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Julia Escudero

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ODGE
Odge « Love and other Disorders »

Et d’un premier EP pour Odge. Et quelle entrée en matière pour ce « Love and other disorders » dont le nom vous rappellera sans doute « Love (et ses petits désastres) » avec à son affiche la regrettée Brittany Murphy.

Si la comparaison pourrait largement s’arrêter  à une phonétique similaire, la fraîcheur des deux oeuvres et le talent de ses deux interprètes principales ne peuvent qu’être notés.  Les festivités s’ouvrent sur le puissant « Sad Love Song », petite bombe électro sombre aux notes suaves entre pop et rock. On pense volontiers à Fiona Walden et ses notes à la tristesse sucrée alors que la rythmique entre immédiatement en tête. Classique instantanée à la beauté pure, ce premier morceau prend la main de son auditeur et l’accompagne dans toutes les étapes de la rupture amoureuse. La perte de l’amour traité comme un deuil ? A la lumière d’une boule de disco tournant au ralentis, face au visage esseulée de la musicienne dans une chambre bien trop vide , les notes de cette comptine emplissent les esprits d’images net. Au détour d’une voix grave et puissante, ne serait-il pas possible que l’on soit finalement moins seul qu’on ne le pensait ?

Nuits de folies

« Champagne » , doit- on se servir une coupe pour célébrer sa rupture ? Point du tout, là encore le morceau a la bonne intuition d’avoir deux visages. Celui dansant de l’électro, qui donne l’envie de se déhancher follement. Oui mais la voix lancinante, elle s’inscrit dans une tout autre registre. Celui d’une ritournelle triste, d’une perte qu’on noie dans le champagne et des folies nocturnes pour moins s’y confronter.

La dualité, c’est bien ce qui fait la beauté de cette galette qui ose tout en maitrisant parfaitement son style. Voilà donc que le strombinoscope se lance à coup de notes psychédéliques. La voix se fait apaisante comme un cocktail, le tempo s’enflamme, se répète en boucle comme sur une piste de danse des années 90. Nous voilà en plein « Dancing in the heat ». La chaleur est là, l’été assourdissant que l’on oublie la nuit sur le dancefloor.  Le quoi ? Fermez les yeux, la crise n’existe plus, la nostalgie du moment se conjugue maintenant au présent, tout ce que vous avez à faire, c’est de vous laissez porter par le flow, la voix d’ODGE maintenant obsédante.

Maintenant que les bases ont été posée, Odge s’avoue être une « Weird Girl ». Là encore, le beat est aussi répétitif qu’envoûtant. Il prend le temps de s’installer, se développe avec naturelle, s’intensifie. Les notes de synthé se déploient à l’infinie. Pop et électro se racontent, la voix se fait narratrice, elle devient celle d’un’ confidence. A 1 minute 40, le titre prend en épaisseur en ajoutant des couches de tempos. Aïgue et grave se côtoient alors que la voix monocorde dévoile une part d’intimité, un mur de pudeur. La musique sous forme de journal intime ? Il est possible d’évoquer fête et noirceur, beauté et mélancolie sans jamais devenir antithétique.

C’est  « In Love » qui a la lourde tâche de conclure cette pépite hybride. D’ailleurs la musicienne lâche la bride dans une accélération vibrante et hynotisante. Dès ses premiers instants, le titre ne connait pas de barrière. Le rythme soigné est rapide. Il faut savoir rire de ses peurs, de relations amoureuses que l’on sabote inconsciemment. La douceur de la voix s’intensifie dans une flot de paroles maîtrisé, juste et pressé. Ce moment suspendu tient du besoin de tout exprimer avec rapidité, comme si les minutes étaient comptées, que le temps de parole accordé devait être au maximum utilisé. Au détour de cette sensibilité bouleversante, Eléonore Du Bois de son véritable nom, invite à une fête bienveillante. Celle qui permet à chacun de laisser sortir ses démons à coup de pas de danse effrénés, de paroles que l’on s’approprie et d’instruments vivants. La bille noire de la mélancolie y résonne comme un exutoire.

Ce premier jet fait honneur à celle qui avait appris le chant dès ses 11 ans à la maîtrise de Radio France. Tel un grand huit retournant,  il invite à l’introspection et promet de serrer les coeurs. Ce voyage en territoire obscure se vit comme un moment partagée avec une autrice complète et rassurante. « Love & other disorders » rappelle à juste titre que l’ombre appelle la lumière et que les deux peuvent cohabiter. Laissez vous porter, ici nuances, éclat et harmonie sont mots d’ordre.

Pour écouter le premier EP d’Odge, c’est par ici que ça se passe.


Magenta
@ Gabriel Boyer

Le pot de départ de Fauve, au Bataclan est un souvenir indélébile. Surement même l’un des plus beaux souvenirs de concerts tant il était chargé d’émotions et de communion. Il avait fallu dire au revoir au collectif qui savait parler aux maux et avancer. Avec cet espoir un peu fou de les revoir un jour. Et finalement le rêve est devenu réalité grâce à Magenta et un premier single franchement réussi « Assez ». De Fauve, les copains ont gardé l’anonymat, l’équipe, l’esprit, l’analyse de la société mais ont préféré l’électro à la noirceur musicale. Le 9 avril, la bande faisait son retour officiel dans les bacs avec un premier album intitulé « Monogramme ». Un album riche, emprunt d’une détresse de trentenaire, une fable sociale contée sur un ton coloré. C’est dans leur studio parisien que l’équipe a accepté de nous recevoir. Là, ils se sont auto-confinés en cluster. Décontractés, ils s’installent à trois sur le canapé situé au centre de ce lieu cosy qui contient une petite cuisine. Le jeu de l’interview depuis que Magenta a commencé ils ne s’y sont pas beaucoup prêtés « On en a pas fait beaucoup mais c’est peut-être pas plus mal comme ça on reste spontanés. » Le naturel est effectivement de mise puisqu’interviewer le groupe donne toujours cette impression de faire partie du groupe de copains. La frontière artistes, journalistes n’existe pas, la conversation devient vite simplement soutenu et passionnante. Surtout quand il s’agit de parler du nouvel opus : »C’est un patchwork, le résultat de 5 années de recherches. D’essais, de faux départs, d’expérimentations. Il y a des morceaux qui ont 5 ans, d’autres qui ont seulement quelques mois »

On avait envie de faire des boucles. C’est comme de l’hypnose

Faire et défaire a été le mot d’ordre pour créer un album qui leur ressemble. Comme dans leurs textes, les garçons se remettent facilement en question. « Ça peut donner un disque qui peut avoir un côté maladroit par certains aspects, abouti sur d’autres. Il y a eu un vrai processus de fermentation. »  « Monogramme » pourrait avoir utilisé la technique photographique qui consiste à superposer plusieurs images sur un même cliché, puisqu’à mesure de faire et défaire, reste à l’oreille des instantanés d’une histoire sur lesquels se superposent de nouveaux clichés. L’envie de parler du son est d’autant plus important que la troupe voulait au début de Magenta ne laisser place qu’aux instrus et mettre la voix de côté: « On avait envie de faire des boucles. C’est comme de l’hypnose, ça nous faisait de bien. ». De cette initiative reste l’esprit club, clairement repris dans l’intitulé donné par le collectif à son projet, des notes entre la house et la techno. « On a des morceaux down techno avec des BPM plus lents, parfois presque hip hop. »

MAGENTA - Boum Bap (Clip Officiel)

Pour autant les thématiques : l’ennui, la société, les douleurs morales, elles restent : « C’est la continuité de préoccupations intimes et affectives qu’on a toujours eu besoin d’évacuer. » Ce nouvel essai s’inscrit dans le temps qui passe, les préoccupations changent et parleront plus aux trentenaires actuels qu’au public adolescent qui s’était épris de Fauve. « C’est une forme de nostalgie d’une période révolue. Il y a aussi une préoccupation pour le Monde et une entité plus large que nous-même et notre périmètre. » De leur propre aveux, les paroles de cette album sont bien plus sombres que ce qu’ils ont pu faire avant. Voilà qui se ressent sur des titres comme « Boum Bap » et son triste constat du temps qui passe, « Faux » et sa nostalgie à fleur de peau ou encore « Fatigué » constat amère à la limite de la dépression et son sous-titre pourtant toujours optimiste.

Capture anachronique

Au milieu de ces titres, le plus politisé de tous, « 2019 » dénote avec le ton ambiant. « La lecture de titres de presse dans le morceau est un choix qui s’est imposé. » racontent-il « On a juste lu les suggestions de vidéos sur Internet. Ce qui est intéressant c’est de voir comment sont mis sur le même plan des choses très graves et des sujets triviaux. » Cette track se forme alors sur la superposition de titres d’articles vidéo d’un grand médias suggérés l’un à la suite de l’autre. Ils s’enchainent sans filtres rappelant l’omniprésence médiatique actuelle qui ne connait plus de filtres. « On a fait aucun travail de sélection de ces titres, c’est ça qui était cool parce que ça montrait l’absurdité du propos. » Retrouver les titres « hommage aux victimes du Bataclan » juste avant un sujet sur le fait qu’avoir des grosses fesses en 2019 soit tendance parait en effet complètement surréaliste, le tout servi sur un ton grave et porté par un riff épuré.  » Tu te retrouves sur un site d’infos d’un média en continue et tu te rends compte que la suggestion de vidéos est consternante. il y a un nivèlement de ton cerveau par le bas où la quantité prime plutôt que de voir quelque chose de constructif pour toi. » et d’ajouter : « ‘2019’, ça montre aussi ce que le monde était et qu’il n’est plus. Si on faisait le même travail en 2020, ce ne serait pas du tout les mêmes titres. »

Le club des inséparables 

Si les paroles de ce titre peuvent s’inscrire dans une certaine forme d’anachronisme, c’est également le cas d’autres morceaux de l’album. Le club notamment, mot fort dans l’univers de Magenta, le fait de se retrouver pour boire des verres. Ces moments font clairement partie de leurs compositions. « Si on enlevait tous les morceaux qui parlent de clubs, il n’y aurait plus rien sur le disque. » s’amusent-ils « On a une vraie tendance à picoler, à fumer des clopes, à aller dans des bars et s’assommer tous les soirs. Par habitude, par sociabilité, peut-être à cause d’un fond d’alcoolisme latent. On raconte nos vies. Si on schématise on alterne entre le bureau et la bouteille. Avant la Covid, je veux dire. On parle de ça parce que ça a été 5 années de nos vies, enfermés dans une chambre, Boulevard Magenta, tous les jours ensemble à faire du son et le soir à boire des pintes. » Une besoin de s’abrutir, de se vider la tête est l’écho d’un besoin de se couper des machines, des questionnements et puis du monde. « C’est le morceau ‘Tom Tom Club’ qui pourrait le mieux résumer l’album. » Finalement ces textes traitent aussi du besoin de s’entourer et d’être présents pour les autres. « On estime dans ce projet avoir une vie étrange. On est à la fois libre et en même on est tellement obsessionnels et investis dans notre projet qu’on ne coupe jamais. On dort, on pense, on mange, on chie Magenta. »

Le projet Magenta, il vient d’un long cheminement. Les allers et venus l’on changé et transformé. Avant ce retour le collectif avait le temps de deux titre pris le nom d’Autrans. Un nom aujourd’hui oublié et qui pourtant fait partie de cette histoire : »Cela fait partie du faire et défaire dont on parlait. Austrans c’était la version beta de Magenta. Quand on l’a sorti, très vite on s’est rendu compte que ça ne correspondait plus à là où on voulait aller. Cette sortie nous avait fait respirer pendant ces 5 années de travail, on a pu avoir des retours, refaire de l’image. » Ces morceaux pourraient bien revoir le jour via Magenta même si pour l’heure, ils sont devenus quasiment introuvables sur la toile. « On a déjà un début de track listing de l’album 2, le 3 en filaire aussi et ces tracks c’est possible qu’on les reprenne. » Accoucher de ces titres et cette nouvelle esthétique avait été un pari pour le groupe qui confie y avoir passé près de deux ans. « Tu travailles dans ton coin et tu sors tes titres que quand tu en es vraiment fier et que tu penses que tu ne peux pas mieux faire mais c’est dangereux parce qu’il y a toujours un mieux. » Un sentiment qu’ils partagent sur Autrans alors que cette équipe de perfectionnistes pensent avoir sorti ces tracks trop tôt « J’ai ré-écouté récemment, il y a un truc mais j’ai été moins agréablement surpris que je ne pensais l’être. Mais c’est ce croquis qui nous a permis de savoir ce qu’on voulait faire : quelque chose de plus électro mais aussi plus pop. »

Finalement ce qui nous lie depuis toujours c’est un monogramme

Après tous ces allers-retours, Magenta devrait rester en l’état et promet d’avoir de beaux jours devant lui.  Avec la sortie de « Monogramme », une première galette qui reprend un thème cher au groupe : « Le monogramme c’est un blason, un emblème. On l’utilise parce que c’est un joli mot et on est attachés à ça. Finalement ce qui nous lie depuis toujours c’est un monogramme qui a pris différents visuels. Ce qui nous unie ce n’est pas tant les concerts ou les ventes d’albums mais la notion de clan, de famille. C’est ce qui transcende notre histoire commune. » Une idée qui transcende tous les projets du collectif comme c’était déjà le cas avec « Vieux Frère » partie 1 et 2, les albums de Fauve. Cette même notion qui a agrandi la famille des musiciens et à fédérer avec une force encore intacte 5 ans plus tard les fans du projet initial. Et de conclure « Notre histoire commune elle est plus forte que Fauve, que Magenta et on espère qu’on en aura encore beaucoup d’autres. Il ya  un mouvement et tout ça continue … »


Le 26 mars Carole Pelé dévoile son premier EP tout naturellement intitulé « Premier EP ». Si le hip hop vit on le sait, son nouvel âge d’or, la chanteuse y voit une belle façon de mettre les textes au centre de son oeuvre. Plasticienne, ancienne journaliste reporter d’images, elle ne recule devant rien et manie aussi bien l’écriture lacérée que les riffs bien senties. Dans son oeuvre entière cette musicienne mélange les arts pour mieux créer un objet multiple et hybride. Elle  pourrait être la digne descendante de Fauve du moins pour sa capacité à transmettre des maux actuels en musique. On pense également à Mélodie Lauret qui comme elle ne mâche pas ses mots. Bien loin de multiplier les simples références, Carole Pelé est une artiste entière dont la plume transperce dès les premières écoutes de ses titres. Pour preuve, l’excellent single « Nuit Blanche » qui traite de l’addiction et touche charnellement son auditeur. La chanteuse nous a donné rendez-vous au coeur de Paris. Avec sympathie, douceur et sincérité, elle a accepté de se prêter au jeu du questions/ réponses. On parle d’art, de Fauve, de combats, d’images. Une interview à découvrir et une artiste qui vous fera passer à des nuits blanches à écouter en mode « repeat » ses titres.


Découvrez notre interview de Carole Pelé


Le 12 mars 2021, Thérèse fêtera son anniversaire. Le 12 mars un an plus tôt Emmanuel Macron lui volait la vedette, nous plongeant tous par la même occasion dans une année vécue au rythme des confinements et mesures restrictives. Cette année, la chanteuse compte bien souffler ses bougies en offrant au Monde un très joli cadeau : son premier EP en solo intitulé « Rêvalité ». Au programme, comme toujours des sonorités hybrides, qui défient les genres et les frontières où les langues et les instruments sont multiples. Une petite bombe joliment ficelée qui avait déjà été teasée par le titre coup de poing « T.O.X.I.C » et plus récemment par le morceau très engagé « Chinoise » qui dénonce la racisme anti asiatique, les clichés dont est victime cette communauté tout en offrant une musicalité forte. Un opus qui est à l’image de cette musicienne hors normes, militante, styliste, chanteuse, tourbillon de bienveillance et de riffs pop suaves qui frappent aux portes du hip hip et du rock. Thérèse nous a invité chez elle pour parler de la sortie de cette galette, bébé du confinement de mars 2020. On discute société, politique, engagement, instruments, féminisme, communauté et même dinosaures. Rencontre.

 


Un mot de Thérèse sur « Rêvalité »

« L’écriture de cet EP a commencé durant le premier confinement 2020, sans plan, ni but précis. Il témoigne de ma rencontre avec la couleur réelle du plafond de mon 34m2. De ce rendez-vous si particulier avec un agenda vide. De ce tête à tête tant espéré et redouté, avec moi-même. Une méditation agitée aux contours irréguliers. Parfois doux, parfois saillants. Tantôt flous, souvent clairvoyants. »