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Léonard Pottier

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Album "BABY LOVE", Jean-Louis Murat
Album « BABY LOVE », Jean-Louis Murat – PIAS France

 Fidèle à lui-même, Jean Louis Murat poursuit son chemin avec la plus remarquable des élégances.  Si l’on se réfère à son rythme constant (un projet par an) depuis un sacré moment maintenant, BABY LOVE sera son œuvre de 2020. Inammorato, celui de l’année précédente, présentait quelques nouvelles chansons, mais était principalement composé de versions live. C’est ici un tout nouvel album que nous offre le chanteur auvergnat, dont le talent n’est plus à prouver. Tout d’abord découvert par une pochette flamboyante, BABY LOVE nous faisait un peu peur il faut l’avouer, l’ambiance années 80 n’étant pas forcément notre fort… Fait de couleurs vives et d’une identité kitsch assumée, ce projet n’annonçait-il pas à l’avance une perte de vitesse et un manque d’inspiration ? C’était sous-estimer Jean-Louis Murat que de penser cela ! Car l’une des forces de l’artiste est justement le renouvellement et l’adaptation. Alors, que vaut-t-il réellement ce nouveau bébé ?

Un départ difficile

 Triomphe sans grande dextérité, « Troie » entame le projet sur une lourde caricature d’un style qui commence à se prendre les pieds dans son propre manège. D’une atmosphère de fête mêlée à de sombres paroles sur l’amour se dégage une impression d’essoufflement, comme si l’artiste peinait à engager ses manières et ses obsessions sur ce nouveau terrain dangereux. Le morceau fonctionne bien, car la voix et les textes font toujours leur effet, allié à une mélodie il faut avouer bien trouvée, mais manque malheureusement de subtilité et d’ingéniosité dans la démonstration sonore qu’il livre. Les cuivres synthétiques ressassent une mélodie que l’on connaît déjà par cœur chez Murat, ici alourdie par une sonorité abrupte et un texte caméléon, et dont on a du mal à entrevoir la force habituelle qui l’anime. « Troie » fait partie de ces morceaux toujours bons mais un peu trop maladrois du chanteur, méthodiquement composé selon une recette étudiée dont les rouages nous sont à force devenus familiers.

Une suite revigorante

 Pour autant, ne vous inquiétez pas ! La suite est toute autre, car BABY LOVE se rattrape bien assez vite pour nous faire oublier ce premier contact. Les successeurs de « Troie » élèvent le niveau à tel point qu’ils parviennent à éviter toutes les facilités liées à l’univers sonore dans lequel le projet s’inscrit. Les écueils sont contournés, la prise de risque enlacée, et l’album commence alors à scintiller. « Le mec qui se la donne » et « le Reason Why », titres aussi séduisants qu’intrigants, débarquent avec bien plus de gravité et de profondeur, offrant enfin le Jean-Louis Murat attendu, celui qui, depuis quelques années, semble être au meilleur de sa forme créatrice. Compositeur au talent indéniable, le chanteur poursuit ici sa route à travers des propositions sonores certes connues, mais mises au goût du jour de telle sorte qu’elles en adviennent rattachées à un savoir-faire unique, celui d’une identité transposable partout et à foison.

Le défi du renouvellement

 Les morceaux de Jean-Louis Murat ont beau être directement reconnaissables, ils délivrent toujours quelque chose de neuf et de puissant, à la croisée d’un sentiment nostalgique et d’une volonté certaine de ne jamais s’épuiser. Pendant combien de temps cela perdurera ? Indéfiniment il faut croire. Car il s’agit moins de se répéter bêtement que de trouver des façons de le faire avec grâce et distinction, en essayant de ne pas perdre l’essence première d’un art déjà mis à nu. Le renouvellement est le principal défi de Murat aujourd’hui, essayant de créer avec les continuelles mêmes ficelles, mais sans jamais penser faire deux fois le même album. L’impression de connaître les morceaux dès leur première écoute est saisissante, tant elle raconte quelque chose sur la carrière de l’artiste, qui a su construire un lien extrêmement fort entre tous ses projets. Ces nouveaux morceaux, nous les avons déjà apprivoisés par le passé, mais rien n’est plus fort que de ressentir sans cesse le même plaisir à les écouter, car ceux-là ont des traits légèrement différents : une voix perfectionnée, un texte endurci, une production affinée… BABY LOVE témoigne d’un riche vécu, en faisant réapparaître mille en une images sous une forme encore inexplorée.

 

Une appropriation sonore plus que convaincante

 Les guitares s’entremêlent aux synthés intelligemment utilisés, refusant de s’enfermer dans un style caricatural années 80, mais lui empruntant certains aspects incontournables de manière assez subtile pour en éviter les pièges assurés. « Rester dans le monde » utilise un riff de guitare qui ne nous est pas étranger, tonique et entrainant, mais n’abandonne jamais le ton et l’esprit muratien. « Réparer la Maison », lui, présente une base rythmique autour de laquelle tout se construit progressivement. Toujours dans sa manière très particulière d’aligner les mots, Jean-Louis Murat parvient à nous entraîner dans son délire à demi enchanté, où il est question de tout réparer : la maison, la chanson, le chagrin… Une sorte de vie en reconstruction, à l’image d’un album qui se plaît à expérimenter, construire, assembler…

 « Montboudif » et « La Princesse of the Cool », quant à elles, épousent la face plus aventureuse d’un artiste qui a parfois besoin de s’essayer à des choses moins convenues, (dans la lignée de son ovni, Travaux sur la N89, un album que nous apprécions particulièrement), comme l’utilisation du vocodeur. Moins mélodiques, mais tout aussi surprenants, ces morceaux offrent au projet la possibilité d’entrevoir à travers des sonorités synthétiques une perception nouvelle de ce que peut être cette musique. L’artiste opère une dissection pour en ressortir avec des idées et des propositions bienvenues.

Production soignée et équilibre maitrisé

Entre amour et désamour, comme souvent chez Murat, BABY LOVE fait l’état d’une existence marquée par la musique et les sentiments amoureux, meilleurs alliés comme meilleurs ennemis. De par sa production exigeante et une qualité sonore comme il est rare, l’album trouve ici son point fort le plus évident. « Xanadu » ou encore « Tony Joe » le démontrent avec ardeur : le son est une priorité. Les cuivres de « Ca c’est fait », quant à eux, élèvent le morceau en lui donnant une force lourde et imposante. Pour autant, Jean-Louis Murat ne laisse aucun élément prendre le dessus sur l’autre. Entre textes, sonorités et mélodies tout se conjugue parfaitement au point de faire porter une voix atypique que l’on connaît presque par cœur, mais qu’il fait toujours chaud au cœur d’écouter. Car le chant de Jean-Louis Murat est sans nul doute l’un des meilleurs de la chanson française. Alors, tant qu’il perdure avec élégance et talent, pourquoi s’en priver ?

Album Jean-Louis Murat

 Certaines œuvres cinématographiques transportent avec elles des mythes, qui contribuent la plupart du temps à renforcer l’aura du réalisateur/réalisatrice concerné. Celui autour d’Henri-Georges Clouzot, cinéaste français des années 50, concerne son film inachevé de 1964 : l’Enfer. Un film connu de tous les initiés mais qui n’existe pourtant pas réellement. Quelques séquences tournées à l’époque témoignent d’un travail ambitieux. Le reste, c’est au spectateur de se l’imaginer. Le travail de titan qu’impliquait ce long-métrage a eu raison du réalisateur, tombé malade durant un tournage éprouvant, presque inhumain. Le projet était trop gros, trop beau pour l’époque. Pas assez de moyens pour le réaliser comme son créateur l’entendait. Il l’a alors laissé de côté puis abandonné définitivement.

 Pourtant, tout annonçait le meilleur. Un sublime duo d’acteurs : Romy Schneider et Serge Reggiani, couple aux milles qualités, une créativité débordante fait d’essais et d’expérimentations (notamment sur la couleur), un scénario bien ficelé autour la jalousie. Et la touche finale d’un grand réalisateur. Un fleuve à la bouche. Ainsi donc, le monde du cinéma s’accroche aujourd’hui à ces précieux rushs laissés à l’abandon, et retrouvés des années après le tournage, témoins d’une vision unique et orpheline. Les bouts sont là, mais L’enfer n’existera jamais complètement. Le mythe est créé.

 

Une perpétuelle fascination

Voilà qu’aujourd’hui, plus de 50 ans après, ce qui existe du film continue à fasciner. Il est peut-être plus simple d’explorer quelque chose d’inachevé. On peut le tordre et le secouer tant qu’il n’est pas figé. L’enfer et sa vision démoniaque de l’amour n’a rien d’immobile, il navigue partiellement parmi les époques, sans colonne vertébrale véritable, mais empreint d’une fantaisie propre aux œuvres inabouties. Les plans existent dans un ensemble restreint, malléable grâce à la nature de l’objet. Un objet audiovisuel donc intéressant à travailler. Et c’est justement ce qu’a décidé de faire l’artiste musical français Prieur de la Marne (nom hommage à Pierre-Louis Prieur, surnommé Crieur de la Marne, député et acteur important de la révolution Française). En s’appropriant les bouts du film existants, et en les remaniant à sa guise, Prieur de la Marne nous a invité à un voyage expérimental des plus insolites. C’est au Louxor qu’eut lieu la projection, en comité restreint.

Tout d’abord, la démarche surprend. Nous ne comprenons pas bien à quoi nous avons affaire. C’est un objet protéiforme, sans réelle base sinon les séquences du film, décortiquées par un montage répétitif à toute allure. Des morceaux viennent étoffer ce visuel déjà séduisant par lui-même. La musique s’enchaîne, plusieurs genres y passent, sans véritables articulations convaincantes. De Caribou à Katerine en passant par les Doors, les chansons choisies par l’artiste veulent appuyer la force des images, entrer en fusion avec elle, les sublimer, les dompter… Mais l’Enfer se laisse-t-il dompter aussi facilement ? C’est ce dont le projet devra nous convaincre. Car il est bien beau d’ajouter des musiques à un film inachevé, pour y déposer une vision personnelle, mais cela ne serait-il pas faire du mal à l’œuvre originale ?

 

Une curiosité douée de qualités …

 Il y a ainsi deux façons d’appréhender ce projet : lecture pertinente du film ou affront à l’œuvre de Clouzot ? Chaque camp se discute… Après la surprise des premières minutes, on décortique rapidement le sens du projet : faire vivre les images existantes par la musique, accompagnées d’une voix-off féminine, une sorte de guide. Dans ce sens-là, il suscite assez de curiosité pour qu’on s’y accroche. Les séquences prennent une tournure inattendue. Le spectateur/auditeur se balade dans un voyage personnel à travers une alliance qui, si on se prend au jeu, est plutôt efficace. Le choix des morceaux n’est jamais vain, et s’accorde aux images de façon réfléchie. C’est ainsi qu’« Etes Humains » de Philippe Katerine fonctionne terriblement bien sur la séquence dans laquelle Romy Schneider séduit un homme sur une barque, sous l’œil jaloux de son mari. Plusieurs autres morceaux ont un effet semblable, et offrent au film un éclaircissement subjectif. De ce point de vue, la démarche est noble, et offre au film la qualité d’une interprétation intéressante. La voix-off aide à ce développement, et atteste d’un regard pensé et littéraire sur l’œuvre. La protagoniste principale nous fait part de ses états face à sa situation de vie. Entourée par les griffes de son mari jaloux, l’enfer n’est jamais loin. Cette voix nous prend la main, et s’adresse à nous. Le film parle enfin.

 

… mais qui a parfois du mal à convaincre dans sa conception

 Tout cela se tient. Du moins dans l’idée. On serait tentés d’y croire et de se laisser bercer. Pourtant, quelque chose bloque. Car l’autre lecture qui émerge en parallèle de la première, elle, est un peu moins séduisante. On y voit un clip de trente minutes, qui laisse peu d’ouvertures, et qui ne parvient jamais vraiment à aller au bout de l’idée qu’il tente de développer. On reste en dehors, détaché, jamais pleinement convaincu des associations entre musique et image (sauf certaines comme dit précédemment). Le projet ne semble pas vraiment décoller malgré plusieurs tentatives, dont la principale est celle d’une trop grande quantité de morceaux. On le remarque d’ailleurs au générique de fin : la liste des chansons utilisées n’en finit plus, et un bon nombre deviennent très vite pénibles. Même si le choix semble approprié, le rendu est copieux, trop copieux. Les musiques s’éparpillent, et ne trouvent aucun socle stable et solide pour se réunir.

 La répétition des séquences, intéressantes en soi, miroir de la folie progressive des personnages, n’arrive pas à trouver l’appui sonore nécessaire et ne fait que nous égarer encore plus. La voix-off, conçue ici comme un appui littéraire et poétique aux images auxquelles elle tente de fournir des éclaircissements,  se noie dans quelque chose de distant et monotone, qui nous laisse une impression de surplus, d’excès… L’enfer est devenu un rouleau compresseur pour les yeux, les oreilles et le cerveau, un endroit sans trêve ni répit, où la musique s’acharne sur nous continuellement, avec peu de variations et de souffle d’air. Nous sommes enfermés, nous peinons à respirer. C’est donc ça l’Enfer ? Etait-ce là le projet de Clouzot ? Peut-être… Mais il ne faut jamais oublier une chose : le cinéma parle tout seul, inutile de le forcer à le faire.

 

Un projet qui mérite tout de même d’être félicité

 L’idée est donc intriguante, le projet honnête. Néanmoins, nous restons sur notre faim, avec la sensation de n’avoir vécu qu’une exploration limitée, qui ne trouve pas la force nécessaire pour véritablement nous conquérir. Le travail fait par Prieur de la Marne n’en est pas moins de taille et mérite tout à fait les applaudissements qu’il a reçu. Un projet insolite, dont les certaines qualités qu’on ne peut lui refuser, enchanteront la plupart, heureux de (re)voir les sublimes séquences d’un film culte, mises à l’épreuve par des morceaux que beaucoup reconnaîtront et qui sauront faire leur effet, porteurs d’une vision personnelle et assumée.

 

 Besoin de cinéma ? Envie de (re)plonger dans les chef-d ’œuvres qui ont bâti l’histoire cinématographique ? Ce site de VOD est fait pour vous ! La Cinetek vous propose de revisiter cette histoire en mettant à disposition (non gratuitement, cela va de soi) un grand nombre de films, cultes ou non, qui ont bercé les imaginaires de plus d’un. Englobant une large période (des débuts du cinéma jusqu’en 2004), le site se définit comme « la cinémathèque des réalisateurs » et regroupe plus de 1000 films disponibles à la demande. Triés par réalisateurs, dans un objectif de mettre la lumière sur ces derniers autant que sur leurs films, indissociables, les œuvres dont est possesseur le site englobent tous les genres et tous les pays. De François Truffaut à Fritz Lang en passant par Ingmar Bergman, Michel-Angelo Antonioni, Kenji Mizoguchi… La Cinetek explore en profondeur le cinéma et en ressort avec des possibilités de choix immenses. Dans un objectif premier de rendre visible sur internet les grands films du XXè siècle, ainsi que des œuvres plus secrètes qui n’ont pas l’occasion d’être éclairées autrement, La Cinetek s’est forgée une image qui se veut à l’opposé total de Netflix, sans pour autant se positionner dans une logique de concurrence. Le site existe pour tous les amoureux du cinéma ainsi que les curieux, jeunes et vieux, de toutes horizons, qui trouvent dans le septième art une manière de penser, de se définir et d’exister. Il fut créé en 2015 sous l’initiative de trois réalisateur/rices : Pascale Ferran, Laurent Cantet et Cédric Klapish.

 

Une immense bibliothèque de films !

 On aime se perdre dans ce vaste catalogue pour y découvrir des œuvres encore inconnues à notre esprit et naviguer parmi des paysages multiples et variés. Mais aussi pour revoir nos films préférés, qui nous ont marqués dans notre enfance. Néanmoins, il peut s’avérer complexe de choisir parmi tant de propositions. Pas de problème, il y a une solution à cela : le site vous propose plusieurs listes de réalisateurs, c’est-à-dire les films préférés de vos réalisateurs préférés (50 films de chevet, ça ne rigole pas !). En questionnant ces professionnels en la matière, que vous les aimiez ou non, des visions uniques et intimes du cinéma en ressortent, qui serviront à attiser votre curiosité ou sinon vous amener à revoir certains classiques sortis de votre esprit depuis le temps. Près d’une dizaine de films sont ajoutés tous les mois, ce qui permet au catalogue de constamment grandir. Parallèlement, plusieurs bonus (interviews, archives télé…) accompagnent certaines œuvres, afin d’aider à leur lecture, et d’y apporter des connaissances extérieures.

 

Et les prix alors ?

 Les prix sont abordables, de 2,99 à 3,99 euros pour une location de 48h, et de 7,99 à 9,99 euros pour l’achat d’un film (selon qu’ils soient en SD ou HD). De plus, le site vous propose un lecteur via lequel regarder vos films, une application pour ordinateur facilement téléchargeable, où vous retrouverez vos locations durant le temps imparti ainsi que vos achats disponibles à tout moment

 

Le meilleur pour la fin : une offre d’abonnement généreuse et bien pensée

Mais ce n’est pas terminé, car je ne vous ai pas encore parlé du plus intéressant dans tout cela : leur offre d’abonnement, lancé il y a un an maintenant, après une campagne de crowdfunding réussie. Pour 2,99 euros par mois, le site met à votre disposition 10 œuvres cinématographiques à regarder quand vous le souhaitez (dans les 30 jours impartis). Ces films sont choisis par le site lui-même selon un thème qui change chaque mois. Donc pas besoin de vous embêter, laissez-vous juste guider. Par exemple, le thème du moment se nomme « en ville » et regroupe les films suivants :

  • Les Ailes du désir (Wim Wenders, 1987)
  • La Dolce Vita (Federico Fellini, 1959)
  • Amsterdam Global Village – Partie 1 (Johan Var der Keuken 1996)
  • Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1961)
  • Insiang (Lino Brocka, 1976)
  • Justin de Marseille (Maurice Tourneur, 1934)
  • Le Samouraï (Jean-Pierre Melville, 1967)
  • Mean Streets (Martin Scorsese, 1973)
  • Invasion Los Angeles (John Carpenter, 1988)
  • Leaving Los Angeles (Mike Figgis, 1995)

 Rien que pour cette offre plus qu’alléchante, on les remercie mille fois ! Elle permet à tout le monde de se cultiver à un prix tout à fait honnête et accessible. De plus, les sélections sont toujours finement composées, mélangeant classiques du cinéma et œuvres davantage méconnues mais non moins intéressantes. Cet abonnement vous permet donc de ne pas passer une heure à chercher quoi regarder parmi tout le catalogue, et vous ouvre également vers d’autres horizons, vers lesquelles vous n’auriez jamais pensé vous aventurer sans cela. On vous le promet, vous avez tout à y gagner.

Le site est disponible juste ici, n’attendez pas !

 

  Cinquième collaboration entre Abel Ferrara et Willem Dafoe, et bientôt sixième avec le prochain film du réalisateur qui sortira en cours d’année (Siberia), Tommaso est une nouvelle démonstration de la symbiose des deux artistes. On sait à quel point certains réalisateurs sont attachés à leurs acteurs, et combien il est parfois essentiel de ne pas trop s’éparpiller afin de constituer une œuvre globale cohérente. Inviter un même acteur sur plusieurs de ses films, c’est lui déclarer son amour, le porter toujours plus haut, lui créer des rôles sur mesure, pourtant jamais semblables, mais qui, mis bout à bout, démontrent toute l’ingéniosité et la cohésion d’une force commune.

  Tommaso propose donc à Willem Dafoe de s’élever une nouvelle fois, davantage en tant qu’acteur que personnage, car le rôle qu’il incarne, celui d’un certain Tommy appelé Tommaso en italien, un artiste torturé, ne parvient pas vraiment à prendre de la hauteur au cours du film. Prisonnier d’une vie confortable mais ennuyante, Tommaso y navigue sans parvenir à sortir la tête de l’eau. Calme mais impulsif, le personnage partage sa vie avec sa compagne, plus jeune qu’elle (incarné par Christina Chiriac, la femme d’Abel Ferrara), et sa fille (Anna Ferrara, fille du réalisateur) avec lesquelles il tente d’adopter une attitude protectrice, mais qui ne fonctionne pas toujours. En canalisant ses émotions, il les fait jaillir de plus belle lorsque quelque chose lui échappe. Tommaso vit un double combat : celui qu’il mène contre lui-même et celui qui le rattache à sa famille. Il est difficile d’être mari et père à la fois, ces fonctions sociales n’ont pour évidence que leur nom, mais n’engagent personne de la même manière. Tommaso aime plus que tout sa famille, un amour qui provoque une torture intérieure ainsi que des accès de colère, mais il sent que ce cocon lui échappe constamment. Les attentions que sa femme lui porte se ternissent, et Tommaso doit intérioriser un grand nombre de souffrances liés à cela. Sa femme aussi, puisqu’elle semble perdre peu à peu son amour pour lui.

  A côté de cela, ses réunions aux Alcooliques Anonymes le présente comme un homme sous-contrôle, lucide et bienveillant. A la sortie de ces instants d’écoute et de partage, la vie se joue de lui. Ses visions cruelles sur la perte et l’abandon ainsi que le sort malheureux qui dirige son existence font de lui une marionnette. Il ne contrôle finalement pas grand-chose, malgré sa réussite concernant l’arrêt de l’alcool et drogue et du travail sur soi. Pourtant, Tommaso n’est pas tout blanc, il continue ses dragues intempestives, à moitié volontaires, et préfère rester seul quand sa femme et sa fille partent en voyage. Ainsi, sa misère est à l’origine d’un affrontement entrel son aspiration à une vie de famille meilleure formée d’amour, d’écoute et de compréhension, et ses actions quotidiennes, dont il peine à remarquer qu’elles ne font que l’éloigner de son objectif. Le personnage ne parvient pas à coordonner ses désirs et sa nature. Sa volonté réside dans le seul fait d’imaginer certaines choses, qui n’arriveront jamais et qui laisseront le récit monotone poursuivre son cours sans élévations.

 

 

  Les scènes de la vie conjugale sont souvent les plus sincères au cinéma (Ingmar Bergman aura atteint le sommet en la matière), Abel Ferrara les met ici en scène avec tout son talent de grand cinéaste. La manière dont il dépeint ce quotidien amer le positionne à la fois comme acteur principal (on sait d’ailleurs que certains épisodes du film sont inspirés de sa propre vie) et défenseur d’un point de vue neutre sur le cours de l’histoire. La caméra suit Tommaso dans son périple intérieur, le contemple à travers ses désirs et ses douleurs, mais n’en fait jamais un personnage ni pitoyable ni misérabiliste. Il est un homme avec ses soucis et ses peines, un homme artiste qui essaye de s’en sortir difficilement et qui trouve comme compagnon de route nous spectateurs. Nous pouvons être attachés à ce personnage, autant que nous pouvons y rester insensibles, le fait est que Willem Dafoe l’interprète assez brillamment pour ne pas prétendre à un point de vue absolu.

             

  L’aspect presque documentaire du film, facilité par un grain d’image particulier et une caméra instable qui se plaît à s’approcher du visage des personnages pour percevoir un instant l’état physique de leurs sentiments, lui donne une force secrète et indescriptible : il est certain que la réalisation influe grandement sur notre perception de l’histoire. Elle a le pouvoir de la rendre digne d’intérêt, et jamais ennuyante. La caméra laisse de la place aux protagonistes sans vouloir trop s’immiscer à tout prix dans leur intimité : on pense notamment à la longue séquence durant laquelle Tommaso raccompagne son amie des A.A jusqu’à chez elle avec un positionnement lointain de la caméra. Cette dernière rend compte passivement d’une marche accompagnée d’une discussion des plus normales, et montre à quel point la banalité est la matière centrale du film. Il n’y a rien à envier à cette vie, ni à la mépriser, il y a seulement à regarder pour essayer de comprendre, et sûrement aussi d’apprendre, car tout quotidien peut en rappeler un autre, inspirer certains états, éveiller certaines consciences, faire surgir d’anciens souvenirs ou donner quelques conseils de vie, sans pour autant prétendre détenir aucune vérité. Tommaso est donc l’histoire d’un quotidien banal, retranscrit à merveille à l’image, d’une manière aussi véritable que touchante, qui nous donne le sentiment que les actions et les gestes sont universels et se reproduisent à l’infini à travers le monde. Tommaso est l’histoire de la nature humaine, et de sa tentative à s’intégrer dans une société. Tommaso pourrait être vous, ou moi. Ce qui est sûr, c’est qu’il rassemble un bon nombre d’esprits vagabonds, dont les étoiles semblent être un refuge plus approprié que la planète Terre.