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Les quatre rouennais de We Hate You Please Die ont dévoilé leur deuxième album « Can’t Wait To Be Fine » le 18 juin dernier. Quelques jours avant cette sortie, à l’occasion  de sa présence à Paris, Pop & Shot a rencontré le quatuor normand. Confortablement assis sur une terrasse fraichement rouverte, même la pluie n’a pas empêché le groupe de punk garage de nous parler de son nouvel album, d’ADHD, des réseaux sociaux, de dissonance cognitive ou encore d’écologie.

We Hate You Please Die Interview
We Hate You Please Die / De gauche à droite : Raphaël, Mathilde, Joseph et Chloé / Photo : Louis Comar

 

Votre album va sortir le 18 juin, est-ce que vous pouvez nous en parler un peu ? Comment le décrivez-vous ?

Mathilde : C’est un album qu’on a beaucoup plus travaillé que le premier, dans le sens où on a quand même mis deux ans à finir de l’écrire et de l’enregistrer.

Il est beaucoup moins brut de décoffrage que le premier. Le premier « rentrait vraiment dedans et puis celui-là on a pris peut-être plus le temps du côté des guitares, basse, chant puis même batterie au final, de trouver des choses différentes. Le son aussi est pas le même du tout : le premier était beaucoup plus Lo-Fi dans l’esprit et là je trouve ça plus travaillé en fait

Raphaël : C’est plus produit. T’avais un très bon mot pour le décrire (Mathilde).

Mathilde : Il avait des côtés très épiques, des certaines montées, beaucoup de diversité, des passages avec Chloé qui chante beaucoup plus, qui a deux chansons lead… deux et demis ! *rires*. Et aussi y a beaucoup de passages un peu expérimentaux, des fois ya deux mesures de black métal, y a une chanson ou ça part sur de la bossanova mais toujours un peu dans le côté punk, punk/rock

Joseph : Je sais pas si on peut dire expérimentale mais ya beaucoup plus de dynamiques et d’influences que sur notre premier album parce qu’on s’est laissé beaucoup plus de liberté dans les influences qu’on avait pu avoir, les trucs qu’on écoutait à ce moment-là.

Comme tous les morceaux ont été écrit sur presque 2 ans, on a eu le temps de changer de groupe préféré chacun et chacune et du coup ça fait des morceaux qui ont des ambiances différentes, un peu inspirés de choses différentes.

Raphaël : Il est plus à fleur de peau aussi, plus sensible que le premier. Après c’est peut-être le côté produit qui donne ça. On a moins l’impression que c’est passé dans une vieille radio et ça laisse plus de place à l’écoute de chaque attention en fait.

Le premier morceau passe en effet par plein d’émotions, il s’appelle « Exhausted + ADHD » (Le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité). Est-ce que c’est une manière ce mettre ce syndrome sur des notes avec ce côté où ça part dans plein de sens tout en restant cohérent ?

Raphaël : L’idée c’était déjà d’en parler un petit peu parce que c’est un trouble méconnu qui appartient un au folklore, en général c’est associé à l’hyperactivité et la chanson permettait un peu de retranscrire ça, parce que moi j’ai ce trouble justement. Avec ce moment où t’es épuisé d’où le côté « épuisé » du début de la chanson puis ce moment où tu vas avoir un regain d’énergie, où tout se remet en marche et tu te rends compte que tu es reparti. Et du coup la chanson permettait ça, ça pouvait mettre en exergue le trouble et ça permettait de se lâcher un peu.

*la pluie commence, tout le monde s’abrite*

Joseph : C’est vrai que moi je le vois un peu que ça va très bien avec ta personnalité (Raphaël), le côté changeant au sein d’un même morceau, que la dynamique change, que ça passe par plein d’humeur, parce que pour moi ça fait echo avec le syndrome ADHD.

Raphaël : C’est marrant parce que à la base c’est une chanson à laquelle je n’avais pas trop adhéré quand Joseph l’a envoyé, surtout l’intro très longue.

 

que les paroles prennent plus de sens

 

Vous avez « Coca Collapse » qui est le seul titre qui figure à la fois sur l’EP et « Can’t Wait To Be Fine », mais vous avez changé les paroles entre temps. Pourquoi ?

Raphaël : On a fait mieux que les changer ! on en a proposé des vraies *rires*

Joseph : En effet, il était sorti sur « Waiting Room » il y a à peu près un an, mais du coup c’est une version complètement ré-enregistrée (sur l’album), et entre temps l’approche de Raphaël pour chanter a un peu changé aussi. C’est-à-dire qu’avant il y avait une grande place à l’improvisation, voir au yaourt dans pas mal de paroles sur le premier album et aussi sur l’EP.

Raphaël : C’est une langue que j’ai inventée, je préfère dire ça ! *rire*

Ça s’appelle comment ?

Raphaël : Le milkshake ! *rire*

Joseph : Et du coup t’avais (Raphaël) la volonté pour le deuxième album que les paroles prennent plus de sens que ce qu’on avait fait avant. « Coca Collapse » a donc eu droit à de vraies paroles pour l’occasion.

Raphaël : Et surtout on trouvait le jeu de mot tellement drôle qu’il fallait qu’on le redise quelque part.

Joseph : Chacun aura sa préférée entre les deux versions.

 

Je pense qu’on est confiné dans notre crâne depuis qu’on est né

 

Le premier extrait du nouvel album est « Can’t Wait To Be Fine » (aussi le titre de l’album), dans le contexte actuel où tout le monde a hâte d’aller mieux, est-ce que ce morceau vient de ce contexte actuel / le covid, est-ce que c’est plus personnel que ça ?

Raphaël : On avait déjà trouvé ce titre depuis un moment, on savait que ça ferait écho mais on avait trouvé ce nom avant le covid. Joseph nous avait envoyé une maquette qui nous avait un peu bouleversé dans le sens qu’on la trouvait très différente de ce que y avait d’habitude. « Can’t Wait To Be Fine » enfin « j’ai envie d’aller bien » je pense qu’on se le dit depuis qu’on est né en fait. Il y a toujours à attendre à quand ça va aller mieux, j’ai l’impression qu’on est éduqué comme ça. Donc nan je ne pense pas que y a de corrélation, je pense qu’on est confiné dans notre crâne depuis qu’on est né, donc on peut peut-être trouver un écho là-dedans.  Mais c’est vrai que y a un parallèle qui s’est dessiné, le clip quelque part a dessiné un parallèle sans le vouloir.

Joseph : Oui, mais c’est tant mieux. Que chacun puisse y voir ce qu’il veut et se l’approprie et que cela évoque des choses intérieurement que ce soit sur le covid ou autre chose.

We Hate You Please Die - Can't Wait To Be Fine

Vous parlez du clip, y a deux choses dedans. La première c’est que ya un moment vous vous mettez autour d’un cercle dans une pièce fermée, est ce que c’est une référence à Fight Club ?

Raphaël : Vous n’êtes pas les premiers à nous le faire remarquer, et c’est vrai qu’en y repensant, y a un ptit côté Fight Club, mais ce n’est pas spécialement voulu.

Il y a une deuxième chose dans le clip que vous avez refait sur « Barney » d’ailleurs : le vélo d’appartement qui part. Qu’est-ce que ça évoque pour vous ?

Mathilde : En gros c’est un peu un running gag. En fait on a tourné un premier clip qui ne sortira jamais, ça ne faisait même pas deux semaines qu’on se parlait.

Chloé : On va parler de ça ?

Mathilde : En gros c’est juste sur une chanson, un plan de nous quatre où on ne fait rien et y a Chloé qui est sur le vélo d’appartement et je trouve qu’il a un peu scindé l’histoire du groupe ce vélo.

Joseph : C’est un vélo qu’on a dû trouver à peu près au moment où on a commencé le groupe tous les quatre et pendant le tournage du clip de « Melancholic Rain », notre premier clip (l’été 2018), en recherche d’accessoires il y avait le vélo d’appartement qui était tout indiqué. Depuis il est dans tous les clips si je ne dis pas de bêtises. (Sauf « Hortense »)

Raphaël : En plus d’une vanne y a une symbolique, le fait de faire du surplace.

Mathilde : Il roule enfin dans « Can’t Wait » !

Vous disiez que « L’avenir du rock est dans le mélange ». Après des années de rock pop électro, est ce que le courant se renouvelle en ce moment ? Comment expliquez-vous ce retour ?

Joseph : Je ne sais pas si c’est un retour dans le sens où je ne sais pas si le rock était parti. En fait y a toujours du renouveau et de la mixité qui se fait dans tous les styles musicaux je pense, et tant mieux. Après t’as des courants principaux qui sont majoritairement représentés mais les mélanges de styles font toujours naitre de nouvelles idées, de nouveaux trucs.

 

Ça me parle pas du tout le « No Futur », on est « Happy end » nous.

 

Dans une autre de vos citations vous disiez à France Info que le « no futur » des Sex Pistols ça ne vous parlait pas du tout. Est-ce que vous pensez qu’on est dans le choc des générations où y avait un punk no futur et aujourd’hui avec toutes les thématiques écologiques qui existent on se projette au contraire sur sauver l’avenir ?

Mathilde : Pour rappeler à l’album « Can’t Wait To Be Fine », là c’est dit « on aimerait bien aller mieux » donc il y a

We-Hate-You-Please-Die_Interview
Photo : Louis Comar

vraiment cette notion d’espoir. « No Futur » c’est un peu triste de partir de ça alors qu’on peut toujours trouver des solutions au final.

Chloé : C’est vrai que ça me parle pas du tout le « No Futur », on est « Happy end » nous.

Raphaël : C’est vrai que le « No Futur » c’était plus un mantra de provocation peut-être. On préfère carrément assumer le côté lumineux d’un discours à la Idles qu’un groupe dark comme Sex Pistols où tout va mal. Oui tout va mal mais … C’est dans la nuance en fait.

Sur l’ep Waiting Room vous parlez de dissonance cognitive, c’est-à-dire le décalage entre le fait que le capitalisme continue de produire alors que derrière la planète va mal et qu’on le sait tous et pourtant qu’on ne s’arrête pas. Est-ce que vous voulez étayer ce message ?

Raphaël : La dissonance cognitive, je pense qu’on vit tous dedans sans vraiment se l’avouer, j’ai l’impression qu’on est obligé en fait. On n’a pas envie de mourir, mais par exemple on va fumer des clopes et on sait pourtant que… Moi je pense que y a une sorte d’autodestruction en fait, je pense que les humains essaient de se supprimer eux-mêmes.

C’est un peu comme l’écologie je pense. Tant qu’on n’aura pas de l’eau jusque-là (au niveau du cou), on ne se dira pas « Oh peut-être qu’on aurait dû faire gaffe ». Je pense que c’est une sorte de suicide collectif géant refoulé. Ce n’est peut-être pas plus mal pour la planète ? C’est Blanche Gardin qui en parlait d’ailleurs

J’suis nul en math, mais mathématiquement y a de moins en moins de ressources et on va être de plus en plus, donc, qu’est-ce qu’il faut faire ? Là par contre je n’ai pas les solutions.

 

Il va peut-être y avoir un clash aussi entre les ambitions, la proposition artistique et la réalité

 

Il y a une problématique écologique qui se pose sur les tournées. Comment vous le vivez en tant que groupe, quelle est votre approche pour combiner tournée et écologie ?

Mathilde : Nous, forcément on est obligé de partir en voiture, en petit van. Mais on essaye de faire des petits gestes : quand on est accueilli dans des SMAC par exemples on essaye de favoriser les produits locaux plutôt que les produits de supermarchés.

Joseph : Oui c’est des petits trucs qu’on fait ou qu’on devrait déjà tous faire dans la vie de tous les jours. Mais si au nom de l’écologie fallait arrêter complètement tous les déplacements inutiles (non-vitaux)… Je pense qu’il y a deux poids deux mesures, entre Coldplay qui tournent avec 3 semis remorques + un jet et des trucs comme ça, enfin qui tournaient : ils ont décidé de pas le faire, c’est très bien, je trouve que c’est une bonne idée. Mais nous on a un Citroën avec 6 places, on part tous les week-end et je pense qu’on fait pas plus de routes que des gens qui vont bosser tous les jours.

Raphaël : Une fois on a proposé une date au Portugal en mode one shot, on se sentait carrément irresponsables de dire oui et de prendre l’avion pour faire juste une date. Ça aurait été purement égoïste de faire ça.

Il va peut-être y avoir un clash aussi entre les ambitions, la proposition artistique et la réalité. Avec Shaka Ponk par exemple, il y a une logistique qui est démentielle avec des projections, des décors, etc. Ça demande quand même de quoi transporter le matos, c’est beaucoup de ressources énergétiques. Est-ce qu’ad vitam æternam il faudra brider la proposition artistique et les ambitions pour proposer des trucs plus simples et qui permettront qu’on ne s’éteigne pas en 2050. Même si ce n’est bien sûr pas eux… c’est plutôt « les gens du haut » qu’il faudrait taper.

D’ailleurs, je ne sais plus qui me parlait de ça mais dans les années à venir, les gens n’auront tellement plus confiance dans les politiques qu’ils vont transvaser leur écoute après des scientifiques et des artistes.

 

C’est aussi une expérience sociologique d’avoir un groupe

 

Tu parlais à un moment de fin d’internet aussi, y a votre clip « Good Company » qui parle des réseaux sociaux et d’Instagram. En tant qu’artiste c’est quelque chose d’important aujourd’hui Instagram ? Comment vous gérez votre image sur les réseaux sociaux ?

Raphaël : On a beaucoup de mal parce qu’on est assez différent tous les quatre mine de rien, par nos goûts et nos âges. Par exemple avec Mathilde on a 13 ans de différence. Et du coup ça pose la question de qu’est-ce que c’est montrer une image de 4 personnes différentes pour qu’elle s’accorde ? Et donc quand elle ne s’accorde pas on peut se crêper un peu le chignon.

Joseph : On n’a pas tous les 4 la même vision de la communication qu’on aimerait avoir, du coup on se prend la tête un peu des fois. C’est compliqué de se mettre d’accord sur le contenu global.

Chloé : On arrive toujours à se mettre d’accord mine de rien !

Mathilde : C’est aussi une expérience sociologique d’avoir un groupe et d’être 4 personnes aussi différentes les unes des autres.

Chloé : Complètement, c’est vrai qu’on ne se ressemble pas du tout.

Joseph : On gagne en self control ça c’est sûr.

Facebook semble est devenu un truc plus pour les « vieux » et que Insta…

Chloé : On a plus de retour sur Insta, plus de gens qui vont nous envoyer des messages. Les stories c’est hyper cool, parce que les gens ils envoient juste une petite réaction, et y a plus de ça que des commentaires Facebook. Je trouve que c’est un moyen hyper cool de communiquer Insta.

Avant la pandémie, vous parliez à France Inter de votre concert de rêve. Vous aviez plein d’idées : Mexique, Bitnic Festival, etc. Aujourd’hui après tout ce qu’on vient de traverser, c’est quoi votre concert de rêve ?

Joseph : Un concert avec des gens debout sans masque ?

We Hate You Please Die *en cœur* : Exactement !

Joseph : C’est vachement moins difficile de répondre maintenant, tant que y a les gens debout et sans masques ce sera déjà super.

Raphaël : Des p’tites dates à l’étranger aussi et des featuring j’aime bien aussi. J’adore ça les moments où t’as quelqu’un qui s’amène, qui partage un morceau. J’aimerai bien chanter avec Maxwell Farrington !

 

Merci !


HERVE VICTOIRES DE LA MUSIQUE 2021On n’arrête plus la tornade Hervé. Révélé au Printemps de Bourges 2019, la musicien a depuis su fédérer autour de lui un public friand de son univers atypique et sensible. Pendant le confinement de mars, le chanteur dévoilait une vidéo décalée dans laquelle faire des crêpes pouvait devenir un véritable moment de danse et d’art pour le titre « Si bien du mal ». Son premier album « Hyper » sorti en juin a tout pour redorer l’image de la musique francophone en marchant dans les pas d’Angèle, Carla Luciani et surtout d’Eddy de Pretto qu’il cite volontiers. A l’instar de ce dernier, Hervé mise sur le franc-parlé et les morceaux où chanson, french touch, électro et textes se côtoient. Une belle prouesse qui lui vaut d’être nommé aux Victoires de la Musique 2021. Une place bien méritée pour celui qui innove sans cesse tout en faisant de son naturel un atout maître. Rencontre avec un véritable artiste.

L’interview d’Hervé pour les Victoires de la Musique


Pendant le confinement, les compères d’Isaac Delusion ont travaillé à la composition d’un nouvel EP « Make It ». Au programme cinq titres à leur sauce et reconnaissables entre tous entre électo, rock, nouvelle vague … Loïc et Jules, fondateurs du groupe ont profité de cette sortie pour répondre aux questions de Popnshot. On parle création, collaborations, libertés, confinement, concerts, science et E.T.

Isaac delusion
crédit : Paul Rousteau

Comment décririez-vous votre nouvel Ep qui sort le 23 ?

Isaac Delusion :  C’est un EP qu’on fait dans des conditions très particulières, pendant le confinement, alors que l’on devait être en tournée. Il a été fait entièrement à distance, c’est une nouvelle manière de travailler. On n’avait jamais travaillé comme ça. On a eu le temps de faire de la musique et le résultat est tel qu’on l’attendait.

Et travailler comme ça c’était pas trop compliqué ?

Isaac Delusion : C’était pas compliqué, c’était bizarre. On préfère travailler tous les deux en direct, en réel avec des vraies personnes.

Et cette période particulière vous avez voulu la retranscrire dans votre musique ? Ou plutôt mettre de côté ?

Pas vraiment, non. On a mis ça de côté. C’était un sujet que l’on ne voulait pas aborder. C’était une manière de ne pas y penser.

Le fait de pouvoir faire des concerts, sans crainte, juste pour écouter de la musique, pour passer un bon moment, c’est quelque chose d’assez primordiale pour moi.

J’ai lu dans une interview d’Indiemusic que vous trouviez votre premier album trop mainstream, le deuxième trop écrit. Vous êtes très critique sur votre travaille. Est-ce que sur celui-ci vous le remettez déjà en questions ou à l’inverse vous êtes content et fier de votre œuvre ?

Isaac Delusion : La musique c’est un apprentissage infini. On est toujours en train de se chercher, d’évoluer. Un artiste qui n’évolue pas c’est un peu un projet mort. Les mots qu’on mettait sur nos albums, nos « critiques » comme sur le premier et le deuxième, il y avait des choses qu’on n’arrivait pas à cerner, il y avait une dimension incomprise. La musique évolue en permanence, rien n’est figé. Les attentes et les goûts sont en perpétuels mouvements. On a passé un cap, on essaye de ne plus être critique sur notre travail, on essaye de produire des choses, de les sortir. Ce qui est déjà pas mal.
Au-delà de ça, on est très content de ce que l’on a fait, on en est fier. Les critiques qu’on en a faite, c’était  une manière de désavouer les choses qui sont faites, qui sont figées. On aura toujours envie de faire différemment.

Il y a un morceau, » make it« ,  que vous avez fait avec Silly Boy Blue. Vous pouvez me parler de cette rencontre artistique ?

Isaac Delusion : On évolue dans une sphère musicale, où on n’est pas nombreux à Paris et même en France à avoir le même esprit. Ce côté onirique de la musique est quand même assez large et n’a pas vraiment d’équivalent. On a trouvé une identité intéressante et originale. Des artistes qui rentrent dans le cadre de notre musicalité se retrouvent plus dans les pays anglosaxons. Silly Boy Blue on l’avait repérée avant de faire un featuring avec elle. On a le même manager, qui nous a présenté. On a accroché avec elle et on l’a fait chanter sur l’un de nos morceaux. C’était une première pour nous d’avoir quelqu’un d’extérieur. On trouve que cela a porté le morceau dans une dimension différente de ce que l’on a l’habitude de faire. C’est une super expérience que l’on va reproduire par la suite. On adore sa musique.

Isaac Delusion feat. Silly Boy Blue - Make It | A COLORS SHOW

C’est difficile de parler de musique en se détachant de l’actualité. Vous avez une tournée de prévue. Comment l’envisagez vous ? Comment l’appréhendez vous ?

Isaac Delusion : On prend les choses au jour le jour. Des dates ont déjà été annulées, d’autres devraient l’être. On a une chance assez incroyable de tourner en ce moment. On est ravis d’y arriver dans ce contexte. C’est pas facile, avec un public assis. Tout le monde préférerait plus de convivialité. Tout s’est toujours bien passé, et cela ne retire rien au plaisir.

Sur votre album Rust & Gold il y avait le titre  » Voyager ». Si vous pouviez voyager aujourd’hui, où est ce que vous  iriez ? Le voyage vous inspire?

Isaac Delusion : C’est une de nos grosses thématiques. C’est inspirant pour n’importe qui. Si on pouvait voyager où est-ce qu’on irait ? A la mer !
Moi je suis déjà à la mer ahah (Loïc).
Dans un endroit chaud avec la mer, comme Bali ou Le Sri Lanka (Jules)

Vous avez fait un live à la Cité de Sciences et de l’industrie. Il avait la particularité d’être une médiation scientifique. Pour vous comment l’art et la science peuvent-ils cohabiter ? Et comment c’était de jouer là-bas ?

Isaac Delusion : (Loïc)Pour ma part c’est un endroit où j’ai grandi. Ma mère m’emmenait souvent à la Cité des Sciences découvrir pleins de choses, faire des expériences. C’est rempli de souvenirs. Le fait de faire un concert là-bas je l’ai pris un peu comme une consécration.
(Jules) Je suis d’accord avec toi, j’ai les mêmes souvenirs d’enfance et c’était très cool de bosser là-bas.
Concernant le lien entre les sciences et la musique, on est dans une époque où les sciences impactent beaucoup la musique, on est dans un monde digital, où il se passe beaucoup de choses. Il y a plein de nouveaux instruments de musique qui sortent tous les jours, qu’on avait jamais vu avant. Il y a des nouvelles méthodes de travail, presque révolutionnaires, où tout est possible de faire même dans des tout petits objets. Il se passe quelque chose de très intéressant dans la musique. On fait une musique assez synthétique, on est très friands de ces nouvelles technologies qui sortent et qui changent la donne, la manière de faire de la musique et qui font évoluer cet art.

Isaac Delusion
crédit Paul Rousteau

Si on pouvait envoyer un morceau à une forme de vie extraterrestre, lequel choisiriez-vous pour vous présenter ?

On choisirait « Midnight Sun ». C’est notre premier morceau composé ensemble. Cela a été un succès immédiat. Il a marqué le début de l’aventure pour nous. C’est un morceau très simple, minimaliste, très dénudé, qui va vraiment à l’essentiel. L’essence du projet se trouve dans ce morceau. C’est vraiment ce morceau là qu’on enverrait à E.T..

L’art c’est déjà liberté. Le fait de pouvoir en vivre c’est la liberté absolue

Dernière question, en ce moment on parle beaucoup de liberté, que ce soit d’expression ou de mouvement. Pour vous la liberté en tant qu’artistes, qu’est-ce que c’est ?

Isaac Delusion : On a plusieurs façons d’interpréter la liberté en tant qu’artiste. L’art c’est déjà liberté. Le fait de pouvoir en vivre c’est la liberté absolue. On est « très mal placé » pour expliquer ce que c’est que la liberté vu que notre métier c’est déjà une liberté énorme.
Il y a une part de liberté à prendre concernant les réseaux sociaux. Les artistes contemporains, on attend d’eux qu’ils se dévoilent, qu’ils montrent leurs vies privées, qu’ils expliquent ce qu’ils font. On attend d’eux qu’ils mettent tout le temps du contenu, finalement sans profondeur. La liberté de tout artiste c’est communiquer ce qu’il souhaite communiqué quand il souhaite le communiqué de la manière qu’il le veut. De ne pas se sentir obligé de tout le temps communiquer avec les gens de façon très creuse, comme maintenant devenu la norme.
Pouvoir continuer à vivre en tant qu’artiste et de communiquer que de l’art.

Des projets pour l’avenir ?

Isaac Delusion : Faire le plus de concerts possibles. Sortir de cette période qui complique la vie de tout le monde. Le fait de pouvoir faire des concerts, sans craintes, juste pour écouter de la musique, pour passer un bon moment, c’est quelque chose d’assez primordiale pour moi.


Ralph of London
crédits : Heiko Prigge

Le 13 mars 2020, tout juste avant le confinement, Ralph Of London dévoilait sa seconde galette brit-pop « The Potato Kingdom ». Porté par son talentueux chanteur originaire de  Londres, Ralph donc, le groupe indé y révèle une esthétique aussi populaire que sophistiquée et des paroles incisives oscillant entre romantisme et satyre social. Aidé par une troupe native du Nord de la France ( Diane, François, Léopold et Maxime), le musicien crée une bande son lumineuse d’une main de maître. Le 19 juin, les acolytes dévoieront le clip de leur dernier single :  « Dotty » et y parleront des folies que l’on peut faire par amour. A cette occasion, le groupe a accepté de répondre aux questions de PopnShot. Un échange passionnant  au cours duquel ils abordent tour à tour la brit pop,  les communautés musicales, la pop française, les concerts post-confinement, l’amour, le punk et  Van Gogh

Dans votre biographie, votre musique est décrite comme « do it yourself ». On sait que la charge de travail pour les artistes indépendants est colossale, comment gérez-vous tout ça et jusqu’où est-il possible de tout faire soi-même ?

Ralph : On utilise le mot « DIY » pour décrire l’esthétique de notre musique. Cela signifie que l’on reste fidèles à l’impulsion ou l’idée initiale, aussi bien dans l’enregistrement que dans le mix. Gérer nous-mêmes le côté plus “administratif” du projet sert à protéger et renforcer notre éthique. Pour le moment, c’est le seul modèle que nous avons essayé donc son efficacité se révèle en principe dans notre travail.

Vous êtes inspirés par la pop britannique, qu’est-ce qui vous parle dans ce courant ?

Ralph : Il y a toujours eu une forte veine d’irrévérence dans la musique britannique qui provient du bas de la société. Cette énergie était à un moment donné le domaine privilégié de la culture des jeunes britanniques, et l’est toujours en grande partie, mais maintenant il y a d’autres proliférations de la même énergie qui viennent d’autres générations, c’est peut-être plus intéressant maintenant que ça ne l’a été auparavant.

François : L’Angleterre a musicalement été imprégnée par son melting pot, créant des styles variés et marqués d’influences. Nous pensons davantage à la philosophie d’inspiration et d’initiation de l’Angleterre qu’à une résurgence du mouvement pop.

 

Mais la France pourrait porter plus haut cette notion de communauté musicale.

 

 Londres, que vous évoquez jusque dans votre nom de groupe, a une véritable aura musicale ; on imagine en y pensant un rock indépendant local. Alors que votre chanteur vient de Londres, pensez-vous que la France ou Paris a une telle aura musicale ?

Diane : Je ne dirais pas que Paris en particulier a une aura musicale, mais que la France, internationalement, a apporté sa pierre à l’histoire musicale. La pop française est à différencier de la pop anglaise mais n’est pas incompatible. L’aura française est à mon goût moins punk et plus sophistiquée peut-être. Paris est tout de même, pour les français, le seul moyen de vraiment percer. Comme partout, la capitale centralise les meilleures opportunités, les meilleures salles de concert et peut-être un public plus ouvert à la diversité. Mais le reste de la France offre également sa part de diversité et de belles découvertes.

Ralph : La France a cette aura dans certaines villes dans lesquelles nous avons joué. La seule différence est où ces personnes regardent. À Londres, il y avait avant un sentiment de communauté musicale très fort, communauté au sein de laquelle on trouvait représentation et validation ; je doute fort que cela existe encore. Mais la France pourrait porter plus haut cette notion de communauté musicale. C’est quelque chose que l’on garde en tête lorsque l’on communique sur notre travail, cette notion d’appartenance, de voix commune.

La crise du Coronavirus a particulièrement touché l’industrie de la musique qui en souffre encore énormément. Comment vivez-vous tout ça ?

Diane : Le confinement en France est tombé quelques jours après le lancement de notre album “The Potato Kingdom”, ce qui nous a énormément affecté. Cependant, les concerts annulés et le contexte général étant au questionnement et à la remise en question, nous avons fait de même. On a décidé de se placer en tant qu’observateurs, de composer de nouveaux morceaux et de reprendre la communication sur l’album au bon moment. C’était comme une période de résidence improvisée.

François : Oui, la période de confinement a été plutôt salutaire pour nous dans la mesure où nous venions de lancer l’album, nous étions épuisé et avions besoin de repos. Cela a également marqué une césure avec nos travaux passés, amenant une nouvelle ère pour notre musique.

 

Il n’y a rien de pire qu’un public stérile, immobile trop intellectuel pour répondre physiquement au son.

 

Le rock est vecteur de partage, de pogos et d’énergie, vous pensez que concerts pourraient réellement rimer avec gestes barrières ?

Ralph : Les concerts devraient être rythmés d’une dose d’instabilité et de frénésie. Il n’y a rien de pire qu’un public stérile, immobile trop intellectuel pour répondre physiquement au son.

François : Notre musique est plutôt de la Shit-Pop que du Rock, nos concerts ne sont pas faits pour les pogos (en tout cas pas encore).

Vous citez le génial Elliott Smith parmi vos références, qu’est-ce qui vous parle chez cet artiste ? Sa musique est une véritable catharsis, c’est quelque chose qui existe également pour vous lorsque vous composez ?

Ralph : Elliott Smith a un style de composition qui correspond à sa façon de conjurer et de transporter l’émotion. Il est l’un des oracles du songwriting. Si vous soupçonnez que votre travail manque de quelque chose, vous consultez l’oracle.

Diane : Oui, je pense que dans notre cas, comme dans le cas de beaucoup d’artistes, la composition et l’écriture sont le moyen d’exorciser des émotions internes et personnelles ou alors universelles pour lesquelles nous sommes hôtes pour un certain temps.

François : L’humour en interne au sein du groupe est aussi une catharsis ; un humour à l’image des facettes les plus noires de l’humanité parfois.

Votre dernier single « Dotty » parle de ceux qui sont capables de faire des folies par amour. Quelle est la chose la plus folle que vous ayez faite par amour ?

Ralph : Me déraciner de ma vie londonienne et emménager en France pour continuer la musique.

Diane : J’ai conduit à droite un énorme SUV dans les Cornouailles sur des petites routes rocailleuses dans la nuit et en hauteur et je me suis retrouvée au bord d’un précipice, une roue dans le vide.

La chose la plus folle que tu peux faire pour l’amour de la musique, c’est te débarrasser de toutes les illusions de sécurité et de confort, de gain matériel et te plonger simplement dans ton travail la tête la première.

Quelle est la chose la plus folle que l’on pourrait faire selon vous par amour de la musique ? Est-il encore possible de choquer et dépasser les limites en musique comme le punk avait pu le faire en son temps ?

Ralph : Je dirais que la musique est un véhicule pour porter l’énergie de l’amour, de la politique ou de la philosophie. Dans le cas de la musique Punk, la musique coïncide avec quelque chose qui bouillonnait déjà à la surface de la société. Le punk était un bon catalyseur pour beaucoup de changements sociaux. Je pense que c’est toujours possible mais le faire ne te permettra pas nécessairement de faire la une des magazines et de la TV. L’industrie musicale est trop intelligente maintenant pour ce type de synthèse cinétique entre idées et sons pour être à la tête d’un mouvement. De nos jours, tout tourne autour des gens qui doivent payer leurs factures. La chose la plus folle que tu peux faire pour l’amour de la musique, c’est te débarrasser de toutes les illusions de sécurité et de confort, de gain matériel et te plonger simplement dans ton travail la tête la première.

François : Travailler dur pour la musique est le meilleur exemple. Le mythe de Sisyphe d’un groupe indépendant. Si nous composions un album par semaine avec pochette et clips, cela serait une belle preuve d’amour mais nous mourrions littéralement de fatigue. Quoi de plus romantique ? La frenzy scénique est ce qu’il reste de plus évocateur, la fureur de jouer, la vraie. Les ersatz du jeu de scène actuellement me font rire ; ce sont des pièces de théâtre calibrées, pré-écrites, rien de plus.

 

Nous rappelons que la pop est populaire.

Votre univers est empreint d’un certain grain de folie, d’ailleurs c’est bien ce qu’évoque un titre comme « The Potato Kingdom », d’où vient-il et que signifie-t-il ?

Ralph : Vraiment ? Nous pensions que toute la folie venait du monde par-delà les murs du Royaume. La plupart des gens ne savent pas avec certitude s’ils sont intramuros ou extramuros.

Diane : Tout est dit dans l’album : “Tout est rien, la vie est une patate”.

François : Nous avions un jour parlé avec Ralph du tableau de Van Gogh “ les Mangeurs de pommes de terre », qui demeure une peinture populiste, portée par un médium réservé à une certaine élite pour représenter le peuple. Je pense que cela représente bien la philosophie du Potato Kingdom avec ses travers et ses joies. Nous rappelons que la pop est populaire.

On traverse une période particulière, alors quel morceau serait selon vous, la bande originale parfaite pour raconter l’année 2020 ? 

Ralph : « Riverman » de Nick Drake. Il y a quelque chose qui hante et qui est incertain dans ce morceau. Comme si la nature conspirait, le morceau nous laisse comme à la merci d’une force inconnue. J’aime la capacité qu’a la musique à désarmer la conscience de l’égo.

Diane : La nature tente de reprendre ses droits avec violence ; les oubliés, les trop longtemps rabaissés se soulèvent. C’est une période excitante dans un sens, qui laisse entrevoir que peut-être le monde pourrait s’embellir. Mais pour ça il faut que chacun prenne ses responsabilités, change sa façon de consommer et de penser le monde, et surtout il faut que personne n’ait la mémoire courte…  Kel Tinawen – Tinariwen “The uprising will be impossible to suppress”

 François : Le choix est difficile. Je dirais « Down of the Iconoclast » de Dead Can Dance qui est un groupe que j’admire ; la chanson sonne comme un Lacrimosa, une Thrène, en la mémoire des victimes. Le recueillement est nécessaire pour apaiser les âmes des défunts.