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décembre 2024

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Difficile aujourd’hui de passer à côté du phénomène Barbara Pravi. La chanteuse à la voix de cristale, mystifiée par l’Eurovision a plus d’une corde à son arc. Le 6 septembre, elle sortait un album inspiré – entre autre – par son héritage familial intitulé « La Pieva », ode émotionnelle à fleur de peau, hommage à son passé où les paroles poétiques trônent en leur centre. L’opus pensé pour le live lui permet de toucher un large public qui s’identifie à sa personnalité entière. C’est d’ailleurs cette même entièreté qui habitera notre conversation toute l’interview du long. Si on a pris le temps de parler de musique, d’inspiration et de son tournage avec Claude Lelouche, notre échange s’est rapidement politisé. Deux femmes qui parlent comme elle aime à le rappeler c’est politique ! Nos deux voix se sont ainsi mêlées pour parler journée international du droit des femmes, droit à l’avortement, condition des femmes en Iran, seconde guerre mondial et engagements. Un échange riche, à lire.

Barbara Pravi interview
Barbara Pravi interview

Pop&Shot : Bonjour, comment vas-tu  ?  Ta journée commence bien ?

Barbara Pravi : Très bien merci !

Pop&Shot : J’avais hâte de te rencontrer pour parler de ton dernier album « La Pieva ». Une réussite qui amène à beaucoup de questions. A la base c’était une histoire d’héritage familiale, c’est ça ?

Barbara Pravi : A la base oui. Je savais pas par où commencer quand j’ai commencé à écrire et je suis allée dans mes racines serbes, du côté de mon grand-père. Après ça ne parle pas que d’héritage, c’est un album qui est beaucoup plus complet et complexe mais c’était le point de départ.

P&S : Une de tes arrière, arrière grand-mère était chanteuse, tu penses que ça t’a destinée à la musique ?

Barbara Pravi : On parle d’une gitane dans les années 1700 donc je sais pas si on peut se projeter et dire que ça me destinait à une carrière dans la musique. Par contre, ce qui est sûr c’est qu’il y a un lien. Il y a quelque chose dans mes veines de presque un peu mystique dans l’endroit de la transmission, de la femme, de la voix.

C’est pas des blagues la musique. C’est à la fois très léger et très lourd.

P&S  : Il y a une forme de nostalgie dans la manière dont tu composes. On retrouve dans tes compositions la façon de travailler le texte qu’on avait dans la chanson française à sa grande époque. Pourquoi cette importance des paroles ?

Barbara Pravi :  Je crois qu’une bonne chanson, ça traverse les âges. Hier j’étais avec un auteur qui travaillait pour plein d’artistes notamment Johnny et il me racontait que Johnny lui avait dit ‘Applique toi parce que moi ta chanson je la chanterai encore dans 30 ans’. C’est vrai. Tu peux pas laisser sur le côté les mots… C’est pas des blagues la musique. C’est à la fois très léger et très lourd. Et je pense que les mots traversent les temps. A l’époque ils savaient écrire des chansons sublimes, on est peut-être un peu plus lazy aujourd’hui, évidemment pas tout le monde. Mais on laisse peut-être plus de place à des textes plus lazy, américanisés en fait. Avec moins de mots, plus de sons que de sens. Moi je fais plutôt partie de la team Bescherelle prof de français.

P&S  : Tu te racontes beaucoup en musique. Comment ça fonctionne pour toi ? Est-ce que parfois rechanter une ancienne chanson va faire revenir des souvenirs douloureux ? Au contraire est-ce thérapeutique pour toi ?

Barbara Pravi  : Les deux. C’est toujours plus thérapeutique qu’autre chose. Après c’est le travail d’interprète. A chaque fois que je chante le Mal Amour, ça ré-ouvre un imaginaire vécu avec des sons, des odeurs, des images que je vois devant les yeux. C’est ce qui me permet de chanter mes chanson avec toujours une émotion juste.

Même dans les larmes, même dans la catharsis, ce que le public me renvoie, c’est l’amour

P&S : Tu es artiste de live. Est-ce difficile pour toi de te dévoiler face à un public ?

Barbara Pravi  : Quand t’es sur scène t’as une empathie générale mais elle n’est pas dirigée, donc moi je donne ce que j’ai à donner et je reçois en retour une grande boule d’énergie. Du coup je ne suis pas impactée par le ressenti de chaque personne, je le suis par le groupe. L’énergie d’un groupe pendant mes concerts, c’est surtout de l’amour. Même dans les larmes, même dans la catharsis, ce que le public me renvoie, c’est l’amour, les merci. Je suis envahie par cette énergie.

P&S : Parmi les messages que tu portes et qui te tiennent à coeur, il y a le féminisme. Tous les 8 mars, tu fais quelque chose de particulier pour cette journée. L’année dernière, tu avais traduit ton texte en français et arabe. Comment est née cette tradition ?

Barbara Pravi  : Ca a commencé quand j’avais fait une ré-écriture de « Kid » d’Eddy de Pretto il y a 8 ans je crois et j’avais choisi cette date parce que c’était la journée internationale du droit des femmes et les année qui ont suivi je me suis rendue compte que c’était devenu un rendez-vous pour le public et pour moi avec le public. D’ailleurs à cette période là je sais plus ou moins ce que je vais faire en mars et là je sais pas encore. Ca me vient toujours, chaque 8 mars, quelque chose vient. C’est devenu un rituel et j’aime beaucoup les rituels. On a tous et toutes des vies un peu zinzin et c’est important d’avoir des petites maisons, des points d’encrage. Le 8 mars c’est un dialogue pour moi avec le public et mon féminisme. Et quand je regarde, je me rends compte de l’évolution qu’a eu ma pensée et c’est comme des photos.

Je crois que c’est pas n’importe quoi de faire un enfant. Ça doit partir d’un désir profond et si ce n’est pas le cas je souhaite qu’on puisse avorter.

P&S : L’année dernière, le 8 mars était particulier, puisqu’il y a eu l’entrée du droit à l’avortement dans la constitution, c’est un sujet dont tu as parlé en musique. Qu’est ce que tu penses que cette inscription dans la constitution va changer pour les générations futures ?

Barbara Pravi  : Il n’y aura pas de débat autour de l’avortement. Moi j’aurai aimé grandir en sachant déjà que faire l’amour avec quelqu’un déjà tu avais pas besoin de te marier avec et que c’était pas grave, que ça permet de se découvrir, de découvrir son corps. C’est hyper important de découvrir sa sexualité quelle qu’elle soit. Il faut passer par la découverte de son corps et par la découverte du corps de l’autre et ce sont les religions qui ont fait en sorte de salir ce don de soit, de l’autre, d’approche de l’autre. Mais c’est beau de faire l’amour avec quelqu’un, quel que soit le quelqu’un. Et j’aurai aimé qu’on me dise que quelque fois ça arrive de tomber enceinte et de pas le choisir et que c’est important de désacraliser ça. Je parlais il y a peu avec un garçon qui a été élevé dans la religion catholique hyper poussée. Il me disait « moi si la nana avec laquelle j’étais tombait enceinte, ok elle avorterait si elle a envie mais moi ça me ferait chier ». Bha putain ça m’a énervée qu’il dise ça ! J’avais envie de prendre sa tête et de lui éclater contre le sol ! Je voulais lui dire « frère t’as 23 ans, t’es en 2024, tu peux pas dire un truc pareil ». Je trouve ça grave qu’il le pense. On devrait toutes et tous faire ce qu’on veut avec notre corps avec comment on est, comment on se sent. Moi j’ai 31 ans aujourd’hui et si je tombais enceinte, je sais pas si je le garderai. J’aimerai vivre dans un Monde où je fais un enfant parce que c’est avec quelqu’un que j’aime, parce que je l’ai choisi, parce que j’ai les moyens de l’accueillir. Parfois c’est un choix parce qu’on ne pourra pas subvenir à ses besoins. Je crois que c’est pas n’importe quoi de faire un enfant. Ca doit partir d’un désir profond et si ce n’est pas le cas je souhaite qu’on puisse avorter.

P&S  : Ce qui est incroyable c’est que ce soit quelqu’un de si jeune qui te dise ça…

Barbara Pravi  : C’était fou ! Vraiment j’étais là, mais on est où là ? Et à moi me dire un truc pareil ? Et puis il me l’a dit avec tellement de naïveté que je pouvais pas être fâchée non plus trop. Je voyais que c’était vraiment ce qu’il pensait. Qu’il est contre, il disait « je me rends compte, que si j’ai une meuf qui tombe enceinte et qu’elle avorte je serai super triste. » Ca retourne le problème, j’étais là je vais pas aller pleurer pour toi frérot ! T’es fou ou quoi ?  Tu sais ce que c’est d’avorter ? Tu sais comme ça fait mal ? Tout le monde ne le vit pas forcément pareil. Mais tout de même c’était le monde à l’envers, ça m’a énervée.

Barbara PraviP&S  : T’as réussi à dialoguer quand même ?

Barbara Pravi  : Oui parce que c’est pas quelqu’un qui est fermé au dialogue  et moi non plus. Mais parfois ça devrait même pas être des dialogues, c’est comme ça et c’est tout. Ca va aussi que moi j’ai 31 ans et que je m’en fous mais tu vois un mec qui dit ça à sa nana qui aurait le même âge que lui et qui culpabilise déjà de devoir avorter, ça donne quoi comme discussion honnêtement ? Ca donne une meuf qui va devoir réconforter son mec ? Non mais ta race, vas !

Je pense qu’on ne peut pas connaître le courage qu’ont les femmes en Iran, au Liban, en Ukraine. Dans tous ces pays ravagés par la guerre, les injonctions, toute forme de domination sur leurs corps et esprits

P&S  : Tu es aussi d’origine iranienne. On a tous.tes vu les images de la jeune fille en Iran qui s’est dénudée pour faire face à un gouvernement oppressif et liberticide. Elle a fait ce geste au péril de sa vie. Je me disais que tu aimerais peut-être en dire quelque chose ?

Barbara Pravi  : Je pense qu’on ne peut pas connaître le courage qu’ont les femmes en Iran, au Liban, en Ukraine. Dans tous ces pays ravagés par la guerre, les injonctions, toute forme de domination sur leurs corps et esprits. Je pense que ce sont les pays où les femmes sont les plus courageuses au Monde, c’est là-bas qu’on trouve le centre névralgique du courage. Et nous on saura jamais ce que c’est parce en France. C’est hyper important ce qu’on fait, on se bat pour le droit à l’avortement, l’égalité des salaires, les droits des LGBT, on a d’autres combats qu’on peut mener à bien parce que nos combats vitaux ont déjà été menés. Mais t’imagine en Iran, les femmes peuvent pas sortir dans la rue sans le voile. Mahsa Amini s’est faite assassiner il y a deux ans parce qu’elle avait enlevé son voile en public. Donc on est sur d’autres sphères de combat et de courage. Quand les iraniens et iraniennes sont descendu.es dans la rue pour protester contre sa mort, il y a des milliers de femmes qui se sont fait arrêtées, torturées, violées. Et elles allaient quand même dans la rue parce qu’elles pensaient plus grand qu’elles. A un moment le soit n’existe plus. Le combat il existe pour les générations à venir parce que tu sais que toi t’es déjà mort.e.

C’est comment on va faire pour changer en profondeur notre pays. C’est hyper fort. J’espère que nous en France, on connaîtra pas ça.

P&S  : Quand on efface ton existence à ce point, qu’as tu à perdre ?

Barbara Pravi : Ta vie elle vaut plus rien donc tu la dédies à quelque chose de plus grand que toi qui est la cause humaine. C’est comment on va faire pour changer en profondeur notre pays. C’est hyper fort. J’espère que nous en France, on connaîtra pas ça. Je me suis toujours demandé, s’il y avait une troisième guerre mondiale, est ce que je serai du côté des résistants ? Qu’aurais-je fait pendant la seconde guerre mondiale ? On en sait rien. Je voudrais te dire que j’aurai été résistante, mais comment le savoir ? Là-bas ils sont confrontés à ce genre de questions là.

P&S  : En Afghanistan aussi où les règles s’empirent en continue, avec les femmes qui n’ont plus le droit de se parler.

Barbara Pravi  : C’est n’importe quoi !

L’art est politique, il l’a toujours été et même la légèreté dans l’art est politique.

P&S  : Tu penses qu’à notre échelle, par exemple toi en tant qu’artiste, on peut réellement faire bouger les choses en en parlant ?

Barbara Pravi  : C’est difficile, on vit dans un Monde où on croule sous l’information et la désinformation. Il faut bien choisir ses causes et il faut connaître les sujets pour parler. Sinon ça ne sert à rien. C’est pour ça que j’ai choisi le modèle du témoignage, que tout ce que je  raconte ce sont des choses que je sais, vis, sens. Je ne parlerai jamais de ce que je ne connais pas. Je me sentirai illégitime. L’art est politique, il l’a toujours été et même la légèreté dans l’art est politique. Ceux qui disent qu’ils ne veulent pas écrire de chansons engagées mais légères c’est politique aussi. Parce qu’en Iran, même la légèreté n’existe pas dans la rue. Sans le savoir on fait tous de la politique.

Pardon mais n’importe quelle femme en train de parler, nous deux en train de parler, c’est politique.

P&S : Etre apolitique c’est une chance, ça veut déjà dire que tu peux te le permettre.

Barbara Pravi  : Bien sûr ! En Iran les femmes n’ont pas le droit de chanter en public, de parler en public. Elles ne peuvent pas s’exprimer en dehors de leurs maisons. Pardon mais n’importe quelle femme en train de parler, nous deux en train de parler, c’est politique. C’est juste qu’il faut le regarder avec les bonnes lunettes.

P&S  : Tu mettais aussi en avant des histoires de femmes oubliées …

Barbara Pravi  : Oui je faisais ça sur Instagram à un moment donné. J’ai arrêté par manque de temps. Je mettais la lumière sur des destins de femmes. Je voulais parler de Georges Sand par exemple. On connait pas assez la vie de cette femme qui est extraordinaire. C’était une comtesse  qui a quitté sa vie pour aller à Paris, porter des pantalons, se faire nommer Georges Sand pour pouvoir écrire et être reconnue comme un homme. Elle savait que si elle s’appelait Aurore, les gens liraient pas son bouquin et c’était une des premières féministes bad ass.

Barbara Pravi La PievaP&S : En parlant de tes canaux d’expression tu t’es aussi mise au cinéma, comment s’est passé cette expérience là ?

Barbara Pravi  : C’est un peu de la cours de récré pour moi puisque j’ai pas eu de rôle compliqué qui demande beaucoup de travail etc… Lelouche il filme la réalité donc j’étais moi-même, habillée avec mes fringues, je m’appelle Barbara. C’était une expérience surtout humaine extraordinaire, des gens qui sont encore mes ami.es aujourd’hui. Claude c’est quelqu’un que j’aime profondément. J’aimerai qu’un mec me regarde un jour comme il me regardait lui, c’est trop beau. Il aime les gens véritablement et il arrive à choper l’essence des gens.

P&S  : Comment tu t’es retrouvé à travailler avec lui ?

Barbara Pravi  : Il m’a appelée, il m’avait vu à l’Eurovision, il avait entendu parler de moi et il m’a appelée, puis il m’a invitée à déjeuner et puis voilà.

P&S  : J’ai vu que tu parlais en interview de Montmartre, ce quartier a quelque chose de particulier, d’artistique. Tu entretiens quel rapport avec lui ?

Barbara Pravi  : C’est ma maison. D’ailleurs je déménage là pour retourner dans le 18ème. Mon rêve ça a toujours été de vivre à Montmartre. Mes ami.es sont là, je me balade dans les rues et je les connais toutes par coeur. L’air y est différent pour moi, la sensation de mes chaussures y est différent.

P&S  : Dernière question, tu écris un livre, ça en est où ?

Barbara Pravi  : C’est presque fini. C’est une saga familiale, ça se passe sur trois époques, 1915, 1947 et 2028 et c’est une jeune femme qui part à la quête d’un objet qui a été oublié dans sa famille depuis des générations.

P&S : Hâte de le lire et merci pour tout !


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Geordie Greep, l’ex-leader de black midi, le groupe le plus cacophonique (dans le bon sens du terme) d’Angleterre ayant tiré sa révérence il y a quelques mois, se produisait à la Gaité Lyrique le 03 décembre pour présenter son premier projet solo sorti en octobre dernier, une véritable pépite bien plus digeste et libre que tout ce qu’a pu faire son groupe auparavant, réussissant le défi de garder intacte l’identité d’une musique aussi mathématique que complètement barrée.

Geordie Greep – Crédit : Théophile Le Maitre

Un album 10/10

Il fait partie de nos coups de cœur de l’année. The New Sound, première tentative en solo plus que réussie du frontman de black midi. L’album est dense, hyper puissant, et, contre toute attente, très très catchy. Et oui, Geordie Greep parvient à nous tirer quelques pas de danse, ce que n’avait pas vraiment réussi à faire black midi en trois albums. Il faut dire que ça n’était guère leur intention durant leur période d’activité, leur free rock progressif jazzy dissonant expérimental [rajouter un mot pour encore plus de complexité] ne cessant de repousser les limites du supportable. Le groupe avait le mérite de pousser à fond le délire, et l’élégance de ne faire aucun compromis. Mais après trois albums (tous excellents – coup de cœur pour le deuxième), leur séparation fut finalement plus un soulagement qu’autre chose. Néanmoins, se séparer d’un indéniable talent d’écriture et de l’originalité d’un style gloubi-boulga nous embêtait quelque peu. Heureusement que Geordie Greep avait plus d’un tour dans son sac. Le voilà le prolongement intelligent¸ le renouvellement parfait dont on avait besoin !

La cover de l’album parle d’elle-même : colorée, amusante, agréable à la vue alors qu’y figure tout de même une décapitation. On garde l’esprit dérangeant, et on y ajoute une touche décalée et sympathique. Et bien The New Sound, c’est tout à fait ça : plongée en eaux profondes mais pas si troubles que ça, grâce à ce qui fait tout son charme, l’envie de s’éclater dans le bordel.

 

Grimpez votre propre Everest !

L’album fait plus d’une heure, avec des morceaux dont la durée ne cesse de grimper jusqu’à atteindre les douze sur sa fin. C’est lourd, et il faut plusieurs tentatives pour atteindre le bout d’une traite. Mais lorsque ce bout est atteint, et que vous n’avez eu de cesse de repasser par les mêmes montagnes à gravir avant de voir le panorama complet, l’évidence s’impose à vous comme par magie : qu’est-ce que cette grimpe est jubilatoire ! Rien que l’échauffement sur « Blues » capte toute votre énergie. Quelle grandiose introduction bourrée en tension. Sur « Holy Holy », situé peu de temps après, la pression n’est pas tant relâchée, mais au moins, vous pouvez davantage laisser aller votre corps qui ne demande qu’à suivre le rythme contagieux du refrain. Quel sport et quelle éclate ! Mais ça n’est pas le moment de lâcher puisqu’il reste huit morceaux de taille prêts à vous percuter. « Through a war », « Motorbike », « As If Waltz » sont aussi costauds que les muscles de popeye. Drôle à dire après avoir vu son auteur sur la scène de la Gaité Lyrique, semblable à un lutin d’un autre temps, aussi maladroit que charmant dans sa prestance, l’air de ne jamais trop savoir ce qu’il fait là, et pourtant habité par la joie et la bonne humeur, toujours généreux avec ses musiciens et son public. Que de paradoxes ! Et c’est ça qui est beau. On se demande comment un petit bonhomme sapé aussi soigneusement peut-être à l’origine d’une musique aussi hargneuse.

 

Formation JAZZ ROCK

Geordie Greep est accompagné de cinq musiciens, à la guitare, à la basse, à la batterie, au violoncelle et au clavier. Une belle troupe pour faire vivre comme il se doit cet album monstre. La formation débute seule pendant dix minutes au moins, se lançant dans une sorte d’improvisation en mode jam session. Rien à voir avec l’album. Ca groove et ça commence bien. Geordie Greep se fait attendre. On se doute qu’à partir du moment où il entrera en scène, le changement de ton sera radical. Et finalement non, puisqu’en arrivant, il dessine quelques pas de danse avant de rejoindre à la guitare ses compères dans l’improvisation. Au bout de quelques minutes, il finit par dire « le morceau va s’arrêter dans 3 2 1… », puis, sans trêve, le concert bascule immédiatement dans le monde semi-horrifique de The New Sound, avec une mélodie plus serrée, une rythmique plus marquée, des musiciens tout de suite plus en tension. C’est le morceau « Walk On » qui ouvre le bal.

 

loin des clichés rock

La voix de Geordie Greep, théâtrale, tellement anglaise et flexible, sonne merveilleusement. Limite un peu trop fort, comparé aux instruments. Mais on ne va pas se plaindre, pour une fois que c’est dans ce sens-là. Comment décrire cette manière de chanter si particulière ? Très loin des stéréotypes liés au rock, et qui accorde beaucoup d’importance aux mélodies. C’est le genre de voix que l’on entend peu, expansive, labyrinthique… Elle donne à son possesseur un air de crooner aristocrate (c’est la seule comparaison qui nous est venu). De tous les métiers qu’on pourrait lui attribuer, chanteur de rock serait probablement le dernier à nous venir en tête. Mais c’est précisément là que la magie intervient, par le contraste saisissant qui existe entre cette capacité vocale et la rigueur instrumentale qui l’accompagne.

 

Une balance maitrisée

Hyper généreux, le set durera deux heures et alternera constamment entre le morceaux de l’album et des moments d’improvisation pareils à l’introduction du concert. Un peu de liberté et de souplesse ne fait pas de mal. Car il y a tant de rigueur dans la musique de Geordie Greep qu’il est utile de relâcher la pression. D’ailleurs, l’album est tellement carré, mathématique et puissant en studio, que sur scène, il a un peu de mal à trouver l’impact nécessaire pour vraiment nous chopper, ce qui est moins le cas des moments improvisés qui finissent toujours par nous emporter.

Le public de la Gaité Lyrique, en tout cas, est très réceptif. Les applaudissements à chaque fin de morceau sont de plus en plus vigoureux, et Geordie a l’aura d’une star ce soir-là. Ca n’est plus vraiment dur, dur d’être un bébé, lorsque l’on porte ce prénom et que l’on est un petit prodige.


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