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novembre 2024

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Pour Kendrick Lamar, l’année 2024 a été turbulente. Et pourtant, jusqu’à vendredi dernier 22 novembre, il n’avait encore sorti aucun album. Non. En cause : un beef l’opposant à Drake duquel est né un tube planétaire, sept nominations aux Grammy’s (dont cinq pour ce dit-titre), l’annonce de sa participation à la mi-temps du Superbowl en février prochain, des prix à n’en plus finir au Bet Hip-Hop Awards 2024 et le titre d’artiste rap de l’année de la part d’Apple Music. Rien que ça ! De quoi alimenter les critiques de ses détracteurs. Ce à quoi K-Dot a décidé de répondre avec un album surprise intitulé « GNX », en référence à un modèle de voiture – Buick GNX –  sorti l’année de sa naissance en 1987, et qui, enfin, le réveille de son sommeil prolongé depuis DAMN.

Kendrick Lamar - GNX

Il y a deux ans, nous découvrions Mr Morale and the Big Steppers avec une pointe de déception. Fascinés par le bonhomme et son œuvre – jusqu’à s’être levés à 6h du matin heure française le jour de sa sortie pour être dans les premiers (milliers) à le découvrir – l’ennui que nous a procurés l’écoute de son dernier (double) opus nous est resté en travers de la gorge. Attention, nous lui trouvons mille qualités, éparpillés subtilement tout du long, et certains morceaux figurent dans notre panthéon personnel du rappeur – « We Cry Together » bordel, quel choc encore aujourd’hui ! – mais dans son ensemble, Mr Morale and the Big Steppers nous semble un peu trop inoffensif par rapport aux trois classiques précédents que sont DAMN, To Pimp a Butterfly et Good Kid, m.A.A.d City.

The old Kendrick commençait donc à nous manquer un chouïa. Celui plus spontané, plus véhément, plus dans le dur. Celui qui ne se laisse pas tant plus aller, car chacun de ses albums jusqu’à Mr Morale and the Big Steppers (évidemment inclus) représentent un travail d’orfèvre, mais celui qui joue le jeu du rap game à fond en sortant les crocs. De fil en aiguille, il s’est imposé comme la tête de proue de ce jeu, ne cessant de montrer à quel point il était fort, et au-dessus des autres. Mais un tel insigne ne reste pas indéfiniment collé à la veste et il est indispensable dans ce milieu de le tenir fermement pour ne pas se le faire arracher, et de régulièrement revenir au-devant de la scène pour écarter les vautours. 2024 était la parfaite occasion pour lui.

 

L’impact du beef avec Drake

Grâce au beef qui l’opposait avec Drake en avril/mai dernier, duquel Kendrick Lamar a unanimement été déclaré vainqueur par l’opinion populaire, ce dernier est revenu au-devant de la scène d’une manière pour le moins inattendue. Morceaux rappés écrits en quelques jours (« Euphoria » – la plus grande réussite de ce clash selon nous -, « Meet the Grahams », « Not Like Us »), punchlines assassines envers son adversaire, on le retrouvait en très grande forme dans un cadre non conventionnel. Nous ne reviendrons pas en détails sur toutes les étapes de ce clash par morceaux interposés, ayant commencé, si notre mémoire ne nous fait pas défaut, après que Kendrick ait déclaré sur le morceau « Like That » de Future et Metro Boomin (récemment accusé d’agressions sexuelles) où il figure en featuring : « Motherfuck the big three, n****, it’s just big me », en référence à Drake et J. Cole souvent considérés aux côtés de Kendrick comme les trois rappeurs au sommet du rap USA. Kendrick, non du même avis, a souhaité le faire savoir. J. Cole s’en est mêlé avant de se retirer (à raison), puis Drake également, sans se retirer (ouille). De ce dernier, on retiendra seulement le morceau « Family Matters », avec ses trois parties distinctes qui, il faut le dire, fonctionnent très bien. Mais rien comparé aux succès des morceaux de son rival, surtout « Not Like Us », où Kendrick traite Drake de pédophile, qui a fait le tour du monde et qui a engrangé des centaines de millions d’écoutes, au point d’être clippé quelques semaines plus tard, pour tourner encore davantage et humilier définitivement son rival.

Ce clash a joué un rôle essentiel pour la suite, et ce nouvel album GNX en est quelque sorte le prolongement, même s’il n’est plus question de Drake. Non,  comme toujours avec Kendrick, c’est la culture hip-hop qui prime, et le voilà bien décidé à lui rendre ses lettres de noblesse. Il y a fort à parier que la ferveur récoltée en réponse de ses missiles envers Drake lui ait ouvert les yeux sur un point : le fait de pouvoir respecter le hip-hop tout en s’amusant. En ce sens, cet album surprise est un opus beaucoup plus spontané que les précédents, et il est presque sûr que son contenu a été composé dans les quelques mois voire semaines précédant sa sortie. Une photo de la cover postée vendredi dernier 22/11 sur les réseaux comme seule annonce. Même son label le matin même n’était pas au courant. Kendrick a mijoté dans son coin, prêt à reconquérir son public, avec ce que l’on appellera non pas un retour aux sources, car il n’est jamais vraiment question de ça avec Kendrick, mais un retour au kickage pur, ce qui manquait terriblement à Mr Morale and the Big Steppers à notre sens.

 

Old but new 

Aucun de ses albums jusque-là ne se ressemblait, et celui là ne déroge pas à la règle. Peut-être qu’en terme de promotion et d’état d’esprit, on pourrait davantage le rapprocher du projet untitled unmastered, auquel il empreinte d’ailleurs les lettres tout en minuscules pour le noms des morceaux. Rien de très jazzy sur GNX, mais le même aspect marginal disons.

Revoilà le Kendrick acerbe, méticuleux dans ses flows, qui ne cesse de prendre par surprise, de taper là où il faut, capable de changer constamment de voix, de ton et de forme. Tantôt sombre et mystérieux, tantôt en colère, tantôt doux comme un agneau, toujours habité. Tellement de facettes maitrisées aujourd’hui à la perfection.

Kendrick et ses 1000 identités. Véritable caméléon. Ça a toujours été et ça n’est pas près de bouger. GNX fait varier autant les innombrables manières différentes de rapper, passant subtilement d’une humeur à une autre, d’une émotion à une autre. Mais le ton de l’album lui, reste cohérent de bout en bout. Il y a une grande unité, comme sur tous les précédents, mise au service des variations desquelles finalement surgit le génial. Car GNX l’est, génial, par sa liberté à être ce qu’il a envie d’être, et de répondre à une certaine demande de la part de son public (non formulée mais sous entendue par les chiffres de « Not Like Us »). Du fan service en quelque sorte, mais de qualité. Sans foutage de gueule. Une remise en question qui permet au rappeur de déployer sa meilleure arme : son rap sensationnel, sans artifices, avec minimalisme. Il serait difficile de comparer ce nouvel album aux précédents, car la démarche est tout à fait différente, et qu’il n’a pas leur « grandeur » du fait de sa nature même. Mais fait est qu’il en dit beaucoup sur la position et sur l’ambition de Kendrick Lamar aujourd’hui. Quoi de mieux pour garder le trône que de mettre tout le monde à l’amende ? Et si vous voulez notre avis, GNX n’est qu’un apéritif, et il annonce certainement quelque chose de plus gros à venir, qui bénéficiera sans doute de moyens de communication toutes autres. Mais ça n’est pour l’instant que supposition.

 

Un rappeur sachant rapper ne le fait jamais sans sa bande de producteurs

GNX est coproduit par Jack Antonoff, du groupe Bleachers, également producteur de Lana Del Ray et Taylor Swift, montrant un désir de la part de Kendrick d’aller vers quelque chose d’assez consensuel niveau sonore. On retrouve également en tant que producteurs des gars comme Sounwave, Kamasi Washington ou encore le fameux DJ Mustard, à qui l’on doit le titre « Not Like Us ». Même destin pour cette nouvelle collaboration sur « tv off », le septième titre de GNX ? La chanson est déjà virale sur les réseaux avec l’extrait où Kendrick hurle Mustaaaaaard sur le changement de prod (annonçant l’arrivée de celle du DJ en question).

GNX se démarque en tout cas par ses prods assez condensées purement répétitives aux boucles courtes. Le premier titre « wacced out murals »  nous prend de suite à la gorge, de par son côté mystérieux et tendu, appuyé par des notes de basse électronique puissantes et grasses que l’on se met à adorer automatiquement. On se croirait carrément dans le film Tron version West Coast ! Puis directement après, l’album enchaine sur un tube à sa manière, « squabble up », où Kendrick se la joue bien plus fun et dynamique, et dont les premières secondes avaient justement été teasés il y a quelques mois dans le clip de « Not Like Us ». Les deux morceaux semblent être des jumeaux dans leur vibe commune.

La suite de l’album ne cesse de surprendre à chaque morceaux, avec son lot de morceaux kickés taillés comme il faut (« reincarnated »,  « tv off « ), et d’autres plus en douceur. « man in the garden », faisant partie de ceux-là, nous rappelle d’ailleurs « Auntie Diaries » (présent sur Mr Morale and the Big Steppers) dans sa construction. Ailleurs encore, on surfe sur une vague plus soul avec « heart pt. 6 », dont l’instru pourrait très bien convenir à Nas, une des idoles de Kendrick Lamar, le seul d’ailleurs à l’avoir félicité à l’annonce de sa présence à la mi-temps du Superbowl 2025, contrairement à Lil Wayne. Ne pouvant sortir le morceau à part avant l’album (sinon, adieu la surprise) – le principe des morceaux « the heart » étant jusque-là d’annoncer la sortie d’un nouvel album, sans jamais figurer dessus – cette partie 6 est à l’opposé de la 5e, qui venait préparer le terrain pour l’arrivée  Mr Morale and the Big Steppers en 2022. En effet, la partie 5 était la chose la plus pêchue au sein (presque) d’un album trop mou, tandis que la 6 est probablement la chose la plus chill au sein d’un album bien plus frontal que son précédent. Nous adorons en tout cas cette nouvelle partie, autant que l’autre, et toutes celles d’avant !

Côté featurings, ils sont assez nombreux et surprenants sur ce nouvel album. SZA en grande star sur deux morceaux : « luther » et « gloria » – elle n’arrête plus de faire entendre parler d’elle – et d’autres rappeurs moins célèbres que nous vous laissons la joie de découvrir. Tous collent particulièrement bien mais notre cœur va au couplet de Dody6 sur « hey now ».

 

Une affaire de famille

Dans l’ambiance générale de GNX, on sent à quel point l’influence du premier album de Baby Keem (cousin de Kendrick Lamar), The Melodic Blue, est importante. Depuis « Family ties » (2021), morceau avec Kendrick Lamar en feat, qui avait rencontré un succès phénoménal, on retrouve des sonorités et un état d’esprit similaire dans nombreux morceaux de Kendrick Lamar sortis postérieurement à ce grandiose album qu’est The Melodic Blue, dont la trace est surement bien plus grande qu’on ne pourrait le penser. Baby Keem joue un rôle dans le renouvellement actuel de son cousin.

Déclaration d’amour à la Californie et à la West Coast, GNX est surtout là pour faire taire les critiques sur la légitimité de Kendrick Lamar au sommet du rap game. Il a rarement été aussi en forme et si GNX n’est pas fait pour être l’album du siècle – le but semble ici de s’éclater dans les règles de l’art – il pourrait bien être annonciateur d’une œuvre à venir bien plus majeure dans la carrière de K-Dot. Affaire à suivre…

Cover de « GNX » – Kendrick Lamar. Disponible !

Jeune Lion : « Je fais du rap francophone spirituel » (interview au MaMA Festival)

Il est franco-ivoirien et enchaine les EPs : trois depuis 2022, et un qui s’apprête…

Comme pour célébrer ses 30 ans de carrière qu’il n’a pas eu l’occasion de fêter comme il se doit, le chanteur français Dominique A dévoile un double album divisé en deux temps : 14 de ses morceaux revisités avec l’orchestre de chambre de Genève et 14 autres revisités en formule trio avec Julien Noel au piano et Sébastien Boisseau à la contrebasse. Une œuvre rétrospective scintillante aux deux parties communicantes qui nous aide à mieux saisir cette poésie musicale qui nous obsède depuis tant d’années. Nous avons eu la chance de l’interroger sur ce nouveau projet.

Dominique A @Richard Dumas
Dominique A @Richard Dumas

 

Pop & Shot : Vous avez récemment fêté vos 30 ans de carrière, vous avez sorti une quinzaine d’albums, comment est-ce qu’au fil du temps, vous avez su garder intactes la passion et l’envie d’écrire des choses, de sortir des albums et de composer de la musique ?

Dominique A : C’est assez simple : je dépéris si je ne fais rien. Cette envie découle de ça. Quand je n’ai pas un projet en cours, je me fane *rires*.

Après, il y a deux types de projets, ceux que je lance et ceux vers lesquels on m’aiguille, comme là avec ce double disque rétrospectif qui, au départ, est lié à une commande de l’orchestre de chambre de Genève. De cette commande est née l’envie de faire un disque, puis l’envie d’en faire un double *rires*. A un moment donné, je voulais même que ça soit un triple album mais ça voulait dire quintuple vinyle.

Après, il y a plusieurs périodes. Quand j’ai commencé, c’était les années 90 donc un contexte quand même très différent dans le monde de la musique. Là je ne faisais pas du tout de plans sur la comète. Je n’avais pas de perspectives autres à chaque fois que celles de faire un disque. Et pour les quatre premiers, je me disais que c’était le dernier. Et puis à partir du moment où il y a eu la décision consciente et assumée de continuer et de faire toute ma vie avec ça, je me suis rendu compte que je ne pouvais tout simplement pas m’en passer. Et puis tout est aussi dépendant d’un contexte qui est l’entourage professionnel. Des gens qui réagissent quand vous leur proposez quelque chose, ou des gens qui vous proposent des choses, et après des gens qui vous suivent, des gens qui viennent vous voir ou qui achètent des disques. C’est aussi ce qui entretient la machine. C’est à dire que s’il n’y avait pas ces gens-là, comment je vivrais les choses ? Je n’en sais rien.

Parfois, je suis beaucoup plus admiratif des gens qui s’accrochent alors qu’il n’y a rien, personne… Pas de gens pour les épauler et un public peau de chagrin. Dans mon cas, c’est plus confortable, j’ai cette chance.

 

Pop & Shot : Et vous avez toujours le même plaisir à sortir des choses ?

Dominique A : Oui carrément ! Ce qui m’épate, c’est que ce sont toujours des objets physiques. C’est sûr qu’on en vend moins qu’avant mais on travaille toujours sur ça. Parce que les gens qui me suivent, c’est des vieux barbons comme moi qui sont attachés à ça. Même si le streaming s’est généralisé, je m’adresse beaucoup à des gens qui ont un rapport à l’objet, qui ont envie d’écouter un disque dans son intégralité, qui ont envie d’une espèce de fil narratif avec les chansons. Je suis quasi persuadé que l’objet existera encore à la fin de ma vie, même si c’est devenu une création marginale.

 

Pop & Shot : Ce nouvel album que vous venez de sortir est divisé en deux, 14 morceaux avec l’orchestre de chambre de Genève et 14 autres en formule trio. Pourquoi l’avoir construit comme ça ?

Dominique A : De façon un peu étrange. Déjà, le projet du trio, je l’avais en tête depuis un bout de temps, pour faire une tournée, mais sans disque à la clé. L’idée de faire un enregistrement m’est venu parce que je voulais garder une trace de ma collaboration avec l’orchestre symphonique. Parce que bon, c’est pas tous les jours que ça arrive ! Sauf que quand ça m’est venu à l’esprit, je me suis dit : si c’est rétrospectif, 14 morceaux, ça va faire court, ça va être un drôle d’objet.

Je savais que défendre un disque, ou en tout cas le porter sur un certain nombre de temps, plus que les deux semaines de la sortie, ça passe par la scène, alors je me disais qu’avec le symphonique, ça n’allait pas être possible. Ça se limitera à deux trois concerts, ce qui est le cas – on a fait quatre concerts en Suisse, on va en faire deux en France – puis point barre. Dans cette configuration, le disque allait être un peu mort-né. Il n’y aurait pas de suivi. L’idée du trio permettait d’avoir une tournée derrière qui aurait un effet d’entrainement pour que le disque vive sa vie tranquillement. Ce sont des visions complémentaires, à la fois une envie et puis en même temps, de façon prosaïque, ça permettrait au disque d’exister sur plus de temps.

Après, il y avait autre chose. J’avais enregistré un projet un peu à part avec des copains jazzmen dont Sébastien Boisseau qui joue de la contrebasse dans le studio de la Buissonne qui se trouve près d’Avignon. J’avais adoré travailler dans ce studio, j’avais adoré la façon de travailler de Gérard De Haro, le producteur qui a monté ce studio. Un trio dans cet endroit là avec cette façon de travailler, ça m’excitait. Ce sont donc des envies complémentaires qui m’ont fait aller voir la maison de disques pour leur proposer cet album en deux temps. Avec un point de jonction qui serait le travail sur l’acoustique dans un cadre assez pléthorique d’un côté, avec le symphonique, et puis dans un cadre intime de l’autre, avec le trio. Mais dans les deux, on retrouve l’idée de gens qui jouent ensemble dans un espace où l’électronique est absente, où l’électrique même est quasiment absente puisqu’il y a très peu de sources électriques. C’était une espèce de jeu de piste en deux temps.

 

Pop & Shot : Comment s’est fait le choix des morceaux ?

Dominique A : Pour le symphonique, on en a discuté avec David Euverte, l’arrangeur. C’est un musicien avec lequel je travaille depuis longtemps. Il fallait qu’il soit à l’aise avec les morceaux qu’il allait arranger parce que c’était un gros chantier pour lui. C’était quelque chose d’assez neuf d’orchestrer de cette manière. Il ne l’avait pas fait de façon aussi suivie car ça a représenté un an de travail pour lui. Il y a des morceaux qu’on ne pouvait pas trop écarter. Je pense par exemple à « Courage des oiseaux », « Immortels » ou encore « Au revoir mon amour ». Ceux-là devaient absolument figurer. Pour le reste, c’est beaucoup venu d’envies personnelles en me disant : tiens, tel morceau sur tel album, je lui redonnerais bien une seconde vie parce que je l’aime bien et que j’estime qu’il n’a pas eu le parcours qu’il méritait.

Pour le trio, c’était plus libre. Autant, pour le symphonique, à partir du moment où on commence à travailler sur un morceau, il y a toute une machine qui se met en branle et on ne peut pas changer de fusil d’épaule facilement. Autant pour le trio, c’était plus simple. C’est à dire qu’à partir du moment où l’un d’entre nous avait une idée de morceau – moi j’en ai soumis une trentaine à mes camarades – on pouvait tester, essayer et s’en détacher plus facilement si ça ne convenait pas. D’un côté la rigueur et la contrainte et puis de l’autre quelque chose de beaucoup plus débridé. Je trouvais que c’était intéressant de jouer sur ces deux tableaux et ce contraste entre quelque chose de très écrit qui nécessite un temps de préparation énorme et puis au contraire quelque chose de très immédiat.

 

Pop & Shot : Est-ce que vous avez découvert des choses insoupçonnées dans vos propres morceaux en les revisitant ?

Dominique A : Non, je ne dirais pas ça. Ce qui m’intéressait dans les propositions de David Euverte, l’arrangeur, c’est la façon qu’il avait de les emmener vraiment ailleurs… Je pense à un morceau qui s’appelle « Rue des marais » qui est à la base très introspectif, très très très triste dans sa première version studio. Je ne dirais pas qu’il est devenu joyeux mais David lui a donné une petite coloration chaloupée, cubaine presque, qui était complètement inattendue. Je trouve que l’éclairage sur le morceau est très différent et ça fait partie des choses que j’attendais de ce travail là, que les morceaux soient emmenés ailleurs, que ça soit des versions possibles en fait, comme si je m’étais saisi du répertoire d’un autre. Sans volonté de retrouver l’ambiance initiale du morceau à tout prix. A la limite, ce qui m’intéresse le moins, c’est quand les morceaux sont plus proches de leurs versions premières.

 

Pop & Shot : Qu’est ce qui a été le plus marquant dans votre collaboration avec l’orchestre vous diriez ?

Dominique A : Déjà d’entendre les morceaux joués avec le son de l’orchestre, c’est assez marquant. Sur des morceaux qui ont parfois 25, 30 ans, qui ont été composés par un jeune homme qui n’imaginait pas se retrouver un jour dans cette situation…

Puis après, ce qui m’a marqué c’est l’implication de l’orchestre. Parce que dans le classique, on ne sait jamais trop. Ca peut être des expériences un peu douloureuses où il y a du mépris en quelque sorte. Il y a des gens pour qui ça n’est pas vraiment de la musique à partir du moment où vous même n’êtes pas un musicien avec un cursus… Moi je ne lis pas la musique par exemple. Ma légitimité est assez faible par rapport à des gens qui ont suivi pendant des années des études musicales très poussées.

Mais là, il y a vraiment eu des interactions très chaleureuses entre Raphaël Merlin, le chef-d ‘orchestre, et tout l’orchestre. Je n’ai senti que des bonnes ondes. Une grande chaleur dans l’échange. Ça m’a beaucoup porté de sentir cet intérêt. C’est très motivant. On n’a pas l’impression de forcer la main des gens ni de sentir de l’ennui de leur part.

 

« Quelques Lumières », album disponible depuis le 18 octobre 2024 chez Cinq 7 / Wagram Music

 

 

 

 

 


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Le 1er novembre 2024, The Cure faisait son immense retour. Le groupe mené par Robert Smith publiait en effet son nouvel opus : « Songs of a lost world ». Un digne retour aux sources, sombre et abouti et surtout une première depuis l’album « 4 : 13 Dream » sorti en 2008. Si ce nouvel opus crée évidemment une immense effervescence, il rassemble les fans de la formation et leur permet d’enfin se mettre de nouveaux titres sous la dent. Mais c’est aussi l’occasion d’en profiter pour redécouvrir la discographie de la troupe de Robert Smith et ses 14 albums salvateurs. Nous avons choisi de parler de ce qui est le chef d’oeuvre de la formation : l’album « Pornography » sorti en 1982. Un must qu’il faudra absolument avoir écouté.

The CureThe Cure : Pornography , d’où viens tu ?

Nous sommes en 1982, The Cure a déjà quelques années de carrière à son actif. Formé en 1978, le groupe de Robert Smith a donné sa définition, et sûrement l’une des plus importantes, de ce qu’est la cold wave.  A ces côtés Joy Division est l’autre représentant indissociable du courant.

En 1979, nos Cure, formés depuis 1978, sortaient  leur premier né « Three Imaginary Boys », un opus aux couleurs plutôt douces pour ses créateurs.  Une prouesse indiscutable qui attire tous les regards et toutes les oreilles.  S’en suivent deux très beaux albums, respectivement « Seventeen Seconds » (1980) et « Faith » (1981). Pourtant,  très vite, les véritables aspirations de la formations vont faire surface. D’abord avec le single hors album « Charlotte Sometimes » qui convoque toute la noirceur de la psyché du trio en 1981. Les démons du frontman s’y matérialisent mais sont de plus en plus insistants. Il expliquera plus tard ne voir que deux options tout abandonner et se tuer ou composer un album sorte de thérapie musicale. Ainsi se crée ce qui deviendra avec les années, l’obsédante trilogie sombre qui  vaudra à The Cure ses lettres de noblesses : « Pornography » en tête de liste puis « Desintegration » (1989) et « Bloodflowers » (2000). Triptyque glacé et glaçant, reflet d’un Robert Smith dompté par ses peurs, sa dépression, son obsession de la solitude mais aussi par l’emprise de drogues sur son psyché, le LSD en tête de liste. L’album de génie du gothique est créé avec la participation de Phill Thornalley, jeune ingénieur du son désireux de créer un album expérimental. Il apporte une vraie force aux compositions de Smith et sa bande lors de leur entrée en studio. Il n’était pourtant pas le premier choix de The Cure, le nom de Conny Plank avec lequel le groupe partage un intérêt commun pour Kraftwerk avait été envisagé. Le passage en studio s’étend finalement de janvier à avril 1982. Durant cette période alcool et drogues coulent à flot. Pour ne pas trop dépenser, la formation dort dans les bureaux de leur label. Côté travail, il seule obsession les réunie, faire l’album le plus intense possible. Smith se laisse complètement aller, auto-centrer il canalise tout ce qu’il y a de plus sombre en lui. Il avoue avoir alors involontairement fait le vide autour de lui, perdant tous ses ami.es sans exception.

The Cure PornographyPlonger dans les ténèbres, y chercher The Cure

Les deux précédents albums qui constituent la discographie de notre formation, « Seventeen Seconds » et « Faith »,  empruntent il faut le dire, à la mélancolie pour s’écrire. « Pornography », va beaucoup plus loin, touchant au nihilisme. Les mots « It doesn’t matter if we all die  » y sont d’ailleurs les premières chantées.  Il faut dire qu’à ce moment là, Smith et ses comparses sortent d’une tournée épuisante pour « Faith ». Marathon sans fin, tourbillon viscéral qui ne laisse aucune place à l’apaisement. Celle-ci aura visiblement fragilisé un chanteur déjà en proie à ses démons. Ceux-ci prennent alors entièrement le dessus, renforcés par la prise de stupéfiants. Nos musiciens sont alors à bout, presque paranoïaques. L’aire de l’après punk s’étend comme une traînée de poudre sur l’Europe, la cold wave porte bien son nom. Cette vague dépressive va tout balayer sur son passage, redéfinissant à tout jamais le monde du rock. « Faith » et son espoir de foi sont loin derrière, « Seventeen Seconds » a d’ailleurs passé la seconde en matière de noirceur dévorante.

A bout de souffle et enchaînant les prises d’anxiolytiques pour mieux supporter  la vie de tournée, le meneur de la formation – et seul membre que l’on retrouve sur les 14 opus que compte le groupe à son actif- décide de tout exposer. Un dernier titre se dit-il pour vomir aux yeux de tous ses maux et les méandres de son esprit. C’est dans cet état d’esprit qu’il entre en studio. Il y trouvera sûrement une dose de rédemption puisque finalement l’album se conclut sur ces mots « I must fight this sickness, find a cure ».  C’est au Rak Studio One de Londres que la magie opère. Pour parfaire la noirceur jusqu’au boutiste de notre galette Smith peut compter sur la batterie précise de Tolhurst, frénétique, entêtante, elle vient casser la mélodie de la guitare pour la rendre encore plus lourde, dense, infernale.

The Cure Pornography

De son côté le bassiste Simon Gallup vient casser tous les codes de ce qui fait un morceau de rock, entrainant dans son sillage des années de créations musicales. Une colère poisseuse vient alors se déverser sur l’auditeur, titre après titre. Monstre de tristesse en trois étapes, adieu sans sourciller à un courant dont ils sont les visages les plus connus. « Pornography » glace autant le sang qu’il fascine. Impossible de ne pas être obsédé.e par les notes hantées de « One Hundread Years » qui ouvre ce bal du diable. Les huit morceaux qui le composent sont tous dans cette veine et s’offrent une montée en puissance phénoménale jusqu’à « Cold » qui porte divinement son nom et enfin son final sur « Pornography ».

Du remède au succès

The Cure Robert SmithL’album semble inaccessible … et pourtant. Il s’offre immédiatement une entrée dans le Top 10 britannique. Il va s’offrir aussi une très belle notoriété en Nouvelle-Zélande. Il est pourtant de ces opus qui s’appréhendent mieux avec le temps et demandent quelques années pour être mieux compris. C’est aussi grâce à la tournée qui le suit que le groupe développe pleinement son image, avec notamment les cheveux noirs que l’on reconnait entre mille.

L’album ne suffira pas à lui seul à offrir à Smith une thérapie salvatrice, il lui faudra des années pour poursuivre son oeuvre et offrir au Monde les deux albums qui succèderont et clôtureront cet essai musical. Il prendra ainsi un terme en 2000 avec « Bloodflowers ». Ses nombreuses récompenses viennent à encrer l’image culte de cet album hors cases : Brit Awards, NME ou encore MTV Awards. Seul Rolling Stone vient accabler l’album à sa sortie. Mais il arrive régulièrement à Rolling Stone de faire des erreurs.

Si « Pornography » a canalisé une bonne partie des humeurs sombres de The Cure et surtout de Robert Smith, son nouveau jet « Songs of a lost world » prouve que notre homme n’a pas encore trouvé le remède à ses souffrances psychologiques. Et que cette noirceur reste sa plus belle arme en matière de compositions.


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