Ethan P. Flynn par Danny Lowe
Ethan P. Flynn par Danny Lowe

Vous ne connaissez peut-être pas encore son nom mais Ethan P. Flynn a déjà une carrière bien lancée. Collaborateur de David Byrne ou encore FKA Twigs, il sort le 6 octobre prochain son premier album, Abandon All Hope. Il s’agit de son premier projet solo. Il nous parle ici de la conception de son album, de son nouveau label et de ses collaborations.

Pop&Shot : Félicitations pour ton premier album, Abandon All Hope. Peux-tu nous le décrire en quelques mots?

Ethan P. Flynn : Alors, en quelques mots… Il… est… Fini (rires).  C’est difficile, je connais tous les aspects de cet album dans les détails que de décrire le projet final en devient compliqué. Quand je l’ai écouté avec des gens que je ne connaissais pas lors d’une listening party, c’est là que j’ai compris ce qu’il en était. C’est l’album le plus bizarre avec l’air le plus ordinaire que je pouvais faire. Je veux dire, c’est que du guitare-batterie, mais avant je jouais avec le reverb, les effets, les samples et là j’ai réussi à dire ce que j’avais à dire avec les ingrédients d’un rock plus classique.

P&S : Cet album est un mélange de rock des années 70 et de thèmes plus « modernes » comme l’anxiété, les angoisses.  Comment l’inspiration t’es venue?

Ethan P. Flynn : J’écris que de ma propre perspective, et j’ai de l’anxiété, comme beaucoup de gens de nos jours parce qu’on a grandi avec beaucoup de trucs angoissants. Je n’écris pas sur l’anxiété en tant que telle, c’est juste que ça traverse mon écriture. Si j’essaye de transmettre une certaine humeur, ça se ressent dans la mélodie ou les paroles donc c’est peut-être pour ça que ça ressort autant. J’ai écouté beaucoup d’albums des années 70 pendant que je faisais mon album comme Neil Young, Bob Dylan, etc. Je pense que c’est pour ça que mon album ressemble à ça. Mais c’est difficile de refaire des albums comme à cette époque là, parce qu’ils coutent très cher. J’ai signé mon contrat d’enregistrement en 2018 et j’ai décidé de dépenser cet argent sur cet album. Je n’aurais pas pu lui donner ce son tout seul.

Il y a beaucoup de réflexion sur cet album, sur le fait de grandir notamment et c’est très poétique.

P&S : Est-ce que tu vois cet album comme un hommage à l’âge adulte et l’anxiété et la solitude qui peuvent venir avec?

Ethan P. Flynn  : Il y a beaucoup de réflexion sur cet album, sur le fait de grandir notamment et c’est très poétique. Mes parents se sont séparés cette année et ils ont dû vendre la maison où j’ai grandi, au moment où je finissais l’album. C’est tout un chapitre de ma vie que j’ai placé dans cet album, mais c’est pas forcément sur l’idée de grandir, c’est plutôt sur une période spécifique de ma vie.

P&S : Il y a beaucoup de recul dans les paroles. C’est important pour toi de prendre du recul sur tes émotions quand tu écris ou c’est plutôt spontané?

Ethan P. Flynn : Je pense que prendre du recul fait surtout partie de ma personnalité et je suis très « self-conscious » donc ça apporte sa dose de recul aussi. Et l’imaginaire dans les paroles, c’est un aspect très important pour moi. Par exemple si tu écoutes After The Gold Rush de Neil Young, il y a tellement d’images très fortes et j’essayais de faire ça aussi.

P&S : Tu as enregistré cet album en 12 jours.

Ethan P. Flynn : Oui ! C’était une session de 5 jours, une autre de 4 jours et une autre de 3 jours. Et j’ai passé des mois à le retravailler ensuite, monter l’album et déterminer les transitions. Mais c’est surtout l’écriture qui a pris du temps parce que je travaille surtout en parolier ces temps-ci et quand je dois écrire pour moi, je perds un peu mes moyens. C’est plus facile pour les autres.

P&S : Tu as produit cet album tout seul. Tu préfères collaborer ou travailler seul ?

Ethan P. Flynn : J’aime les deux, ce sont deux processus très différents. Travailler tout seul, c’est comme écrire un livre et travailler en collaboration, c’est comme faire un film. Il y a eu des éléments de collaboration sur cet album, je ne joue pas très bien de la batterie alors c’est trois batteurs différents, mais j’écrivais quand même leur partie. Mais Ben Baptie, l’ingé-son et producteur de l’album, s’est occupé de tout ça, enfin on l’a fait ensemble, mais je m’appuyais sur quelqu’un qui savait faire tout ça parfaitement. Je le fais aussi mais pour ce projet, ça aurait été une trop grande tâche.

Il y a une liste au dos de l’album où je donne tous les instruments dont j’ai joué. Je crois qu’il y en a une vingtaine.

P&S : Tu es multi-instrumentiste, quelles parties as-tu joué sur cet album?

Ethan P. Flynn : J’ai joué de la mandola sur un des morceaux, j’avais réglé chaque corde sur une note différente pour donner cet effet au morceau. Il y a une liste au dos de l’album où je donne tous les instruments dont j’ai joué. Je crois qu’il y en a une vingtaine. Je joue un peu de clarinette mais j’ai pas réussi à l’incorporer sur cet album, c’était hors-sujet.

il y a une forme de désespoir presque positive, comme si l’espoir était notre chute et que l’abandonner pouvait être bénéfique.

P&S : Tu as dit dans une interview que « lâcher prise était un aspect très important de l’album ».

Ethan P. Flynn : Oui, il y a une forme de désespoir presque positive, comme si l’espoir était notre chute et que l’abandonner pouvait être bénéfique. C’est ce que j’ai essayé de mettre en avant sur l’album, d’où son titre. Par exemple, si tu espères devenir le roi du monde, tu es pétri de désillusions et ce n’est pas un bon espoir. J’essayais de me séparer de ce mauvais espoir et j’ai un peu ce sens de désespoir après le Covid et tout ça… C’est pas un album concept mais que c’est une bonne chose de lâcher prise.

P&S : Tu as récemment sorti le morceau « Clutching Your Pearls » dont tu as réalisé le clip.

Ethan P. Flynn : Oui à peu près. C’était mon idée de nous habiller en tenue un peu médiévale et de faire la fête mais j’ose pas considérer ça de la réalisation. J’aimerais vraiment m’y mettre mais c’est une forme d’art très sérieuse et précise. Ma tentative est très simple, sur du 16mm.  Je préfère prendre le temps de rechercher et de m’informer avant de diriger vraiment. Mais j’ai aussi dirigé la vidéo de « Bad Weather ». Elles ont été tournées le même jour.

P&S : Il y a deux clips où on te voit au volant d’une voiture. Il y a un symbolisme derrière ça ?

Ethan P. Flynn : La couverture de l’album montre un mec au volant aussi. C’était l’idée de Tim Brawner (qui a fait la pochette). J’avais vu un tableau de lui avec une voiture et je voulais qu’il le reproduise en bleu et en gros plan. Quand il l’a fait, je m’apprêtais à faire les clips. La vidéo de « Abandon All Hope », je voulais faire l’inverse de la pochette, donc une voiture rouge où tout le monde s’amuse et dans « Bad Weather » j’ai essayé de reproduire la pochette. Ma meilleure manière d’écouter de la musique, c’est quand je conduis, parce que je ne peux me concentrer sur rien d’autre que ça. Tu peux faire ça nulle part ailleurs.

P&S : « Crude Oil » est un morceau de seize minutes, quel a été le processus de création ?

Ethan P. Flynn : Je trouve ça toujours intéressant d’avoir une chanson long format comme ça sur un album de rock. La plupart des albums avec de longs morceaux étaient des albums qui marchaient très bien et c’est pas si étrange d’avoir de longues compositions en pop. Même Taylor Swift a sorti une version de 10 minutes d’un de ses morceaux. C’est toujours dans l’ère du temps. Mais si dans les années 50, quelqu’un avait sorti un morceau très long, personne n’aurait apprécié, alors que dans les années 60… Enfin, j’ai écrit ce morceau pour qu’il dure 6 minutes et je me suis laissé aller. Je me souviens pas très bien de l’enregistrement, tout a été tellement rapide. C’est mon morceau préféré.

P&S : Le dernier morceau est comme un dernier cri et il est très différent des autres morceaux de l’album.

Ethan P. Flynn : « Crude Oil » devait être le dernier morceau et puis j’ai enregistré « Demolition » sur les trois derniers jours au studio qu’on a rajoutés en dernière minute. Je trouvais que l’album n’allait pas exactement où je voulais qu’il soit. Je voulais réfléchir à l’album en lui-même. J’avais enregistré ma voix et ça rendait bien mais ce n’était pas aussi expressif que je l’aurais voulu alors je voulais un dernier cri pour boucler tout ça. Et sur ce morceau, je chante dans le registre le plus bas que je suis puisse faire et à la fin je chante le plus aigu et le plus fort possible. Je voulais montrer tout un pan d’émotion. C’était un morceau très métaphorique et lyrique. Je voulais créer un contraste avec le reste de l’album, oui. En plus il s’appelle « Demolition », j’aime bien l’idée de la destruction de tout ce qu’il y avait avant.

P&S : Tu as récemment annoncé la création de ton label « Cruel Oil Records ». Pourquoi ce nom ?

Ethan P. Flynn : Je trouvais que ça sonnait bien. L’huile et le pétrole (« crude oil »), ça vient du sol, c’est brut et j’ai écrit la chanson avant. En fait, j’avais un groupe de musique que je voulais appeler Crude Oil mais ça ne s’est pas fait. Je ne suis pas ce genre de mec à être contre l’industrie de la musique, mais dans le futur, le monde des labels sera complètement différent et j’aimerais faire partie de ce changement. Si quelqu’un que je connais veut sortir sa musique et ne veut pas donner son intégrité ou ses droits, je veux l’aider avec le mien. Ce serait cool de pouvoir sortir pleins d’albums sans pour autant faire signer des contrats sur des années. Mon idée serait de se concentrer sur la musique essentiellement. Et puis, je fais beaucoup de collaboration, et ce serait le bon endroit pour les sortir.

P&S : En parlant de collaboration, tu as travaillé avec David Byrne (Talking Heads) ou FKA Twigs. Quelle a été l’influence de ces collaborations, surtout à un si jeune âge ? 

Ethan P. Flynn : Chaque collaboration est différente. Je travaille beaucoup avec FKA Twigs, j’étais encore avec elle hier et ça fait six ans que l’on se connait. Donc c’est très facile avec elle, je sais exactement ce qu’elle veut, comment elle le veut mais parfois quand j’aide à produire un morceau pour quelqu’un d’autre, ça va être surtout mes idées que je vais mettre en avant. Quand je travaille sur ma propre musique, tout ce que je fais est tiré de l’idée d’origine de la chanson. Par exemple, les émotions, la mélodie, etc. Mais quand je travaille avec d’autres personnes, je n’ai pas l’idée d’origine, ni la motivation derrière toutes les décisions. Je dois me concentrer sur ce qu’ils m’en disent. Ce qui est très différent. Mais je veux pouvoir faire les deux pour toujours.

P&S : On peut entendre la voix d’Ava Gore sur certains morceaux de ton album. Qu’est-ce que ça t’a fait de l’avoir sur ton album? 

Ethan P. Flynn : C’est une chanteuse très douée et on vit ensemble, ce serait bizarre de collaborer avec quelqu’un d’autre. J’aime bien le contraste entre une voix masculine et une voix féminine. Sur « Abandon All Hope », chaque voix représente une émotion différente. Elle représente presque un personnage dans cette chanson. J’ai travaillé avec de nombreux chanteurs dans ma vie et il y avait pleins de gens avec qui j’aurais pu collaborer, mais je préférais le faire avec elle, avec une seule personne. « 25 meters », sa chanson, est la première qu’on a sorti sur Crude Oil Records. À la base, on s’est juste dit qu’on allait faire une chanson et on l’a beaucoup aimée alors on l’a sortie.


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