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janvier 2024

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Josh O'Connor et Alec Secāreanu dans God's Own Country de Francis Lee (2017)
Josh O’Connor et Alec Secāreanu dans God’s Own Country de Francis Lee (2017)

En 2017, Francis Lee dévoilait son premier long-métrage, God’s Own Country. On y suit l’histoire de Johnny Saxby, un fermier vivant dans le Yorkshire avec son père invalide et sa grand-mère. L’arrivée de Gheorghe, un fermier roumain venu aider sur la ferme, va chambouler son existence. Joli conte sur la découverte de soi et de l’amour, God’s Own Country est une petite perle à ne pas rater. 

Brokeback, broken heart

Dans les faits, oui, God’s Own Country peut faire penser à Brokeback Mountain mais version campagne anglaise. La nature omniprésente, la ferme, deux hommes qui y tombent amoureux et se découvrent une tendresse qu’ils s’ignoraient… oui, là-dessus, les thèmes peuvent être similaires. Mais God’s Own Country ne pouvait être plus différent de Brokeback Mountain. Là où ce dernier évoque un secret honteux qui ne peut que se terminer en drame, God’s Own Country évoque une quête identitaire et la découverte de l’amour.

Johnny (Josh O’Connor) travaille dans la ferme de son père (Ian Hart). Sa grand-mère (Gemma Jones), étant trop âgée pour s’occuper des bêtes, et son père désormais invalide après un AVC, ne peuvent plus travailler sur la ferme, laissant ainsi toute la responsabilité au fils.

Vivant une existence désolante, où il ne semble trouver plaisir nulle part, Johnny s’adonne à des étreintes brutales et frénétiques avec des hommes qu’il abandonne aussi vite après. Les scènes sont explicites, presque mécaniques. Il se refuse tout contact d’intimité, ne semblant même pas y penser.

L’éducation sentimentale

C’est l’arrivée de Gheorghe (Alec Secāreanu) qui pose l’élément déclencheur. Immigré roumain venu chercher du travail en Angleterre, il est embauché pour aider Johnny à s’occuper de la ferme. Dès lors, c’est tout un jeu d’observation qui commence entre les deux hommes. Johnny semble fasciné par la sensibilité de Gheorghe dans sa manière de s’occuper des agneaux.

Leur histoire d’amour commence brutalement, initiée par Johnny, toujours aussi gauche et agressif dans son rapport aux autres. Gheorge reprend la main, l’apaise. Et dans l’une des scènes d’amour les plus touchantes de ces dernières années, il lui apprend la tendresse. Sans vouloir citer Florent Pagny, il lui apprend à aimer, la douceur et la passion. Pour la première fois, Johnny trouve une raison de vivre, plutôt que de simplement subsister.

Un film d’une grande justesse

La beauté du scénario réside dans l’évolution du personnage de Johnny qui se découvre petit à petit. Josh O’Connor, que vous avez sûrement pu voir dans The Crown ou plus récemment dans La Chimera d’Alice Rohrwacher, y est troublant de sincérité. Peu bavard, brutal, il évoque ces vies minuscules (à la Pierre Michon, bien entendu), oubliées, ayant abandonné toute espérance. Le jeu est naturaliste, tel les glaneuses de Millet, la famille attrape de la vie ce qu’il en reste.

Les dialogues, très épars, laissent place à l’observation, aux regards, aux respirations. Tout est dit mais pas énoncé. À nous de traduire et de comprendre. Chaque acteur délivre ses émotions avec une justesse à nous en tirer des larmes. Et pourtant, ça se termine bien! Quelque chose de pas si fréquent dans le cinéma queer.

Josh O'Connor et Alec Secāreanu dans God's Own Country de Francis Lee (2017)
Josh O’Connor et Alec Secāreanu dans God’s Own Country de Francis Lee (2017)

Masculinité ébranlée

God’s Own Country, c’est un peu l’histoire de son réalisateur, Francis Lee, qui a dû choisir entre sa vie à la ferme et intégrer une école de cinéma. Ayant grandi à proximité de la localisation du film, il voulait raconter son histoire, celle d’être un homme gay au beau milieu du Yorkshire.
C’est une bien belle description de la masculinité que Francis Lee nous peint là. Oscillant entre la vulnérabilité mal contenue et une tentative de dominance bancale où les émotions tapissent les conversations bâteaux sur la gestion de la ferme, Johnny incarne ces hommes auprès desquels Francis a grandi. Et puis bon, on en a tous connu un, non ?

Par ailleurs, le film ne place pas l’homosexualité au centre de l’intrigue, ni n’en fait un élément central. C’est un fait. Le terme n’est jamais mentionné, à part pour d’occasionnels « faggot » ou « freak », employés par Gheorghe ou Johnny, le sourire aux lèvres. Subtil détournement d’insultes homophobes laissant entendre des « I love you » sous cape. God’s Own Country n’est pas tant un film sur la découverte et l’acceptation de son homosexualité, que la volonté de s’extirper de sa condition. L’orientation sexuelle ne semble être la cause de la déréliction de personne ici. Pour Gheorghe comme pour Johnny, la rencontre de l’autre était l’impulsion nécessaire pour vivre leur vie comme ils l’entendent.

God's Own Country (2017)
God’s Own Country (2017)

Joli conte qu’est God’s Own Country. Il serait difficile d’en dire plus sans en éventer le plaisir du visionnage. Sorti un peu avant le géant Call Me By Your Name du grand Luca Guadagnino (dont le prochain film, Challengers, a pour acteur principal… Josh O’Connor!), God’s Own Country est peut-être passé un peu à la trappe. La campagne anglaise n’a pourtant pas à rougir face au soleil envoûtant de l’Italie des années 80. Car ici, personne n’abuse de personne et aucun acteur n’a été accusé de cannibalisme…


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Karla Chubb de Sprints @Pénélope Bonneau Rouis
Karla Chubb de Sprints @Pénélope Bonneau Rouis

Le 8 janvier 2024, les enragé.es de Sprints débarquaient avec un nouvel album, profondément punk intitulé Letter to Self. Une petite bombe abrasive et  brute de décoffrage comme on en trouve trop peu ces temps-ci. De passage à Paris pour assurer la promotion du successeur d’A Modern Job, Karla Shubb, chanteuse et leader de la formation a accepté de répondre aux questions de Pop&Shot. On en a profité pour parler représentation de la femme dans le rock et le punk, Ari Aster, de droits des femmes en Irlande, de création mais aussi de dépasser sa timidité pour jouer en live. Rencontre.

Pop&Shot : Bonjour Karla, pour commencer, peux-tu nous décrire cet album en quelques mots? 

Karla Shubb – Sprints : assez cru, émotif et cathartique. Notre musique est assez autobiographique. On parle de nos expériences, de nos vies et de nos proches. C’est très interpersonnel et honnête.

Si tu ne vois pas de gens comme toi dans les médias, c’est facile de te dire que c’est pas possible pour toi d’y arriver

P&S : L’album s’appelle Letters to Self, que voudrais-tu te dire ? 

Karla Shubb – Sprints : J’y ai pensé un peu sous cet angle : j’aime beaucoup l’idée d’être un produit de son environnement. Si tu as grandi en voyant ou en vivant des difficultés, si tu ne vois pas de gens comme toi dans les médias, c’est facile de te dire que c’est pas possible pour toi d’y arriver. Particulièrement dans une industrie dominée par les hommes, tout en essayant de comprendre son identité, sa sexualité en Irlande qui a mis longtemps avant de devenir progressive. C’était difficile d’accepter que ces accomplissements  étaient également possible pour moi. Donc en les posant sur le papier, en chanson, partager mes émotions, mes insécurités est la seule manière d’aspirer à aller mieux. Les gens peuvent s’y reconnaitre et le poids est partagé.

On a quand même grandi avec ces magazines musicaux où sur les 100 meilleurs guitaristes, un seul et encore, est une femme.

P&S : Tu as dit dans une autre interview qu’être une femme sur scène, ça signifiait  que tu devais être « 10 fois meilleure » que qu’un homme sur scène et pour autant n’avoir que la moitié de reconnaissance. Est-ce que tu ressens toujours cela aujourd’hui ? 

Karla Shubb- Sprints :  Même si ça va mieux aujourd’hui et que l’on reconnait de plus en plus le talent de musiciennes, on a quand même grandi avec ces magazines musicaux où sur les 100 meilleurs guitaristes, un seul peut être, est une femme et encore. C’est tellement internalisé. Et je dis souvent que je joue contre la montre, j’ai jusqu’à 30 ans avant qu’ils n’essayent de me mettre à le retraite. Donc il me resterait trois bonnes années. Et cette idée, je ne me la suis pas mise en tête toute seule. Il y a quelqu’un ou quelque chose qui me l’a fait croire. Donc, j’ai ce complexe où je me sens obligée de prouver à tout prix que je suis bonne musicienne. Je dois justifier tout ce que j’ai fait sur l’album. Je vois les mecs du groupe être crédités sur des choses que j’ai faites. Et c’est mon propre groupe ! Les médias partent juste du principe que c’est le guitariste qui a fait tel solo. Il y a encore beaucoup de choses à faire.

On devrait construire et établir nos communautés plutôt que de brûler nos villes.

P&S : Tu as dit que le punk revenait. C’était aussi un genre dominé par les mecs et aujourd’hui de plus en plus de femmes en font. 

Karla Shubb – Sprints: Je pense que le punk est quelque chose qui est née d’une difficulté, d’une résistance. Il y a une montée des émeutes et des rébellions dans le monde parce qu’il y a tellement de frustration. Et la meilleure manière de l’exprimer pour nous, c’est de faire de la musique. On devrait construire et établir nos communautés plutôt que de brûler nos villes. Et je pense que les femmes en particulier, ressentent cette oppression pendant très longtemps et les femmes en Irlande n’ont eu accès à l’avortement qu’il y a quatre ans. Et encore aujourd’hui, il y a des hôpitaux qui le refusent. Il y a une vraie crise de classe entre celles qui y ont accès et celles qui n’y ont pas accès. Il y a beaucoup de choses qui nous énervent et j’ai de la chance d’avoir eu la musique pour l’exprimer.

P&S : Dans ta musique, tu répètes souvent les mêmes phrases. Qu’est-ce que ça signifie ? 

Karla Shubb – Sprints:  La répétition c’est un super outil. Plus tu le dis, plus cela emphase ton propos et tu remarques mieux le sens de la phrase. Il y a plusieurs couches à certains propos et la répétition est un marqueur de rythme que j’utilise un peu inconsciemment. C’est comme un mantra que je me répète. Si je le dis suffisamment peut-être que je finirai par y croire.

SPRINTS - HEAVY (OFFICIAL VIDEO)

P&S : Et quel est ton sentiment quand tu es sur scène ? 

Karla Shubb- Sprints :  Je pense que quand tu es sur scène et que tu joues un nouveau morceau, c’est un peu flippant. On a pas encore eu l’occasion de jouer notre dernier single par exemple et je sais que ça va être particulièrement flippant parce qu’il y a beaucoup d’émotions dans ce morceau. Ça va être très cathartique mais c’est cette énergie que l’on adore quand on joue. On dirait une communauté, surtout si on doit répéter des phrases et que les gens chantent avec nous. C’est dans ces moments que tu réalises que la chanson n’est plus qu’à toi et que chacun y trouve son interprétation.

P&S : Vous avez enregistré cet album dans la Vallée de La Loire ?

Karla Shubb- Sprints :  Oui, dans une ferme aménagée en studio, à une heure de Nantes. Notre producteur voulait vraiment enregistrer un album là-bas. Le propriétaire du studio a tout appris avec Steve Albini. Il a appris des meilleurs et son studio était incroyable, le même que celui que les Rolling Stones utilisaient. Le lieu était génial aussi, au milieu de nulle part et ça faisait du bien de s’éloigner de Dublin et de ne faire que de la musique pendant 12 jours.

Le punk, c’est tellement d’émotions qui se mélangent, ça ne devrait pas être parfait.

P&S : Votre précédent EP, lui,  a été enregistré live.  Comment ça s’est passé ?

Karla Shubb- Sprints :  Oui, généralement quand les groupes enregistrent leur albums, chacun enregistre sa partie dans son coin et on assemble tout à la fin. Et quand on travaillait avec Dan Fox, il nous a proposé de tout enregistrer en même temps donc, c’était pas toujours parfait. C’est ce qui a rendu le processus très naturel et plus authentique. Surtout que le punk, c’est tellement d’émotions qui se mélangent, ça ne devrait pas être parfait. Les imperfections sont même devenus notre partie préférée de certains morceaux.

P&S : L’album est très énervé mais le dernier morceau est très calme. Comme pour changer radicalement d’atmosphère avant la fin …

Karla Shubb- Sprints :  On voulait un clap de fin, comme dans un film. Jack et moi, on adore les films d’horreur, comme ceux d’Ari Aster. Les films psychologiques, tellement intenses et on voulait que l’album ait cette ambiance. Donc ce dernier morceau, c’était comme le générique de fin. Le calme après la tempête. C’est un peu la raison pour laquelle j’ai écrit cet album, pour accepter tout ce qui m’est arrivé, et comment je ressens le monde. J’ai trouvé des choses géniales, avec des gens géniaux. Il y a eu des périodes de ma vie où je n’allais pas bien du tout et je ne suis plus du tout dans cet état d’esprit aujourd’hui. C’est ce que j’exprime dans cet album. La lumière au bout du tunnel anxieux.

SPRINTS - SHADOW OF A DOUBT (OFFICIAL VIDEO)

P&S : Dans tes influences, tu cites beaucoup, Jehnny Beth et tu dis que tu te reconnais dans son comportement timide dans la vraie vie et son énergie sur scène.

Karla Shubb- Sprints :  Oui, je l’adore. Je suis très timide et j’ai dû travailler un peu pour l’être moins. En tournée, les autres sont beaucoup plus à l’aise pour discuter avec des gens, moi je reste dans mon coin parce que je suis socialement drainée on va dire. Mais quand tu es introvertie, tu deviens une personne complètement différente sur scène. Tu t’en fous presque de ce que les gens pensent de toi et les gens ont payé pour être là donc autant leur offrir un show mémorable.

P&S : Allez et une dernière question, comment est-ce que tu découvres de nouveaux artistes ?

Karla Shubb – Sprints:  je galère un peu à vrai. Quand j’étais petite, j’achetais des magazines, j’écoutais la radio et je découvrais de nouveaux artistes comme ça. Maintenant, même si tu as les plateformes et les algorithmes, il faut quand même que tu fasses le choix d’aller chercher de nouvelles choses. Donc je continue de regarder dans les magazines ou en ligne. Et c’est un peu pour ça qu’on est très influencés pas le rock 90s où c’était plus facile de découvrir des artistes finalement.

Interview : Julia Escudero et Pénélope Bonneau Rouis


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