John Waters
John Waters

John Waters, avec sa carrière aussi prolifique qu’audacieuse, incarne l’esprit rebelle le plus radical du cinéma américain. Né en 1946 à Baltimore, Waters a toujours été fasciné par le marginal, l’excès et l’étrange. Son oeuvre teintée d’un mauvais goût assumé en est une célébration, défiant une société américaine anesthésiée par la bienséance et le politiquement correct. Près de 20 ans après A Dirty Shame, son dernier film, John Waters est toujours un artiste aussi célébré et respecté. Retour sur la carrière d’un géant aux influences… niches. 

Le Monde Trash de John Waters

1972, le monde découvre John Waters et sa bande, les Dreamlanders, avec son film Pink Flamingos. D’abord banni dans plusieurs pays, le long-métrage est rapidement devenu un monument du cinéma indépendantLe réalisateur n’en est pourtant pas à son premier essai. Avant que Pink Flamingos n’éclate sur la scène underground, Waters alors âgé de 26 ans, et le visage déjà barré de sa moustache iconique, a déjà réalisé quelques longs-métrages. Parmi eux, Mondo Trasho en 1969 et Multiple Maniacs, l’année suivante. Sans oublier ses spectacles de marionnettes ultra-violents qu’il montait à l’âge de 12 ans pour les anniversaires de ses camarades un peu plus plus ingénus.

Incompris d’abord, abhorré ensuite, adoré aujourd’hui. C’est en ces mots que l’artiste ouvrait d’ailleurs son livre Mr. Know-It-All en 2019 : « How on earth did I become acceptable? » Excellente question. Et c’est vrai, qu’est-ce qui a bien pu faire que celui qui montrait sans gêne des scènes de coprophagie non simulées en 35mm, soit aujourd’hui autant célébré ?

Les Mentors de John Waters

John Waters est un artiste. Ça, il serait difficile de lui enlever. Un artiste qui s’inscrit dans une société américaine qui voit passer les grands noms qui troubleront à jamais la manière de concevoir l’art et de le consommer : de William Burroughs en passant par Andy Warhol, tant de mentors qui marqueront le cinéaste à jamais. C’est Burroughs qui lui donnera ce surnom de « Pope of Trash ».

La mythologie du mal, ce n’est pas forcément lui qui l’a créée : il y en a eu de nombreuses tentatives au 20ème siècle : Pasolini, Genet, Burroughs. Mais la mythologie du sale, c’est à John Waters qu’elle doit son plein-pouvoir. Ce qui dégoute attire, ce qui fait grimacer fait sourire, voici donc le mantra de John Waters. Il érige l’outrance en art, et transforme le rebut en or.

Oh honey, You’re Divine!

Divine, la vraie reine d'Hollywood
Divine, la vraie reine d’Hollywood

Il faut le reconnaître : la popularité de ses films ne serait pas aussi importantes sans Divine. De son vrai nom, Harris Glenn Milstead, Divine est la première drag-queen à atteindre un tel succès. Reconnaissable entre mille pour ses maquillages excessifs, cette robe rouge dans Pink Flamingos, et ses perruques affriolantes, Divine reste encore aujourd’hui une légende dans l’univers Drag. Elle a ouvert la voie à de nombreuses drag queens : « L’héritage de Divine, c’est qu’il a rendu toutes les drag queens cools. Elles étaient coincées à l’époque. Il a brisé toutes les règles »,  déclare le réalisateur.

C’est John Waters qui aide Harris Milstead à concevoir le personnage de Divine. Formé à l’école de coiffure de Baltimore, il s’en écarte assez vite et exprime très jeune son goût pour le travestissement : « Je voulais ressembler à Liz Taylor et voilà que maintenant, c’est elle qui me ressemble », aimait-elle à dire. Waters conseille alors à Milstead de porter des robes des robes plus serrées, des maquillages plus exacerbés, des coiffures plus folles et lui donne le nom de « Divine », inspiré du personnage dans Notre Dame des Fleurs de Jean Genet, énième héros de Waters.

Divine dans "Pink Flamingos" de John Waters (1972)
Divine dans « Pink Flamingos » de John Waters (1972)

De beaucoup sont les drag queen qui se réclament aujourd’hui de l’école de Divine. Dans Rupaul’s Drage Race, Divine est une figure tutélaire, celle grâce à qui, tout a pu réellement se mettre en place. Plus récemment, l’artiste américaine Chappell Roan, a elle-même exprimé son admiration pour la mère des queens, lors d’un concert en revêtant la fameuse robe rouge de Pink Flamingos. Sur Instagram, elle a écrit à ce sujet : « J’aime penser que Madame Divine veillait sur ma performance ce soir. […] Divine, si tu lis ceci du ciel… viens me hanter un de ces jours ! »

Pour appréhender cet article, il faut donc partir de ce postulat suivant : on connait tous de quelque chose de l’univers de John Waters. Je vous vois déjà venir et nier mes propos. Je ne vous dirais qu’une chose : La Petite Sirène. Conte mythique de Hans Christian Andersen publié en 1837, revisité maintes et maintes fois, il évoquerait, selon plusieurs sources, l’homosexualité de son auteur. Bref, l’heure n’est pas à la dissection, du moins pas celle-ci. Mais quand Disney sort sa propre version de La Petite Sirène en 1989, offrant au public, cette version aseptisée d’un conte à la chute tragique, il présente également… Ursula. Ce personnage, un des vilains préférés de l’univers Disney est donc inspiré de la plus grande Drag Queen des années 70 : un héritage qui répond de plus en plus à la question de John Waters sur sa respectabilité grandissante. Mais quand Disney vous adoube, n’est-ce pas un peu le début de la fin du mauvais goût assumé ? Curieusement non, pas pour John Waters.

John Waters & Divine
John Waters & Divine

DES PERSONNAGES féminins révolutionnaires

Ce qui définit l’oeuvre de John Waters, ce sont ses personnages féminins forts, outranciers. Hatchet Face dans Cry-Baby, Dawn Davenport dans Female Trouble, Tracy Turnblad dans Hairspray, tant de personnages féminins outrageux qui viennent foutre un coup aux diktats d’une société étouffante et engoncée dans une bienséance artificielle.
L’ère victorienne le savait pertinemment : la luxure et le désordre font partie intégrante de la vie, mais il faut savoir le cacher. Pas pour John Waters qui laisse tout sortir dans de joyeux festins de chair et d’excès. La crasse s’allie à l’humour, l’entraîne dans des contrées de l’esprit desquels on aimerait pouvoir détourner le regard. La honte se dissout et devient fierté.

Même si John Waters a principalement collaboré avec sa troupe de Dreamlanders, il a également pu filmer de grandes actrices. Parmi elles, on peut penser à Melanie Griffith et Maggie Gyllenhaal dans Cecil B. Demented, Christina Ricci et Martha Plimpton dans Pecker, Debbie Harry dans Hairspray, Kathleen Turner dans Serial Mom ou encore Selma Blair dans A Dirty Shame. 

Le premier film qui m’a fait tomber dans l’univers de John Waters, c’est Cry-Baby, sorti en 1990, avec Johnny Depp. Ce rôle permet à ce dernier, pas encore connu pour ses violences sur sa compagne à l’époque, de sortir de son image de « petit mignon » de 21 Jump Street. Cry-Baby est le genre de films qui ruine Grease si vous ne l’avez pas vu avant. Quand tu as vu la version sous crack, quel est l’intérêt de voir la version acidulée à la menthe à l’eau ?

"Cry Baby" - 1990
« Cry Baby » – 1990

L’éthique de la provocation

John Waters, c’est aussi un style visuel unique, souvent copié, mais difficilement imitable : caméras bon marché, décors fauchés, éclairages crus, maquillages grotesques et absence de micros sur les sets donc des répliques improvisées hurlées pour être sûr.es d’être entendu.es. Tout est volontaire : « If someone vomits watching one of my films, it’s like getting a standing ovation. »

Le mauvais goût devient politique. Waters interroge ainsi ce que l’on juge « regardable », « acceptable »,  « respectable ». Il remet en question l’esthétique bourgeoise. Comme Pasolini ou Harmony Korine, il filme ce qu’on préférerait ignorer. Pourtant, Waters reste inclassable. Provocateur, queer, anarchiste, mais il reste aussi profondément américain, attaché à l’étrangeté des classes moyennes de Baltimore, sa ville natale, où il réside toujours aujourd’hui.

"Female Trouble" - 1974
« Female Trouble » – 1974

John Waters, polymathe

John Waters, au cours de sa longue carrière, ne s’est pas cantonné qu’au cinéma. En plus d’un one-man show, This Filthy World, qu’il joue depuis 2003il a également écrit près d’une dizaine de livres. La plupart de ses écrits sont autobiographiques, dont les excellents Shock Value et Mr. Know-It-All. Ce n’est qu’à 76 ans que John Waters sort son premier roman de fiction. Liarmouth. Une comédie aussi affolante qu’absurde sur une menteuse pathologique allergique au sexe qui gagne sa vie en volant des valises. Délicieux.

Ce livre devait aussi marquer son grand retour au cinéma, avec Aubrey Plaza dans le rôle de Marsha Sprinkle. Faute de financement, le projet a de moins en moins de chance de voir le jour… Ce qui soulève un paradoxe face à l’adoration proférée à John Waters. Mais le monde est injuste. Surtout envers les génies.


black lips bar

Black Lips bar : androgyns and deviants – compil d’un NYC queer, politique, artistique, subversif

New-York, berceau de la musique, repère des nuits et ses multitudes de temples pour ceux…

cramps songs the lord taught us

The Cramps : à la (re)découverte du punk horrifique habité de « Songs the Lord Taught Us »

The Cramps sont de retour… du moins dans les oreilles. Remis au goût du jour…

Queen : avant les Dieux du Stade, le Symbolisme

Si aujourd’hui, l’évocation des Dieux du Stade nous fait rougir, il ne faut pas oublier…

 

Write A Comment