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mars 2025

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L’adolescence, un sujet traité à maintes reprises par Hollywood et consorts. Souvent du point de vue même de l’adolescent.e, tel que perçu par un adulte. Un univers vu comme coloré, parfois douloureux, toujours idéalisé. Mais rarement juste et réaliste. Pourtant tout bascule avec la série Adolescence, nouvelle création de Jack Thorne et Stephen Graham diffusé sur Netflix. Nombreux.ses sont celles et ceux à parler de la meilleure série de la plateforme depuis longtemps. Quatre épisodes à fleur de peau composent cet objet à part et hors cases. Entre horreur dans le quotidien, empathie et prouesse technique, le show a effectivement mis la barre très haut. Ou comment un fait divers monstrueux peut hypnotiser et horrifier avec une seule question répétée en boucle, pourquoi ? Après quelques jours de réflexion suite à son binge-watching, on vous en parler.

adolescence netflixAdolescence, de quoi ça parle ?

Lorsqu’un ado de 13 ans est accusé de meurtre, sa famille, une psychologue clinicienne et l’inspecteur chargé de l’affaire se demandent ce qui s’est vraiment passé.

ADOLESCENCE, EST-ce que c’est bien ?

La presse, les internautes (avec tout de même une note de 4/5 sur Allocine), tout le monde semble être unanime concernant la nouvelle série Netflix. Son tout premier épisode y est certainement pour beaucoup. Le show se découpe en 4 épisodes, tous tournés en plan séquence. Ils ont tous été en effet réalisés sans que la caméra ne soit jamais coupée, laissant l’action défiler de bout en bout. Une prouesse d’autant plus magique qu’elle permet de se retrouver jeté dans l’intrigue sans jamais avoir le temps de reprendre son souffle. Le procédé va d’ailleurs permettre de nous identifier à la famille Miller dont le quotidien bascule du jour au lendemain dans l’horreur. Imaginez un peu, un beau matin, la police enfonce votre porte et embarque votre fils de 13 ans en l’accusant de meurtre. Ce réalisme c’est ce qui est le plus voulu par le réalisateur. Ce dernier racontait comment plusieurs faits divers, des assassinats de très jeunes adolescentes par des garçons de leurs âges l’avaient inspiré. Avec cette question en tête : pourquoi ?

adolescence netflix stephen grahamQu’est ce qui pousse un garçon si jeune à poignarder une jeune fille ? Les adultes sont-ils complètement largués par les évènements ? Les écrans et réseaux y sont-il pour quelque chose ? Quel est le pouvoir des réseaux sociaux ? Quel est le regards des jeunes sur la masculinité ? Comment se voient-ils en tant qu’hommes ? Ces questions sont traitées tour à tour et on ne peut que féliciter l’équipe et sa capacité à les dépeindre sans cliché, sans lourdeur, sans avoir la prétention de tout savoir et en prenant tous les regards adultes entourant ce monde si difficile d’accès. En ça, Stephen Graham ( dans le rôle d’Eddie Miller, le père de Jamie) livre une performance bluffante. Son écriture, très pointue, son évolution, ses incompréhensions mais surtout ses doutes quant à sa part de responsabilité dans les épreuves traversées sont autant d’atouts pour la série. Tout comme c’est le cas de Christine Tremarco, parfaite dans le rôle de Manda Miller, mère au combien réaliste dont la détresse et le besoin de garder le cap dans ce tourbillon ne peut qu’inspirer la plus grandes des empathies.

Vous le lisiez (sûrement) partout la question du pourquoi est ici plus importante que celle du qui ? C’est à la fois vrai et faux. Le premier épisode nous prend au tripes comme la famille Miller, sortie du lit à 6 heures du matin. Et rien ne nous est épargné. On suffoque avec elles et eux, on doute, on s’interroge, on refuse. La candeur d’Owen Cooper (Jamie Miller), le jeune protagoniste qui livre ici une performance spectaculaire pour son premier rôle, nous donne l’envie de le protéger de ce monde. Comment associer ses tâches de rousseurs et ses larmes à un crime sanglant ? En ça le premier épisode est éprouvant de bout en bout et il y a fort à parier que vous le finissiez les larmes aux yeux.

Adolescence, minute par minute

Chaque épisode va par la suite se concentrer sur une nouvelle partie de l’intrigue, avançant dans la temporalité pour raconter les conséquences de chaque action, se focaliser sur chaque personnage toujours en plan séquence. Dans le  registre, la fin de l’épisode 2 avec une caméra qui finit sur un drone mérite qu’on applaudisse de toutes nos forces la beauté de réalisation. Le « mouvement » INCEL, ces hommes célibataires qui détestent les femmes et les blâment pour une  règle de leur invention, le 80/20 (selon laquelle 80% des femmes s’intéresseraient à seulement 20% des hommes)  est évoqué. Il est à l’origine de bien des haines, une image déformé que peuvent avoir certains hommes d’eux-même et crée une incompréhension du rejet jusqu’aux pires retranchements.

La place d’Instagram dans les rapports adolescents est également mise en cause, toujours avec juste mesure. Comment une idéologie, on ne peut plus fausse, peut-elle atteindre des enfants si jeunes et les convaincre qu’ils sont concernés ?  Voilà l’une des thématiques sur laquelle se penche Adolescence. Et la série se retrouvera à débattre avec force de la place de l’image de soi dans un groupe scolaire harcelant au collège comme au milieu des réseaux sociaux. Puisque aujourd’hui la cloche qui retentit et sonne la fin des cours n’est plus une frontière pour laisser aux adolescents le luxe de souffler. Face à tout ça, l’impuissance des parents et des adultes se vit continuellement comme un douloureux choc, un mur infranchissable.

Psychologie de l’adolescence

adolescence netflix jamie millerPourtant la phrase la plus marquante de  l’épisode 2 qui se déroule dans l’école et donc au milieu de nos sujets, sera prononcée par la policière en charge de l’enquête. Le fait que seul le suspect marquera les esprits et que la victime elle, sera immédiatement oubliée par le plus grand nombre. Quand on voit l’obsession qui grandit aujourd’hui pour les tueurs en série, on ne peut que lui donner raison. Non que le sujet ne puisse intéresser, évidemment, mais qu’il ne faut pas déifier les bourreaux en oubliant leurs victimes. Et cette même inspectrice Frank (Faye Marsay) sera souvent oubliée, mise de côté, au profit de son collègue masculin, le détective Bascombe (Ashley Walters). Comme un miroir de l’intrigue qui plâne tout autant sur l’âge adulte. Quel exemple donnons-nous alors ?

A mesure que les quatre épisodes avancent certain.es seraient tenté.es de lui trouver des temps longs. Il faut dire que la série Adolescence ne cherche jamais à avoir un rythme soutenu. Au contraire, la psychologie des personnages y est centrale. Très théâtral, le troisième épisode, aura lieu en un temps et en un seul lieu. Tête à tête éprouvant et fascinant, il joue d’un rythme effectivement lent, pour mieux décortiquer l’horreur. C’est d’ailleurs le premier qui a été tourné par l’équipe. Un tour de force puisque toute la puissance de l’épisode repose sur ses dialogues et que donc, la caméra ne coupe jamais. Cet entretient avec une psychologue permet de mieux décortiquer, de répondre à un grand nombre de questions, mais jamais à toutes, comme c’est le cas dans notre réalité.

Adolescence | Bande-annonce officielle VF | Netflix France

Pour obtenir le résultat souhaité, chaque épisode aura finalement été tourné entre 10 et 15 fois. Le tout a demandé à son très jeune acteur de toujours bien entrer dans son personnage. Enfin, il reste un épisode à la série pour conclure son histoire mais aussi parler des conséquences sur la famille.

« Adolescence » est récit glacial, difficile, loin du feel good movie et des programmes plus mainstreams auxquels Netflix nous a habitué. La série n’en est pas moins une claque aussi obsédante que propice aux nombreux débats. Certain.es en profitent d’ailleurs pour tenter de ramener l’intrigue à des questions (bien dégoutantes)  entre racisme et immigration. Mais tout est bon pour n’avoir que ce sujet en bouche. Celles et ceux-là passent largement à côté du sujet central de la série bien plus riche. Entre déconnexion avec le monde adolescent, image de la masculinité qui se véhicule de père en fils, violences qui en découle, influence des réseaux sociaux, les questions y sont abouties et ne cherchent pas à blâmer un fautif unique qui serait l’étranger. Au contraire nous dit le show, absolument tout le monde, pourrait être concerné par pareille histoire. Adolescence restera de ces O.V.N.I complexes qui ne parleront pas à tout le monde. Pourtant son travail de mise en scène comme la force émotionnelle de son récit resteront en mémoire comme une véritable révolution du côté du petit écran.


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Interview de Charles Pasi disponible ici


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Il est sur le devant de la scène folk américaine depuis plus de vingt ans, compte une dizaine d’albums à son actif et publie aujourd’hui son nouvel opus Salt River. Pour vous donner une idée de son influence, il a récemment coaché Paul Mescal et Josh O’Connor pour un rôle. Sam Amidon, génial artiste en plus d’être une adorable personne, ouverte, passionnée et enthousiaste, a accepté de répondre à nos questions. Avec lui, nous avons parlé de musique folk traditionnelle, son dada – sur laquelle il nous a appris plein de choses – mais aussi de Lou Reed, de Yoko Ono et d’Ornette Coleman, trois artistes qu’il met à l’honneur sur son nouvel album.

Sam Amidon - ©Allyn Quigley
Sam Amidon – ©Allyn Quigley

Pop & Shot : Tu viens de publier Salt River, ton dixième… ou onzième album ?

Sam Amidon : Cela dépend de comment tu comptes. C’est mon huitième album de chansons, mon neuvième si tu inclues mon tout premier album qui était un opus de violon (2001), et mon dixième si tu prends aussi en compte l’album King Speechy, qui est un album fictionnel mais composé de vraie musique, paru uniquement en 100 exemplaires vinyles sans sortie digitale, en 2016.

Pop & Shot : Comment tu te sens par rapport à la sortie de ce nouvel opus ?

Sam Amidon : C’est vraiment très excitant. J’étais d’abord nerveux parce qu’il est assez différent, en terme d’éléments électroniques qui apportent un sentiment nouveau par rapport à mes précédents albums. Mais c’est aussi ça qui me réjouit et je dois dire que je suis très content depuis sa sortie. Les retours du public sont super encourageants.

Pop & Shot : Tu fais de la folk depuis tes débuts. Tes parents étaient Eux-aussi des musiciens folk. C’est un genre musical qui véhicule beaucoup d’idées reçues j’ai l’impression. Selon toi, trimballe t-il son lot de conceptions erronées issues de l’imaginaire commun ?

Sam Amidon : Oui, tout le monde a sa petite idée de ce qu’est la musique folk. Et bien évidemment, elle peut vouloir dire tellement choses. Mes parents jouaient et chantaient des chansons. Je viens du Vermont, qui est situé au nord-est des Etats-Unis, mais les chansons que je chante viennent davantage du sud, issues des différentes traditions des musiciens blancs et noirs du sud. Mais comme je viens de la Nouvelle Angleterre, je suis tout aussi intéressé par les musiques venues d’Irlande, d’Angleterre… C’est un mélange de styles avec lesquels j’ai grandi. Donc personnellement, j’adore la créativité, et l’expérimentation, et l’étrangeté. Sauf que les gens n’imaginent pas la folk musique comme un terreau propice à ce genre de choses.

Pop & Shot : Et tu essaies de donner une nouvelle image de cette musique, de contrer ces préjugés ?

Sam Amidon : Ce n’est pas mon intention première, parce que mon seul soucis est d’être créatif, de travailler avec des musiciens que je trouve inspirants, et de faire de la musique qui m’excite. Mais ce que le public entend, et ce qu’il met donc en exergue, ce sont les connexions qui entourent la folk et la tradition. C’est génial que les gens le soulignent. Or, je ne fais que suivre mon instinct, mes envies et mes inspirations. En ce sens, l’idée d’une nouvelle image de la folk que je véhiculerais provient plus du résultat que de l’intention. Je suis ok avec ça, c’est positif.

Pop & Shot : Ton album est intégralement composé de reprises. Est-ce une spécificité de la folk music, que de s’approprier des morceaux existants ?

Sam Amidon : Pour moi, il y a seulement trois reprises sur cet album : les chansons de Lou Reed, Yoko Ono et Ornette Coleman. Je ne considère pas le reste, à savoir des pures chansons folks, comme des reprises. Parce qu’il n’existe pas de version originale. Et on en vient là au sens majeur de la musique folk justement, qui est l’idée des chansons traditionnelles, provenant de passés mystérieux, et qui se transmettent sans auteur principal. Beaucoup de gens pensent à Bob Dylan quand on leur parle de musique folk, ou Nick Drake par exemple. Et j’adore personnellement ces artistes. Mais je ne considère pas à proprement parler Nick Drake comme de la musique folk, parce que celle-ci ne se résume pas à la guitare acoustique. Elle va de pair avec une tradition, d’anciens mots et d’anciennes mélodies, qui voyagent au fil des générations. Peu importe de comment cela sonne.

Sur mon nouvel album album, des chansons comme « Golden Willow Tree » ou « Three five » ou « Cusseta » ne sont pas des reprises. Parce qu’une reprise, c’est quand tu chantes une chanson qui appartient à quelqu’un d’autre.

Pop & Shot : Les chansons folk n’appartiennent donc à personne ?

Sam Amidon : Correct. Elles font partie du domaine public. Elles appartiennent à la tradition et proviennent parfois d’une culture. Personne ne possède une chanson folk et c’est ce qui en fait toute la beauté.

Mais dans tous les cas, que ce soit pour les reprises ou pour les traditionnels, je compose de la musique autour, car je suis aussi un compositeur.

Avec les chansons folks, tu peux venir puiser ce que tu veux dedans, et autant que tu veux. Dans le cas de « Three Five », c’est une mélodie et des lyrics empruntés à une chanson folk intitulée « Old Churchyard » mais j’ai changé son titre parce que c’est la toile de fond musicale qui est venue en premier. C’est une composition.

Pop & Shot : Bob Dylan a joué peu de chansons folks à proprement parler donc ?

Sam Amidon : Sur son premier album majoritairement. Puis il a pris une pause avant de publier dans les années 90, soit 30 ans plus tard, deux sublimes albums de chansons folk traditionnelles, qu’il a enregistré à la maison il me semble : Good As I’ve Been to You (1992) et World Gone Wrong (1993). Ce dernier est pour moi son meilleur de folk pure. Il est revenu à la racine de la chanson traditionnelle avant de sortir l’année d’après son classique Time Out of Mind.

Pop & Shot : Et toi, tu trouves toujours la motivation à l’idée de t’emparer de ces chansons traditionnelles ? C’est toujours un défi ?

Sam Amidon : Je trouve de l’inspiration et de la motivation à plein d’endroits différents, qui diffèrent selon chaque album. Pour celui-ci, j’en ai trouvé au travers des sons de synthétiseurs qu’utilise Sam Gendel. Le fait d’être constamment dans la pièce avec Sam [Gendel] & Phil [Melanson] m’a inspiré certaines mélodies à chanter. J’ai aussi beaucoup écouté la musique des années 70/80 comme Weather Report, ou encore de disques du label ACM. Et je suis sans cesse inspiré par les anciennes histoires qui proviennent des chansons de musique folk. Qu’est ce qui se passe quand on mélange tout ça ?

Sam Amidon_Steve Gullick
Sam Amidon – ©Steve Gullick

Pop & Shot : Peux-tu nous parler de Sam Gendel et Philippe Melanson justement, qui sont les deux musiciens qui t’accompagnent sur ce projet ?

Sam Amidon : Bien sûr ! Philippe est un super batteur canadien. Il a un groupe qui s’appelle « Bernice », qui sont des amis à moi. J’ai travaillé avec lui sur plusieurs années mais habituellement, quand je travaille avec lui, il joue avec une batterie acoustique. Sam Gendel est un très bon ami depuis 10 ans, depuis qu’il a débuté sa carrière artistique. Je l’ai vu évoluer jusqu’à devenir cet incroyable musicien. Il a joué du saxophone sur mes deux précédents albums comme invité. Mais sur ce nouvel album, il était question de pénétrer son monde à lui. Lui et Phil ont un duo. Sur cet album, Phil joue majoritairement sur des pads électroniques avec ses doigts, et sur quelques percussions acoustiques aussi. Et Sam joue majoritairement du synthétiseur et du saxophone. On s’est d’abord retrouvés sans plan particulier en tête. On s’est assis dans un salon – pas de studio – avec un ordinateur, et une entrée directe sur les synthétiseurs, sur les guitares et sur les percussions. Et on a fait de la musique pendant quatre jours.

Pop & Shot : Et pour les trois reprises – les chansons de Lou Reed, Yoko Ono et Ornette Coleman -, comment tu les a sélectionnés ?

Sam Amidon : J’ai été énormément inspiré par tous ces artistes. Et quand je les écoute – parce que l’acte d’écouter est pour un geste créatif en soit – je fais attention aux connexions. Et une des connexions que j’ai repéré depuis un longtemps, c’est celle entre le free-jazz, le jazz d’avant-garde et la vieille musique de montagne Appalaches en Amérique du Nord, là d’où je viens. Ce qui les unit est le caractère hyper brut de ces musiques : le son brut de la voix, le son brut du violon, le son brut d’artistes comme Albert Ayler, Pharoah Sanders, Ornette Coleman… Et j’ai remarqué qu’Ornette Coleman chantait une chanson sur un de ces albums intitulé « Friends and Neighbours ». Une chanson avec des paroles qui avaient des airs de chanson folk. Je me suis dit : il faut que je la chante !

Pop & Shot : Ca ne t’a pas fait peur de reprendre une chanson aussi bruyante et dynamique ?

Sam Amidon : C’est vrai que la version originale est complètement dingue. Ornette Coleman est au violon en plus ! Les paroles et la mélodie m’ont vraiment parlé. Avec Sam et Phil, on voulait célébrer cette idée de « friends and neighbours » [amis et voisins], ce côté social. Sur notre version, on s’est enregistrés deux fois en train de diner, et on a mis ces deux pistes en arrière-plan sonore. C’est l’idée d’une taverne, d’où le nom du morceau suivant d’ailleurs. C’est un hommage au rassemblement, à l’échange.

Pop & Shot : Et pour Lou Reed & Yoko Ono ? Pourquoi ce choix ?

Sam Amidon : J’ai trouvé dans leur lyrics une véritable essence de folk song, quand bien même on imagine généralement ces artistes comme expérimentaux. J’ai adoré cette connexion. Et dans la musique folk, il y a un respect immense pour les anciens. Quand tu apprends une chanson folk traditionnelle, tu vas voir des musiciens plus âgés. Ces trois artistes que j’ai repris, ils sont en quelques sorte les parrains de la musique expérimentale. Ils sont comme le vieil homme sur la montagne.

Pop & Shot : Dès que tu écoutes quelque chose, tu essaies de voir si tu lui trouves une qualité de chanson folk ?

Sam Amidon : J’entends les connexions et j’ai un petit radar dans ma tête qui me dit ce que je pourrais chanter. Le plus important pour moi, c’est de voir ce à quoi je pourrais donner une dimension nouvelle, une émotion différente, un son différent. Je ne joue pas une chanson pour en faire une copie identique, et cela vaut autant pour les reprises que pour les traditionnels.

Par exemple, dans le cas de « Big Sky » de Lou Reed, il la chante de manière très puissante, brutale, punk rock. De sa manière quoi ! Ce qui est génial, j’adore ! Mais derrière, les mots sont si doux. C’est là que je me dis : et si j’en faisais quelque chose de plus triste et mystérieux ?

Pop & Shot : Ce qui est surprenant effectivement avec ta reprise, c’est qu’on ne réalise pas que c’en est une, même quand on connait super bien le morceau. Car « Big Sky » est sur mon album préféré de Lou Reed, et il m’a fallu pourtant cinq écoutes au moins avant de faire le lien ! C’est amusant. Selon toi, est-ce qu’une reprise doit se détacher au maximum de l’original pour devenir quelque chose de presque complètement neuf ?

Sam Amidon : Dans le cas d’une chanson traditionnelle, tu peux faire ce que tu veux, car tu as tous les droits. Mais pour les reprises, c’est une autre histoire. Je change autant que je peux, pour les transformer en ce qui me plait, mais je suis tenu de garder la ligne mélodique etc. Je change les harmonies par exemple mais la mélodie reste la même.

Pop & Shot : Est-ce un des pouvoirs de la musique folk, que de faire redescendre la pression, que de nous inviter à respirer ?

Sam Amidon : Il y a deux aspects de la musique folk traditionnelle. Le premier, c’est le côté social, avec folk dance, les réunions à chanter autour d’un feu par exemple. Ca, c’est l’aspect communautaire. De l’autre côté, il y a aussi la musique folk intérieure, qui pourrait être représentée par l’image de quelqu’un en train de marcher dans les bois tout seul, avec le poids de sa solitude, chantant pour lui-même. Ou encore une personne avec son violon en haut d’une montagne, qui n’a vu personne depuis six mois, et qui joue pour se tenir compagnie à lui-même. Ce que tu disais à propos de faire redescendre la pression convient donc bien à cet aspect intérieur de la musique folk.

Pop & Shot : Tu parles souvent de ton attachement aux violons traditionnels irlandais, que l’on sent énormément sur la chanson « tavern » . tu peux nous en dire quelques mots ?

Sam Amidon : Oui ! En Nouvelle-Angleterre d’où je viens, il y a un mélange d’influences françaises, canadiennes, irlandaises, écossaises. J’ai commencé à jouer à partir de l’âge de trois ans mais quand j’en ai eu dix, j’ai réalisé qu’un tiers des morceaux que je préférais étaient d’origines irlandaises. Mais en réalité, la chanson « Tavern » est américaine, influencée par l’Irlande. Elle a cet enracinement américain. C’est une chanson traditionnelle qui est arrivée à nous en quelque sorte par accident. Philippe jouait de la batterie, Sam du clavier, et ça sonnait vachement comme un truc du type Miami Vice. Ca m’a fait rire, je me suis rajouté au violon. C’était presque une blague, ces deux minutes de violon avec ce beat disco. Sam a ensuite ajouté la deuxième partie où il ralentit la cadence et où il joue ce fabuleux solo. Puis à partir de là, la pièce dans son ensemble a commencé à raconter une histoire. Un de mes objectifs pour cet album était de raconter quelque chose. Ca n’est pas simplement une chanson, puis une chanson et encore une autre chanson.

Pop & Shot : Le monde est de plus en plus effrayant. Les informations vont de mal en pis, et ta musique apparait comme une pause bienvenue au milieu de tout ça. Est-ce que tu suis les infos ou tu t’en protèges ?

Sam Amidon : Malheureusement, je les suis. C’est très difficile mais il le faut. Je prête beaucoup d’attention au pouvoir de l’art, à ses différentes périodes et à l’implication politique des artistes. C’est compliqué. Je n’ai jamais vraiment fait de musique politique à proprement parler mais par exemple, une chanson comme « Golden Willow Tree » est engagée. C’est l’histoire d’un capitaine de bateau qui fait un pacte avec un jeune marin en lui promettant une récompense si celui-ci fait en sorte de faire couler un navire ennemi. Le marin respecte le deal mais une fois la première partie du contrat remplie, le capitaine ne le laisse finalement pas remonter sur son bateau. Il y est question de trahison, de lutte des classes. Les chansons folk ont beaucoup de connexions avec ce qu’il se passe dans le monde. On y trouve à l’intérieur de la sagesse.

Pop & Shot : Merci beaucoup

Sam Amidon : Merci à toi !


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