Arcade Fire à l'Accor Arena - 2022
Crédit photo : Louis Comar

C’est suite à une actualité lourde qu’Arcade Fire se produisait à Paris ce 15 septembre 2022. Le groupe canadien essuyait en effet les accusations de méconduites et d’agressions sexuelles de son leader  Win Butler, publiées par le magazine américain Pitchfork. A Montréal qui voyait le groupe comme un trésor national, l’affaire avait eu un lourd retentissement. En Europe, où le groupe allait tout juste entamer sa tournée, l’affaire moins médiatisée avait pourtant été largement relayée. Certain.es fans avaient donc pris le parti d’immédiatement revendre leur place voir de tout simplement ne pas assister au concert puisqu’il leur paraissait inconcevable de profiter du show comme si de rien n’était. Cerise sur le gâteau Feist, programmée en première partie de la tournée avait tout simplement et rapidement choisi d’abandonner le navire pour prendre un maximum de distance avec l’affaire. Niant les faits graves dont il était accusé, en justifiant une partie par des problèmes d’alcool aujourd’hui réglés, le groupe s’était ensuite montré discret sur ses communiqués voir absent des réseaux sociaux. Face à cette tornade, restait tout de même une partie du public majoritaire qui avait choisi d’assister malgré tout à la performance des musiciens. L’éternel débat de la séparation de l’homme de l’artiste en tête certes mais aussi de la séparation du lead singer de son groupe et notamment de la personne de Régine Chassagne, épouse du chanteur et co-fondatrice de la formation. C’est donc avec ces éléments en tête que le public était convié à l’Accor Arena (Bercy donc) pour découvrir en live le nouvel opus  » We » d’une formation réputée immanquable en concert. Ambiance lourde, pop légère bercée par des couleurs pastels, la soirée promettait son plein d’émotions contradictoires. On vous raconte.

Arcade Fire à l'Accor Arena - 2022
Crédit photo : Louis Comar

« We » = you & them

L’exercice est bien plus complexe qu’à l’accoutumé. Il faut raconter un concert, lieu de communion s’il en est, espace que l’on veut libre et sécurisé avec en tête le poids d’accusations qu’il ne faut jamais prendre à la légère. Certain.es dans le public ont, c’est certains ces faits en tête, d’autres au contraire en sont détachés, les tee-shirts de la formation dont les bénéfices sont reversés à Haïti sont nombreux dans la salle, arborés comme il en est coutume. Quand on écrit un reportage sur un concert, vous l’avez sans doute vu, on inclus tout le monde, le public devient une masse et un corps unique. Et au delà de l’effet de style, l’idée elle, est sublime. Celle qu’en un instant  des centaines, parfois des milliers de personnes communient et partagent un même sentiment. Cette fois l’affaire pourrait être différente. Ce sera plus au détours d’oreilles tendues, de quelques bruit de couloirs que cette non union rare du public se fait sentir. Puisque dans les faits, une fois à l’intérieur de l’immense enceinte de l’Arena, le live se déroulera comme si de rien n’était. Pour bien s’en rendre compte, il faudra attendre 21 heures 15 bien passés. Le groupe aux titres fédérateurs sait ménager son entrée et nombreux sont les cris et applaudissements trahissant l’impatience à les voir débarquer.

Pour se produire, le combo a dressé deux scènes. La scène classique est surplombée d’un arc de cercle faite  d’écrans. Le travail de scénographie est d’ailleurs sublime. Il ouvre les portes d’un cosmos qui devient l’iris de l’oeil que l’on retrouve sur la pochette de « We ». Un beau travail, celui d’une équipe, qui sera un support central pour la représentation. Voilà qui rappelle la valeur ajoutée de lives dans de grandes salles où une scénographie pensée est possible. Les hostilités s’ouvrent sur « Age of Anxiety I » face à une formation survoltée. Décidée à se donner pleinement et dont le plaisir à se produire en concert transpire avec évidence. Il faut attendre le quatrième titre pour que Régine rejoigne l’îlot central dressé en milieu de la fosse sur le titre « It’s Never Over (Hey Orpheus) ». Au dessus de cette scène : une immense boule de disco, sur la scène un piano à queue transparent. La chanteuse de paillettes et de noir vêtue à quelque chose de la poupée féroce en live. Sa voix et ses pas délicats sont aussi lumineux que la boule à facettes située au dessus de sa tête. Elle occupe l’espace scénique en une forme de tourbillon pop. Son mari la rejoint sur « My body is a cage », grimpe quelques escaliers qui le place à hauteur du piano et les deux chantent en choeur, en un moment chorégraphié qui n’est pas sans évoquer les couples musicaux célèbres à la « Grease » et autres « Dirty Dancing ».

« WE » WANT TO SHINE in the dark

Il ne faut pas attendre longtemps pour que la boule à facettes se mette à faire briller toute la salle. Les projections de couleurs sur l’arche se multiplient. Les couleurs sont nombreuses. C’est probablement elles qui seront la meilleures représentation de ce show à la grandeur évidente. Certain.es évoquent encore de mémoire l’un de meilleurs moment de l’histoire du festival Rock en Seine alors qu’Arcade Fire avait joué sans effets sur la Grande Scène malgré la pluie battante. Cette mémoire collective tranche avec un show orchestré minutieusement à la mise en scène léchée. Peu avare de discours, le groupe prend quand même le temps de remercier le public de sa présence. L’Arena à la grandeur souvent froide prend une dimension plus intimiste lorsqu’elle devient un prisme géant. Côté foule, la fosse reste relativement calme, on hoche la tête, on danse volontiers, mais sans effusions. Les hits se succèdent. C’est d’ailleurs bien la particularité d’un groupe qui aime à balancer de grosses machines aux riffs fédérateurs. « Reflektor », « Age of Anxiety I » et sa suite, « Month of May »… Le tout géré par une troupe de musicien qui a plaisir à en inviter d’autres à le rejoindre sur scène, à l’accompagner. Le son est propre, les instruments maîtrisés. Derrière les paillettes, on sent l’exercice rodé, le groupe exalté qui cherche à balancer une énergie construite coûte que coûte. Il faut attendre les singles les plus connus pour que ces ondes touchent sincèrement l’audience et qu’elle se mette à onduler comme les skydancers qui finiront par être déployés en avant-scène. Des jeux de lumières s’ajoutent au tout. Couleurs et légèreté pour ravir les iris. La pochette de « We » était un sacré indice sur ce que voulait rendre la tournée. Le titre « Haitï  » permet d’inviter encore plus de musiciens sur scène représentant du pays caribéen souvent victime des pires séismes et conflits. L’occasion de mettre en lumière (disco) une culture mais aussi des maux. L’envie aussi de créer par la musique un set inclusif où tout le monde dit « we » à une fête plurielle.

« We » want to give everything now !

« Everything now » clôture le concert en une explosion tubesque. Certains regards tentent tant bien que mal de rester braqués sur Régine, sorte de lumière dans la nuit comme s’ils acceptaient de la célébrer elle. Les gradins sont levés, les chants en choeur dont là. Le rappel ne se fait pas dans un grossier au revoir pour mieux maintenir les applaudissements. Non, la musique perdure alors qu’il est évident que le groupe se fait un chemin en dansant, un peu comme à la queue leu leu, vers la scène centrale. Tous les musiciens s’y retrouvent. L’attente de la montée sur scène était peuplée de morceaux évoquant les cartoons, cette même vibration s’inscrit en écho de la disposition scénique ici proposée. Les musiciens en cercle, un peu comme dans le « Roi Lion ». Une reprise de « Pendant que les champs brûlent » de Niagara permet de chanter en français. Un morceau dont la cote retrouvée lui vaut en ce moment d’être fréquemment repris. L’envie de toujours proposer des tubes en masse est une ombre omniprésente dans la carrière des musiciens autant que les jeux de lumières viennent projeter la leur sur la grande scène maintenant délaissée. En la matière Arcade Fire excellait bien plus sur ses premiers jets que sur son dernier né.  Comme pour le prouver « Wake Up » paru en 2005 vient conclure la soirée. Le titre s’étire en des « ho hoooo » repris par l’assistance forcément réceptive. La performance s’achève sur l’aspect grosse machine rodée que l’on peut retrouver chez Coldplay. La descente de scène poursuit ce cheminement, ces chants appuyés encore et encore répétés. Ce qu’il faudra néanmoins répéter c’est qu’importe quelles seront les finalités et implications qu’auront les accusations envers Win Butler, l’album a beau s’appeler « we » un non est non et lorsque ce n’est pas un oui, c’est non aussi.


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