Il était attendu ce retour. Deux années que Rock en Seine n’avait pas eu lieu. En échange en 2020, une émission avait permis à quelques artistes français en vogue de venir jouer dans le parc de Saint-Cloud et puis en 2021, rien. Peur d’une annulation causée par un motif qu’on se lasse d’évoquer continuellement. Alors lorsque l’édition 2022 a été annoncée, elle est devenue en un rien de temps l’évènement immanquable par excellence. D’autant que tel le phoenix, le festival francilien comptait bien renaître de ses cendres en remettant le rock au coeur de son affiche. Il faut quand même dire que le mastodonte avait mis ses dernières années à l’affiche bien d’autres courants artistiques. Loin de prôner la guerre ridicules de courants artistiques qui ne sauraient cohabiter, une idée qui tient beaucoup plus des fans que de musiciens qui collaborent et inspirent au delà de leur genres respectifs, il faut admettre qu’il est bon de confirmer qu’un nouvel âge d’or du rock est en route et que comme bien souvent, ce vent frais nous vient du Royaume-Unis. Logique donc, dirons-nous, que cette première journée de festival, le 25 août fasse donc la part belle en majorité aux groupes d’Outre-Manche. C’était d’ailleurs en raison de sa tête d’affiche Arctic Monkeys, la journée la plus attendue de cette édition. Les attentes ont-elles été comblées ? Debrief de notre journée de festival.
L’A(rriver)B(ouger)C(hauffer)D(anser) d’une ouverture
Le soleil est beau fixe, il tape même bien fort faisant redouter une nouvelle journée de rock en sueur. Quelques couacs sont d’entrée rapportés par les premiers arrivants sur site quant à un bug côté entrées, ralentissant l’accès au festival. Bon, il ne faut pas se fier au premières impressions. Grosse tête d’affiche veut, une bande de fous d’Arctic Monkeys se rue sur le premier rang de la Grande Scène, avec le besoin d’être au plus près d’Alex Turner et son équipe en fin de journée. Il y a toujours quelque chose de touchant au culte du premier rang, la preuve que la musique transporte toujours au plus haut point. Autant mettre les pieds dans le plat une bonne fois pour toute, une nouveauté attend les festivaliers : la création d’une fosse or pour se glisser au premier rang en payant plus cher pour s’éviter le folklore d’heures d’attentes. Faire de l’accès à un bon placement dans la fosse une histoire de gros sous fait toujours grincer des dents mais l’évènement a eu le bon goût de laisser une partie des premiers rangs accessibles aux plus résistants. On se console comme on peut.
Toujours est-il que la star de Tik Tok, puisque oui le réseau social – antithèse du retour bienvenue au sacre de l’album sur vinyle- créé des stars avec un seul single, Gayle est celle qui se colle à l’ouverture des festivités. Si vous pensez ne pas la connaître, rassurez-vous, vous avez probablement déjà entendu son mega titre « abcdefu » hymne pop rock revendiquant… sa rage contre sa rupture. Un sujet commun pour un titre relativement efficace en terme radiophonique et utilisé pour Tik Tok pour s’amuser à bonnet sa taille à bonnet de soutien-gorge… On évite le discours de vieux con sur le sujet, chaque génération a son truc et celle-ci a aussi nombre de très beaux combats qu’elle mène parfaitement. Pas celui-ci mais bref. Gayle donc, opte pour un look rock un brin emo (ils reviennent, ne craignez rien ils sont vos amis), cheveux bicolores sur la tête, noir et blanc. Comme Cruella qui s’est fait une aura d’icône mode punk grâce à son dernier film en somme.
Notre chanteuse est honnête et confie à la foule parler dans ses titres d’amour, de relation, de ruptures… Elle se donne du mal à capter le public insuffler de l’énergie sous un soleil tape fort et attend son gros succès pour se lâcher à fond. Heureux d’être là, il donne quand même le change autant que possible. La catalogue musical de Gayle reste néanmoins très pop plus que rock donc type année 2000. Un peu comme quand des Hilary Duff et autre Ashley Simpson s’étaient mises à faire des titres « rock » pour aller dans la tendance, le rock venait de la ceinture à clous en somme. L’énergie est quand même là et si deux, trois titres peuvent suffire à faire le tour du sujet la sauce prend bien plus fort sur le hit attendu, en plus joué en mode « angrier » pour bien clasher l’ex malveillant. De quoi s’échauffer tranquillement avant le gros des hostilités.
L’Union Jack se pose sur le festival
C’est un très beau nom qui donne un ton bien plus rock au moment sur la scène Cascade puisque voilà que débarque les excellents Yard Act. Les originaires de Leeds sortaient en janvier un immense premier opus » The Overload » à l’élégance rock indiscutable. Parfait de bout en bout, les compos ne pouvaient que faire vibrer sur scène. D’ailleurs plus tôt en conférence de presse, Joe Talbot, le chanteur d’Idles confiait que le groupe faisait partie des excellents du festival pour qui il aurait volontiers payé un ticket pour les voir jouer. A raison, avec une précision instrumentale incroyable et un débit sublime de son chanteur, James Smith, le groupe gagne en profondeur en live, face à un public déjà venu en masse. Peut-être trop statique de son appréhension de la scène en début de set, le groupe convainc franchement l’assistance avec une précision millimétrée. Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à communiquer à son public sur sa joie à jouer sur ce « très beau festival ». Plaisir partagé, il faut se le dire. Le rock est de retour, longue vie au rock.
Le rock anglais a bien des visage et l’un d’eux sonne très américain en la personne de Yungblud. Grosse figure particulièrement attendue, le musicien est connu (à raison) pour être une sacrée boule d’énergie.
D’entrée le musicien aux cheveux rouge offre en guise de jeu d’écrans une bouche géante rouge aussi et de la pyrotechnie. On est là pour le show. Et c’est bien ce qu’il compte offrir. Déchaîné il sautille partout, assisté d’un batteur particulièrement efficace et particulièrement peu vêtu, est-ce que sa tenue de scène est un simple caleçon ou bien est-ce une impression ?
Voilà donc notre bonhomme qui saute partout, littéralement partout en ouvrant grand sa bouche de façon volontairement démente. YUNGBLUD est aussi théâtrale qu’un Joker, si celui de Jared Leto aussi, cinématographique. Du coup dès le deuxième morceau, il demande à la foule de créer un moshpit, pour garder son premier rang il faudra plus souffrir que pour être belle ( allez hop une expression de vieux calée pour le plaisir de vos beaux yeux). L’affaire est pliée, le cercle se créé, ça pogote clairement et on se reprend un petit jet de flammes. Le musicien distille un rock très inspiré années 2000. Il suffit d’écouter « The funeral » pour sentir une pointe de nostalgie d’un certain courant rock alternatif qui remplissait les stades.
Un peu de Blink- 182 par là pour citer un nom très connu qui se fait bien entendre dans les sonorités, la dispute à quelques moments plus screamés façon The Used ou My Chemical Romance et des influences hip hop. Le set a le mérite de mettre beaucoup de gens d’accord, après tout ses instants très pop et donc mainstream touchent les plus réticents, là où les moments plus brutaux permettent aux fans de rock de se déchaîner. Quant au retour des scènes alternatives des années 2000 … difficiles d’être objectifs quand on les a trop bien connues mais il est vrai qu’elles offraient un défouloir certain à la jeunesse. Qui nous manque. Le set arrive sur sa fin avec « I Think I’m Okay » originellement en duo avec Machine Gun Kelly et Travis Barker de Blink-182 (coïncidence ?). Un titre qui lui aussi aurait pu exister il y a 15 ans mais qui sait bien doser sa recette. Enfin, pour terminer cette prestation de 60min (où le musicien français Waxx fait même une apparition), Yungblud fait chanter ses fans sur son tube « Loner ».
Post-pop-punk rock
Sur la scène Cascade c’est Inhaler qui galvanise une foule majoritairement féminine au premier rang mais pas que. Les adeptes de la formation irlandaise ont fait le déplacement et agitent le drapeau du pays en se noyant dans les beaux yeux de son chanteur, Elijah Hewson, aux cheveux impeccables et qui ne se décoiffent jamais même quand il danse – quel est son secret ?
Un régal pour les yeux, il faut en convenir qui vient servir un set propre et carré. Pas de grosses effusion, les mélodies pop rock évoquent (et personne ne se demande pourquoi) celles de U2 et leurs tubes planétaires. Certes, l’originalité n’est pas là mais la sauce prend plutôt bien. Les arrangements fonctionnent, les mélodies entrent en tête, la foule en redemande. Elle sera servie au court d’une ballade tranquille où le risque n’est pas de mise mais où la mélodie est centrale.
La foule dense d’un festival plein à craquer s’est ensuite donnée rendez-vous pour (re)voir sur scène l’immense groupe qu’est IDLES.
Un set d’une heure et quart leur est laissé pour faire la part belle à leur dernière galette « Crawler ». Album de guérison ultime, à fleur de peau et à couteau tiré, ode à la vie prend aux tripes. La tournée elle n’est pas une cure de santé mentale avouera en conférence de presse Joe Talbot qui ne tarie pas des loges son plaisir au retour au festival et à faire partie d’une scène rock qui ne souhaite pas uniquement mettre des hommes blancs qui jouent les super stars à l’affiche.
Ceux qui veulent devenir le meilleur groupe de live du monde se donnent titre après titre entraînant la foule de Rock en Seine dans un tourbillon viscéral. Des morceaux issus de tous les morceaux sont interprétés. Quelques effet de scène sont là, du type faire se baisser toute la foule pour mieux la faire sauter, mais l’instant est surtout dédié. « The Wheel » écrase comme une grosse machine qui vient poser ses guitare au plus prêt de l’audience. IDLES est métallique, jusqu’au-boutiste, sincère, constant. Et même si la pluie espérée en conférence de presse ne vient pas, le set ne lâche rien. Un petit instant décalé grâce à l’interprétation d' »All I want for Christmas is you » rappelle que tout peut sonner diablement rock avant de conclure sur le classique « Danny Nedelko ».
Même si l’heure de la tête d’affiche l’édition 2022 de Rock en Seine approche à grands pas, il faut faire un crochet par la scène Cascade pour se prendre une baffe bienvenue offerte par Fontaines D.C.
A cette heure-ci le festival est plein à craquer. Trop dirons certains, puisqu’il devient difficile de s’offrir une bonne place pour profiter pleinement du show. De même les queues pour s’acheter à boire ou à manger s’étirent à l’infini. Il faut compter plus d’une heure pour se sustenter, de quoi frustrer certains festivaliers. Le groupe de Grian Chatten lui, permet de sublimer l’instant. La machine à tubes post punk dont l’immense « Skinty Fia » est sorti cette année ne laissent pas une minute de répit à l’assistance qui se prend tornade de perfection sur tornade de perfection. Le son est bon, l’énergie est aussi bien distillée lorsqu’elle est en retenue que balancée sur le public. « Jackie Down the line » met tout le monde d’accord alors que la troupe aux dress code noir et blanc (avec quand même un pantalon de jogging, on est pas là pour s’occuper de la mode) se donne avec une intensité sans limite. Il faudra absolument revoir la troupe de Dublin, sûrement dans des conditions permettant de mieux voir la scène pour mieux s’imprégner de leur étrange perfection.
Une chaleur « Arctic »
Ladies & gentlemen, c’est la troupe d’Arctic Monkeys que vous vouliez ? Eh bien, la voici. D’ailleurs vous êtes bien nombreux. Autour de la Grande Scène, tout le festival se presse, en masse, en foule compacte, très vite, il est impossible de bouger, tous les yeux sont là, rivés sur scène, c’est bien eux, la troupe d’Alex Turner est de retour. Le beau gosse d’avis général a la coupe de cheveux idéalement rock galvanise la foule. Pour mettre tout le monde dans le bain, la formation balance tout de suite les hostilités avec son plus grand titre « Do I wanna know ? ». La chose a le mérite de mettre le parc de Saint-Cloud entier d’accord alors que tout le monde chante. Avant IDLES, avant Fontaines D.C … le rock anglais avait déjà vécu un revival au début des années 2000 et la troupe y était franchement pour quelque chose. Alors pour certains, le moment évoque une nostalgie parfaite, pour d’autres qui les découvrent en live, l’instant à l’étoffe du concert culte.
A tel point qu’il en devient aisé d’oublier les défaut : un son qui n’est pas parfait, une performance un brin statique, pour se concentrer sur l’essentiel : l’union que sait provoquer Arctic Monkeys. Leur répertoire se dessine avec élégance et quand les singles arrivent comme c’est le cas pour « I Bet you look good o the dancefloor » ils ne font que galvaniser ce qui existe déjà : un cohésion unanime et un chant d’une audience presque en continue. Exit, les pogos, par manque de place peut-être alors que la foule ondule franchement. Notre chanteur façon crooner la joue séducteur fatal, et profite de la justesse de son équipe pour séduire sans avoir à sauter partout. Les yeux brillent et des vagues d’amour profond accueillent le « Nouvelle chanson » comme introduite en français dans le texte, extrait de l’album « The Car » à paraître en octobre et annoncé la veille. Pas besoin de forcer à priori pour convaincre quand on atteint ce niveau de notoriété. « R U Mine » conclut ce set d’une heure et demie. A l’instar d’un autre groupe qui avait révolutionné le rock en son temps The Strokes, Arctic Monkeys n’est pas une bête de scène, pas plus qu’un objet curieux de festival. Le groupe a atteint il y a longtemps son statut d’indiscutable super star, d’objet iconique à voir et revoir pour sa qualité de compositions et pour la magie qu’il distille. « R U Mine ? » le public répond un grand oui, à moins que l’inverse ne soit vrai et que le groupe n’appartienne à l’ADN d’une audience qui les chérie comme le sang de ses veines.