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Julia Escudero

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Abel

La scène française regorge de son lot de nouveautés. Parmi elle, un nom à connaître : celui d’Abel. C’est côté chanson que le jeune prodige officie.Sensibilité et paroles à fleur de peau sont mots d’ordre pour se glisser dans l’univers du musicien. Notre chanteur traite de sa peur de l’avenir et du harcèlement scolaire. Un premier morceau « Comme jeté à la mer » donnait le ton de ce qui s’annonce comme une véritable capacité tubesque. Il faut dire que le musicien ne perd pas une seconde de son nouveau titre pour annoncer la couleur. Oscillant entre douceur et riffs dansants, il se raconte tout en rythmes et produit un jus qui s’immisce facilement dans les esprits. Un touche rétro vient s’ajouter à une voix au combien plaisance. Elle se distille comme celle d’un ami qui vous veut du bien avec un mot d’ordre : la sincérité. Ses deux premiers titres permettent de se plonger dans un monde  délicat où chanson française fait rimer candeur avec cri du coeur. Le mieux placé pour en parler, c’est encore lui. Découvrez notre interview d’Abel.

Ton premier EP « Dolce Vita » a été publié fin mai, comment a-t-il été composé ?

Abel : J’ai composé l’EP en 2020, pendant le confinement. Je découvrais l’écriture en français (j’écrivais essentiellement en anglais dans un style assez différent) et ça a été une période d’abondance creative assez dingue. Je m’étais installé un petit homestudio dans ma chambre et j’écrivais et composait mes petites maquettes. Au moment de passer en studio j’avais un SoundCloud avec une trentaine de titres et j’ai tout simplement choisi les chansons que je voulais entendre produites en premier, les titres actuels de l’EP. Puis on les a travaillées avec François Villevieille qui a apporté une vraie couleur et une homogénéité au projet.

Tu portes un soin tout particulier à tes rythmes, c’est notamment le cas sur « Jeté à la mer » qui profite d’une répétition précise pour entrer en tête. Pourquoi utiliser ce processus de boucle musicale ?

Abel : C’est drôle parce que c’est littéralement comme ça que je compose ! Je n’ai pas de connaissance en solfège et en théorie musicale, je fais tout à l’oreille. Je suis donc porté plus facilement vers des accords assez simples et répétitifs (c’est ma base), que j’habille par la suite avec des violons, pads et autres éléments pour construire la prod. Pour « Comme jété à la mer » j’ai utilisé pas mal de boucles de batteries trouvées sur Splice, une application géniale avec de nombreux samples libres de droits. J’avais l’habitude de les empiler un peu maladroitement, sans réflexion derrière. Aujourd’hui je fais mes propres batteries. Et pour les toplines répétitives tout est venu assez naturellement.

Ton second titre s’appelle « Eté 85 », une époque que tu n’es pas connue. Elle évoque quoi pour toi ? Pourquoi cette nostalgie d’un moment idéalisé ?

Abel : Je suis assez séduit par l’esthétique des années 80. Mon père me répète sans cesse que ce sont les pires années de sa vie mais d’un oeil complètement extérieur et si on romantise un peu la chose j’y vois beaucoup de liberté et de légèreté. Au au niveau des sons aussi, c’est tout ce que j’aime. Ces sonorités très rondes presque fake. Pour moi il y du rêve dans le son des années 80. Que ce soit dans les accords ou autre.

Tu parles beaucoup de couleurs, de soleil, que t’évoquent ces visuels ?

Abel : La poésie et beaucoup de contemplation ! Déjà, il faut le dire, ce sont des mots qui sonnent quand même vachement bien. Ça m’évoque des tableaux, des scènes précises et beaucoup de nature, d’insouciance.

Tu évoques aussi, l’été, la mer, c’est un fil conducteur de ton EP. Il l’est également de la scène musicale française des années 80. Pourquoi était-ce important ?

Abel : C’était assez naturel pour moi d’évoquer la mer. Je vais en Bretagne, où j’ai de la famille, depuis petit et c’était un peu « le rituel » à chaque vacances. J’ai grandi à Paris et petit j’étais plus attiré par la nature, le grand air. Je ne supportais pas la ville, l’école et mon quotidien (comme beaucoup d’enfants aha), donc la Bretagne et la mer ont toujours été l’endroit où je me sentais moi, où je me sentais libre. On se faisait des sortes de road trip avec mon père dans sa Volvo 240 avec du Lana del rey à fond, les fenêtres ouvertes. Ça a été des moments très importants. Et je suis poisson en plus aha !

Tu as travaillé avec François Poggio. Qu’a-t-il apporté à ta musique ?

Abel : François Poggio à fait les guitares sur mes titres ! Ça a été un grand honneur d’avoir pu travailler avec lui. Il a bossé avec beaucoup d’artistes que j’admire comme Jane Birkin ou Etienne Daho. J’ai rencontré François en studio, on avait la base des chansons de l’EP et il nous manquait des guitares. Ça a été tellement naturel, il sortait des riffs absolument magnifiques. Définitivement une de mes journées studio préférées !

Tu cites volontiers Lana Del Rey, a-t-elle été une source d’inspiration pour ton EP ?

Abel : Dans le son je dirais que non mais elle m’inspire depuis petit. Donc j’y ai forcement mis quelque chose. Surement dans la mélancolie et la nostalgie. Dans les intentions que j’avais en composant, les émotions que je voulais transmettre. Mais dans l’album il y aura des chansons plus cinématique et lanadelresque !

Tu écrivais des nouvelles, de quoi parlaient elles ? Comment ce chemin artistique se dévoile-t-il dans tes titres ?

Abel : Je n’ai jamais vraiment fait le rapprochement. C’était des nouvelles médiocres écrites en primaire. Rien de bien intéressant mais si je dois faire un lien c’est vrai que je raconte souvent des histoires dans mes chansons. Pour « Été 85 » et « Dolce Vita » j’ai inventé des petits récits fictifs. C’est peut être ce qu’il reste de mes modestes nouvelles.

Sur « Les Vagues » tu parles de harcèlement scolaire, pourquoi souhaitais-tu porter cette thématique ?

Abel : Ce n’était pas réfléchi du tout ! Elle est sortie comme ça et en l’écrivant j’avais plus en tête un message d’espoir et le pouvoir cathartique de l’art et de la musique plus que mon harcèlement concret. Je n’avais pas conscience de ce que je vivais sur le moment, tout ça me paraissait normal et je voudrais juste rappeler que ce n’est pas le cas, qu’a l’échelle de chacun chaque remarque, mots ou même coups ne sont absolument pas à banaliser. J’avais tendance à tout intérioriser et dans les vagues je m’adresse au moi de 10 ans. Je lui dis que malgré ça, tout ira bien et que le temps et la parole sont les meilleurs remèdes.


Crédit photo : Louis Comar

Une première journée intense et so british de passée au Parc de Saint-Cloud et voilà que Rock en Seine remet le couvert pour une des journées les plus attendues de sa programmation. En cause la présence en tête d’affiche des immenses Nick Cave et The Bad Seeds. Il suffit de jeter un oeil dans le public pour voir, au grès des tee-shirts à l’effigie du monument, à quel point la formation est attendue. Le public est pour autant bien différent de la veille, en partie plus mature, moins en quête du premier rang que dans l’attente de profiter d’un concert qui pourrait bien être la claque de l’année voir de la décennie. D’ici là quelques très beaux concerts viendront peupler cette journée ensoleillée. Et autant spoiler la fin tout de suite, le concert de clôture de la journée sera une claque retentissante dont il sera difficile de se remettre.

Une mise en bouche à deux saveurs

Mais chaque chose en son temps. La journée ne fait que commencer, le soleil d’août tape fort sur le parc de Saint-Cloud. Température 27 degrés, ressenti 50. Ce n’est pas le show de Jenny Beth sur la scène de la Cascade qui va faire baisser la température. Amie d’Idles qui jouait la veille sur le festival, la chanteuse française a de quoi bousculer. Energique et énervée, elle livre un set enragé, profondément rock mais surtout d’une modernité sans limite. Les registres se croisent chez Jenny Beth, tornade indomptable qui n’a de cesse d’interpeller la foule pour l’enjoindre à sauter avec elle. Avec une prestance scénique bien trop rare, elle produit des sons aussi métalliques que peuvent l’être ceux du « Crawler » de ses copains. Plus électro, frôlant le robotique pour mieux revenir à la force de l’indomptable Sinead O’Brien plus tard, la musicienne ne lésine pas sur l’énergie, les changements de rythmes et devient rapidement la belle surprise à voir de la journée. Certains s’offusqueront même de ne pas la voir à 20 heures sur la Grande Scène tant elle insuffle une dose de rock jusqu’au-boutiste et bestiale à une assemblée qui avait bien besoin de se prendre une jolie baffe sous un soleil qui lui aussi tabasse. Le ton est donné tout comme ce nom à suivre de très près.

Lors de son interview au Fnac Live, Vitalic défendait avec un certain humour le parallèle que l’on peut faire entre musique et cuisine. L’oreille comme le palet s’éduquent, la musique est un mélange de saveurs que l’on additionne pour créer un plat-album. Difficile de lui donner tord et pour rendre hommage à ce grand monsieur de l’électro français, nous nous permettrons de nous aventurer sur le chemin sinueux de cette métaphore pour parler d’un second set féminin en ce début de journée : celui d’Aldous Harding sur la Grande Scène. Si celui de Jenny Beth était franchement relevé, épicé, osant créer des saveurs fusions, celui d’Aldous Harding qui se produisait quelques jours plus tôt aux côtés de King Hannna à la Route du Rock paraissait être une excellente idée lorsque le recette était couchée sur papier. Un titre fort aux saveurs sucrées et doucement folk, « The Barrel » et une voix grave venaient d’ailleurs mettre l’eau à la bouche. Sauf que sur scène la mayonnaise ne prend pas comme prévu. La musicienne semble plus focaliser sur ses instruments que sur le public. Le tout est certes esthétique mais une fois en bouche, ça manque profondément de nuances. D’autant que quelques moment de silence entre deux titres viennent à laisser un sentiment de faim lorsque le set s’achève. Un encas pour chiller sur les pelouse au soleil, donc, mais certainement pas un plat abouti. Reste peut-être à ajouter quelques ingrédients à cette recette pour maximiser son potentiel. Et ainsi s’achève cet hommage à Vitalic, vous pouvez poser vos couverts et reprendre la courses aux concerts avec nous.

déambuler et Voyager au Parc de Saint-Cloud

Entre deux pas de courses pour atteindre les scènes, le festival propose également de parcourir ses stands, certains et Rock en Seine a souhaité mettre l’accent dessus, sont engagés notamment sur le féminisme pour contrer le harcèlement et le sexiste en milieu festive. Comme rappelé en conférence de presse, une femme sur deux a été victime d’agression en festival et n’ose plus s’y rendre seule. Pour en parler le stand du collectif Nous Toutes est présent. Si la prévention ne suffit pas, une safe zone a été installée pour faire face aux situations d’urgence. Plutôt prévenir que guérir, n’agressez pas les gens et ce quel que soit leur genre mais aussi tout autre critère de discrimination. Une évidence qu’apparemment, il faut rappeler. La prévention n’est pas la seule à être présente sur les stands puisque deux disquaires, les incroyables Ballades Sonores et le Music Fear Satan ont également posé leurs valises, vinyles sous le bras, pour digger sur site. N’hésitez pas à y faire un tour, vous en ressortirez les mains pleines de pépites à adorer écouter chez vous.

Côté scènes, les très attendus, par nous au moins mais pas que à en juger par la foule, DIIV prennent d’assaut la Scène de la Cascade. Sur album, leur dernier opus « Deceiver » est un petit bijoux de shoegaze. Mais pas que, le groupe new-yorkais qui souhaite placer les spectateurs de Saint-Cloud dans les profondeurs de la musique underground de Brooklyn, sait doser ses influences en créant son propre son. Dix ans que le combo officie. Le temps de marquer les esprits, de faire une pause en 2016, pour mieux revenir plus forts, guéris des problèmes d’addiction de son chanteur et de publier en juin une ré-édition de ses premiers morceaux qui sentent bon les riffs et la voix à la Elliott Smith. Du sublime donc aux loops nombreuses, un brin psychés, transpirant d’influences 90’s allant de Nirvana à My Bloody Valentine bien digérés.  C’est pourtant avec une certaine nonchalance que la troupe de Zachary Cole Smith se produit. En live, les mélodies gagnent en fougue rock certes, étirant ses guitares pour mieux  les installer, lui donner une âme plus puissante et distiller un son qu’il affectionnent particulièrement à traiter. Les mélodies sont là, belles à l’oreille mais elles manque d’une touche d’énergie, d’une représentation scénique déterminée pour venir percuter comme elles le devraient les spectateurs. DIIV reste un joyau de poésie taillé avec une précision millimétré en version enregistrée qu’on ne peut que conseiller vivement d’écouter pleinement. Peut-être faudra-t-il renouveler l’expérience sur une scène intérieur et plus petite pour mieux se laisser subjuguer par ses guitares centrales et aériennes.

Côté Grande Scène, le couple Liminanas et leurs acolytes offrent un set aux nombreux jeux d’écrans et invitent à redéfinir le rock français révolutionné dans la petite ville de Cabestany, en bordure de Perpignan. Leurs sonorités frappent toujours fort alors que leur set tient de l’expérience barrée qui allie modernité et référence aux plus grands noms de la chanson française. Pas étonnant donc que leur titre « Dimanche » originellement en featuring avec Bertrand Belin tape aussi juste lorsqu’il est chanté sur le festival face à un public de plus en plus dense.

Passer aux choses sérieuses

Crédit photo : Louis Comar

Les concerts s’enchainent avec une rapidité déconcertantes, il faut courir partout pour ne pas en perdre une miette, savourer quelques titres pour mieux aller saluer un autre set. Le parc de Saint-Cloud prend des airs d’immense marathon festif. James Blake prend d’assaut la Scène de la Cascade face à un évident par-terre plein à craquer. Il faut dire que le monsieur a su se faire une solide réputation au fil du temps en définissant son propre courant. L’électro bien produit la dispute à une voix cristalline franchement enivrante, les notes r’n’b s’invitent au tableau, à moins que la soul n’en soit aussi. Le temps est suspendu dans ses compositions, la douceur est là, pour autant le beat pourrait tout autant faire danser. Et si en plus le son est bon, il l’est, alors Rock en Seine en apesanteur retient son souffle, bientôt la nuit sera là. Si ce n’est fait, il faudra écouter « Friends that break your heart » en rentrant pour se rappeler de l’immensité de ce monsieur révolutionnaire. La Grande Scène profite tout autant d’un joli bain de douceur grâce à la performance de London Grammar. Sans redéfinir les codes d’une bonne prestation, groupe en a parfaitement intégré les bases. L’espace scénique y est bien occupé, le son est là joliment balancé dans les enceintes, la voix est propre, pure et aérienne, les morceaux s’enchainent avec fluidité, portés par des musiciens qui connaissent leurs instruments depuis leur coeur jusqu’au bouts de leurs doigts. L’instant est simplement beau, sans prétention et les singles de la formation frappent juste : « Wasting my young years » et « Night call », se murmurent de la scène à la foule avec la force d’hymnes bien écrits.

 

A peine les dernières notes entonnées que voilà le public qui se déplace en masse pour applaudir l’immense talent de Kraftwerk. Le groupe électro est des plus attendus, par DIIV également qui confiait attendre depuis des mois de partager l’affiche avec eux. Des lunettes 3D sont distribuées aux festivaliers. Loin du gadget, ils sont surtout l’occasion de se plonger dans l’immense performance d’un son qui ne prend pas une ride et s’ose à quelques références anciennes pour parfaire un univers unique. Le concert fait d’office partie des immanquables du festival. Logique lorsque l’on sait tout ce que le groupe a apporté à la scène allemande et ce depuis les années 70. La new wave et le hip hop lui doivent beaucoup, le public tout autant qui salue cette performance hallucinante qui vient les toucher dans ses magnifiques projections. Quel tour de force !

Nick tout ce que vous avez vu jusque là !

Crédit photo : Louis Comar

A force de faire des concerts, même en appréciant chaque moment, l’immense beauté du live finit par ressembler à un mythe. Parfois pendant les prestations, les mots viennent naturellement pour les raconter, appelons cela une forme de déformation professionnelle. Le plaisir est là certes, mais le jeu paraît simple. Qui saurait alors réveiller chaque millimètre d’un être, faire frissonner la peau, parler au coeur, au corps et masser les esprits en se distillant dans les oreilles ? L’idée que Nick Cave pourrait tout bousculer sonnait comme une évidence et pourtant personne n’était prêt pour l’immensité du set de deux heures que le géant allait offrir ce soir avec ses Bad Seeds. Séchant les mots mais pas les larmes, le génie a offert ce qui restera gravé comme l’un des plus concert auquel il fut donné d’assister. Deux heures sans repos, deux heures qui revendiquent et qui communiquent. Deux heures d’une foule hypnotisée, retournée, en adoration, incapable de bouger pour ne pas perdre une goutte d’une énergie et d’un virtuose jamais forcés. La grandeur porte son nom. La perfection à en faire éclater les coeurs. Au court de sa performance, cette figure déique n’a presque jamais décroché de l’avant scène, touchant de son immense grâce ceux au premier rang. C’est sur « Get ready for love » que la troupe ouvre les hostilités. C’était une bonne idée de nous prévenir, mais prêts, personne ne pouvait l’être. Aidé d’un choeur de gospel qui distillera une profonde lumière à des titres sombres mais jamais complètement noirs, l’icône et ses spectaculaires musiciens n’ont de cesse de retourner à chaque titre. En avant scène l’homme en costume dont la classe indiscutable la discute à l’esprit rock sans concession aime à prendre des bains de foule. Cave est issu des classes populaires et vient à huer le golden pit, ceux qui ont payé plus cher pour le voir. Prenez et écoutez en tous car tel est le testament qu’eux ont livré pour vous tous. La perfection ne s’achète pas.

Les débuts sont profondément marquant par leur instinct savamment rock. L’homme ne lâche la main de ses adeptes que pour mieux courir derrière son piano, y poser des notes qui sont aussi graves et percutantes que ses compositions. On frissonne à l’unisson sur « From her eternity », « O Children » ( et nous sommes tous ses enfants ce soir), « Bright Horses », « I Need you ».  La beauté prend parfois la forme de mots répétés, scandés, montant en intensité à chaque répétition, parfois de timbre posé inégalable de profondeur. Le son n’a d’égal que l’éminente beauté de celui qui aime profondément, à fleur de peau. Il écorche vif. Et puis dans ses instants de grâce le voilà qui prend la main d’un membre de l’assistance, serrant ses doigts comme un prêcheur en trans, d’autres mains s’additionnent, les unes sur les autres, avec une douceur qui laisse béa.

Chaque mot adressé à son public, chanté ou prononcé sont aussi précis, précieux que déments. Les titres se suivent alors que l’instant est suspendu, Saint-Cloud vole dans les airs, touche les astres. Le très attendu « Red Right Hand » utilisé sur la bande originale de « Scream » bien avant celle de « Peaky Blinders » retenti et permet de chanter à ceux qui ont encore assez de souffle pour utiliser leurs cordes vocales. En plus de ses Bad Seeds, Nick Cave est venu accompagné de Warren Ellis avec qui il signe le phénoménale « Carnage ». Les deux monstres de la musique interprètent ensemble le titre « White Elephant » et chaque note vise à pousser avec gravité le conception de merveilleux au dessus de toute limite. Un rappel s’ajoute à la performance, tant mieux, la communion se devait de continuer. « Into my arms » et son piano résonnent. Qu’il est bon d’être dans ses bras. Il faut conclure et ce sera sur « Vortex », que ce set qui changera à jamais l’âme de ceux qui étaient là, s’achève. L’un de ses titres les plus connus s’intitule « Do you love me ? » Adorer est un mot pourtant bien plus exact.

Crédit photo : Louis Comar

De passage au Fnac Live de Paris le 30 juin 2022 pour un concert gratuit entre grosses lumières et gros sons, l’immense maître de l’électro Vitalic a accepté de répondre aux questions de Popnshot. Dans les sublimes salons de l’Hôtel de ville de Paris, le chanteur livre une iterview fascinante et entière revenant sur les nouvelles formes de raves party, l’esprit libertaire, dresse un portrait d’une nouvelle époque, parle d’indépendance musicale, de violence dans la société, de sécurité, de découvertes musicales et en profite pour donner un petit cours de cuisine. Rencontre.

Popnshot : Tu avais un sentiment d’inachevé quand tu as fini le premier Disideance, qu’avais-tu envie de raconter ?

Vitalic : C’est un équilibre sur les sons. J’aime les contrastes avec une seule couleur très resserrée. Je voulais un équilibre entre les morceaux calmes et pêchus. J’avais fait plus de morceaux que pour un disque de dix donc je me suis dis autant en faire deux avec deux couleurs. une partie est plus pop, l’autre plus expérimentale.

Popnshot : Tu compares ça à de la cold wave et du punk. Ils t’évoquent quoi ces morceaux que l’on rapproche traditionnellement plus du rock ?

Vitalic : Il y a vraiment du rock et de la disco dans ma musique.

Popnshot : Tu as d’ailleurs un morceau qui s’appelle « Rave against the system ». Ce nom évoque forcément un rock sans concession mais il parle aussi de raves. Est-ce selon toi un dernier espace de liberté comme ont pu l’être les concerts de punk fut un temps ?

Vitalic : Ce morceau fait référence aussi aux raves illégales pendant les confinements. Il y en a eu un peu partout. Faire la fête c’est politique. Par exemple le disco des années 70, les chants des esclaves noirs dans les champs de coton. La musique est politique. La rave, ce n’est plus très nouveau, mais c’est un peu la nouvelle forme de prise de liberté sans demander l’autorisation.

Popnshot : La liberté est politique pour toi ?

Vitalic : Le fait de la prendre. Et aussi à la base les raves parties, c’était la promotion d’un nouveau style de vie, en communauté, itinérante, pour la musique, des gens qui vivent en autarcie. C’était nouveau.

 

 Je pense qu’on vend aux kids de maintenant, une sorte de Big Mac de la rave party.

Popnshot : Tu le trouves intact aujourd’hui ce mouvement ?

Vitalic : Est ce que je fais mon vieux con ? (rires) Je pense qu’on vend aux kids de maintenant, une sorte de Big Mac de la rave party. Tout ça c’est caché derrière des intérêts financiers. Maintenant elles sont souvent organisées par de gros groupes de production musicale. Ce sont des grosses machines industrielles. ce n’est plus le message de la rave. Mais les kids ont envie de vivre ça, comme j’aurai voulu vivre la folie disco des années 70.

Temps qu’on est libre de travailler avec qui on veut, alors on est indépendant.

Popnshot : Tu parles de grosses machines de l’industrie. Tu as toi même ton label qui te permet d’encadrer de jeunes artistes. J’avais un débat avec le chanteur de La Femme qui dit que l’indépendance dans le musique est mythe. Tu est d’accord avec ça ?

Vitalic : Evidement on est dépendant d’un public si on veut vivre de la musique. On peut créer sans vouloir en vivre, sans la produire, là c’est en toute indépendance. Je pense qu’on travaille avec des gens mais ce n’est pas dépendre d’eux. On dépend de son distributeur, même des photographes. Temps qu’on est libre de travailler avec qui on veut, alors on est indépendant.

Popnshot : Et avec les artistes que tu as dans ton label, entends-tu cette peur d’être trop orienté ?

Vitalic : Nous on oriente vraiment pas. On donne des avis. Une fois qu’on signe on laisse une grande liberté. Après quand ça marche pas, ce qui peut arriver, il vont m’entendre parce que je préviens. Mais c’est vrai que la jeune génération est très frileuse pour signer des contrats. Pas frileuse pour obtenir de la tune mais  pour les contrats. Mais c’est beaucoup plus professionnalisé qu’on pouvait l’être début 80 / 90.

  Quand j’ai commencé, on signait des contrats avec des labels qui ne nous payaient jamais.

Popnshot : Comment ça se passait à tes débuts ?

Vitalic : On signait des contrats sans savoir où ça allait. On était pas à la Sacem. On signait des contrats avec des labels qui ne nous payaient jamais. C’était mieux que maintenant, heureusement que ça s’est professionnalisé.

Popnshot : D’ailleurs en parlant de générations, tu as un titre qui s’appelle « Boomer OK »…

Vitalic : C’est une phrase que mon grand de 20 ans m’a dit. C’est une façon d’envoyer bouler son père avec une forme d’ironie. Je lui ai répondu du tac au tac oui, boomer ok, je suis bien content de mes 45 ans, d’avoir vécu mon époque. Tout ça avec de l’humour. Il n’y pas de clash de générations, surtout qu’ils écoutent la même musique que nous on écoutait à leur âge.

Popnshot : Il y a un retour à des artistes plus anciens …

Vitalic : Ou même récents mais qui sont la même chose qu’on écoutait à leur âge.

 C’est la limite des machines, c’est plus difficile de créer de nouveaux sons aujourd’hui

Popnshot : Il y avait moins cette forme de retour musical dans les scènes de ton époque ?

Vitalic : Il y a toujours de petits bons dans le passé. Finalement 70, 80 et 90, il y a eu beaucoup de nouveaux sons. C’est moins vrai aujourd’hui. C’est la limite des machines, c’est plus difficile de créer de nouveaux sons. La production est plus accessible, la création moins. La techno avant ça n’existait pas par exemple… Mais on va avoir une révolution sur cette période, je la sens…

Popnshot : Tu t’attends à quoi ?

Vitalic : J’en sais rien mais je crois que le dernier truc nouveau que j’ai écouté c’est James Blake mais ça date. Le mélange jazz et électro très froide, j’avais jamais entendu ça. Depuis j’entends des trucs intéressants mais pas aussi novateurs.

Popnshot : D’ailleurs tu aimes chercher des nouveaux morceaux à écouter, comment fais-tu toi et quels conseils donnerais-tu pour découvrir de la musique ?

Vitalic : Il y a beaucoup de musique qui se transmet avec tes amis, il y a aussi les réseaux sociaux. Comme je fais des dj sets, je dig, je vais acheter des morceaux sur des distributeurs indépendants et puis aussi j’en découvre en festival et en soirées.

Popnshot : Tu achètes en digital, pas en physique ?

Vitalic : J’achète des vinyles mais pour les dj sets c’est des waves que j’achète. Mais j’ai sorti tous mes albums en physique. C’est un format important. Je suis attaché à l’objet. Je n’ai pas tout ce que j’écoute en vinyle mais quand j’aime un album, je l’achète. j’ai toujours le plaisir quand je cuisine de prendre un verre de rouge et de me mettre mon disque. C’est un truc de papi (rires).

Popnshot : Tu compares d’ailleurs le fait de faire un album au fait de cuisiner. Pourquoi ça ?

Vitalic : Mes fameuses métaphores culinaires ! Tout le monde se moque de moi dans mon cercle proche à cause de ces métaphores (rires).

La musique c’est aussi l’assemblage d’ingrédients pour que tout soit harmonieux.

Popnshot : Je te rejoins, l’oreille s’éduque comme le palais. Il faut goûter beaucoup de choses pour appréhender les saveurs et en écouter beaucoup pour mieux comprendre les sons …

Vitalic : L’oreille c’est pareil c’est vrai. Et aussi il y a beaucoup de parallèles. Il y a l’entrainement, la cuisine plus tu en fais, plus tu maîtrises et plus tu trouves ta voie culinaire. Il y a le fait de faire quelque chose pour le partager. la musique c’est aussi l’assemblage d’ingrédients pour que tout soit harmonieux. Les épices, ce serait les effets par exemple.

Popnshot :  Si on reprend cette métaphore pour parler de ton album, l’entrée de Dissidaence est très apocalyptique avec « Sirens », pourquoi ce choix ?

Vitalic : C’est un truc que j’avais longtemps en tête. Il est passé par beaucoup de phases ce morceau mais j’avais envie de ces deux sirènes, de ces deux alarmes. Avec une explosion comme ça, c’est très new wave. j’ai des impressions, j’en fais des brouillons et puis je les adapte. Au début ça fait une vague, puis ça créé une urgence.

Les tensions, le politiquement correct, les gens qui s’insurgent pour tout et pour rien. Je trouve ça violent.

Popnshot : Cet opus débute par ce sentiment mais tu avouais en interview qu’il traite d’une forme de violence. Tu disais par exemple avoir été inspiré par les gilets jaunes.

Vitalic : Les tensions, le politiquement correct, les gens qui s’insurgent pour tout et pour rien. Je trouve ça violent. Ce n’est pas une époque plus violente que les autres mais je la trouve tendue. Même verbalement, on n’est pas en 76, ce n’est pas relax. On a eu le Covid en plus mais j’avais déjà ce sentiment d’époque plombée même si c’est peut-être une perception, on ne vit pas plus mal qu’il y a 20 ans… je n’en ai pas l’impression. Mais tout le monde est un peu colère, tout le monde a envie de polémiquer et ça me gonfle. Je prends mon van, je vais dans la pampa, je vois mes amis mais je suis moins les informations par exemple.

Popnshot : Tu penses qu’il y aura un après et une période plus relax qui suivra ?

Vitalic : Je ne sais pas. Je pensais tout à l’heure qu’à chaque fois qu’on a fait des trucs pour la sécurité on est jamais revenu en arrière. Les aéroports par exemple, il y a 15, 20 on a commencé à vérifier les liquides et maintenant on continue à les vérifier. Le plan Vigipirate est toujours en vigueur, même s’il n’y pas d’alarme, on ne peut plus faire rentrer qui on veut en loge, ou c’est très restreint. La sécurité ne fait que se resserrer. C’est une époque étrange.

Les raves avant, ce n’était pas avec le cashless et le prix des boissons incroyable.

Popnshot : Tout ça revient à ce qu’on disait tout à l’heure, les parts de libertés sont plus restreintes et factices …

Vitalic : Quand on pense aux raves, on pense toujours à 20 000 personnes dans des champs. Moi j’en ai fait des petites de 1500 personnes et pour moi c’est ça les raves. C’était un truc de hippie. C’était pas avec le cashless et le prix des boissons incroyables. J’en ai fait une petite en Angleterre,  les boissons étaient si chères qu’à deux on a claqué 90 pounds en trois heures, donc ça c’est pas une rave. Avec peu de service et beaucoup de choses payantes, c’est une soirée pour un promoteur qui va en vivre et pourquoi pas mais on appelle pas ça rave. Quand j’étais gamin, on ramenait notre bouteille, c’est une fête sauvage et il n’y a pas de bar dans une fête sauvage. Je pense que c’est un truc qui a disparu.

Popnshot : Ton album il est inspiré par les années 70, c’est une époque importante pour toi ?

Vitalic : Oui on peut s’en inspirer parce qu’on a remplacé les instruments par les machines. L’EBM, c’est du rock avec des machines. Donc les chanteur.euses ont ce côte homme ou femme machine, c’est une chose que je trouve d’intéressant. C’est brutal et poétique et ça m’intéresse. C’est antinomique de passer de l’hyper violence au slow.


Dans le cadre de la onzième édition du Champs Elysées Film Festival était projeté le premier long métrage de Max Walker-Silverman, A Love Song, porté par Dale Dickey et Wes Studi. Passé par Sundance en début d’année, quel écho ce film prenant place en plein Colorado a t-il réussi à émettre ?

      A LOVE SONG : De quoi ça parle ?

A love song afficheDans un camping de l’Ouest rural, une femme attend seule l’arrivée d’un amour de jeunesse, peu sûre des intentions de celui-ci et intimidée par les siennes. Avec Dale Dickey et Wes Studi, lauréat d’un Academy Award (prix honorifique de l’Academy, 2019), A Love Song est un long métrage lyrique qui signe les débuts du scénariste et réalisateur Max Walker-Silverman.

A LOVE SONG : EST CE QUE C’EST BIEN ?

Un paysage désertique. Une caravane. Son occupante au visage buriné. Une litanie faite de pêche, décorticage et dégustation d’écrevisses, d’observation des étoiles et d’écoute attentive du chant des oiseaux. Durant une bonne partie de A Love Song, il n’y a presque rien d’autre que Faye (excellente Dale Dickey, Winter’s bone, True Blood) à l’écran. Le monde extérieur n’existe pas sauf à travers des fulgurances absurdes comme un facteur qui n’a pas de courrier à apporter ou bien encore une famille de cow boys laconiques faisant passer leurs messages par l’intermédiaire de leur petite sœur. Le silence n’est rompu que par le chant des oiseaux ou bien encore ce poste de radio qu’elle tourne tous les matins et dont la chanson qui en émerge est censée lui apporter du répondant, un message pour la journée. Sinon, à part ça Faye attend. A en perdre la notion du temps. Qu’attend elle ? On ne l’apprend qu’au moment d’une invitation d’un couple de campeuses voisines. Faye attend l’arrivée de Lito ( Wes Studi, Danse avec les loups, Le dernier des Mohicans, Hostiles), un amour de jeunesse censée la retrouver au bord de ce lac ou ils partirent en excursion scolaire il y a de cela presque un demi siècle…

Wes Studi et Dale Dickey dans A Love Song de Max Walker-Silverman

C’est bien sur à ce moment là qu’A Love Song révèle tout son propos, fait de non dits, de silences, de délicatesse, de regards, de sentiments, de souvenirs… Il y a quelques chose de véritablement touchant à voir les personnages de Dale Dickey et Wes Studi arpenter les abords de ce lac du Colorado, en cherchant leurs mots et en se réapprivoisant. Ne sachant pas quoi se dire car il y aurait trop de choses à dire. Les deux personnages sont veufs et ont essayé de vivre avec leurs deuils respectifs, avec plus ou moins de réussite. Peu importe ce qu’il peut advenir de ce séjour au bord du lac, les personnages en ressortiront grandis, que ce soit à l’évocation des réminiscences d’un passé bien révolu ou encore en s’appropriant de nouveau son image. A Love Song est un film sensible, émouvant, authentique sur deux vieilles âmes renouant ensemble, loin, très loin des standards des romances proposées par le cinéma US. Pour un premier long métrage, Max Walker-Silverman dévoile un réel talent pour filmer les sentiments et annonce une suite de carrière prometteuse. Un vrai plaisir de cinéma tout en émotions !