERS TO SING (2016) / Lost Under Heaven

 

Notre top 10 !

 

10. THE MOSONTO YEARS (2015) / Neil Young + Promise of the Real

   On le sait, Neil Young se bat depuis toujours pour l’écologie. Et il ne l’a jamais aussi bien fait qu’à travers cet album politique. Dénonçant les pratiques aberrantes de l’entreprise agricole américaine Monsanto, Neil Young accompagné du groupe Promise of the Real, se sert d’un rock déchaîné et extrêmement bien écrit pour hurler sa légitime colère contre une des sociétés les plus dangereuses du monde. On y ressent la rage brûlante, et en même temps l’énergie collective et dévorante d’une troupe enjouée. Cette œuvre militante habitée par le rock réveille nos sentiments contestataires, et nous investit d’une toute puissance à travers des morceaux jouissifs. A écouter d’urgence ! Une œuvre importante de notre temps.

 

9. A STATE OF WAR (2013) / Poni Hoax

   Le groupe de rock français le plus talentueux de la décennie a décidé en 2013 de nous offrir son ultime chef-‘d’œuvre : A State of War. Apogée d’un style unique, cet album regroupe toutes les qualités du groupe mené par l’intriguant Nicolas Ker. Avec sa voix magnifique, le chanteur porte avec grâce des morceaux fabuleux. Inspiré de David Bowie, dont on sent la présence cachée sur tout l’album, Poni Hoax redonne vie et ampleur au rock qu’ils admirent, et cela de la plus belle des manières. Une œuvre essentielle de la décennie, qui plus est française ! On adore.

 

8. GLOW  (2013) / Jackson and his computer band

   OVNI du genre, Glow s’impose pourtant comme l’un des plus belles œuvres de musique électronique. Jackson and his computerband est très peu actif dans le monde de la musique, mais quand il intervient, c’est pour une bonne raison. Avec ce deuxième album, l’artiste français nous dévoile pleinement son univers sombre et étrange. Jackson mélange différents sons pour créer une œuvre dérangeante. Maitrisé à la perfection, Glow se compose de 12 titres révolutionnaires, qui viennent apporter une touche de malaise à la musique électro. Au-delà de la surprise et de l’étonnement, car la musique de Jackson ne ressemble à rien d’autre, il y a quelque chose d’enfoui profondément dans cette œuvre, qu’il est nécessaire de creuser à plusieurs reprises pour y trouver la source de cette magie noire qui vous fera définitivement tomber amoureux. Jackson n’est pas là pour faire plaisir, mais lorsque ses morceaux commencent à avoir de l’impact sur vous, il est difficile de s’en décrocher.

 

7. RTJ 3 (2016) / Run the Jewels

   « El-P and Killer Mike wrote this shit » peut-on lire sur la version physique de l’album. Si « shit » signifie « bijou », alors nous sommes totalement d’accord ! RTJ 3, troisième album du duo Run the Jewels, est un monstre de technique, de production et de compositions. Ce dernier projet en date regroupe tout le talent de deux rappeurs de génie. Leur flow percutant s’allie à des morceaux extrêmement puissants. Tout est dans le rythme et l’énergie. RTJ 3 est un énorme coup de poing/coup de feu (d’où leur logo que l’on retrouve sur la pochette), façonné selon l’esprit à la fois direct et recherché de deux maîtres du rap game. Un album important de la décennie, qui révèle à travers des morceaux intelligents quelque chose du rap : sa sincérité.

 

6. AN AWESOME WAVE (2012) / Alt-J

   Qui, aujourd’hui, n’a jamais entendu parler d’Alt-J ? L’ascension fulgurante de ce jeune groupe britannique n’aura échappé à personne. Avec un premier album grandiose sorti en 2012, Alt-J s’est directement imposé comme l’une des plus belles découvertes de la décennie. An Awesome Wave est une vraie proposition musicale qui explore de nouvelles contrées. La voix du chanteur, unique en son genre, est incontestablement le principal atout du groupe. Mais plus que cela encore, les mélodies qui se dégagent de ce premier projet nous font ressentir toute l’intensité d’un univers musical magique et déjà parfaitement établi. Alt-J fait partie des rares groupes ayant encore quelque chose d’intéressant à proposer. An Awesome Wave est leur premier et ultime chef-d’œuvre. Lorsque les groupes mettent la barre trop haute, il est ensuite difficile d’élever le niveau. Ce premier album flotte maintenant dans l’espace, nul n’oserait aller s’y confronter. C’est un joyau du monde de la musique, défense d’y toucher !

 

5. WHAT THE WORLD NEEDS NOW (2015) / Public Image Limited (PiL)

   “What the world needs now is another fuck off”. Ce sont les mots que scande John Lydon dans le dernier morceau de cet incroyable album sorti en milieu de décennie. Un véritable doigt d’honneur au monde de merde sur lequel il crache légitimement. L’ex chanteur des Sex Pistols n’a rien perdu de son esprit rebelle et nous le prouve ici avec brio. Public Image Limited, formation post Sex Pistols et avec laquelle John Lydon continue à emmerder la société et à exprimer sa liberté musicale depuis plusieurs dizaines d’années, fait de son dernier album en date un appel à la folie et au lâcher prise. Incisif, What the World Needs Now constitue l’apogée d’un rock libre et brillant. Il porte une nouvelle fois le mot “bollocks” sous la lumière. L’esprit punk y est retravaillé, à travers des compositions très élaborées qui semblent converger vers un unique but : redonner au rock sa force de frappe pour ne pas oublier qu’il est le principal acteur, dans le monde musical, de la lutte contre la haine et les injustices. What the World Needs Now est donc une œuvre primordiale de cette décennie.

 

4. MY BEAUTIFUL DARD TWISTED FANTASY (2010) / Kanye West

   Sorti en tout début de décennie, My Beautiful Dark Twisted Fantasy a-t-il involontairement clôt le rap avec une œuvre indépassable ? Personne n’est encore jamais allé aussi loin. Depuis, tout tourne en rond, tout se répète, très peu osent explorer. Même Kanye West est aujourd’hui perdu et en manque d’inspiration (il est surtout devenu fou). A l’heure où il avait encore toute sa tête et son talent, il pouvait faire des miracles. Cet album en est la preuve. Rien n’est plus fort en la matière que cette œuvre hors pair qui combine tous les secrets d’un genre jusque-là sous exploité. Cet album l’emmène enfin toucher le ciel, non pas de manière religieuse comme l’artiste en question essaye ridiculement de le faire à l’heure actuelle, mais bel et bien en partant d’une démarche purement artistique. La puissance de l’album se ressent dans la grandeur des morceaux, tous aussi excellents les uns que les autres. Kanye West libère le rap et le porte très haut, ouvrant la porte vers une dimension immense, chose qu’il avait commencé à faire avec 808s and Heartbreak. Malheureusement, il aurait fallu plus d’albums comme celui-ci pour affirmer que ce genre qui explose les compteurs a pleinement vaincu. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Les chiffres ne suffisent pas. Ce qui était là pour insuffler le désir de révolution a-t-il fini par devenir l’apogée même de sa propre destinée ? La décennie à venir nous montrera-t-elle que le rap en a encore dans le ventre ? Même si My Beautiful Dark Twisted Fantasy est extraordinaire en tous points, nous refusons qu’il demeure indéfiniment l’œuvre ultime d’un genre qui a tant à offrir.

 

3. PLASTIC BEACH (2010) / Gorillaz

   L’apogée d’un groupe devenu essentiel à la musique. Plastic Beach signe la mort de Gorillaz en s’inscrivant comme l’œuvre la plus aboutie et la plus extraordinaire du projet de Damon Albarn. Nous savions qu’après cela, plus rien ne compterait. Le groupe est allé si haut que leur future chute était déjà annoncée (ils le confirmeront avec l’atroce Humanz quelques années plus tard). Plastic Beach est l’œuvre ultime d’un groupe monstrueux, qui a participé à l’essor d’une musique totalement moderne et originale. Tout y est parfaitement maitrisé, des compositions fabuleuses à une production à couper le souffle. Un mélange de styles tous adoptés de la plus magique des façons. Entre Lou Reed et Snoop Dogg, l’album navigue dans les profondeurs de la musique et en revient avec les plus beaux trésors découverts. Plastic Beach mérite sa place parmi les meilleures créations musicales de la décennie, et s’affirme comme l’un des piliers de la musique moderne. C’est un voyage sans garantie de retour.

 

2. LYF (2011) / Wu Lyf

   Wu Lyf aura été la découverte musicale de l’année 2011. Avec un premier album aussi bouleversant que Go Tell Fire to the Mountain, le jeune groupe anglais avait de quoi nous surprendre. L’ovni musical qu’est ce projet n’aura pas manqué de nous intriguer de début jusqu’à la fin des années 2010, en particulier cette voix magnifique et torturée de Ellery James Roberts (qui formera plus tard le duo Lost Under Heaven). A travers des morceaux somptueusement étranges, Wu Lyf nous emmène dans un paysage sauvage à l’atmosphère angoissante. Un voyage sonore duquel vous ne ressortirez pas indemne. Malheureusement, le groupe est aujourd’hui dissout et n’aura pas l’occasion de nous faire jouir une nouvelle fois. Néanmoins, la force de frappe de Go Tell Fire to the Mountain devrait nous satisfaire pour au moins une autre décennie, si ce n’est plus. Une deuxième place méritée, d’autant plus renforcée par le prix de la meilleure pochette d’album de la décennie !

 

1. LULU (2011) / Lou Reed x Metallica

   Il est enfin temps de rétablir la vérité concernant le projet le plus controversé de la décennie. Un album qui a reçu à sa sortie une critique acerbe futile et malhonnête. Mettons les choses au clair : Lulu est LE chef-d’œuvre de la décennie. Lulu est immense, et très importante. Le projet de Lou Reed (accompagné de Metallica, et pas l’inverse) n’a pas à se cacher de quoi que ce soit, puisqu’il offre à la musique son plus grand éclat. Jamais un album n’avait ainsi été porté par autant d’ampleur et de beauté. Il transperce et bouleverse les esprits. Les compositions extraordinaires, mêlées à la voix bouleversante du chanteur, font de lui une merveilleuse démonstration de force, qu’aucun ne pourra jamais prétendre dépasser. Mais au-delà de cela, il y a quelque chose d’inexplicable qui vit dans cette œuvre, un sentiment impromptu de toute puissance, comme si Lou Reed avait enfin touché la note défendue, celle qui fait basculer le génie dans un monde hors de notre perception. Lou Reed est passé de l’autre côté, vers un ailleurs auxquels très peu ont eu accès avant lui. Il repose désormais parmi ceux qui ont révélé quelque chose d’autre au rock, et qui ne l’ont pas considéré comme un simple genre musical, mais plutôt comme le mode de pensée et de réflexion ultime. Lou Reed a ici terminé sa fusion avec le rock, il en est désormais la plus juste incarnation. Un énorme merci pour cette œuvre phénoménale. Bowie avait raison. Il faudra du temps pour qu’elle soit reconnue à sa juste valeur. Un conseil : ne le prenez pas comme un album de métal, ce n’en est pas un. C ’est un album de Lou Reed, rien d’autre.