Le Festival des Femmes S’en Mêlent existe depuis plus de 20 ans et s’active à mettre en avant des musiciennes de tous horizons sur nos scènes françaises. Au programme, concerts, conférences, workshops, projections. Cette année, parmi les films sélectionnés, Her Smell d’Alex Ross Perry, sorti en 2018. En collaboration avec le festival Pop&Psy, les Femmes s’en Mêlent ont présenté le film au cinéma le Brady à Paris. L’occasion de réfléchir à la place accordée à la santé mentale dans l’industrie musicale.
Punk is not dead (et pourtant…)
Her Smell, c’est l’histoire du groupe de rock féminin des 90s, Something She et de sa chanteuse au comportement erratique, Becky. Du Courtney Love sans la citer. Du Bikini Kill chuchoté. Du punk féminin 90s hurlé. Her Smell est un film qu’il est essentiel de voir. Que l’on soit musicien.ne, de l’industrie, ou simple spectateur.rice. Car ne sommes nous pas tous finalement un peu acteur.rice ?
Le pathos et les airs de guitare se mêlent avec une facilité déconcertante. De beaucoup sont les artistes qui créent par expiation de leur peine. Il en est accablant de constater qu’avec le temps, leur malheur vient de leur statut lui-même. C’est exactement ce qu’il se passe avec Becky (jouée par l’excellente Elisabeth Moss). Constamment ballotée par la pression de son manager, son addiction et son nouveau rôle de maman qu’elle peine à assurer -principalement à cause des raisons sus-nommées- Becky perd pied. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même et ses relations avec les autres membres du groupe sont de plus en plus conflictuelles, culminant sur la dissolution du groupe au milieu d’une répétition en studio.
Autre scène troublante quand à la suite d’une énième engueulade, Becky monte sur scène visiblement défoncée, le nez en sang, trébuchant devant un public en délire. L’absence d’inquiétude de la foule le rend presque complice de sa perte.
Un film immersif
En plus d’être une véritable odyssée au coeur de la scène rock des 90s, Her Smell est une expérience immersive sur tous les plans. Cinq scènes se succèdent dont trois qui se déroulent en backstage. Chacune d’entre elles possède son lot d’éléments anxiogènes. Dans les scènes backstage, les engueulades du groupe sont accompagnées des acclamations du public, du son de guitares lointaines, de la rumeur de la salle en pleine effervescence. Tout est mis en place pour que le.a spectateur.rice se retrouve propulsé.e dans la scène avec les personnages. Sans regarder dans la caméra, ils ont brisé le quatrième mur.
Après les hurlements, le silence. Becky obtient une rédemption qui, tellement incongrue, fait presque sens. Elle survit à ses excès, mais la scène est d’une tristesse affligeante. Seule dans sa grande maison, le mascara coulant laisse place à un regard nu de tout excès. Ceux et celles qu’elle avait entrainés dans son tourbillon vivent loin d’elle. Sa fille, son ex, ses anciennes collègues. Elle apprend au cours de cette scène, qu’Ali la batteuse, s’est mariée. Agyness Deyn qui joue Mari, est touchante dans son rôle de force tranquille.
Entre fiction et réalité
Il est important de noter que le jugement porté à l’encontre de Becky n’aurait peut-être pas été le même si elle avait été un homme. Une femme qui perd pied, ça déplait à beaucoup et en ça en fait jubiler certains, ravis de voir une femme rater une marche. Même s’ils ne l’assumeraient jamais à haute voix, ça se voit, on vous voit. Et si cette femme est mère, c’est qu’elle a tendu le baton pour se faire battre. Pourquoi pensez-vous alors que les femmes n’osent parfois pas demander de l’aide, si chaque faiblesse la transforme, dans les yeux du monde, en mère indigne ? Qu’en est-il de toutes ces rockstars masculines droguées et pères ? Si Becky avait été un homme, la problématique de l’enfant aurait été plus anecdotique. Peut-être l’enfant aurait eu droit à une scène, ou à une mention. Mais ce serait tout.
Le conflit social de la maternité et de la carrière est peut-être l’un des sujets centraux du film, sans pour autant dire son nom. Ça nous parait tellement normal qu’elle ait à choisir que l’on ne s’en offusque presque pas. Pour un homme, la question ne se poserait même pas. Son comportement serait justifiable, celui d’une femme condamnable.
Ironie du casting, Amber Heard joue le rôle de Zelda, ancienne acolyte de Something She. Envoutante dans le rôle, elle est pourtant l’exemple parfait des doubles standards imposés aux femmes dans la sphère publique. Le procès houleux avec son ex mari que l’on a même pas besoin de citer pour qu’il apparaisse devant nos yeux, sous les traits d’un pirate, d’un chocolatier ou d’une créature humaine aux mains-ciseaux, est un constat frappant de ce phénomène. La haine à l’encontre d’Amber Heard a été et reste accablante encore aujourd’hui. La justification de cette haine vient en quelques mots pour certains : « en même temps, c’est pas une oie blanche ». Parce que son ex-mari était un bichon maltais, peut-être? Le géant d’Hollywood fait des ravages, la jeune actrice ne peut que s’en retrouver détruite. Voilà comment on traite les femmes dans la sphère publique. Et ça se demande pourquoi on veut tout cramer.
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