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Léonard Pottier

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Dans un petit bar aux allures rocks et londoniennes du 11e arrondissement (le Pop In), à l’abri des regards curieux, eut lieu une chaleureuse rencontre entre journalistes et deux hommes importants de l’entourage de David Bowie : Jérôme Soligny, ami de l’artiste et écrivain spécialisé sur sa carrière, et Tony Visconti, producteur mythique du chanteur. C’est à l’occasion de la sortie d’un nouvel ouvrage littéraire et d’un livre-coffret musical que les deux hommes ont accepté de venir nous parler et de répondre à des questions, une véritable opportunité à ne pas manquer ! Ce n’est pas tous les jours que l’on a la chance de rencontrer Tony Visconti en petit comité.

 

Tony Visconti et Jérôme Soligny (de gauche à droite)

 

« Je ne voulais aborder qu’un seul et unique axe avec Rainbowman : celui de la musique »

Installés au 1er étage dans une salle dédiée aux rencontres comme celle-ci, les deux amis de David Bowie se sont assis à une table juste en face de nous : un cadre de proximité idéal. Jérôme Soligny s’est d’abord exprimé à propos de son nouveau livre, Rainbowman (1967-1980), pendant une petite demi-heure, notamment sur sa nature, son chemin de création, son apport vis-à-vis des multiples écrits déjà parus sur l’artiste… Une série de détails qui nous ont permis de mieux appréhender ce que Soligny présente comme un livre dont il n’est pas le seul auteur. C’est en effet sur le recueil d’environ 300 témoignages que repose tout le corps de l’ouvrage, sous forme de questions/réponses. Tout le travail (colossal !) de Jérôme Soligny fut donc de trier les informations, de répartir les nombreux éléments qui se répétaient d’un témoignage à l’autre, de vérifier et corriger des erreurs de dates, de trouver sa place et de mettre à l’œuvre son propre savoir au milieu de ces centaines de regards, de connaissances et d’anecdotes sur un seul et unique être hors du commun. Comme nous le dit l’auteur, suite à la mort de Bowie, il fut beaucoup sollicité pour rééditer son dernier ouvrage en date accompagné de quelques pages supplémentaires. Or, il était hors de question pour lui de se faire de l’argent facile sur la mort du chanteur. Il finit donc, après plusieurs mois, par accepter une proposition différente de toutes les autres : pouvoir écrire ce qu’il voulait sur Bowie de la manière dont il le voulait dans un tout nouvel ouvrage, accompagné des financements nécessaires à la réalisation du projet. C’est ainsi que vint au jour Rainbowman (1967-1980).

En allant interroger spécifiquement des personnes ayant participé au processus de création musicale (assistants de studio, producteurs…), Jérôme Soligny eut pour objectif d’aborder un seul et unique axe, celui de la musique : « comment ont été créé les albums ? Comment ont été composées les chansons ? ». Un des points importants du livre fut aussi celui de rétablir certaines vérités sur la carrière de David Bowie, et de démystifier plusieurs idées reçues, notamment celles concernant la collaboration entre le chanteur et Queen.

 

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Rainbowman (1967-1980), Gallimard, 2019

 

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Tony Visconti ou le frère spirituel de David Bowie

Tony Visconti, muet depuis tout ce temps, mais attentif aux propos de Jérôme Soligny qu’il peine à suivre étant donné sa fragile maîtrise de la langue française, s’exprime enfin avec l’arrivée des questions des journalistes. Heureux de pouvoir réagir, le producteur américain de naissance mais britannique de cœur nous parle de son métier et de la relation qui l’a lié à Bowie depuis les débuts de sa carrière. Venu pour présenter le coffret Conversation Piece qui regroupe en cinq CD des versions remasterisées et inédites de la période Space Oddity, ainsi que des démos et de nouveaux mix, Tony Visconti n’en parlera finalement que très peu, voire pas du tout. Entraîné par les questions qu’on lui pose, il se plaît à nous raconter des choses tout aussi intéressantes sur sa carrière. Il nous dit adorer diriger les artistes, ce que son métier lui permet de faire. Rappelons tout de même qu’il n’était pas seulement le producteur de Bowie, mais aussi de groupes tels que T-Rex et The Stranglers. « Je les connais et je sais bien ce qui est bien pour eux. Parfois, ils n’ont pas encore terminé un album qu’ils veulent déjà en commencer un autre. Je les ramène à la raison. J’aime dire aux artistes quoi faire, même si je les laisse évidemment libre dans le processus de création. » Son métier le passionne et il en parle avec engouement. Il nous confie également avoir regretté de produire les premiers albums de Bowie, comme The Man Who Sold the World, car il n’avait pas assez d’expérience à cette époque, et n’est pas convaincu de son travail. Mais comme il le dit, « personne ne voulait produire Bowie à l’époque, il était trop différent, moi c’est ce qui m’a attiré chez lui ». Il en vient ensuite à aborder le sujet de leur séparation après Scary Monsters, qu’il désigne d’ailleurs comme le chef-d’œuvre ultime de Bowie : « Après Scary Monsters, tout le monde rêvait d’un Scary Monsters 2, et n’attendait plus que ça de la part de David ». Une quinzaine années de silence ont alors séparé les deux amis à partir de Let’s Dance où le chanteur a préféré se tourner vers Niles Rodger, privilégiant le succès et la facilité.

 

Livre-Coffret Conversation Piece, Warner Music, 2019

 

Une amitié impérissable

Bowie a fini par recontacter Visconti parce qu’il rencontrait des problèmes de son sur ses concerts, que seul son producteur fétiche était en mesure de régler. Et en effet « tout était centré sur la basse et la batterie, on n’entendait pas assez les voix, les saxophones… » nous confie Visconti. « Nous avons recommencé à travailler ensemble à partir de ce moment-là ». Avec ses mots et ses anecdotes, nous étions en mesure de ressentir toute l’affection que Bowie et Visconti ressentaient l’un pour l’autre ; une relation allant bien au-delà du simple travail. Visconti était un acteur central de la vie et de la pensée artistique du chanteur, et c’est d’ailleurs pour cela que Jérôme Soligny nous a confié être ravi que la préface de son livre soit écrite par Tony Visconti lui-même : « parmi 50 possibilités, c’est celle qui m’a paru avoir le plus de sens. Personne ne connaît mieux Bowie que Visconti ».

Artiste avant-guardiste et hors du commun, David Bowie n’est pas prêt de se taire et continuera toujours à marquer les esprits. Tony Visconti nous l’a d’ailleurs fait comprendre en une seule phrase : « Tout le monde me demande d’avoir le même son que sur les albums de Bowie, je peux le faire, mais il manquera toujours la chose la plus importante : David Bowie. »

 

Oh Sees, ex Thee Oh Sees, l’un des groupes les plus brulants et prolifiques de ces dernières années, se produisait ce jeudi 05 septembre au Bataclan à Paris. Réputé pour leurs concerts acharnés et sportifs, le groupe était attendu par de nombreux fans venus apprécier un rock enflammé. Réputation confirmé ? Oui. C’était démentiel.

Le groupe Californien n’a cessé d’expérimenter plusieurs styles et de changer de membre au fil des années. Il est néanmoins toujours mené par un seul et même homme : John Dwyer, figure emblématique de la scène garage américaine. Un multi instrumentiste bourré de talent qui ne jure que par la musique. Et autant dire qu’il nous en offre un sacré paquet, qui plus est de bonne qualité ! Les disques d’Oh Sees sont généralement très bons, certains biens, d’autres excellents, et leur fréquence de sortie impressionnante (au moins un tous les ans, voire deux ou trois quand les idées fusent). Le dernier en date, « Face Stabber », qui vient de paraître il y a quelques jours, est un double album copieux. Ils ont eu quoi de faire en un an ! Réussi de bout en bout, même si parfois un peu trop lourd, l’album confirme leur place dans l’univers rock : le groupe est en constante recherche de nouveauté. Ici, ils s’amusent à explorer différents genres, allant du rock garage psyché à des expérimentations à la Brian Eno, en passant par le jazz. « Face Stabber » vient compléter la pyramide et étend le spectre musical du groupe. Sans être un chef-d’œuvre, il fait beaucoup de bien, et c’est donc accompagné de ce nouveau bébé que John Dwyer et sa troupe sont venus incendier le Bataclan (sans mauvais jeu de mot).

 

Une première partie endiablée

Mais avant d’occuper la scène, c’est les jeunes déjantés de Franckie and the Witch Fingers qui ont eu la chance d’échauffer la salle. Sosies d’Oh Sees, les quatre américains qui composent le groupe ont déjà quelques albums à leur actif, et n’ont pas grand-chose à envier à quiconque. A part peut-être un peu plus de reconnaissance. Car pour une entrée en matière, le groupe a été généreux. Une incroyable dose de puissance et de folie, qui nous a été servis sur un plateau d’argent. Quoi de mieux qu’une première partie à la hauteur de l’évènement ? Des excités du rock comme on les aime. Frankie and the Witch Fingers est à suivre de très près, car il se pourrait bien qu’ils rejoignent leurs amis Oh Sees au-devant de la scène rock garage. Une frénésie de haute qualité. 

 

Oh Sees, un rock  physique

C’est ensuite au tour de leurs grands frères. Quelques réglages faits par… le groupe lui-même (ils jouent carrément des morceaux pour ajuster les balances), puis un petit « hi, we are Oh Sees, let’s go ». Même pas d’entrée sur scène sous les applaudissements. Ensuite, vous vous en doutez, c’est parti pour une heure et demi de folie et d’éclate jouissives. Les deux batteurs (oui, deux ! parfaitement synchros) donnent leur vie sur scène, tandis que John Dwyer, guitare au niveau du torse, comme si elle faisait carrément partie de lui, fait en sorte d’incarner physiquement toute l’intensité de la musique. Tous en short et t-shirt, le groupe joue pour leurs potes, et s’en foutent de l’estrade qui les sépare du public. Ils donnent, donnent, donnent, toujours plus. Et le public reçoit continuellement, sans pauses. Une éjaculation de rock très peu dosée. Tout nous est envoyé, à nous de survivre comme on peut.

Pas besoin de connaître les morceaux, chacun nous retourne à sa manière. Les pogos se font de plus en plus gros, et les gens deviennent dingues en réalisant à quel point les membres du groupe s’épuisent sur scène. Une grande partie de « Face Stabber » est joué, sans oublier l’excellent « Smote Reverser » paru un an avant. Vers la fin du concert, le micro du chanteur ne fonctionne plus… Ce dernier se charge du problème lui-même, alors que ses potes se mettent à improviser à la batterie et à la basse. Un vrai passionné et connaisseur règle lui-même les imprévus techniques. Une preuve de plus qu’on est pas face à des guignols.

On ressort de là sonnés, comme si une attraction à sensations fortes avait malmené notre corps pendant une heure. Cinq musiciens talentueux peuvent faire des merveilles. Et même si ce ne sont pas les premiers à l’avoir prouvé, les Oh Sees ont impressionné la foule ce soir-là, et ont gravé des souvenirs qui resteront encore longtemps dans les esprits.

Il n’y a plus qu’à attendre un nouvel album en 2020 et un prochain passage en France pour se faire de nouveau dézinguer la tête par un concert phénoménal (il y en a peu donc ne les ratez pas !).

Ravageur. 

 

Tyler, The Creator

IGOR : Intelligent, Généreux, Original et Rythmé. Voilà de quelle manière nous pouvons résumer le nouveau projet de Tyler Okonma, plus connu sous le nom de Tyler, The Creator. Deux ans après le percutant Flower Boy, le jeune rappeur américain revient avec un nouvel album des plus aboutis, s’éloignant fortement du rap, mais restant tout de même fidèle à la patte créatrice à laquelle il nous a habitués depuis quelques années.

Clair et rapide, le teasing d’IGOR s’est fait de manière efficace. A base de tweets et de courts extraits postés sur Youtube, l’artiste a fait patienter ses fans seulement deux petites semaines, et non plusieurs mois comme beaucoup ont l’habitude de le faire (aucun genre musical n’est visé particulièrement), dévoilant parfois près d’un tiers d’un projet à venir, ce qui, ne nous le cachons pas, est bien trop lorsque nous sommes attachés à la découverte d’un album dans sa globalité. Mais chacun à sa manière de faire, et vous aurez raison de dire que personne ne nous oblige à écouter les singles avant la sortie de l’album. Cependant, vous nous permettrez de répondre que la tentation est parfois trop forte pour ne pas se laisser tenter, surtout quand les réseaux ne cessent de vous pousser à écouter ce dit single. Bref, Tyler a préféré misé sur le mystère, et nous l’en félicitons pour ça.

IGOR n’avait donc presque rien dévoilé de lui avant sa sortie, et la première écoute, sans être forcément déconcertante (quoiqu’un peu tout de même), eut quelque chose de magique. Ce fut clair dès le début, Igor n’allait pas ressembler aux précédents projets de l’artiste, ouvrant dès les premières minutes une porte vers quelque chose de nouveau. « Ce n’est pas un album de rap. Ce n’est pas Goblin. Ce n’est pas Wolf. Ce n’est pas Cherry Bomb. Ce n’est pas Flower Boy. C’est IGOR » a écrit l’artiste lui-même dans un tweet posté une heure avant la sortie de l’album. Les consignes étaient données : ne vous attendez à rien, mais préparez-vous à tout. Et nous avons eu beau nous préparer, cette première écoute eut l’effet d’un coup de poing. Nous retrouvions bel et bien Tyler, ses sonorités, son ton, son atmosphère musicale, mais nous avions affaire en même temps à un autre personnage.
Tout d’abord, nous l’entendons assez peu, lui, Tyler. Sa voix unique, omniprésente sur ses anciens projets, nous échappe d’une certaine manière ici. Elle se dissimule plusieurs fois sous des effets, sans que nous arrivions à nous en emparer. Elle semble jouer avec nous, nous prendre par surprise, pour notamment laisser place à d’autres timbres, tout aussi pertinents vis à vis du projet global. Tyler est donc moins présent qu’avant, et la voix à laquelle il nous as habitués n’hésite pas à s’adoucir ou parfois même se retirer. Le nombre d’invités est d’ailleurs impressionnant (Kanye West, ASAP Rocky, Charlie Winston, King Krule, Pharrell Williams…), et participe à la création d’une certaine pluralité sonore et musicale, où aucun des morceaux ne se laisse directement apprivoiser. Chacun nécessite un temps, pour en comprendre l’impact. L’enchainement est d’ailleurs judicieux, mettant en avant les morceaux les plus accessibles (mais non moins géniaux, comme « Earfquake » et « I Think ») pour ensuite s’enfoncer à travers des constructions plus expérimentales (« What’s Good » par exemple), et moins faciles à la première écoute.
Nous comprenons alors que le musicien essaye de construire quelque chose à travers cet enchaînement non fortuit. Peut-être une histoire ? Il semblerait que ce soit en effet le cas ! Tyler raconte son rapport au sentiment amoureux dans cet album. Pas très original, vous me direz. Il est vrai.

Mais le résultat donne IGOR, donc autant dire que ça ne nous dérange pas.

Et le thème de l’amour reste celui le plus courant dans l’art, pourquoi donc s’en priver si chacun trouve y trouve son compte ? Ses difficultés, sa complexité, sa haine mais également ses espérances vis-à-vis de ce sentiment indescriptible, voilà ce dont il est question dans ce nouvel album.
Tyler s’est ici concentré sur les sonorités, certaines nous rappelant d’ailleurs ses projets précédents, à base de synthés saturés et de constructions mélodiques dont il a lui seul le pouvoir, mais les amenant ici vers un nouveau terrain de jeu. Le créateur avait envie de changement. Il n’a attendu personne pour le faire.

Tyler, The Creator

L’ensemble d’IGOR est relativement doux et léger, avec certaines touches davantage agressives et tout aussi bien menées (« New Magic Wand » par exemple). Il se laisse écouter sans interruptions. La part de mystère, notamment dû à l’annonce tardive du projet et à la non-mention des artistes invités sur celui-ci (du moins sur les plateformes de streaming), participe à créer un engouement autour d’une œuvre que nous avons encore du mal à cerner. « Igor’s Theme », la première chanson, met d’ailleurs bien en relief cette sensation de mystère : une note de synthé saturée pour démarrer, adoucie ensuite par une voix sucrée répétant une seule et même phrase. Ce mélange, représentatif de l’ensemble de l’album, annonce d’ores et déjà la couleur. IGOR ne cesse de jongler entre quelque chose et son opposé, probablement pour mieux mettre au jour le sentiment amoureux, fait de tout et son contraire à la fois. Rempli de secrets, l’album a donc encore de quoi nous surprendre.

La pochette, disponible en plusieurs versions comme Tyler a l’habitude de le faire, et sur laquelle son visage n’est pas sans rappeler le look unique de Grace Jones sur les photographies de Jean-Paul Goude, est percutante. Faite de noir et de rose, elle met au centre l’artiste à travers un gros plan. Tyler n’a jamais été autant à nu. Et c’est bien ça dont il est question avec IGOR. Tyler se dévoile, se met à nu, laisse tomber la carapace de rappeur, sans pour autant la renier. Il s’agit d’ouverture et de liberté, d’une prise de conscience mature, de l’accomplissement d’un artiste en perpétuelle recherche qui, depuis maintenant dix ans, ne cesse de se présenter comme un outsider de talent, dont le génie le pousse à sans cesse innover. Tyler innove, pour notre plus grand plaisir. Et une fois de plus, nous l’en remercions.

IGOR se hisse directement dans la liste des meilleurs albums de l’année, et donnera certainement du fil à retordre à ses compères et ses concurrents. Mais pas de panique ! Nous ne sommes qu’en mai. D’autres pépites feront leur apparition d’ici 2020. Nous croisons les doigts.

La Maison Tellier au Trianon 15 mai 2019
©Carolyn.C-Tous droits réservés

Le Trianon de Paris accueillait ce mercredi 15 mai les frères Tellier, unis dans le
monde de la musique sous le chaleureux nom « La Maison Tellier ». Cela fait quinze ans
qu’ils défendent énergiquement sur scène et en studio leur univers musical n’ayant jamais
cesser d’évoluer au fil des années. Leur dernier projet, sorti en mars dernier, s’appelle
« Primitifs Modernes » et les frères étaient bien décidés à nous dévoiler toute sa force et son
émotion sur scène.

Mais avant leur apparition, le groupe avait invité Emily Marsh pour assurer la
première partie du spectacle. Seule, vêtue d’une chemise blanche et d’une guitare, la jeune
femme a interprété plusieurs chansons de son répertoire. D’une présence envoutante, dotée
d’une voix affirmée et d’un son de guitare accrocheur, Emily Marsh a réussi, en l’espace
d’une demi-heure, à nous séduire entièrement, maitrisant à la perfection tous les aspects de
son univers musical. Sur la dernière chanson, elle demande au public : « vous embrassez le
premier soir ? ». Quelqu’un répond « même avant ! ». La salle est déjà enthousiaste et, pour
sûr, prête à embrasser l’ultime morceau de la chanteuse. La première partie se clôture sur une
note agréable, et, quand les lumières se rallument, le public a doublé. Les frères ne devraient
plus tarder.

La Maison Tellier au Trianon 15 mai 2019
©Carolyn.C-Tous droits réservés

20h45. Pile à l’heure. Des ombres avancent sur la scène. Le décor est simple,
reprenant la pochette de « Primitifs Modernes » : une vieille télévision avec une main
lumineuse sur l’écran, qui n’est pas sans rappeler Videodrome (1983) de David Cronenberg,
film dans lequel une hallucination donne à voir au personnage principal l’étirement d’un écran
télévisuel par un corps, lui donnant du relief. Alors que les membres présents sur scène, à
savoir le guitariste (Raoul Tellier), le bassiste (Alphonse Tellier) et le batteur (Alexandre
Tellier), s’installent et se préparent, une voix nous parvient. Ce n’est pas celle du chanteur.
C’est une voix enregistrée, semblable à celles que l’on entend généralement dans les films
spatiaux (tels que 2001, High Life, Solaris…), une voix énigmatique qui nous plonge
directement dans un univers fait d’éclairages sombres et de mystères. Souhaitent-ils nous
envoyer dans l’espace ? On trépigne d’impatience.

La Maison Tellier au Trianon 15 mai 2019
©Carolyn.C-Tous droits réservés

Les membres déjà sur scène entament alors à eux trois un morceau du nouvel album :
« Fin de race », dont la première partie est constituée d’un riff de guitare planant. L’intensité
grimpe au fur et à mesure tandis que l’arrivée du chanteur se fait attendre. Quand ce dernier
apparaît enfin, on sait que le concert peut réellement commencer. Les instruments baissent
d’un volume ou se coupent, et laissent place à la voix mélancolique d’Helmut qui entame les
paroles de la chanson. « Fin de race » se poursuit, avec l’intensité d’un début de concert, où le
public respire savoureusement l’atmosphère mise en place par le groupe, parmi l’excitation
commune.
Helmut prend la parole. Il sera bavard tout du long de la soirée. C’est leur première
fois au Trianon nous dit-il, et comme toutes les premières fois, cela risque d’être parfois maladroit. On ne leur en voudra pas. Le plaisir de jouer dans cette salle à Paris se lit dans le
ton de sa voix, et il ne manquera pas de le rappeler plusieurs fois au cours du concert. C’est en
plus l’anniversaire d’Alexandre Tellier, le batteur. Personne dans la famille n’a eu le droit à
un cadeau aussi magique qu’une soirée comme celle-ci, lui glisse-t-on en rigolant.

La Maison Tellier au Trianon 15 mai 2019
©Carolyn.C-Tous droits réservés

Helmut Tellier nous annonce ensuite qu’ils sont ici pour nous présenter leur nouvel
album, dont ils semblent fiers (et ils ont de quoi !), mais ne négligeront pas pour autant leurs
anciennes compositions. Leur mission est claire : transformer ce mercredi soir en samedi soir.
Autant l’annoncer d’avance : c’est une mission réussie. Plus que cela même. Cette soirée ne
s’est pas seulement transformée en samedi soir, mais en tous les jours de la semaine, au
travers desquels l’émotion, la beauté, le calme, la danse et la frénésie se mélangent et
fusionnent pour construire un ensemble cohérent, porteur de diverses sensations.
Assurée par des chansons telles que Ali ou Les Apaches, deux morceaux de leur
nouvel album, l’excitation pure était bel et bien au rendez-vous, celle qui fait frétiller de
satisfaction le public en lui faisant délivrer ses plus beaux mouvements de corps à l’écoute
d’un rock tonique. La prestation des musiciens, après qu’Helmut eut quitté la scène l’espace
de quelques minutes pour laisser le devant de la scène à ses frères, ne nous a également pas
laissé indifférent, notamment par son impressionnante montée en puissance.
Au milieu de cette énergie débordante, le groupe a su par ailleurs nous offrir des
instants d’apaisement. C’est le cas par exemple avec la magnifique « Exposition Universelle »
(chanson présente sur l’album Beauté pour tous, 2013), jouée par Helmut, Raoul et Léopold
Tellier (trompette), et dont la douceur d’interprétation a su ravir un public également désireux
d’entendre certaines mélodies du passé, lui permettant aussi de se rendre compte que le
groupe n’a rien perdu de sa force tranquille. La voix du chanteur nous atteint directement,
notamment grâce à une très bonne qualité sonore (autant le micro que les instruments), et cela
encore plus sur l’un des derniers morceaux, qu’il décide d’interpréter seul sur scène, guitare à
la main. « Haut, bas, fragile » (album Avalanche, 2015) est l’un des moments les plus
poignants du concert, où tout le monde reprend en chœur les paroles clôturant une chanson
lourde en émotions : « la joie du simple fait de vivre ».
« On a souvent été qualifiés de groupe depressivocool » nous dit Helmut au milieu du
concert. Ils semblent assumer ce titre sans quelconque amertume, et en rigolent
chaleureusement, s’amusant même à décrire les types de public qu’ils retrouvent dans leurs
concerts (public longue mèche, public courte mèche, public bourré…). Le public parisien les
réunit tous, s’amusent-t-ils à dire.
Le chanteur ajoute ensuite que « Les Primitifs Modernes » est un album sur
l’adolescence, avant de décrire le phénomène du « dernier choisi » dans les équipes de sport
au collège/lycée, contre lequel il se positionne en mentionnant une adolescente qu’il a jadis
connu, souvent victime de cette humiliation silencieuse, et qu’il souhaite retrouver durant
cette tournée. On lui souhaite bon courage. Tout ce discours pour introduire « Laisse les
dire », le sixième morceau percutant du dernier album, l’une des plus fortes et intimes
performances de la soirée.

La Maison Tellier au Trianon 15 mai 2019
©Carolyn.C-Tous droits réservés

Les morceaux de l’album s’enchaînent durant tout le concert, de « Chinatown » au
tout début de la soirée à la chanson titre de l’album dans la deuxième moitié du concert, en
passant par la sublime « Prima Notte ». Après 1h30 de show intense, un rappel est forcément
demandé. Le groupe revient pour quelques morceaux, terminant par la deuxième partie de la
dernière chanson de l’album : « Les Sentinelles » (le morceau est divisé en deux), clôture
parfaite d’une soirée enivrée musicalement parlant. Après une photo, les frères quittent
définitivement la scène, leurs t-shirt probablement humides suite à cette danse de longue
durée. On espère seulement que celui de Raoul Tellier, arborant la mythique pochette de
l’album « Marquee Moon » de Television, n’a pas endommagé les télévisions.
Humble, honnête et généreux, le concert de la Maison Tellier nous a offert presque
deux heures de show parfaitement maitrisé, où chacun semblait ravi d’être présent, autant le
public que les musiciens. A la fois vibrante et touchante, cette famille musicale est, comme l’a
dit le chanteur, maintenant une horde. Une horde ne risque pas de s’essouffler de sitôt.
« Primitifs Modernes » a encore bien des choses à nous révéler…