L’an dernier, le fameux festival des Hauts-de-Seine, dont la nouvelle formule à la Seine Musicale avait été rodée en seulement quelques années avait bien eu lieu en juin. Au programme, une sélection hip hop et beaucoup de soleil pour accompagner l’un des premiers festivals à revoir le jour. Il va s’en dire que l’édition 2022 était des plus attendue d’autant que, le Monde n’aspirait plus qu’à danser. Seulement voilà que la météo avait bien décidé de faire des caprices. C’est ainsi que c’est sous une pluie battante qu’un public s’est déplacé en masse ce soir pour retrouver le chemin de la salle de Boulogne.
Une expérience festivalière léchée
Si ce temps dont il est si bon se plaindre a forcé quelques spectacles à se déplacer in door, la fête elle promet d’être folle. Loin de se contenter de miser sur une programmation dense, le festival a choisi cette année de jouer sur une session où tout est fait pour satisfaire un public varié. Exit donc les simples food trucks entre deux concerts, l’audience majoritairement jeune, mais pas que, est invitée à un grand show aux nombreuses paillettes. Par paillettes, il faut penser au mot littéralement puisqu’un stand de maquillage se tient dans les premiers mètres qui séparent le festivalier de l’entrée du lieu. La queue s’y fait vite dense alors que nombreux.ses sont celles.eux qui en ressortent étincelant.es. C’est déjà bon signe, rien de mauvais ne peut sortir d’un lieu pailleté.
Autre nouveauté : deux fripes ont posé leurs valises dans l’enceinte de la salle. L’une offre des panoplies tout droit sorties d’années 90 fantasmées rayures et chemises à motifs en tête de liste. On peut s’y faire plaisir pour la bonne cause puisque les bénéfices seront, c’est promis, reversés au SAMU social. Bonne nouvelle on peut lutter contre la surconsommation de la fast fashion, un vrai fléau s’il en est tout en donnant aux bonnes oeuvres. Mieux encore les excellentes Balades Sonores ont pris d’assaut un stand avec leurs poches pleines de vinyles ( et une sélection issue de la programmation en tête de liste) pour faire plaisir aux plus grands amateurs de musique. Et si vous n’avez pas trouvé votre bonheur en ces murs, passez les voir rue Trudaine dans leur caverne aux mille merveilles gouvernée par Pepito le chat, vous y trouverez tout ce dont vous rêvez.
Époque nostalgique veut (et à raison, dire que c’était mieux avant en un temps de pandémie et de guerre n’a plus rien de l’adage d’un vieux con en mal de son adolescence) les années 90/ 2000 ont aussi pris une place centrale dans l’immense salle aux nombreux couloirs. Des écrans de télévision rétros et une deux chevaux font ainsi office de scène pour DJ sets. Pour parfaire le tout une bande costumée, entre strass et chemises ouvertes arpente les lieux. Fitness humoristique, pompes mais surtout danse aux airs de fête populaire se tiennent en son centre. Le public est là, unis avec la tête un peu éloignée des élections qui arriveront dans deux jours.
Le décors est posé et il rayonne. Tant mieux, dehors il fait toujours trop froid. C’est à 19 heures que la programmation se dévoile enfin. Mieux vaut porter des chaussures confortables, il s’agira de courir d’une salle à une autre.
A salles variées, programmation pluri.elles
C’est donc les énervés de Johnnie Carwash qui ouvrent le bal sur la scène Club Rififx en souterrain. Comme le soulignera plus tard Maëva Nicolas de Bandit Bandit, le groupe fait en plus partie d’une scène française rock qui met more women on stage dont sa chanteuse. Le public est encore peu nombreux, certes, mais il est aussi hyper réceptif. Normal, la force garage d’une formation jusqu’au boutiste qui s’ose à un univers touchant au punk tape juste et fort. Impossible de rester impassible face à une déferlante d’énergie qui réveille plus que la douche liée à la pluie extérieure (il sera bon se plaindre de ce temps médiocre au mois d’avril encore un peu) et a le bon sens de réchauffer. Johnnie Carwash a autant de peps que de style et ce retour du rock français mérite toujours d’être soutenu au moins parce qu’il rime avec espoir.
C’est d’ailleurs grâce à notre combo qu’on pourra croiser hors scène mais dans les couloirs, la moitié d’Ottis Coeur, la tornade Margaux, autre groupe rock féminin divinement qualitatif et qui signe également les illustrations du groupe.
La soirée ne fait que commencer et voilà déjà que c’est à l’auditorium qu’il faut courir pour apprécier un spectacle bien particulier à la scénographie à couper le souffle : celui de Lucie Antunes. En préambule, il est important d’évoquer que la musicienne fait partie du renouvellement d’une scène 100% instrumentale qui s’ose sans vergogne à s’aventurer dans des contrées d’explorations musicales loin des genres des et des sentiers battus. A tel point qu’il est essentiel de vivre ses performances pleinement et comme un tout où l’intelligence du spectateur est autant flattée que son sens esthétique. Machine rodée oui, sophistiquée surtout, la musicienne s’entoure de bras mécaniques pilotés par le collectif Scale, qui se colorent et se déploient avec la beauté d’un ballet classique à mesure que les notes défilent. Qu’il est bon de découvrir de véritables propositions scéniques. Côté instruments l’électro la dispute aux percussions, maîtresses d’un moment aussi hypnotisant qu’élégant et millimétré. Un spectacle dont il est difficile de se lasser et vaut son pesant de billet verts.
Urbain sur Seine
Dehors donc, il fait un froid qui attaque les os. La pluie a quand même décidé dans sa grande bonté de calmer le jeu et peut-être qui sait, de se dire que c’est bon personne n’est venu là pour souffrir, la semaine dernière il neigeait quand même. En ce 8 avril donc, c’est sur le parvis qu’il faut tremper ses chaussures dans les flaques d’eau. C’est un londonien qui nous y attend, heureusement, eux ont l’habitude des températures basses. Sam Wise y débarque avec une certaine simplicité, sweat sur les épaules et DJ en arrière scène. Il distille un hip hop bien senti et accrocheur sous l’oeil bienveillant d’une poignée d’étudiants qui en profitent pour faire des selfies. La machine est huilée, les basses tabassent, le flow est bon. Basique peut-être mais n’est ce pas le mot qui a remis Orelsan au coeur de toutes les conversations. Il discute d’ailleurs volontiers avec l’audience et l’invite à un petit jeu « Quand je dis Sam, vous dites Wise » … « Sam ?!!! » « Wise » répond elle. Heureusement son nom a assez de gueule pour valoir d’être scandé par une foule, pas sûr que Michel Dupont aurait autant la classe.
L’air du hip hop est bien présente, c’est chose connue. C’est pour ça d’ailleurs que le festival avait l’année précédente fait la part belle à un rap français qui fait vibrer dans les cours de récré. Mais le rock lui, reprend une ascension fulgurante jouant d’un retour aux fondamentaux : les caves, les sons crasseux, les voix caverneuses. D’ailleurs sous sa mèche de cheveux volante, le chanteur de Dawaere cache une voix bien rauque et surtout bien rock. La scène post-punk est dans la place de soir, le timbre à la Idles en plus (certains diraient à la Nick Cave mais auraient-ils raison ?), la touche énervée en bonus suprême. Les guitares saturent et la petite scène du Club Riffix commence à bien se remplir. L’envie de pogoter est là, l’énergie tape partout comme des ondes qui tabassent. Tous les coups ne sont pas fait pour faire mal et cette claque derrière la tête fait office d’oasis dans une programmation plus grand public. A moins qu’elle ne soit pas celle que l’on croit.
Casser les codes
Un petit tour par la grande scène où l’on croise Pi’erre Bourne et son hip hop à la mode US pourrait bien faire mentir cette dernière phrase. Un écran géant en arrière scène lui permet d’ailleurs de s’afficher sous forme de dessin animé, dollars dans les mains à travers ses aventures. Le bonhomme s’offre un bain de foule dès le premier titre, la fosse est bouillante (contrairement à dehors où vous a-t-on dit qu’il faisait froid ?), le hip hop a la saveur d’un tour en low rider. Chill, classique, sautillant, un brin peut-être hors loi et la sauce balancée n’est pas pour déplaire.
Pourtant il est temps de revenir un paragraphe plus haut, sur ce cliffangher complètement fou, quelle scène n’est pas celle que l’on croit ? On dit que des jeunes qu’ils ne connaissent plus la vraie musique. C’est faux, l’habit de fait pas le moine (cachez vos grands-parents, les meilleurs proverbes sont de sortie, ça va swinguer). Et c’est Sofiane Pamart qui vient révolutionner le jeu. Il est fascinant de voir le succès tant mérité que s’offre cet artiste hors normes. Vêtu comme un DJ dans le coup ou un rappeur zélé, c’est en réalité un prodige du classique qui se cache derrière des vestes argentées et des casquettes. D’aucun dirait qu’en trois accords à la Chopin, dont il a, c’est indéniable le magnifique touché, l’audience s’enfuirait. Après tout qui écoute encore du classique ? Tout le monde à priori, c’est d’ailleurs pour lui que le festival est aujourd’hui si rempli. La file d’attente est sans fin, et nombreux seront celles.eux, déçu.es qui ne pourront assister à la performance de la soirée donnée dans l’Auditorium. Difficile d’en dire plus, puisque les rédacteurs de ces lignes auront eux aussi dû rester à la porte. Il sera pourtant rapporté de source sûre que de nombreux rappels auront lieu ce soir et pour l’avoir déjà vu performer, il sera aisé de largement conseiller de prendre des places au plus vite pour son prochain concert près de chez vous. Son album est également disponible sur le stand des Balades Sonores. Cette claque là est peut-être la plus forte, en un temps où l’accès à la musique est illimité, le classique peut encore avoir la cote si tant est qu’il perde son recul prétentieux faussement élitiste.
Une autre difficulté de circulation empêchera de bien profiter du show de French 79 en extérieur, là où il ne fait pas bon, les blagues les plus longues sont les meilleures. Les stands sont pris d’assaut, tous les visages sont pailletés et il faut attendre longtemps pour se délecter d’une bière ou d’un cornet de frites. Rien de bien grave, quelques pas de danse au centre de la salles, quelques morceaux issus des scènes 90’s/ 2000 et voilà que la bonne humeur perdure.
Barre de Paul Dance
Il est 23 heures 45 et la billetterie débite encore quelques tickets, normal, Paul Kalkbrenner débarque sur la Grande Scène. Cette dernière est pleine à craquer et quand le DJ entre dans l’arène tous les portables sont braqués sur lui. Ce sont autant de petites étoiles dans la nuit agitée. Les smartphones en poches et voilà que l’assistance se met à danser frénétiquement. Pas besoin d’artifices pour ce grand monsieur qui devant un écran aux jeux simples balance du très gros son. Les corps ondulent, les notes aussi, la fête est folle et si belle quand un public vibre en choeur.
Reste à saluer la dernière woman on stage de la soirée dans son immense duo Bandit Bandit. Le couple de Bonnie & Clyde à la française déborde d’une énergie communicative. Certains de leurs titres, références voulus à une scène française passée et plutôt 60’s leur valent la réputation de groupe OVNI qui peut séduire tout en se regardant amoureusement dans le blanc de l’oeil. Le couple ce soir a pourtant décidé de sortir les grosses guitares qui balancent. Maëva, la chanteuse est possédée, elle se rend dans le public, danse les cheveux dans les yeux, le tambourin à la main. Sa tendre moitié, Hugo Helerman, de noir vêtue, donne à sa guitare des notes sensuelles. Sur « Maux » les deux s’offrent une danse endiablée en duo, bouche contre bouche, où confrontation et passion se marient si bien. Ces quelques instants ont une cinématographie à la pureté indéniable, un grain de folie communicatif et tapent fort dans l’amour fusion. La musicienne prend le temps de présenter un morceau personnel, s’attardant sur sa condition de femme malédiction ou bénédiction, qu’il aura fallu appréhender mais son rock lui, fait mouche bien au delà de toute considération genrée. S’il faut encore le dire alors oui, les femmes aussi savent faire un rock incisif et sans concession, que l’affaire soit ainsi prouvée.
La soirée terminée, il faudra tout de même rentrer, la pluie s’est arrêtée, le froid lui ne compte pas encore s’en aller. Tant pis, s’il est bon se plaindre en musique, la chaleur humaine, elle, est l’épicentre de tous les festivals.