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Franck Ruzé, auteur complètement génial des brillants « 666 » ou encore « L’Échelle des sens » captive à chacun de ses livres avec ses sujets sensibles. De l’anorexie à la prostitution étudiante, en passant par des thèmes carrément rock, l’écrivain utilise un style parlé pour faire vivre ses histoires. Véritable coup de cœur de la rédaction qui a déjà lu (et relu) tous ses ouvrages, il s’attache à faire ressentir une proximité prenante avec ses personnages. Pour Pop & Shot il revient sur le travail d’écrivain, ses débuts, ses réussites et échecs et nous livre les secrets de ses futurs projets. Découvrez la première partie de notre interview avec Franck Ruzé !

  • On attend ton prochain livre avec impatience, travailles-tu sur un nouveau projet actuellement ?

Oui, ça fait 3 ans que je travaille sur un truc, mais je suis parti sur des fausses pistes, donc ça prend du temps. Il y a une théorie comme quoi la littérature est figée, et qu’elle comporte les signes de la littérature, un ensemble de codes, par exemple écrire à la 3eme personne et au passé, et si on ne correspond pas à ces codes, on est, en tous cas pour la très grande majorité des gens, hors-littérature, on est autre chose. Donc j’ai voulu tenter l’expérience de réutiliser ces codes et de m’amuser à l’intérieur, mais ça n’a pas marché. Les personnages perdaient en réalité, alors que je m’attache précisément à faire ressentir la proximité de ceux-ci dans mes livres.

  • Comment as-tu fait tes débuts dans l’écriture ? « 0% » est ton premier roman publié, est-il le premier que tu aies écrit ?

Non, j’en ai écrit 9 autres avant ! Ils n’ont jamais été publiés et ils sont assez, voire très mauvais. J’ai envoyé les 9 à des éditeurs, vers la fin j’envoyais même un gros bottin avec les 9 livres comme si c’était 9 gros chapitres d’un livre, et de temps en temps les éditeurs me faisaient venir pour me rencontrer et me dire qu’ils aimeraient bien lire le prochain, mais qu’ils ne pouvaient pas éditer celui-là, que c’était un monstre. Il y avait même une pièce de théâtre à l’intérieur.

  • Quel a été ton parcours pour être publié ?

J’ai déposé mon 10eme manuscrit au Dilettante. Je ne leur avais jamais rien envoyé avant. Une stagiaire l’a lu, l’a aimé et l’a passé à Dominique Gaultier qui m’a téléphoné le lendemain je crois. Ils ont été très réactifs, je pensais avoir ma réponse en deux ou trois mois, et ça a pris deux jours. Le lendemain, je signais avec eux pour 0%.

  • Concrètement, à quoi ressemble la vie d’écrivain ? Peux-tu vivre grâce à tes écrits ?

Non, malheureusement. Enfin tout dépend de ce qu’on appelle vivre. Les ventes de 0% m’ont bien aidé quand j’étais étudiant dans un studio à manger des pâtes. Mais maintenant la situation est un peu différente, donc j’ai un autre travail dans le secteur des logiciels d’aide à la prescription à l’hôpital.

« Réponse manuscrite de Beigbeder, une lettre type aurait suffi, mais non, il m’écrivait que tout était à chier, nullissime »

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  • Lequel de tes livre a-t-il pris le plus longtemps à écrire ?

666. Il s’est fait refuser par tous les éditeurs, je l’ai réécrit 4 fois. Au début j’avais été approché par Beigbeder pour le publier chez Flammarion, j’avais publié le début de 666 dans sa revue Bordel et il m’avait dit à une soirée « Ah c’est chaud, c’est chaud, je me suis branlé 12 fois dessus » (j’ai une mémoire super précise pour les dialogues, déformation professionnelle oblige). Après il m’a proposé de passer chez Flammarion avec le livre entier, ce que j’ai fait mais en ce temps-là, financièrement, j’étais vraiment très juste et j’avais besoin d’une avance, et je l’ai un peu pressurisé pour avoir la réponse, je la voulais dans une semaine, évidemment c’était pas possible, Flammarion c’est pas Le Dilettante, mais je sais pas pourquoi j’avais pas bien réalisé ça, il fallait plus de temps mais moi je lui ai dit Si j’ai pas la réponse dans une semaine je le signe au Dilettante, parce qu’il faut que je mange, quand même, voilà. Et évidemment il ne m’a pas répondu au bout d’une semaine, alors je l’ai donné au Dilettante, qui m’a dit Oooh on a entendu que tu l’avais proposé chez Flammarion, alors on en veut pas, on veut bien le prochain mais pas celui-là. Et en plus ils n’aimaient pas le livre. Un mois plus tard, réponse manuscrite de Beigbeder, une lettre type aurait suffi, mais non, il m’écrivait que tout était à chier, nullissime, que ça manquait de toutes les qualités, qu’il n’avait jamais rien lu d’aussi mauvais, y compris apparemment le début qu’il aimait tant et sur lequel il s’était branlé 12 fois. Et c’était signé en rouge, une grande signature de travers, ça donnait une espèce de ton « vengeance, ahahah ». Donc moi paniqué je l’ai fait lire à l’excellent Philippe Jaenada, qui m’a dit qu’il avait vraiment beaucoup aimé et que Beigbeider devait avoir quelque chose de personnel contre moi, c’était la seule explication. Donc je l’ai réécrit entièrement pour le représenter au Dilettante, dans une version que je n’avais présenté nulle part ailleurs, ils ont bien voulu, mais ils n’ont toujours pas aimé. Alors j’ai réécrit plein de passages, mais pour eux c’était toujours Non, alors je l’ai envoyé à plein d’autres éditeurs, refus, refus, refus, etc. Et là Stéphane Million, éditeur de la revue Bordel chez Flammarion, qui m’avait convaincu justement de publier le début du livre dans sa revue, me propose de publier les 3 versions à la suite, une expérience littéraire, mais moi je ne voulais pas que ce soit trop intellectualisé, je voulais ça rock, déjà que les chapitres sont présentés à l’envers comme les disques que tu lis à l’envers pour entendre les messages subliminaux, je me suis dit que 3 versions à la suite ça passerait pas, alors j’ai fait une quatrième version qui est un patchwork des trois versions précédentes, où j’ai retenu ce qui me semblait le meilleur. Et donc tout ça a pris du temps.

  • Combien de temps faut-il pour écrire un roman ?

Entre une semaine et dix ans, d’après ce qui est généralement observé.

  • Une fois le point final posé, quelles sont les étapes avant sa distribution ?

L’éditeur le fait lire, se fait faire des fiches de lectures, puis le lit, puis te dis ce qui est bien et moins bien, te propose de modifier telle ou telle chose, puis le fait lire éventuellement à un groupe d’éditeurs qui donne son avis, et quand tu donnes la version corrigée ça repasse par le même circuit, tu discutes de l’à-valoir (la somme d’argent que tu reçois même si le livre est un échec commercial) et des droits d’auteur, tu signes le contrat, puis il y a la mise en page, on t’envoie les épreuves qui sont corrigées par un dieu ou une déesse de la grammaire, avec aussi parfois des propositions sur le style, genre remplacer ce point-virgule par un point, et toi tu commentes dans la marge: Non non, je garde le point-virgule, tu en profites pour faire des modifs de dernière minute même si théoriquement c’est pas trop fait pour ça, tu as une date limite pour rendre le tout, c’est remis en page, tu as encore des épreuves avec cette fois un bon à tirer à signer si tout est OK, ça part à l’imprimeur, et hop, tu revois l’éditeur quand il faut signer les exemplaires de presse, tu sais jamais quoi dire sur les dédicaces, les livres ont l’odeur du papier frais, là dans ta main tu tiens plusieurs années de travail mais ça ne t’appartient plus vraiment, tu n’as plus aucune prise sur le livre, c’est devenu une entité à part qui contient une part de toi mais qui s’en va, va faire sa vie avec des lecteurs qui l’aimeront ou pas, tu angoisses un peu mais surtout tu te sens libre.

  • Comment sait-on qu’on a fini un ouvrage d’ailleurs ?

On a comme un sentiment de plénitude. Quand tu penses au livre il te parait rond, c’est difficile à décrire.

« J’aimerai caster Johnny Depp dans son propre rôle, pour l’entendre chanter Joe le taxi. »

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  • As-tu sa conclusion en tête lorsque tu commences à l’écrire ?

Tu as un plan général et tu essayes d’amener les personnages aux différents checkpoints qui sont prévus sur la traversée du livre, mais parfois ils n’en font qu’à leur tête et ils prennent l’histoire en otage. En plus, mes personnages ne sont pas très disciplinés.

  • Quel roman aurais-tu aimé écrire ?

La maison des feuilles, de Danielewski.

  • Si tu avais la possibilité d’adapter l’un de tes livres au cinéma, lequel choisirais-tu ?

666, pour le fun qu’il y aurait à l’adapter et à le voir jouer.

  • As-tu en tête un casting idéal ?

Johnny Depp dans son propre rôle, pour l’entendre chanter Joe le taxi.

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